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Les Entretiens Nathan Sous la direction d'Alain Bentolila École et modernités Actes IX le Verbe pour soulever le monde


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Les Entretiens Nathan Sous la direction d'Alain Bentolila École et modernités Actes IX
Le Verbe pour soulever le monde
Alain BENTOLILA, Professeur en sciences du langage à l'université de Paris V-Sorbonne
Conseiller scientifique de l'Observatoire nationale de la lecture

Il y a deux ans, j'avais donné comme sujet à mes étudiants de DESS : " Commentez la phrase suivante : "Au début était le Verbe." " Quels ne furent pas mon étonnement et mon effroi lorsque j'ai constaté qu'un bon tiers des copies me disait que, finalement, ce n'était pas le cas dans toutes les langues, que quelquefois le verbe était plutôt en fin de phrase, voire au milieu… C'est peut-être de là que date cette décision que j'ai prise d'essayer de parler du verbe et de dire en quoi il m'apparaissait être un levier pour soulever le monde, en tout cas, pour essayer de mieux découvrir le monde.


Si un être humain, si nous-mêmes nous n'avions pas l'espoir de laisser sur les autres, sur le monde, un trace de notre passage ici-bas, nous nous laisserions emporter par le désespoir et le sentiment d'une absurdité absolue. Nous pensons et nous vivons parce que nous avons cet espoir. C'est celui que vous avez tous les matins quand vous poussez la porte de vos classes. C'est aussi celui qui nous rassemble ici parce que j'ai l'espoir, l'illusion peut-être, qu'après le verbe que je vous offre, vous ne serez pas exactement identiques à ce que vous étiez quand vous êtes arrivés. C'est ce qui nous fait bouger, ce qui nous fait avancer, ce qui nourrit notre volonté de vivre.
Le verbe, la langue, n'est certainement pas un instrument fait pour nous permettre de mettre des noms, des mots, sur des petits bouts du monde. La langue, ce n'est pas cela. La langue sert essentiellement à "parler de". Elle sert essentiellement à "tenir des propos sur". La langue sert à transformer le monde ; elle le crée ; elle n'est pas faite pour décrire fidèlement ce que nous voyons.
Interrogeons-nous, par exemple, sur le statut des adjectifs et des verbes. Quand je dis que ce verre est vide ou plein, j'utilise un adjectif, "vide" ou "plein", pour dire quelque chose sur un objet du monde et ainsi le transformer un peu. Si je dis qu'au fond de la salle il y a quelqu'un qui dort, j'utilise un verbe, "dormir", pour dire quelque chose sur un individu qui est une partie du monde. De la même façon, si je dis que la terre est bleue et si j'ajoute qu'elle est bleue comme une orange, j'utilise là un adjectif qualificatif pour transformer, l'espace d'une phrase, le monde et non pas pour en donner une image fidèle.
Pour aller un peu plus loin et parler des sciences, il est certain que quand quelqu'un s'est levé pour dire "la Terre tourne", il a utilisé un verbe pour donner une vision du monde qui ne correspondait évidemment pas à une perception réelle puisque, bien entendu, il ne la voyait pas tourner.
La langue est donc faite non pas pour nommer, non pas pour désigner, mais bien pour créer, pour imposer notre pensée au monde : la langue est faite pour dépasser l'œil ; c'est véritablement là son pouvoir réel.
Dans cette même perspective, la langue a le pouvoir extraordinaire d'effacer les contraintes essentielles qui pèsent sur l'être humain : l'espace et le temps. La langue rend l'homme capable d'effacer l'espace et le temps ; le temps d'une phrase, ou l'espace d'une phrase, mais elle efface ces limites. Elle permet ainsi de dire que la Terre tourne en situant cette affirmation dans le "toujours" et dans le "partout", alors que nous ne pouvons vivre que dans le "ici et maintenant". La langue offre l'infini à des êtres humains soumis à la finitude. Cette capacité de la langue d'effacer l'espace et le temps et donc de transcender son humaine condition fait peser sur nous des responsabilités considérables. Paradoxalement, le fait que la langue peut effectivement dire le "toujours" et le "partout" autorise, avec les mêmes structures syntaxiques, avec les mêmes marques énonciatives, de produire aussi bien l'anathème infâme selon lequel "les Juifs mangent le pain des Français" que la vérité scientifiquement démontrée qui décrit la chute des corps. Plus la langue nous donne de pouvoir, plus elle nous permet de nous élever au-dessus de nous-mêmes et plus elle impose à notre comportement linguistique une extrême exigence éthique. Cette question est peu abordée par l'école ; alors qu'il faudrait insister et faire réfléchir nos élèves sur la question suivante : cette syntaxe de la généralité de la vérité est une syntaxe extraordinairement dangereuse. S'ils n'y prennent pas garde, ils risquent de prendre pour argent comptant les assertions les plus arbitraires, les accusations les plus scandaleuses parce qu'elles seront fardées de la poudre du toujours et du partout.
