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Vous venez de télécharger la première Partie des mémoires de guerre de Edmond tondelier


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Pas une lettre ne m'est arrivé hier pas une aujourd'hui. Quelle réprobation générale ! Et cependant, je ne crois pas avoir démérité de mes amis et connaissances. J'ai fait mes visites, aucune ne me sera rendue. Au proviseur, visite banale, administrative. A ma tante Maris, chez qui j'ai rencontré Louis Baudouin, Maurice Caron, Auguste This. Chez Démaretz, où je me suis un peu épanché. Le soir, je suis sorti avec Clavier faire une partie de billard. A neuf heures et demi, j'étais rentré et je rêvais tristement dans ma glacière, l'esprit bien loin, là-bas …
Aujourd'hui, je suis allé déjeuner chez Madame Taisne qui est toujours préoccupée par l'appel imminent de la classe 19. Demain, j'irai voir Madame Seydoux pour elle et, après demain, je rentrerai en classe, content de retrouver mon travail régulier et mon procédé d'oubli.
La misère intellectuelle et morale dans laquelle je me débats prendra-t-elle fin cette année ? Je n'ose plus y penser. Mieux vaut se plonger dans le passé et essayer de préciser ses souvenirs des jours heureux. Il y a vingt-quatre ans, à pareil jour, j'étais à Neuvilly et, les familles réunies, nous célébrions la cérémonie de notre mariage. Est-ce le moment de retracer tout ce qui marque vingt-et-un ans de vie commune et de bonheur sans mélange ? Non, à quoi bon ? je préfère rassembler, en tisonnant mon feu, tous les souvenirs de cette journée qui nous réunit et je vais essayer de la revivre … seul …… comme toujours.

De tous ceux qui étaient présents, un seul, Louis Baudouin, pourra m'en parler demain car je dois le revoir avec Auguste This actuellement en permission.


4 janvier - Je suis allé voir hier, pour mon dernier jour de vacances, premièrement, Madame Vignol que je n'ai pas trouvée, deuxièmement, Madame Seydoux qui nous a fort bien reçus et qui va remettre à son fils la demande d'audience que je lui ai adressée pour Madame Taisne et pour moi. De là, je suis parti, toujours avec Jehan, à Montrouge voir Bouchot (?) chez qui je suis resté une bonne demi-heure à causer.
Le soir, j'avais rendez-vous avec Auguste This et Louis Baudouin. Nous avons passé deux heures au cinéma à causer distraitement.
J'ai repris mes cours ce matin et je n'en suis pas fâché. Les vacances m'ont parues longues. Le temps très mauvais rendait les promenades impossibles, à cause du froid et de la neige, ma chambre n'était pas habitable, la nourriture du lycée immangeable. Tout concourrait à m'attrister.
Aujourd'hui, 4 janvier, je n'ai pas encore reçu une carte-lettre de souhaits de bonne année. A l'exception d'une carte d'Ogdon (?) et des cartes d'élèves ou de parents d'élèves, rien. C'est triste.
De la guerre, rien de nouveau. Coup de main par ci, par là sur le front. L'intérêt réside dans les pourparlers de Brestlitovsk où la diplomatie boche a fort beau jeu. Tous les jours, il y a une dépêche qui annonce la rupture probable, à côté d'autres dépêches qui donnent des détails sur l'accord. Visiblement, les boches veulent entraîner les alliés dans les négociations. Les socialistes ont essuyé un nouveau refus en demandant d'aller à Petrograd.
6 janvier - Il fait un froid terrible. La plupart des tramways sont arrêtés, le métro est devenu inabordable tant il y a de voyageurs (thermomètre -15°). Comment fait-on là-bas ? Y a-t-il du charbon ?
Hier, je suis allé chez Valette pour passer un bout de soirée et me chauffer. On me montre Le Matin qui annonce l'arrivée d'un train de rapatriés d'Anzin et de Valenciennes mais comme il y a d'autre localités citées qui se trouvent sur la ligne de feu, il me paraît toujours probable qu'il s'agit d'évacués en Belgique.
9 janvier - Mon dimanche a été ce que sont les dimanches maintenant : l'après-midi chez Démaretz où nous causons de la guerre, du lycée. Je rentre à six heures et je m'enferme dans ma chambre à rêvasser ou à lire. Le temps est toujours mauvais. Lundi dégel toute la journée puis regel, le soir il neige. Je vais à huit heures prendre un café avec Maupinot. Mardi, je cause avec Massimon (?), le professeur de Jehan puis, le soir, je vais chez Laure au moment où Rémy, en permission à Paris depuis de 1er janvier, vient me dire bonjour.
Louis Baudouin m'a fixé un rendez-vous pour le soir à huit heures avec Auguste This. J'y vais, rue Montmartre, pour ne trouver personne. Par un temps pareil, il aurait pu me laisser tranquille. Je rentre tard et le café que j'ai bu dans la journée me tient éveillé jusqu'à deux heures du matin.
Aujourd'hui, classe toute la journée. Je reçois une lettre de Monsieur Seydoux qui me convoque pour demain. Visite de Madame Vignol qui me tient au courant de ses démarches, d'Auguste This, qui me demande de lui remplir ses feuilles de déclaration d'immeuble. Je suis un peu fourbu mais content car je n'ai guère eu le temps de penser.
De la guerre, deux discours de Llyod George sur les buts de guerre, l'autre de Wilson aujourd'hui sur le même objet.

