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Les amants de Venise Beq michel Zévaco Les amants de Venise


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Imperia


Scalabrino s’était jeté à l’eau au moment où la gondole chavirait.

Il nagea sans plus se préoccuper de ce qui se passerait derrière lui. Ayant atteint le quai, il se dirigea vers l’île d’Olivolo où il arriva grelottant, non pas tant du froid de cette nuit et de l’eau dont ses vêtements étaient trempés, que de la fièvre de surexcitation.

Roland l’attendait.

Le premier mot du colosse en le voyant fut :

« Ma fille ?

– On n’en a pas de nouvelles ; nous avons inutilement fouillé le palais Bembo. »

Scalabrino hocha la tête.

« Courage ! dit Roland en lui serrant la main ; Bianca est forte, c’est un esprit ferme ; elle a résisté, j’en jurerais... nous la retrouverons pure, saine et sauve. »

Scalabrino s’était assis près de la cheminée où flambait un bon feu et tendait ses mains.

« Sandrigo ? interrogea alors Roland.

– Je l’ai poignardé.

– Imperia ?

– Je l’ai noyée. »

Roland demeura pensif, les yeux fixés sur le rude compagnon qui avec tant de simplicité lui annonçait une pareille tragédie.

*

Scalabrino se trompait au moins sur un point : Imperia n’était pas noyée.



Nous avons assisté à son réveil. Nous avons vu la courtisane – peut-être folle – revenir à elle, sauvée par Juana.

Lorsque fut accompli le dernier épisode du drame que nous venons de raconter, Imperia demeura dans la barque sans faire un mouvement.

Ses yeux ne pouvaient se détacher de l’endroit où elle avait vu Sandrigo et Juana s’enfoncer dans les flots.

Peut-être ne songeait-elle à rien.

La barque poussée, ramenée, repoussée par les ondulations des vagues, finit par aller choquer le quai où elle demeura.

Quant à la gondole, la magnifique gondole d’amour, elle fut repoussée vers le large et des pêcheurs la retrouvèrent quelques jours plus tard dans les sables de la langue de terre qui fermait le port du Lido.

Il faisait jour lorsque Imperia se réveilla de cette sorte de prostration à laquelle elle avait succombé.

Elle releva la tête. Et elle vit alors que plusieurs personnes assemblées sur le quai la regardaient avec curiosité.

Alors elle employa ce qui lui restait de forces à écarter le souvenir de l’horrible nuit qu’elle venait de passer et à reconquérir un peu de sang-froid.

« La signora est tombée à l’eau ? demandait une femme.

– Oui, tombée, répondit Imperia en claquant des dents. Y a-t-il un barcarol qui veuille bien me reconduire chez moi ? »

Un homme sauta dans la barque en disant :

« On n’est pas barcarol, mais on sait nager tout de même. Où faut-il conduire la signora ?

– Palais Imperia », répondit la courtisane dans un dernier souffle.

Et elle s’évanouit à demi.

Le nom d’Imperia circula avec une admirative curiosité dans la petite foule qui s’était amassée. Mais déjà le gondolier volontaire faisait force de rames et, bientôt, il emboucha le Grand Canal.

Imperia revint promptement à elle, c’est-à-dire qu’elle revint au sentiment de ce qui l’entourait. Mais l’ébranlement cérébral de tant de secousses la maintint dans un état de terreur qui paralysait sa pensée. La barque filait le long du canal. Les palais se succédaient sous ses yeux, et elle n’avait plus que la force de murmurer :

« Oh ! je n’arriverai jamais... plus vite, monsieur, plus vite, par pitié, vous serez royalement récompensé.

– Madame, dit l’homme, le plaisir d’avoir vu de près la beauté que toute l’Italie célèbre est une suffisante récompense, et je n’en veux pas d’autre. »

Imperia regarda cet homme avec étonnement. Il était mal vêtu : c’était évidemment un pauvre. Et alors ce qu’avait dit cet inconnu, l’orgueil de cette beauté que les plus riches et les plus humbles encensaient, mit une flamme de vie dans ses yeux. Elle chercha ce qu’elle pourrait bien faire ou dire pour remercier l’homme. Soudain, elle détacha de ses cheveux le magnifique peigne enrichi de pierreries qui maintenait sa chevelure.

