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Les amants de Venise Beq michel Zévaco Les amants de Venise


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Supplice de Foscari


Nous revenons maintenant sur le pont des Soupirs.

Foscari avait été enchaîné sur la chaise de pierre où neuf ans auparavant il avait fait enchaîner le doge Candiano pour lui infliger l’horrible supplice de l’aveuglement.

Mais même à ce moment il n’avait pas abdiqué son orgueil.

Son regard, empreint d’une sauvage expression de haine, se fixait sur Candiano.

Ce masque de sérénité majestueuse dont pendant si longtemps il avait recouvert sa physionomie, ce masque était tombé.

Maintenant qu’il n’était plus besoin de dissimuler, son âpre nature d’ambition forcenée apparaissait en relief.

L’orgueil dominait dans ses traits fortement accentués.

Son œil d’aigle ne se baissa pas sous le regard de Roland.

Et il y avait dans l’attitude du doge vaincu, enchaîné, une grandeur farouche qu’elle n’avait jamais eue tandis qu’il exerçait à Venise la puissance royale.

Mais l’attitude de Roland, dans sa simplicité forte et sereine, dominait encore celle de Foscari.

Le juge et l’accusé étaient dignes l’un de l’autre.

« Foscari, dit Roland, les paroles seraient vaines. Je représente ici un homme que, pour satisfaire votre soif de despotisme, vous avez brisé en plein bonheur. Je suis ici le fils de Candiano saisi par vous, aveuglé par vous, jeté par vous, seul, pauvre, sur une route solitaire, condamné par vous à la misère, poussé par vous à la folie. Comprenez-moi : Je ne suis pas un tribunal. Je suis un fils. Qu’avez-vous à dire ?

– Que vous faites bien de venger votre père, dit Foscari.

– Foscari, je vous hais, en effet, comme l’homme qui a fait le malheur d’un vieillard inoffensif... Ma volonté est de vous faire souffrir ce que mon père a souffert pour vous...

« Foscari, regardez-moi bien. C’est mon visage que vous verrez dans la nuit de vos remords... Foscari, dans quelques instants, vous ne verrez plus. Car vous allez être aveuglé comme le fut mon père, jeté sur une route solitaire comme le fut mon père, livré à la risée et à la mendicité comme le fut mon père !... »

Foscari eut un long frisson.

Une seconde, cette âme s’amollit.

Mais il retrouva aussitôt son orgueil et leva sur Roland un regard clair, empli de haine.

Les yeux de Roland flamboyèrent.

Il fit un signe.

Un homme s’approcha...

« Le bourreau ! murmura Foscari. Adieu, lumière du jour !... »

À ce moment, un grand cri retentit à l’entrée du pont, les hommes qui entouraient Roland s’écartèrent, et un vieillard soutenu par un colosse, le vieux doge Candiano guidé par Scalabrino, apparut, les mains tendues, frémissant, et si terrible dans son émotion, avec des accents si déchirants que tous ces rudes montagnards tremblèrent et se prirent à pleurer.

Le bourreau s’était reculé de Foscari.

« Mon fils ! mon fils ! appelait le vieillard. Mon fils ! Je t’entends ! Je te retrouve ! Mon fils ! Mon fils !... »

L’instant d’après, Roland, à demi fou, ivre d’une joie surhumaine, tombait dans les bras de son père.

Leur étreinte fut longue, entrecoupée de mots sans suite...

Ils oubliaient tout en ce moment. Roland ne se demandait pas comment son père avait recouvré la raison. Le vieux doge ne cherchait pas à savoir pourquoi son fils était maître dans le palais ducal...

Une main toucha enfin Roland au bras.

Roland se retourna, comme éveillé d’un rêve.

Le montagnard qui l’avait touché lui montra Foscari, et lui dit :

« Il ne faut pas prolonger son agonie... »

Roland tressaillit, saisit violemment son père par le bras, l’amena devant Foscari, et, d’une voix haletante :

« Mon père, ici est l’homme qui vous a aveuglé !