C'est d'ailleurs parce qu'elle transcende notre condition que la langue est le propre de l'homme. C'est pourquoi, chaque fois que j'entends parler du langage des chimpanzés, des oies ou des abeilles, je me dis qu'il y a abus de langage. La langue est le propre de l'homme. Il n'existe pas de langage non humain qui ait pour principe essentiel d'être créateur du monde, et de n'être pas asservi à notre perception. Je dis souvent à mes étudiants que la meilleure définition de la langue est qu'elle nous permet de dépasser l'œil. La langue nous permet d'atteindre des univers que nos sens seraient bien incapables de nous révéler.
Mais ce pouvoir du verbe à transformer le monde n'est pas équitablement distribué, il dépend fondamentalement d'une démarche essentielle de médiation. Il ne nous est pas donné comme tel. Nommer, dire, invectiver, ce sont des fonctions élémentaires et primaires du langage, mais cette capacité à aller plus loin que l'œil, cette capacité à transformer le monde que nous voyons, cela ne peut être acquis qu'à partir du moment où l'on a bénéficié d'une véritable démarche de médiation. Quelle est cette démarche de médiation ? On peut la résumer de la façon suivante : le tout jeune enfant, quand il commence à faire ses premières armes linguistiques, va en fait s'adresser à des gens, qui le connaissent fort bien et qu'il connaît fort bien, pour leur dire des choses que ces gens savaient déjà, ou qui sont là, offertes à la vue de l'autre. Par conséquent, les premières armes linguistiques se font dans un cercle très étroit où ceux à qui on s'adresse sont connus, et ce que l'on dit est tout aussi connu. La question qui va se poser à ce petit enfant qui va grandir est de quitter ce cercle étroit de la connivence et de la familiarité pour donner à son langage une tout autre ambition, celle de pouvoir s'adresser à des gens qu'il ne connaît pas pour leur dire des choses que ces mêmes gens ne savent pas encore. Il s'engage donc dans une démarche où son langage va devoir porter une charge de plus en plus lourde d'inconnu et la porter de plus en plus loin. Mais pour atteindre ces rivages encore vierges, c'est-à-dire là où il va s'adresser au plus étranger parmi les étrangers pour lui dire les choses les plus étranges possibles, il lui faut des moyens linguistiques de plus en plus puissants ; car, comme disait Deleuze, il faut "pousser la langue jusqu'à ce qu'elle bégaie", c'est-à-dire la pousser jusqu'à ses derniers retranchements ; c'est à ce moment-là que l'on fait honneur à la langue, qu'on la place là où elle doit être. Pour atteindre cette fonction du langage, qui est celle de la distance et du défi à l'inconnu, il faut bénéficier de l'apport à la fois très bienveillant et très exigeant d'adultes qui, de proche en proche, vont offrir cette phrase toute simple et tellement essentielle : "Je ne t'ai pas compris."
"Je ne t'ai pas compris" : dira la mère, le père, ou l'adulte ou le grand frère. Cela veut dire : "Il m'importe de te comprendre." Cela veut dire aussi : "Je ne suis pas toi." Cela signifie : "Aussi proche que je sois de toi, tu sais des choses que je ne sais pas" ; et la langue est justement faite pour apporter à l'autre ces choses qu'il ne sait pas. C'est cette question essentielle qui est en œuvre tout au long de l'apprentissage du langage. C'est cette question essentielle qui va permettre effectivement de gagner un peu de pouvoir à travers l'usage de la langue.
