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Les amants de Venise Beq michel Zévaco Les amants de Venise


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Suite de l’homme brun des forêts


Cependant, à dix heures, les invités d’Imperia avaient commencé à entrer dans le palais. Aussitôt les orchestres de guitares et de hautbois attaquèrent ces musiques douces, lascives, inspiratrices d’amour, comme on en jouait chez la courtisane, musicienne accomplie elle-même. Plusieurs de ces airs avaient été composés par Imperia ; les décors fastueux et tendres des grandes salles inondées de lumières, car plus de trois cents flambeaux de cire y brûlaient, les parfums répandus, les musiques, les fleurs à profusion, la délicatesse des friandises et des rafraîchissements, tout concourait à faire des fêtes d’Imperia des réjouissances de haut goût auxquelles on briguait l’honneur et la joie d’assister. Et à chaque nouvelle fête, la courtisane s’ingéniait à présenter à ses invités un spectacle nouveau. Tantôt, c’étaient des danses de pays lointains ; tantôt, des comédies pastorales, prétextes à nudités ; tantôt des pantomimes où les Éros, les Phœbé, les Astarté, les Léandre, les Daphnis jouaient leurs rôles passionnels en des costumes qui affolaient les spectateurs.

Mais ce soir-là Imperia avait prévenu ses hôtes qu’il s’agissait d’une simple réunion, sans spectacle et sans danses.

Le but de cette réunion était en effet d’annoncer à Venise que la courtisane avait une fille, ce dont les amis intimes seuls se doutaient, et que cette fille allait se marier, ce que tout le monde ignorait. En outre, elle voulait présenter Sandrigo comme le fiancé de sa fille, et dès la première idée qu’elle avait eue de cette présentation, elle avait songé en souriant :

« Parmi tant de spectacles que j’ai offerts aux Vénitiens étonnés, celui de Bianca, éblouissante de pierreries, traversant mes salons en s’appuyant à la main du lieutenant Sandrigo ne sera pas le plus banal. »

On a vu que peu à peu cette idée s’était modifiée, et quelles jalousies avaient fini par se lever dans l’esprit de la courtisane à l’heure même où la fête devait commencer.

Cette fête battait son plein ; nous y avons vu arriver Sandrigo et Bembo, tandis que Roland Candiano se préparait à s’y rendre. Les invités d’Imperia, des hommes en majorité ; la plupart masqués, des femmes de grande beauté, rivales de la célèbre courtisane, circulaient dans les vastes salons, et pourtant la courtisane elle-même n’avait pas encore paru.

Voici, en effet, ce qui s’était passé :

En quittant sa fille, après la scène de violente émotion à laquelle nous avons fait assister le lecteur, Imperia était rentrée dans son appartement, en proie à toutes les fureurs de sa double jalousie.

Jalousie, parce que Sandrigo aimait Bianca.

Jalousie, parce que Bianca aimait Roland Candiano.

Persuadée que sa fille s’habillait pour paraître à la fête, la courtisane commença à s’habiller elle-même et bientôt se livra à l’espoir d’éclipser la beauté de sa fille à force d’art.

Trois ou quatre femmes l’entouraient. Elle les faisait manœuvrer d’un geste, d’un signe, d’un froncement de sourcils.

L’œuvre capitale fut la coiffure et la tête ; une multitude de brosses fines, une armée de flacons, de pots contenant des cosmétiques de toutes nuances étaient étalés sur le marbre d’une table immense, et tout cela était remué sans bruit par les femmes qui lui présentaient, sur un signe, l’arme dont elle avait besoin.

Ce long travail dura deux heures, au bout desquelles Imperia, debout devant un miroir qui occupait tout un panneau de la chambre depuis le plancher jusqu’au plafond, se regarda.

« Admirable », dit-elle lentement.

C’était vrai.

Imperia, telle qu’elle venait de se créer, avec sa chevelure relevée à la mode grecque, sa robe simple aux formes flottantes, ses bras nus, sans un bijou, Imperia, d’une simplicité d’attitude et de draperie qui la rendait pareille à une statue de beau marbre, Imperia, avec son sourire de perverse innocence et de tendresse craintive, c’était vraiment un chef-d’œuvre.

Sûre d’elle-même, Imperia se dirigea vers l’appartement de sa fille. Elle vit avec surprise que la porte du couloir était entrouverte et entra. Sur le canapé, la robe blanche était étalée. Sur la table le coffret aux bijoux rutilait.

« Pas habillée ! songea Imperia dont le cœur se mit à battre. Elle ne viendra pas. »

Elle courut à la porte du fond qui ouvrait sur le logis des femmes de Bianca : cette porte était fermée. Imperia appela. Les femmes lui répondirent de l’intérieur. Elle s’aperçut alors que la clef était sur la serrure et elle ouvrit.

« Où est Bianca ?

– Elle était là, signora.