Manifestation oratoire diplomatique en réponse à l'offensive diplomatique boche. Bruits divers, mais sans consistance, dans les journaux.


12 janvier - Je suis allé jeudi voir Monsieur Seydoux avec Madame Taisne et, entre autres choses, je lui demande s'il croit que la classe Dix-neuf ira au front. Sa réponse est négative. En attendant, les pourparlers ont repris entre russes et boches. Le discours de Wilson fera-t-il quelques bruits en Allemagne. On ne cite que des extraits de journaux boches, extraits courts et peu caractéristiques.
L'après-midi, Rémy vient me voir puis, avec Jehan, je vais à mon cinéma du boulevard Raspail. je m'y ennuie.

Ce soir, je vais chez Démaretz où je n'apprends pas grand-chose. Il croit à la fin prochaine de la guerre. Puisse-t-il dire vrai ! Moi, je ne crois plus à rien.


Hier, vendredi je suis allé passer la soirée chez Weill. Rien à noter, sinon que je verrai Manutte (?) prochainement.
J'ai recommencé mes corrections de copies et je m'ennuie de ce travail fastidieux. Colson m'a envoyé un télégramme pour m'annoncer la naissance de son fils. Reçu une lettre de Madame Garraud. Rien de nouveau.
14 janvier - Madame Vignol a des ennuis. Le dédoublement de classe par lequel elle avait été maintenue à Condorcet est supprimé. Elle a reçu une nomination à Pasteur (Neuilly) au moment où elle venait d'arrêter un appartement près de la gare de l'Est. Elle se démène et je la conseille (?).
Hier, je suis allé avec Jehan et les enfants Démaretz à une conférence de Bouchot (?) à l'Institution des Sourds Muets. Conférence sur Béranger, chants, chorale (?). Le président y parle de la guerre. Il annonce l'offensive boches et les préparatifs pour y répondre. Il paraît qu'il n'y a pas de danger ??

Aujourd'hui, je reçois quelques lettres. Evelina, Louis Baudouin, Girard. Les journaux du soir annonce l'arrestation de Caillaux, sur renseignements fournis par le gouvernement italien. Une note semble établir cette arrestation et l'ouverture d'un coffre-fort à Florence, où l'on avait trouvé des valeurs pour un million et des documents sur l'affaire d'Agadir. Attendons la suite.