« Pour m’avoir conduit, je ne vous offrirai donc rien, mais pour le plaisir de ce que vous venez de dire, prenez, en souvenir de moi. »

L’homme prit le bijou et dit :

« En souvenir de la plus belle parmi les plus belles. »

Imperia fit un geste de lassitude et se remit à examiner les palais qui défilaient sous ses yeux. Soudain elle se renfonça, se tapit dans le fond de la barque en poussant un sourd gémissement.

« Elle ! »

La barque passait devant le palais Altieri.

Une des fenêtres de ce palais était ouverte.

Et à cette fenêtre, une femme pâle laissait errer sur le canal un regard mélancolique.

Cette femme, c’était Léonore.

Vit-elle Imperia ?

Il sembla du moins à la courtisane que son regard pesait sur elle.

Elle joignit les mains avec force et murmura :

« Pardon ! oh ! pardon !... »

Déjà le palais Altieri demeurait en arrière et bientôt la barque s’arrêta. Imperia vit qu’elle était arrivée. Elle se leva et, quelques instants plus tard, tomba, défaillante, dans les bras de ses femmes.

On la mit au lit, on la frictionna, on la réchauffa.

La nature vigoureuse de la courtisane enraya le mal. Dans l’après-midi de ce jour, enveloppée chaudement, réconfortée par un bon déjeuner, elle se tenait, seule, dans cette sorte de boudoir où elle avait reçu Roland Candiano, croyant y introduire Pierre Arétin.

De tant de secousses différentes, il ne lui restait qu’une terreur : celle de voir tout à coup apparaître Roland ou Scalabrino.

Le reste s’enfuyait déjà de son esprit.

Sa fille ?... Elle y songeait vaguement comme une personne qu’elle aurait connue jadis. Elle s’étonnait d’une seule chose, c’était d’avoir éprouvé pour elle une affection qu’elle ne comprenait plus, et qui, d’elle-même, s’était desséchée dans son cœur comme une plante poussée en mauvais terrain.

Bembo ? Il était certes plus mort dans sa mémoire que Sandrigo ne l’était en réalité.

Quant à Sandrigo lui-même, elle n’éprouvait, en songeant à lui, qu’un léger frisson, dernier reste de la grande tempête de passion de la nuit.

Et maintenant elle comprenait combien peu de place il occupait en elle.

Mort l’homme, évanoui le plaisir ; elle rejetait Sandrigo de son esprit, elle le chassait non pas de son cœur, mais de ses sens.

Ainsi donc, Bianca, Bembo, Sandrigo n’étaient plus que des ombres.

Mais ce qui demeurait vivant en elle, d’une vie plus puissante, comme si en lui s’étaient concentrées les vies de tous les autres, c’était Roland Candiano.

La courtisane pleura.

Elle comprit alors que depuis qu’elle était venue à Venise pour Roland, elle n’avait cessé de l’aimer. Tout le reste n’était que comédie jouée avec plus ou moins de sincérité.

Elle avait aimé, elle aimerait toujours cet homme.

Elle eût donné sa vie pour voir Roland, pour lui crier encore son amour et, en même temps, elle tressaillait de terreur au moindre bruit.

La vision de Léonore à la fenêtre du palais Altieri avait achevé de l’épouvanter, comme si cette rencontre eût été préparée en signe de fatal et suprême avertissement.

Voilà à quoi songeait Imperia retirée au fond de son palais, tandis que Roland et Scalabrino la croyaient morte.

Alors, une conclusion logique s’imposa à elle.

Elle était venue à Venise pour Roland.

Roland la méprisait, la haïssait, Roland la tuerait sûrement. Peut-être était-ce lui qui avait armé le bras de Scalabrino...

Il ne lui restait plus qu’à fuir.

Sans plus attendre, elle fit venir son intendant et eut avec lui un entretien de deux heures, au bout desquelles il se retira en disant :

« Tous vos ordres seront exécutés, signora, et je vous apporterai moi-même le produit de la vente du palais, des meubles, des tableaux...

– Excepté celui que je vous ai indiqué.

– Le portrait en question ; je n’oublie pas, signora. Il ne me reste plus qu’à apprendre en quel lieu de l’Italie je devrai vous rejoindre.

– À Rome », dit Imperia.