– L’homme qui m’a aveuglé ! fit sourdement le vieux doge.

– Rappelez-vous, mon père !... Celui qui vous a fait saisir pendant la nuit maudite...

– Foscari !...

– Celui qui vous a fait enchaîner sur cette chaise de pierre...

– Foscari !...

– Celui qui vous a condamné à la nuit éternelle...

– Foscari !... »

Foscari, cette fois, baissa la tête et, dans ses liens, eut un mouvement de recul instinctif.

Lui qui n’avait pas tremblé sous le regard de Roland, trembla devant ce regard vide, car cette épouvantable physionomie ravagée, c’était sa propre physionomie qu’il voyait par avance !

« Il est là, mon père, continua Roland d’une voix qui gronda en sourds accents. Il est là ! Dites, mon père ! Parlez vous-même ! Que faut-il faire de cet homme ?

– Foscari ! répéta l’aveugle en étendant les mains. Où est-il ! Fais que je le touche, mon fils ! après la joie de toucher ce que j’aime le plus au monde... toi ! Donne-moi la joie de toucher ce que je hais par-dessus tout, Foscari ! »

Roland saisit les mains de son père et les plaça sur la tête de l’homme enchaîné.

« Foscari, reprit le vieux doge, êtes-vous là ? Est-ce bien vous qui êtes là, sur la chaise de pierre où l’on attache les traîtres ?

– Oui, Candiano, répondit le doge déchu d’une voix calme et orgueilleuse... c’est moi ! moi... sur la chaise du pont des Soupirs où je vous ai fait attacher...

– Mon père ! mon père ! cria Roland, prononcez la condamnation...

– Vaincu, je l’attends d’une âme invincible ! dit Foscari.

– Parlez, parlez, mon père !

– Oui, mon fils ! » dit le vieux Candiano.

Ses mains s’imposèrent fortement sur la tête du doge vaincu et, d’une voix auguste, le front radieux de sérénité, tandis que les souffles impurs des prisons qui balayaient le pont des Soupirs agitaient sa barbe blanche et ses longs cheveux d’argent, il prononça :

« Foscari, je vous pardonne... Allez, mon fils, et, si vous le pouvez, vivez en paix avec votre conscience ! »

Alors, on dit que Foscari baissa la tête et pleura.

Cet homme de fer s’avouait vaincu !...

Et tandis qu’on le détachait, tandis qu’il s’en allait lentement, le dos courbé, le front pensif, comme s’il eût interrogé cette conscience que la parole du vieillard avait évoquée, Roland se laissait tomber à genoux, collait ses lèvres aux mains tremblantes de son père, et balbutiait :

« Ô mon père, vous êtes grand parmi les grands... Car vous m’apprenez en ce jour que la plus terrible des vengeances, la plus sûre et la plus accablante, réside en la magnanimité du Pardon... »


Épilogue


Les amants de Venise

Léonore était demeurée à genoux dans la salle à manger de l’antique maison Dandolo, en île d’Olivolo.

Lorsque le vieux Candiano fut parti avec Scalabrino, elle eut la sensation que tout était fini pour elle.

De suprêmes et mortelles pensées s’agitèrent confusément au fond de son âme, dans l’adieu qu’elle disait à toutes choses : la vie, le ciel bleu, les rêves de sa jeunesse, la vieille maison où elle avait aimé... adieu, tout cela !

Adieu le sourire enchanteur de son amour !

Adieu, Roland !

Et ce nom résumait, formulait la synthèse de ses dernières pensées.

Elle voulait mourir avec ce nom sur les lèvres.

Elle le prononçait avec cette ferveur et ce désespoir qui lui révélaient à elle-même la profondeur de son amour.

Peut-être fut-ce le moment de sa vie où elle eut pleine conscience de ce qu’il y avait de pur, de définitif, de sublime dans son cœur.