Rencontré Fivet de Valenciennes.
16 janvier - Les journaux sont encombrés des affaires Caillaux et consorts. Le reste, qui est cependant de quelque importance, passe à l'arrière plan. On vit dans l'attente de l'offensive boche que l'on dit imminente. Ces grandes opérations militaires seront-elles les dernières ? Dureront-elles longtemps ? Quelle énigme effroyable ! C'est chaque jour un peu plus désespérant. Je suis allé hier faire une visite à Madame Régnier. Aujourd'hui, Madame Taisne vient me demander conseil. Elle a entendu dire que les engagements étaient à peu près au complet pour l'artillerie et se demande s'il ne faudrait pas que son fils devançât l'appel. Je conseille d'attendre la révision. Monsieur Seydoux fera le reste le moment opportun.
Reçu, de Madame Despujols, de Limoux, la belle-sœur de Colson, un mot avec une boîte de Tourrons (nougats de Limoux).
18 janvier - Vu Madame Vignol hier. Son affaire pourra probablement s'arranger. Elle déménage et va habiter rue des Vinaigriers un immeuble où son beau-père habite déjà.
L'après-midi, je fais travailler Jehan.
Le soir, je vais voir Démaretz qui me parle de différentes choses intéressantes. Arrivée prochaine de trains de Lille (difficultés intérieures en Allemagne, arrivée d'un neutre de Hambourg qui aurait déclaré que la situation y était intenable et ne pouvait se prolonger), bombardements du quartier Vauban.
Aujourd'hui, au moment où j'allais partir faire une visite chez Madame Colle, on m'annonce l'arrivée de valenciennois qui me demandent. C'est Jean, le professeur de Huitième, qui vient d'être rapatrié avec sa femme et sa fille. Ils m'apprennent qu'on réquisitionne une foule de choses : matelas, couvertures de laine, appareils de chauffage, d'éclairage. Ils ont séjourné trois semaines en Belgique. Va-t-on m'envoyer Suzanne. Me voilà dans le même état d'esprit qu'au mois de juin.
Chez Madame Colle, où l'on papote ferme, j'entends débiter beaucoup de fadaises pendant trois quart d'heure.
Au lycée, nourriture immangeable. Reçu une lettre de Jean-Baptiste Péru (?) qui m'annonce que sa femme n'a pas encore touché son allocation, c'est navrant. Elle est maintenant à Cenon (?) près de Bordeaux.
21 janvier - Reçu samedi la visite de Madame Taisne qui me demande d'écrire à Monsieur Seydoux pour lui demander s'il croit pouvoir permettre l'affectation de son fils à l'Artillerie Lourde. L'incorporation prochaine de son fils la trouble au-delà de toute expression. Démarche difficile et délicate que j'hésite à faire car je connais la réponse. Aucune personnalité politique ne peut promettre chose pareille. J'écrirai néanmoins.
Le soir, je vais chez Laure qui me communique une lettre reçue de Niort à laquelle il faudra répondre pour elle. Vu hier Lévêque qui est venu me voir au lycée. Il est très pessimiste et se demande ce que nous retrouverons. Puis, l'après-midi, je vais avec Mis à une réunion organisée par "le rapprochement universitaire" où le doyen de la faculté de Lille, Lefebvre, fait une conférence ridicule sur l'université de Lille pendant la guerre. Après la conférence, nous buvons quelques bocks avec Bertoux, Jambart et on cause de Lille d'où on annonce des rapatriements prochains. Me ramèneront-ils Suzanne ?

Rien de saillant de la guerre. On attend toujours la grande offensive sur laquelle on ne dit que des choses contradictoires. On s'attend à une action vers Dunkerque et Calais et à une sur Nancy pendant que d'autres disent que nous attaquerons en Champagne et en Alsace. Où est la vérité ? Il faut noter que les pourparlers russo-boches ne donnent pas apparemment grands résultats. La Constituante russe a duré un jour. D'autre part, en Autriche, la situation semble s'aggraver. Il y a de nombreuses grèves et un besoin de paix. Le salut viendra-t-il de ce côté ?