Je vais prendre l'exemple de la petite Tiphaine qui rentre chez elle. Elle dit à sa mère : "Maman, la maîtresse nous a raconté une belle histoire." La mère lui dit : "Raconte-la-moi." La petite lui raconte l'histoire et lui dit : "Voilà, ils l'ont prise, ils l'ont emmenée et ils l'ont enfermée là-bas. Heureusement, les autres l'ont vue et sont venus la délivrer, et enfin, il l'a épousée." La mère, à ce moment-là, avait deux choix ; soit dire : "Elle est belle ton histoire, va donc regarder le dessin animé à la télé", soit dire : "Je ne t'ai pas comprise." Elle a choisi de lui dire : "Je ne t'ai pas comprise" ; et la petite en a conçu de l'irritation. Les enfants n'aiment pas qu'on leur dise qu'on ne les comprend pas. Ils ont toujours l'impression que vous savez ce qu'ils savent. Passée cette irritation, la mère lui a dit : "je ne t'ai pas comprise parce que je n'étais pas là quand l'histoire a été racontée. Alors je ne sais pas qui sont ceux qui l'ont enlevée, où ils l'ont emmenée, et qui l'a épousée." Tiphaine, petit à petit, lui a expliqué que c'étaient les méchants lutins et le dragon qui avaient enlevé la princesse, qu'ils l'avaient enfermée dans une caverne, que le roi et le prince l'avaient délivrée, et qu'enfin le prince l'avait épousée. Quand son père est rentré le soir, la mère lui a dit : "Raconte l'histoire à ton père." Elle lui a raconté son histoire et le père ne lui a pas dit : "Je ne t'ai pas comprise."
Elle comprenait ainsi que les efforts qu'elle avait produits pour utiliser les formes anaphoriques judicieuses, des déictiques pertinents n'avaient pas seulement pour but de faire plaisir à sa maman ; cela lui permettait de laisser sur l'autre une trace qu'elle n'aurait pas laissée autrement. Elle a exercé sur son père son pouvoir de parole : il est arrivé ignorant, elle l'a rendu savant ; c'était certes un savoir modeste mais dont la transmission justifiait les efforts fournis.
Cette question de la médiation est essentielle et fondamentale. Sur ce parcours difficile de l'apprentissage du langage, dans cette tentative opiniâtre de repousser l'inconnu le plus loin possible, certains enfants ont la chance de trouver ce que j'appelais tout à l'heure des médiateurs à la fois bienveillants et exigeants. Mais certains enfants n'ont pas cette chance et vivent leur apprentissage dans l'indifférence, dans le silence, parfois dans l'invective. Ils n'ont pas la chance de comprendre ce que parler veut dire. Ainsi, ils nous arrivent aux portes de nos écoles en étant, comme je le dis souvent, des enfants qui ne savent parler qu'à vue. Ils ne savent parler qu'à vue parce qu'ils ne savent parler que de choses qui sont là quand on les dit et parce qu'ils ne savent parler qu'à des gens qui sont en face d'eux. Leur destin scolaire s'en trouve profondément compromis. Ces enfants qui ne savent parler qu'à vue, c'est-à-dire qui ont besoin que l'objet du discours soit présent, qui ont besoin que l'autre à qui on s'adresse soit présent, comment pouvons-nous imaginer qu'un jour ils puissent affronter le silence, la solitude, l'inconnu de la chose écrite ? La lecture et l'écriture leur sont sémiologiquement interdites. Ce n'est plus une question de technique, c'est l'entrée dans un monde sémiologique qui leur est fondamentalement étranger. Ils sont dans l'instant, dans la proximité, la familiarité, le connu, et on leur dit : "Maintenant, tu vas affronter l'inconnu, la solitude et la distance."
