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Les amants de Venise Beq michel Zévaco Les amants de Venise


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Le premier baiser d’amour de Juana


Le cri qui venait de déchirer l’espace s’élevait de la petite barque perdue dans la nuit, suivant le sillage de la gondole.

Juana, debout à l’avant, les bras tendus dans un geste de désespoir et d’imprécation, avait assisté, impuissante, à la terrible scène qui venait de se dérouler en quelques secondes.

Que faisait-elle là ? Quelle pensée l’avait poussée ? Quel espoir ? pensée imprécise. Espoir incertain. Elle était venue sans presque avoir conscience de ce qu’elle tenait, comprenant seulement qu’un drame se préparait et qu’elle était dans la main de la fatalité.

Juana, en quittant Mestre, en quittant Roland Candiano, en marchant sur Venise, n’avait eu qu’une idée : sauver Sandrigo – mais le sauver en l’empêchant de se dresser contre Roland.

Juana, en apprenant de Sandrigo lui-même son amour pour Bianca et le proche mariage, Juana, en venant au palais d’Imperia, avait conçu le projet d’entrer secrètement dans le palais, de voir Bianca, de lui parler, sans se demander ce qui pourrait en résulter.

On a vu qu’elle n’avait pas tardé à apercevoir Scalabrino.

Elle savait, d’autre part, que Sandrigo était dans le palais.

Son projet se trouva bouleversé.

Elle eut la certitude immédiate que Scalabrino était là pour frapper Sandrigo. Dès lors elle résolut de s’attacher à Scalabrino, de ne plus le perdre de vue. S’il y avait duel, combat, elle se jetterait entre eux.

Ainsi, cette pauvre femme était tourmentée à la fois par la jalousie et la terreur. Elle n’était plus maîtresse d’elle-même et n’agissait que sous la pensée d’impulsions au gré desquelles elle s’en allait à la dérive.

Elle vit Scalabrino prendre place dans la gondole d’Imperia, et elle devina presque ce qui allait se passer.

Sans doute, Imperia et Bianca devaient se promener, accompagnées de Sandrigo.

Elle se jeta dans une petite barque, à tout hasard, et attendit, comme Scalabrino attendait à quelques pas d’elle.

La fête se termina, les lumières s’éteignirent.

« C’est le moment ! » songea la malheureuse en cherchant à comprimer d’une main les violents battements de son cœur.

Tout à coup, l’étrange spectacle de Sandrigo et d’Imperia descendant, enlacés, les degrés de marbre du palais, frappa son regard.

Une plainte sourde râla dans sa gorge.

Imperia aux bras de Sandrigo ! Celle-là aussi ! La mère d’abord, la fille ensuite ! À ce moment, Juana souhaita sincèrement que Sandrigo fût frappé... Mais lorsque la gondole se mit en marche, lorsqu’elle vit la haute taille de Scalabrino se dresser à l’arrière, elle frémit et, détachant rapidement la barque, se mit à suivre.

Juana put se maintenir à sa distance ; ses pensées, dans cette heure funeste, étaient comme affolées ; tantôt elle voulait, d’un cri, prévenir Sandrigo ; tantôt le mal de la jalousie lui broyait le cœur ; il lui semblait que quelques minutes à peine venaient de s’écouler, lorsque tout à coup elle vit distinctement Scalabrino marcher sur la tente, le poignard à la main.

Elle retrouva alors toute sa lucidité et, d’un mouvement désespéré, poussa violemment sa barque...

Trop tard !

Le drame s’accomplit. Horrifiée, délirante, Juana vit la gondole osciller, Imperia fut précipitée, la gondole chavira...

L’instant d’après, comme Scalabrino atteignait le quai, Juana arrivait sur la gondole qui, renversée, la quille en l’air, se balançait mollement.