Madame Vignol est maintenue à Condorcet. Elle obtient quelques meubles du comité américain.
22 janvier - Le Matin de ce jour annonce que mille rapatriés de Lille Roubaix Tourcoing sont arrivés hier à la Gare du Nord. Suzanne arrivera-t-elle par l'un des trains qui vont suivre ? J'y pense toujours et à tout hasard, j'examine à l'avance comment j'organiserai ma vie.

Vu ce matin Léonard qui me raconte comment Jean est allé au Ministère avec Mademoiselle Debève (?) demander un poste et comment, pour l'obtenir à Paris, ils ont l'un et l'autre daubé sur ceux qui y sont. Quels gens !!

Auguste This m'écris pour sa mise en sursis. Je ne peux pas grand'chose.
23 janvier - Journée fatigante doublée d'une secousse. Ce matin, en sortant de la classe de Jehan, à neuf heures et demi, j'apprends que je vais être inspecté par l'Inspecteur Général Blutel (?) qui sort de Quatrième B. Il arrive en Sixième A5 et assiste à toute ma classe sans parler, prenant des notes. J'irai le voir demain. Je suis plus satisfait de mes élèves que de moi-même. Clavier me raconte des histoires de Buffart ou de Madame Oberlin. Bizarre la réflexion du Proviseur à Madame Renand (?). Mais est-ce vrai ?

Aucune lettre. Je me demande souvent si je vais avoir un télégramme de Suzanne. Je suis dans un état d'énervement fébrile qui m'est très pénible et je ne veux pas le faire voir à Jehan.


25 janvier - La journée d'hier a été assez agitée. Le matin, en faisant des courses, je rencontre rue Vavin un passant qui me dévisage et que je regarde curieusement. Nous nous approchons et je crois reconnaître un ancien du régiment mais lui me détrompe en me rappelant qu'il était un habitué de l'Étoile, à Mouvaux. C'est un nommé Hatz (?); du quartier des Francs (?). On cause quelques minutes et on se sépare, assez pessimistes l'un et l'autre.

A midi et demi, Démaretz vient voir son fils malade et me raconte qu'il va chercher à voir le Proviseur. Il a préparé un vaste réquisitoire qu'il n'a pu servir que par tranches au Censeur et à Madame Oberlin. Il vient de recevoir une lettre de sa femme qui me donne quelques nouvelles de là-bas. La lettre est du 25 novembre. Vie très chère, situation de plus en plus difficile. Suzanne est inscrite et partira avant elle. J'apprends aussi qu'un train de rapatriés est arrivé le matin à la gare de Lyon, provenant de Lille Roubaix Tourcoing.

A une heure et demi, je pars chez l'Inspecteur Blutel (?) où je fais antichambre une heure. Je suis très bien reçu, bonne impression. Je suis invité à raconter mon histoire et il me promet son appui pour l'avenir avec la plus grande bienveillance.

En revenant au lycée, je rencontre Albert Boulogne, rapatrié de Suisse. Il m'offre de me faire passer une carte en Suisse et à Mouvaux. Le soir, après souper, je vais voir Démaretz chez qui je relis la lettre de sa femme. Amante est un peu plus favorisée qu'elle. Edmond met mes vêtements. On a des nouvelles d'Héléna Baudouin tous les quinze jours, par des travailleurs sans doute. Elle parle de bombardements par avion anglais.

Aujourd'hui, je vais dire au Proviseur mon entretien avec Blutel.

Le pauvre Deroo m'apprend qu'hier, à la gare de Lyon, à l'arrivée des rapatriés, un commissaire est venu s'informer dans le public si M. Tondelier était là. Est-ce un rapatrié qui voulait me voir et me donner des nouvelles, est-ce Madame Colle qui voulait me faire causer à des connaissances ou des gens de Mouvaux ? Je ne sais pas et je ne vois pas comment je pourrais savoir. Suzanne va-t-elle revenir et désire-t-elle me faire passer un renseignement ? Si quelqu'un avait une communication à me faire, il semble bien que je doive avoir une lettre prochainement. Je brûle du désir de savoir. Et peut-être n'aurai-je rien.