Toute son existence, toute sa pensée, tout le sentiment de son cœur, tout en elle prenait sa source dans son amour. Elle aimait comme on respire. Elle n’était que par Roland. Séparée de lui, sa vie devenait une anomalie.

Quelle heure effroyable et touchante elle passa alors à parler à Roland du fond de son âme, à lui dire ce qu’elle avait souffert, et quelle était sa désespérance, et qu’elle ne l’avait pas trahi, et qu’elle était toute fidélité, tout amour !...

Elle se releva enfin.

Vit-elle Gianetto et le vieux Philippe qui la surveillaient ?

Il est probable qu’elle ne vit que son rêve suprême.

« Roland, murmura-t-elle, je t’aimais... je t’aime... adieu, Roland... »

Elle porta la main à son corsage et en tira le flacon qu’elle y avait caché.

Ses yeux que troublait déjà l’horreur instinctive de la mort se fixèrent par la fenêtre grande ouverte dans l’espace gazé de brumes légères.

Une dernière fois, elle murmura :

« Roland !...

– Léonore !... cria de loin, du fond du jardin, une voix délirante, une voix qui la fit palpiter, tressaillir des pieds à la tête comme d’une violente secousse.

– Roland ! répéta-t-elle éperdue de mille angoisses, transportée soudain dans le domaine de l’irréalisable.

– Léonore ! » gémit Roland en apparaissant au seuil de la porte.

Pendant une minute longue comme un siècle, ils demeurèrent ainsi en présence l’un de l’autre.

Aucune explication ne fut nécessaire entre eux.

Léonore comprit que Roland connaissait sa constance immuable.

Roland comprit qu’il était aimé comme il aimait...

Ce fut pour eux un des ces terribles instants où il semble que le cœur s’arrête, que l’âme entre dans le néant, que les forces de l’être seront impuissantes à supporter l’effroyable fardeau de la joie poussée au-delà des limites humaines.

Leurs bras se tendirent.

De leurs yeux, des larmes s’échappèrent, amères, brûlantes...

Et ce fut ainsi, les bras tendus l’un vers l’autre, vaillants, enivrés, sublimes de leur amour, ce fut ainsi qu’ils marchèrent, ce fut ainsi qu’ils se rejoignirent, ce fut ainsi qu’ils échangèrent dans cette étreinte convulsive leurs âmes, leurs cœurs, leurs pensées, leurs amours...

Et, comme si toute la douleur du passé se fût enfuie avec des larmes bénies, ils se regardèrent alors et, doucement, d’un sourire infiniment doux, d’un sourire extasié, ils se sourirent.

*

Ce sourire termine cette histoire que nous venons de raconter de notre mieux.



Nous osons espérer que le lecteur y aura trouvé quelque enseignement, et qu’il nous aura suivi sans trop de déplaisir.

*

Cinq mois après les événements que nous venons de retracer, le mariage de Léonore Dandolo et de Roland Candiano fut célébré en grande pompe.



Par une pensée toute naturelle qui consistait à enchaîner le présent au passé – au point où leur rêve de bonheur avait été si brusquement interrompu – Roland voulut que l’union fût couronnée le 6 juin, jour anniversaire de leurs fiançailles.

La veille, Roland Candiano, élu doge par le peuple le 1er février précédent, fit afficher des tablettes où, selon sa promesse, il se démettait du pouvoir et conseillait au peuple de Venise de vivre en liberté.

Hélas ! l’heure de la liberté n’avait pas sonné pour Venise.

Pendant un an ou deux, le peuple vécut libre et sans maître. Mais bientôt l’ambition, la soif de despotisme de quelques-uns, les vices des autres devaient replonger la cité dans de nouveaux malheurs.

Mais cela déborde le cadre de notre récit...

Disons simplement que Scalabrino, qui avait refusé obstinément le poste de capitaine général, assista Roland et se tint constamment à ses côtés pendant la cérémonie du mariage.