– Eh bien, elle n’y est plus. »

Imperia s’efforça de donner à ces paroles un frémissement d’inquiétude. En réalité, c’est de joie qu’elle palpita. Il n’y avait aucun doute dans son esprit : Bianca était partie.

Les servantes se mirent à pousser les cris de surprise dramatique par lesquels tout bon domestique cherche à prouver la part qu’il prend au malheur de ses maîtres.

Mais Imperia leur imposa silence.

« Pas un mot sur cette affaire », ordonna-t-elle.

Et pour plus de sécurité, elle fit comme avait fait Bianca : elle enferma les servantes dans l’arrière-logement. Puis elle se retira chez elle, et s’examina dans un miroir. L’émotion n’avait nullement altéré ses traits. Seulement ses yeux lui parurent briller d’un étrange éclat. Elle s’assit.

De loin, lui arrivaient des bouffées de musique. Et cela berçait les sentiments subtils qui se heurtaient à ce moment dans sa pensée.

Imperia aimait sa fille, cela est indiscutable et ses lettres en font foi ; elle souffrait réellement de sa disparition, mais non de la même manière que la première fois. Lorsque Bianca avait été enlevée par Roland Candiano, elle n’avait été que mère, et elle avait pleuré en mère. Cette fois, certes, elle souffrit encore, et ressentit au fond d’elle-même ce tourment qu’elle avait déjà éprouvé. Mais Sandrigo ne verrait pas Bianca... et la joie l’emporta sur le tourment. La nature compliquée d’Imperia reçut le choc de ces sentiments inverses sans que son visage en portât la trace.

Alors elle se décida à entrer dans les salles de la fête.

Elle apparut radieuse, éclatante, si jeune, si vraiment belle qu’une sorte d’acclamation enivrée l’accueillit. Imperia, dès lors, fut dans son véritable élément. L’admiration qui éclatait dans tous les yeux lui apporta cette plénitude de satisfaction qu’elle avait eue parfois dans sa vie de grande amoureuse, toujours à la recherche du raffinement, dans la joie comme dans la douleur. Elle oublia tout, s’exalta de toute l’exaltation qui l’enveloppait, et d’un geste de reconnaissance émue envoya un baiser à cette foule qui la saluait et l’acclamait, se donnant toute à tous. Alors, ce fut un délire d’enthousiasme qui ne se calma qu’au moment où Sandrigo lui offrit la main pour la conduire à un fauteuil, sorte de trône couvert d’un dais de soie blanche.

Sandrigo s’assit près d’elle, répondit par des sourires, par des paroles, par des gestes aux compliments hyperboliques parmi lesquels ceux de l’Arétin, plus empressé que tous.

Cependant, un homme s’inclinait devant elle, tout près d’elle.

Imperia tressaillit en reconnaissant cet homme malgré son masque. Elle se leva, faisant signe à Sandrigo de l’attendre.

L’homme masqué lui offrit la main que la courtisane accepta.

La première émotion calmée, la foule des invités cherchait maintenant à s’amuser, se formant par groupes, les uns écoutant la musique, d’autres formant des cours d’amour.

Imperia, accompagnée de l’homme masqué, promena sa triomphale beauté, tandis qu’un entretien à voix basse commençait.

« Où est Bianca ? demandait l’homme d’une voix sourde ?

– Elle ne paraîtra pas.

– Vous n’oubliez pas ce qui est convenu ? reprit-il, plus menaçant. Après le mariage, Bianca est à moi...

– Le mariage n’aura pas lieu... du moins après-demain. »

Cette fois l’homme tressaillit. Sous son masque il devint très pâle.

« Que voulez-vous dire ?... Elle refuse ?...

– Écoutez, Bembo, je vais vous apprendre une chose que je vais tenir secrète pour tous, même pour l’homme qui nous dévore des yeux, là-bas, se demandant ce que nous complotons. »

Bembo jeta un regard du côté de Sandrigo. Et, à travers les trous du masque, ce regard darda une telle flamme que Sandrigo, les dents serrées, se leva, et chercha à rejoindre le couple.

« Hâtez-vous donc, alors, dit Bembo, car il vient !

– Bianca a disparu, il y a moins de deux heures, dit Imperia. Ne frémissez donc pas ainsi... Je soupçonne qu’elle a dû chercher à rejoindre Roland Candiano dans la maison de Mestre. Voilà. Maintenant, agissez selon votre inspiration. »

Bembo porta la main à son front comme s’il eût été menacé d’un afflux de sang. Mais il se remit aussitôt, s’inclina profondément devant la courtisane, un peu pâle de ce qu’elle venait de faire, et s’éloigna au moment même où Sandrigo rejoignait Imperia.

La courtisane sourit de son sourire le plus enchanteur.

« Qui est ce mauvais oiseau ? demanda Sandrigo.

– Un de mes amis, qui deviendra le vôtre, j’espère ; un charmant seigneur de Venise. »

Sandrigo fut rassuré plus par le sourire que par la réponse.