C'est aujourd'hui l'anniversaire de la naissance d'Edmond. Il y a dix-neuf ans, nous étions tous à la joie de la naissance d'un garçon et nous ne pensions pas qu'il serait un jour le prisonnier des boches, qu'il serait séparé de son père pendant des années.
27 janvier - Dimanche - Je n'ai encore rien. Pas de lettre, pas de visite. J'ai fait demander à Madame Colle si elle savait quelque chose. Demain, j'aurai sa réponse. Hier, ma journée a été assez agitée. J'ai toujours l'esprit là-bas. Tantôt je me figure Suzanne en Belgique, tantôt je pense que son rapatriement est impossible. Le soir, je vais chez les Valette où je trouve des valenciennois. Houlné fils et sa femme. Par eux, j'apprends que Madame Hornez (?) est évacuée (du côté de Bordeaux ?). Hornez (?) est soldat infirmier dans une ambulance. Monsieur Capelle, frère de Madame V.(alette / ignol - ?) est un peu rassuré mais très monté contre le gouvernement à cause de la guerre qui semble interminable. Récrimination inutile. Souffrons en silence ! Le réfugié est un animal transplanté et peu intéressant pour le public.

Démaretz vient nous prendre à une heure et demi. Il a reçu une lettre d'une adjointe de sa femme qui arrive de Roubaix. Elle espère que Madame Démaretz a pu prendre un train le 3 janvier. A la gare du Nord, nous consultons la liste de trains qui, depuis quinze jours, sont nombreux. Vendredi, il en est arrivé un à Evian, formé à Croix, Mouvaux et environ. Rien de Suzanne. Que faire ? Hier, il y avait un train à la gare du Nord. Je ne sais où frapper pour savoir et personne ne m'écrit.

J'écris à Blutel pour confirmer ma visite et ma demande.

Ce soir, à cinq heures et demi, je suis allé chez Madame Vignol, rue des Vinaigriers. Elle m'apprend qu'elle va obtenir un appartement boche avenue de Clichy.

Marchand organise un congrès pour Pâques. Comme tout ce fatras des congrès est peu intéressant ! J'ai bien d'autres chats à fouetter maintenant.
Madame Oberlin me dit qu'elle a donné sa démission au Proviseur. Il y a bien des obscurités dans toute cette histoire et je ne suis guère tenté de les éclaircir. A quoi bon ? Il y a un personnage qui a joué dans toute l'histoire un rôle néfaste et qui est cause de froissements divers. Il est fâcheux que ce personnage ait toute la confiance (…) de cette dame qui méritait mieux et qui, sans s'en rendre compte, se prépare encore des jours de souffrance.
28 janvier - Rien de nouveau. Pas de lettre, pas de dépêche. Je suis allé cinq fois chez le concierge sans aucun succès. Démaretz ne verra l'adjointe de sa femme que samedi. Il se peut qu'elle sache quelque chose de la maison ou du départ de Suzanne et jusque là je ne saurai rien.

Boudeveille a de vilaines histoire, rapport à son ménage et à son ancienne propriétaire. Je doute fort qu'il puisse se maintenir à Montaigne car l'administration est au courant. Cela m'ennuie un peu car je lui ai prêté cent francs qui me paraissent bien compromis.

J'expédie une carte-message à Amante et une à François.
29 janvier - Rien. Le soir, Démaretz vient à cinq heures au lycée avec Lucien qui arrive en permission voir René qui l'emmène pour une heure ou deux ; car Lucien part à Montluçon. Par Raymond, j'apprends que le train de samedi à la gare de Lyon, amenait des rapatriés de Crois, probablement aussi de Mouvaux et, de tous ces gens, aucun n'est chargé de m'écrire car je ne reçois pas le moindre avis. Ils ont quitté Roubaix le 2 janvier.