Il devait d’ailleurs le suivre dans le long voyage à travers l’Italie et le monde, que Roland Candiano voulait entreprendre.

L’Arétin composa un épithalame qu’il déclara lui-même magnifique et glorieux comme le soleil, de crainte que ses auditeurs ne fussent pas assez empressés à le glorifier.

Guido Gennaro, un mois après la chute de Foscari, s’était présenté au palais ducal et avait demandé à être réintégré dans ses fonctions de chef de police.

« Il n’y a plus de chef de police, lui aurait dit Roland ; mais je vous nomme aux fonctions de rechercher et de me signaler les infortunes des quartiers pauvres, et j’augmente vos appointements. »

C’est à cet usage, en effet, que fut employée la fortune de Dandolo, bravement restituée par l’Arétin.

Gennaro accepta cette police nouvelle et y déploya des qualités qui l’étonnèrent lui-même.

Quant à la fête qui suivit le mariage et qui fut présidée par le vieux Candiano, nous n’en parlerons pas.

Disons seulement que ce fut la fête de Venise tout entière.

Et comme, le soir venu, le peuple délirant acclamait les Amants de Venise, Léonore et Roland apparurent sur l’escalier des Géants, dans la lumière d’un embrasement du vieux palais ducal.

Et ce fut, dans la gloire des acclamations, dans la splendeur des maisons illuminées, dans la griserie chaude des chansons qui montaient des gondoles pavoisées, dans cette impalpable poussière de joie sublime qui s’élevait de cette foule enivrée, ce fut comme une triomphante apothéose de la Liberté, de la Constance et de l’Amour.

Fin

Table




  1. Les souterrains de Saint-Marc 6

  2. Juana en marche 64

  3. Mère ou courtisane 92

  4. L’homme brun des forêts 124

  5. Suite de l’homme brun des forêts 146

  6. La gondole d’amour et de mort 161

  7. Le premier baiser d’amour de Juana 199

  8. Imperia 208

  9. Bianca 222

  10. Vierge 236

  11. Le cardinal-évêque de Venise 259

  12. La fille de la courtisane 284

  13. Gennaro paie sa dette 318

  14. Sous le pont des Soupirs 350

  15. Laisser courre 373

  16. Digna tanto nomine... 404

  17. La tombe de Bianca 436

  18. Deux amis 469

  19. Une spéculation de l’Arétin 501

  20. Le père et la fille 523

  21. Rencontre 538

  22. La rencontre (suite) 572

  23. Évasion de Dandolo 619

  24. Où l’Arétin écrit encore une lettre 652

  25. L’épouse 679

  26. Jettatura 714

  27. Roland Candiano 739

  28. Scalabrino 746

  29. Le vieux doge 765

  30. Triomphe de Foscari 781

  31. Le pont des Soupirs 801

  32. Supplice de Foscari 823

Cet ouvrage est le 838e publié

dans la collection À tous les vents

par la Bibliothèque électronique du Québec.



La Bibliothèque électronique du Québec

est la propriété exclusive de



Jean-Yves Dupuis.

1 On ne sait pourquoi l’Arétin avait une prédilection spéciale pour ce mot, mais il l’employait à tout propos.

1 Quelques auteurs disent que la fille d’Imperia fut entraînée dans un mauvais lieu par sa propre mère qui voulait la livrer au cardinal, et que ce fut dans ce lieu que la jeune vierge se frappa pour éviter la honte. Ce que nous savons du caractère d’Imperia nous a fait repousser cette version. Le fait lui-même demeure, dans sa tragique vérité, et en le plaçant dans le palais de l’Arétin, nous avons cru nous rapprocher des probabilités historiques, tout en observant l’intérêt dramatique du récit.

1 Spartivento : qui coupe, partage le vent.

1 Léonore ignorait la folie du vieux Candiano.

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