« Sandrigo ! Sandrigo !... »

Aucune voix ne répondit à la clameur de la jeune femme, qui tomba à genoux sur l’avant de sa barque, les yeux rivés sur ces eaux noires, d’une morne tranquillité, dans le silence que scandait seulement le clapotis contre les flancs de la gondole.

« Mort ! râla-t-elle. Mort ! Mort mon amour ! Morte ma vie ! »

Oui, en cet instant, la malheureuse oubliait ce qu’avait été l’homme qu’elle aimait et son amour seul surnageait.

Et comme, sans forces pour pleurer, elle continuait à fixer le canal sinistre, une forme blanche flotta soudain devant elle, une robe, un corps, une femme...

Imperia !

Elle se pencha, saisit la robe, et avec un déploiement de force et d’adresse extraordinaire, parvint à soulever le corps et à le déposer dans la barque.

Alors, avec une funeste avidité, avec l’âpre désir d’enfoncer ses doigts dans cette gorge livide, ses ongles sur ce visage qui gardait une tragique beauté, elle s’accroupit près d’Imperia...

Quelques minutes s’écoulèrent...

La barque voguait à l’aventure, de conserve avec la gondole chavirée qu’elle heurtait parfois avec un bruit sourd, comme deux cercueils qui se choqueraient.

Juana détacha un moment ses yeux hagards d’Imperia, puis les ramena brusquement sur elle, craignant peut-être que ce corps ne disparût tout à coup.

Elle demeura accroupie, les coudes sur ses genoux, et dans ses mains, ses cheveux qu’elle tourmentait d’un geste mécanique, et ce même mot râlait par intervalles sur ses lèvres frissonnantes :

« Mort mon amour ! Morte ma vie ! »

Elle grelottait...

Sa vie !... Pauvre existence !... Elle défilait maintenant en larges scènes rapides et, dans chacune de ces scènes, Juana retrouvait un souvenir de celui qu’elle avait aimé.

Un mouvement du corps la fit tressaillir.

Mouvement dû à quelque secousse de la barque ? Non... La gorge se gonflait sous l’effort d’un soupir, un léger battement des paupières indiquait que la courtisane revenait à la vie.

Hagarde, Juana assistait à ce réveil sans faire un geste.

Enfin, Imperia ouvrit les yeux et son regard se rencontra avec celui de Juana.

Ces deux femmes se regardaient, échangeaient pour ainsi dire leur double folie. Imperia, d’un effort, parvint à se soulever ; elle s’assit et jeta autour d’elle un regard vague qu’elle ramena ensuite sur Juana.

« Qui es-tu ? demanda-t-elle.

– Je l’aimais ! répondit Juana.

– Tu aimais... qui ?

– Sandrigo. »

Juana, maintenant, éprouvait de nouveau ce désir féroce d’enfoncer ses ongles dans le visage de la courtisane.

Imperia éclata d’un rire strident et se dressa toute droite.

« Sandrigo ! clama-t-elle, Sandrigo !... Tiens, regarde ! »

Machinalement, Juana suivit des yeux la direction du bras tendu. Et, à son tour, elle se dressa, en proie à un paroxysme d’épouvante et à un vertige de désespoir.

Là, sous ses yeux, à la surface des flots noirs, dans la clarté spectrale d’un rayon de lune, près de la gondole chavirée, se balançait le cadavre de Sandrigo, avec le manche du poignard formant croix sur le sein.

« Sandrigo ! hurla Juana démente, mon amour, attends-moi !... »

En même temps, elle se laissa glisser dans l’eau ; d’un geste convulsif, elle étreignit le cadavre.

Ses bras enlacèrent son cou.

Les deux corps, le vivant et le mort, s’enfoncèrent.

Bientôt les têtes seules surnagèrent.

Juana, avec l’infinie tendresse de son amour demeuré pur jusqu’à la mort, colla ses lèvres sur les lèvres glacées du cadavre.

Et tous les deux coulèrent à fond.

VIII



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