Et qu'on ne vienne pas nous dire qu'à défaut d'être bons en lecture, en écriture, en "français", ils seront bons en mathématiques ou en informatique. Ces enfants-là ne seront bons en rien. Je les retrouverai plus tard, parmi les 8 à 10 % de jeunes gens illettrés, exclus et en déshérence. Si leur destin scolaire est compromis, leur destin social est tout aussi problématique. En effet, cette insécurité linguistique qu'ils subissent leur interdit toute négociation avec l'autre. Ces questions qui portent l'acte de parole : "Qui est celui à qui je parle ?", "Que sait-il de ce que je veux lui dire ?", "Comment vais-je m'y prendre ?", il les ignore totalement. Cet espace de négociation pacifique ne leur est pas ouvert et, en conséquence, le passage à l'acte violent est prévisible. Enfin, privés des instruments essentiels du lexique, de la syntaxe, de la rhétorique, ils seront dans l'impossibilité de mettre en cause, de critiquer, de démonter les discours sectaires et intégristes ou magiques qui leur sont adressés. En cela aussi, leur destin social est touché. L'insécurité linguistique rend les citoyens vulnérables contre toutes les formes de discours et de textes intégristes, sectaires ou magiques. Ils n'ont pas les armes pour les réfuter, pour les démonter, pour en démontrer l'inanité. Et qu'on ne vienne pas nous dire qu'un vocabulaire restreint, fût-il pittoresque, que des structures approximatives, fussent-elles originales, donnent les clefs du monde. Il faut bien se dire qu'il y a des langues qui donnent les clefs du monde et que d'autres langues ferment les portes du ghetto. Il faut en finir avec cette démagogie qui consiste à s'agenouiller devant une pseudo-modernité du langage qui cache en fait une inégalité fondamentale devant le pouvoir linguistique. Or c'est bien de pouvoir linguistique dont l'école doit s'occuper : celui qui permet de quitter le constat immédiat, l'assertion arbitraire et la docilité crédule.
L'école est devenue pour un bon nombre de nos enfants le seul recours de médiation. Cela est nouveau. Pèse sur les épaules de nos maîtres cette obligation d'être les médiateurs que bien des familles n'ont pas été. Elle ne peut donc, cette école, se contenter de sélectionner, elle ne peut donc se contenter d'ordonner des savoirs et de faire acquérir des mécanismes. Elle doit faire comprendre à des enfants perdus ce que parler veut dire, ce que lire veut dire, et comment on doit analyser le monde. Elle doit leur faire comprendre ce que parler veut dire, c'est-à-dire cette volonté opiniâtre d'imposer sa marque sur l'autre, mais aussi l'acceptation de s'ouvrir à l'autre et de le considérer avec infiniment de respect. Elle doit, cette école, apprendre ce que lire veut dire, c'est-à-dire ce respect et cette nécessaire obéissance au texte, mais aussi cette légitime ambition de l'interpréter. Elle doit, cette école, apprendre à regarder juste, c'est-à-dire avec l'émerveillement naturel que l'on a devant les phénomènes du monde, mais aussi avec cette volonté opiniâtre et patiente d'en démonter avec rigueur les mécanismes et les fonctionnements. Si tel est l'enjeu de l'école de demain, si de cet enjeu dépend le destin scolaire et social de nos enfants, cet enjeu, vous ne l'affronterez pas seuls, dans la solitude frileuse de votre classe. Cet enjeu, vous ne pourrez l'affronter qu'ensemble, c'est-à-dire en équipes pédagogiques et avec les parents ; tous ensemble. C'est en fonction de cette nécessité que l'on doit questionner la pertinence scolaire des techniques nouvelles de communication et d'information : est-ce que ces nouvelles techniques de communication et d'information vont induire une véritable synergie pédagogique ? Vont-elles permettre un rassemblement des volontés et des idées ? Vont-elles au contraire provoquer des démarches solitaires, dispersées ? Vont-elles accentuer les clivages, augmenter les crispations ? Tel est l'enjeu.
Je ne suis pas, vous n'êtes pas des nostalgiques de la plume sergent-major. L'école n'est pas nécessairement ringarde et frileuse. Je la crois patiente, je la crois sage. Je crois que sa lenteur à réagir s'explique toujours par une volonté de refuser la rupture, et s'il y a bien une phrase que je déteste, c'est : "Du passé, faisons table rase." L'école ne peut pas fonctionner en rupture, mais elle évolue ; elle évolue à mesure qu'elle a la preuve que les changements dont on lui chante les louanges sont susceptibles d'améliorer le destin scolaire et social de tous les enfants qui lui sont confiés. Elle se méfie, à juste titre, des mirages d'une modernité triomphante et n'est pas convaincue par des expérimentations ponctuelles. Qui pourrait le lui reprocher ?