J'écris à Albert Boulogne et le prie de faire parvenir dix lignes à Amante.


30 janvier - Toujours rien. Il ne faut plus compter sur l'arrivée de Suzanne. Les journaux que je lis n'annoncent pas l'arrivée des trains à Evian. Demain matin, j'irai à la gare du Nord et, si c'est possible, à la gare de Lyon tâcher d'obtenir quelque vague renseignement auquel je me raccrocherai sans grand espoir jusqu'au moment où les rapatriements de la région de Lille cesseront.

Les journaux donnent les détails sur les grèves en Autriche et en Allemagne. Cela aura-t-il des conséquences sur la guerre ? J'en doute en ce qui concerne l'Allemagne où le peuple domestiqué et servile n'a aucune force de réaction.

Depuis hier, nous avons la ration de pain à trois cent grammes, en trois portions de cent grammes. J'entends des récriminations. Je songe aux privations des miens et je compare l'abondance relative dans laquelle nous vivons au régime qu'ils subissent.
31 janvier - Je m'étais couché tard la nuit dernière, onze heures et demi, et, endormis aussitôt, je n'entendis pas le signal d'alarme. A minuit, une détonation formidable m'éveilla et un bruit toute particulier de moteurs étrangers me mit au fait. Je m'habillai et descendit. Je rencontrai dans les sous-sols tout le personnel de mon quartier, malades, infirmières. J'essayai de voir dans le ciel très lumineux, on voyait les avions sillonner la nuit. De très nombreuses détonations m'obligeaient à rentrer. A deux heures, je repartis me coucher. Ce matin, j'allais voir les dégâts : trois bombes sont tombées devant l'école des Mines, sur le Boulevard Saint-Michel, à sept cent cinquante mètres du lycée, un homme tué, toutes les vitres brisées, vitrines défoncées. Place d'Italie, cinq morts, près de la Bastille une bombe également. On en annonce un peu partout à Vincennes, rue d'Athènes, à Montmartre, à Pantin et les communiqués du soir disent qu'il y aurait une vingtaine de tués, une cinquantaine de blessés. Deux hôpitaux atteints. Un travail digne des boches.

A la gare de Lyon, on me dit que le train a trois heures et demi de retard. A la gare du Nord, je consulte la liste des trains depuis vendredi. Ce sont pour la plupart des évacués de la banlieue sud de Lille. J'espère encore, mais sans confiance, et quand je sors, j'ai toujours un regard anxieux vers ma boîte aux lettres toujours vide.

L'après-midi, je vais travailler au champs, à Malakoff et le soir, je passe une heure chez Démaretz.
1er février - On s'attendait à une seconde visite de Sauber mais la nuit s'est passée sans incidents. Les communiqués successifs montrent la gravité de l'affaire. Celui du soir annonce qu'il y a eu non pas une vingtaine mais quarante-cinq tués. Les aviateurs ont lancés des papiers annonçant qu'il reviendraient A bientôt. Cela promet ! Mes élèves m'annoncent en ricanant qu'un de leur condisciples est parti avec sa mère en Normandie par crainte d'une nouvelle incursion. Leur façon d'en parler montre mieux que les articles des journaux l'état d'esprit de la population.
2 février - Rien de nouveau. Reçu une lettre de Weill qui me demande de fixer un jour pour rencontrer Mansette (?) chez lui. Virginie m'écrit pour me demander de lui prêter un peu d'argent. Je vais lui envoyer cent francs. On va enfin lui payer son allocation, mais quand ?

Les journaux n'annoncent pas de trains. Je ne compte plus sur Suzanne tant que je n'aurai pas de nouvelles par des rapatriés. Il en est cependant arrivé un grand nombre et personne ne m'a écrit. Amante ne connaissait probablement personne qui puisse se charger de m'écrire.