Il n’avait pas imaginé qu’Imperia fût si belle, pût être d’une beauté si différente de celle qu’il connaissait. Il était ivre de volupté. Ce fut d’un ton presque indifférent qu’il demanda :

« Je ne vois pas encore Bianca ?

– Tout à l’heure, ami... »

Sandrigo se laissa entraîner...

Bembo avait fait le tour des salles de fête, sans se hâter, réfléchissant sur ce qu’il venait d’apprendre. Il atteignit des chambres désertes, puis le couloir ; à la porte de l’appartement de Bianca, il écouta un instant, puis essaya d’ouvrir comme il avait fait une fois.

La porte s’ouvrit. La chambre était déserte. Bembo aperçut la robe et les bijoux...

« Elle a dit la vérité ! » murmura-t-il avec un frisson de joie.

Quelques instants plus tard, il était dehors, et sautait dans une gondole en disant au patron :

« Au-delà de la grande lagune, route de Mestre, vite ! je paie double. »

Bientôt la gondole s’élança.

Vers le milieu de la lagune, Bembo, assis à l’avant, entrevit une masse sombre qui s’avançait. Il la montra au patron.

« Une barque qui revient sur Venise », dit celui-ci.

Bembo tressaillit, frappé d’une idée soudaine.

« Pouvez-vous parler aux gens de cette barque ?

– C’est facile, quand nous serons bord à bord. »

Et le gondolier gouverna pour ranger au plus près l’embarcation qui venait. Au bout de quelques minutes, les deux gondoles étaient dans les mêmes eaux, marchant à contre-bord.

« Ohé, de la barque ! cria le patron.

– Qu’y a-t-il ? répondit une voix dans la nuit.

– D’où venez-vous ? demanda Bembo impérieusement. Répondez, ou vous aurez affaire à la police du port.

– Nous venons de la route de Mestre ! répondit la voix.

– Vous avez conduit une jeune femme ?

– C’est cela même, Excellence !

– C’est bien, vous pouvez continuer votre route, reprit la voix sévère de Bembo ; mais si vous avez menti, prenez garde ! Le nom de votre bateau ? »

Cette fois le patron de la Sirena se garda de répondre, et persuadé qu’il avait affaire à un policier, fit force de rames et de voiles.

La Sirena disparut au milieu de la nuit.

Bembo eut un instant l’idée de la poursuivre ; mais il réfléchit qu’il perdrait un temps précieux, et qu’en somme il savait ce qu’il voulait.

Lorsque Bembo toucha terre, il ordonna au gondolier de l’attendre et s’élança sur la route de Mestre.

Il était simplement armé du poignard qui ne le quittait jamais et avait emprunté une lanterne sourde à la barque. Bientôt il fut à l’entrée de la forêt.

« Fou que j’ai été, grommelait-il tout en courant ; je vais arriver à Mestre, c’est bien ; mais sur quel point de la ville devrai-je me diriger ? Précipitation imbécile ! J’aurais dû me renseigner à Imperia... »

Et il courut plus vite, son seul espoir étant de rejoindre Bianca avant qu’elle atteignît Mestre.

Quant à se tromper de chemin, il n’y avait pas moyen. La route était droite, et il était difficile de supposer que la jeune fille, en pleine nuit, eût essayé de prendre quelque chemin de traverse.

« Et si je l’atteins, que ferai-je ? » songea-t-il tout à coup.

La question fit battre ses tempes. Une sève de passion furieuse monta à sa tête, et il se vit saisissant Bianca, la renversant, la prenant là, sous la forêt, dans le mystère de la nuit et des profondeurs, sous le coup de vent âpre qui faisait craquer les branches mortes comme le vent de folie passionnelle faisait vaciller sa pensée.

Et puis après ?...

Après ? Il ne savait plus.

Irait-il à Mestre ? Retournerait-il à Venise ?

Bembo était parti du palais Imperia tout frémissant, poussé par une seule idée fixe : rejoindre Bianca, sans réfléchir, sans faire de plan. Maintenant, les difficultés se présentaient. Il finit par se mettre en repos en grondant : Que je l’atteigne ! qu’elle soit à moi ! Et nous verrons bien après...

Il courait, les dents serrées, les yeux exorbités, cachant soigneusement sa lanterne sous son manteau, ne la sortant parfois que pour éclairer un instant la route lorsqu’il entendait un bruit devant lui.

Tout à coup, il s’arrêta net, très pâle, secoué d’un soudain frisson qui fit claquer ses dents.

Bianca était devant lui, à vingt pas.

L’émotion fut si violente qu’il demeura pétrifié, comme dans ces cauchemars où l’on cherche vainement à s’élancer.

La résolution lui revint dès que la jeune fille eut à nouveau disparu. Alors il se mit à courir, bondit, enfiévré, la tête perdue ; quelques secondes plus tard, il fut sur elle, et la vit agenouillée, râlant de terreur.

Un sourire de triomphe plissa ses lèvres.

Cette fois, elle était à lui !...

VI



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