Tout d'abord, ne l'oublions pas, notre école est une école de la déduction. La démarche intellectuelle de notre école est la démarche de déduction. Alors qu'Internet, c'est la démarche aléatoire de l'induction. On va ici, puis là, ensuite ailleurs. Chaque étape atteinte induit une nouvelle destination. Il faut, lorsqu'on entre dans ce monde, avoir un projet très précis et s'y tenir ; ce qui évidemment suppose une formation tout à fait particulière et une vraie capacité à maîtriser sa propre démarche pour échapper à cette flânerie aléatoire. Or quels seront les enfants capables d'affronter de manière autonome et responsable ce type d'invitation ? Quels sont ceux qui sauront imposer au "net" leur volonté intellectuelle, plier l'instrument à la rigueur de leur propre démarche ? Il y a là un risque qu'une école responsable doit mesurer à l'échelle de la totalité de sa population d'élèves. Elle doit découvrir les moyens d'asservir la machine à son intention intellectuelle et politique et ce en dépit des sirènes ministérielles et des appétits industriels. Si je crois à la pertinence scolaire d'Internet, c'est d'abord et avant tout pour des enseignants portés par un projet pédagogique commun : c'est alors un formidable moyen d'échange, un lieu de coopération exceptionnel ; commençons donc par là !
Les progrès extraordinaires des banques de données qui proposent "à la demande" une quantité considérable d'informations sur tous les sujets imposeront à terme à beaucoup de nos élèves des exigences nouvelles. L'accès de plus en plus facile, le classement de plus en plus pratique, les parcours de mieux en mieux aménagés, la forme de plus en plus attrayante font des instruments nouveaux d'information un formidable moyen d'accéder aux connaissances. Bien plus efficacement que le livre, ils mettent à la disposition de l'élève l'information dont il a besoin, au moment où il en a besoin en alliant le texte, l'image et le son. Il est cependant important de se rendre compte que plus il y a d'informations disponibles, plus il est difficile d'effectuer dans cette masse des choix pertinents, plus il est compliqué de lier logiquement entre elles ces informations qui nous tendent les bras. Plus grande est la quantité d'informations auxquelles on a accès, plus précise et plus lucide doit être notre lecture, plus juste notre interrogation. Les NTCI ne sont pas une réponse directe à l'échec scolaire, elles lui imposent au contraire une exigence plus haute ; elles stigmatiseront d'autant ceux qui ne seront pas capables de l'atteindre.
Enfin, il nous faut considérer que la question de la mémoire est au cœur du débat concernant les NTCI et la lecture. L'ensemble des informations sont là, disponibles, chacune prête à être activée au gré de la volonté de l'utilisateur. À quoi bon alors se livrer au fastidieux labeur de les intégrer dans sa propre mémoire d'homme ? Sans céder à la nostalgie des-temps-heureux-où-l'on-apprenait-par-cœur, on peut s'interroger sur les conséquences intellectuelles qu'induit la facilité nouvelle à interroger les mémoires extérieures de ces machines qui nous proposent d'énormes quantités de connaissances. Je crains fort que cette merveilleuse commodité d'accès à tous les savoirs du monde n'entraîne une habitude de lecture ponctuelle, "fonctionnelle" et éphémère des informations. Je crains surtout qu'elle ne dissuade les mémoires humaines de se construire ce réseau complexe de connaissances "inter-reliées" que certains nomment culture et qui donne à l'analyse sa profondeur, à la réflexion sa continuité. N'allez pas en déduire que je fasse des NTCI un agent pernicieux de l'illettrisme ; non ! bien sûr, mais il me paraît prudent de rappeler que l'on ne comprend véritablement que ce que l'on a mémorisé soi-même. Seule l'intégration dans notre mémoire permet à une information de trouver sa place dans cette structure complexe où les savoirs patiemment engrangés se mêlent aux souvenirs d'événements et de sensations enregistrés jour après jour : une information n'est comprise - au sens étymologique du terme - que parce qu'elle est prise dans le réseau que chaque individu a constitué et qui n'appartient qu'à lui. Ces avancées technologiques méritent autant d'intérêt que de lucidité ; il ne faudrait pas que les nouvelles formes de lecture, plus ponctuelles, plus immédiates, nécessitant moins la mémorisation, ne destituent la mémoire humaine de ce rôle essentiel de donner sens, cohérence et continuité à notre vision du monde.


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