3 février - Jour néfaste. Y en a-t-il eu d'autres depuis trois ans et demi pour moi ? Ce matin, à huit heures et demi, le proviseur vient m'appeler et m'annonce que Démaretz lui a téléphoné pour le prier de m'informer que mon frère est décédé à Lille dans le courant de décembre. Quelle secousse ! Il me serre la main et s'en va ! Je reste avec cette affreuse nouvelle, sans autre détail. Peu après, Démaretz arrive et me dit le peu qu'il a appris de Madame Blondiaux. Pas de date, aucun détail. Tout mon passé, mon enfance déroule dans ma pensée ; elle va à celui qui n'est plus, dont la vie, depuis la mort de sa petite fille, n'a été qu'un long calvaire.

Le malheureux n'aura pas appris la mort de son fils André. Cette affreuse révélation sera pour Virginie seule qui n'a pas assez souffert et qui en mourra … Quelle a été la répercussion sur mes pauvres vieux. Je n'ose plus y penser et je ne puis détacher mon esprit de là-bas.

Madame Blondiaux aurait dit à Démaretz que Suzanne ne pensait point à partir. Que signifie cette nouvelle énigme ? Elle l'aurait vue peu de temps avant son départ quand elle venait s'informer de l'évacuation de Madame Démaretz (qui est probablement partie de Roubaix le 3 janvier) et dans son attitude ou sa conversation, rien n'annonçait qu'elle se préparait. Je suis allé après dîner chez ma tante Marie à Clichy mais elle savait déjà la nouvelle par Louis Baudouin.

Je traîne du côté de la gare du Nord où je constate que les trains de Lille ont cessé. Ce sont maintenant des trains de Douai et voisinage. En voilà pour plusieurs semaines.

Je ne puis penser une demi minute sans revoir mon pauvre frère et, comme les images les plus fortes sont les dernières, je le vois se traînant péniblement dans sa cuisine, allant de moins en moins jusqu'au jour où la maladie l'a cloué définitivement sur son lit. Je me le figure, attendant la fin de la guerre, quémandant à tous des renseignements, voyant arriver trop lentement le dimanche qui lui ramenait papa et maman.

Plus loin, c'est notre commun séjour à Douai, lui à l'École Normale, moi à l'École annexe. Que tout cela est loin. Et je ne le verrai plus. Je n'aurai pas assisté aux derniers moments de mon pauvre frère. Cette guerre maudite m'aura vieilli de vingt ans et les souffrances qu'elle me cause ne font que commencer peut-être.


4 février - Je suis allé voir Madame Blondiaux, rue Claude Villefaux, et j'ai cherché dans une longue conversation à la faire causer. Elle ne m'a pas appris grand'chose que je ne savais. Elle ne m'a nullement laissé entendre que Suzanne ne devait pas revenir mais que les démarches qu'Amante avait dû faire au moment de la mort de Faldony avaient empêché d'en poursuivre d'autre pour l'évacuation. Elle avait toujours, quand Madame Blondiaux l'avait vue avant son départ, l'intention de revenir. Démaretz a le défaut de prendre ses déductions de raisonnement pour la réalité. Edmond a été un peu malade en décembre (reste d'entérite).

De la mort de Faldony, elle ne sait rien. Elle la situe dans la première quinzaine de décembre. On ne va plus de Lille à Roubaix Tourcoing sans laissez-passer depuis le 25 octobre. Je me figure les angoisses de papa et maman s'ils savaient leur fils mourant. On me renouvelle les cachettes employées pour les cuivres. Amante ne serait pas maigrie. Je questionne sur Suzanne et ses relations mais, visiblement, on en veut rien me dire. En somme, mon incertitude reste la même concernant son rapatriement . Je n'ai appris, en dehors des généralités, qu'une seule chose : la mort de mon seul frère. Pauvre garçon ! Depuis quinze ans, il souffrait de toutes les façons. La guerre trop longue nous l'a achevé.

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