L’intendant disparu, la courtisane rassembla ce qu’elle avait de bijoux précieux, prit une somme en or, s’habilla comme pour un long voyage, et, sans emmener aucune de ses femmes qui avaient l’ordre de la rejoindre à Rome, sortit à la nuit tombante de ce palais où pendant près de huit années elle avait ébloui Venise de son luxe et de sa beauté.

La gondole qui l’attendait devant le palais lui fit traverser la grande lagune.

En terre ferme, elle retrouva son intendant qui lui amenait un solide carrosse de voyage.

Imperia traversa l’Italie à toute vitesse, semant l’or pour aller plus vite. Un matin enfin, elle s’arrêta devant un de ses palais de Rome.

« Maintenant, dit-elle, je suis sauvée !... »

Elle parcourut avec une joie folle, une joie de délivrance et de vie nouvelle, ces salles du palais désert que deux serviteurs avaient gardé et entretenu pendant son absence. Déjà elle donnait des ordres pour la réparation, la restauration de ses salons, déjà elle pensait à quelque somptueuse fête par laquelle elle eût annoncé son retour à la société romaine, comme la fête qu’elle venait de donner en son palais du Grand Canal devenait un adieu à la société vénitienne.

Avec sa prodigieuse activité, dès le jour même, elle avait organisé un train de maison ; le palais qui avait dormi huit ans se réveillait ; des domestiques, des femmes de chambre s’affairaient dans les vastes pièces.

Et le soir, lorsque la courtisane ferma les yeux dans ce grand lit qui était célèbre à Rome pour sa magnificence, elle murmura avec la lassitude calme et délicieuse du repos reconquis :

« Ah ! Venise et ses sombres canaux ! Venise et ses ruelles tortueuses où les sbires vous guettent ! Venise et ses poignards et son épouvante, et tout ce qui m’accablait le cœur et me voilait le cerveau d’un nuage de terreur et d’horreur ! Adieu à toute cette tristesse ! Vive Rome et le soleil de Rome, vivent mes bons Romains qui déjà, apprenant mon retour, ont envoyé me saluer... Là-bas je n’étais que la superbe courtisane, ici je suis la reine. »

Et elle s’endormit en faisant des rêves de vie nouvelle.

Morte la pauvre Bianca, dans cette âme.

Mort Bembo ! Mort Sandrigo ! Mort Roland Candiano ! Oui ! morts, tous, depuis Jean Davila assassiné au pied du grand portrait, jusqu’à Sandrigo tué dans ses bras !

Le retour d’Imperia produisit dans Rome le grand frisson qu’elle avait espéré et qui était plus que de la curiosité.

La fête rêvée par la courtisane eut lieu quatre jours après son arrivée. Elle fut ce qu’étaient toutes les fêtes d’Imperia : magique par bon goût, rutilante par les lumières et les fleurs, exorbitante par le faste.

Sur la fin de la soirée, Imperia, radieuse, rajeunie, ivre de joie et d’orgueil d’avoir reconquis Rome d’un seul coup, recevait les adieux des seigneurs romains empressés autour d’elle.

Enfin, il n’y en eut plus qu’un seul.

Celui-là, demeuré le dernier, s’approcha à son tour, et fit tomber le masque qui couvrait son visage.

Imperia jeta un cri de terreur :

« Bembo...

– Moi-même, carissima, fit le cardinal en s’inclinant, on dirait presque que ma présence vous effraie, ou, ce qui serait pis encore, qu’elle vous ennuie. »

Imperia pâlit.

C’était bien le cardinal-évêque de Venise, avec ses yeux narquois, sa parole d’une sinistre ironie.

C’était Bembo ! Et avec lui, ce qui la poursuivait à Rome, c’était tout le passé d’épouvante et d’horreur, c’étaient les spectres de Jean Davila et de Sandrigo, c’était l’âme de sa fille abandonnée, c’était plus que tout cela, c’était le souvenir de Roland Candiano.

Bembo accouru à Rome !

Cela lui présagea quelque effroyable malheur.

« Qu’êtes-vous venu faire ici ? demanda-t-elle d’une voix tremblante. Y a-t-il donc encore quelque chose de commun entre nous ?

– Certes ! fit Bembo.

– Quoi donc ? interrogea avec hauteur la courtisane.

– Votre fille, madame ! » répondit Bembo de sa voix terriblement tranquille.

IX



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