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Vous venez de télécharger la première Partie des mémoires de guerre de Edmond tondelier


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22 - Vendredi - Avignon - Visité le château des Papes ; un vieux garde, ex-chantre de Frédéric (?) Mistral ne montre que peu de choses. Eglise Notre-Dame des Doms, le Rocher (jardin où l’on a une vue merveilleuse sur le Rhône, la Barthelane, Villeneuve, le fort Saint-André). Nous allons prendre le café chez Mossé, sa femme est absente, son fils nous conduit à Villeneuve où nous visitons la Chartreuse outrageusement souillée et délabrée. Le fort Saint-André (vue splendide d’Avignon), le musée dans un couvent, la Collégiale, la tour de Philippe le Bel. Je suis indigné de voir le délabrement et autant l’incurie de l’administration qui laissent toutes ces merveilles dans leur triste état. Le soir, retour à Avignon, où Mossé nous offre à souper. Colson me quitte à neuf heures. Il repart à Carcassonne, enchanté de son voyage. Je repars demain pour Paris.
24 - Dimanche - Mon retour s’est bien effectué. Je suis revenu par Lyon, Roanne, Moulin, Nevers, Cosne (?), Gien, Montargis, Malesherbes. Louis Baudouin et Maurice Caron viennent me surprendre à neuf heures et demi. Maurice n’a pas pu faire retarder sa permission de quelques jours et il repart à midi quarante-cinq, après s’être fait photographier avec nous. Je passe l’après-midi avec Démaretz et Louis et, à cinq heures, je vois Vignot à la gare du Nord. Il a reçu une lettre fin juin.

J’écris à Limoges pour avoir le matricule d’André. Je n’ai plus d’espoir. La coïncidence de la disparition - 29 mai, des renseignements du cent cinquante cinquième, du décès - est trop grande. Il n’y a plus à espérer. Comment porter une telle nouvelle à la famille ? Je n’ose penser aux suites.


26 septembre - J’ai reçu ce matin une note de la Mairie du Sixième m’invitant à passer au Premier bureau pour communication. J’y suis allé de suite sachant bien ce que l’on avait à me dire. C’est la notification officielle du décès d’André, venant de la Croix Rouge. On me remet une feuille qui me brûle les doigts, …

En rentrant au lycée, je trouve Lefèbvre qui est venu me chercher. Il est venu de Saint-Orne pour passer sa permission à Paris. Je déjeune avec lui et de Saint-Léger, professeur à la faculté de Lille, qui est occupé aux archives nationales. On parle de la guerre et ces historiens ont un air désabusé qui en dit long.


28 - Jeudi - Ma journée d’hier a été pénible. Je me suis enrhumé et n’ai aucun goût. Lefèbvre vient me prendre à onze heures et nous retournons avec de Saint-Léger au restaurant, rue de Rivoli. Je vais ensuite avec Lefèvre aux Invalides pour sa permission à viser et, après cela, nous allons aux Archives visiter les salles de lecture (?), hôtel de Soubise, de Guise, de Clisson.

Le soir, je vais après le dîner chez Fournier, boulevard du Port Royal passer deux heures à causer de choses quelconques.

Je m’ennuie, malgré la variété apparente de mes occupations, car j’ai toujours l’esprit là-bas et le souvenir d’André me tourmente.

On a pris Comblen (?) aux Boches. La Grèce est dans le gâchis. Que va-t-il se passer encore, tous ces combats ne vont-ils pas amener l’ennemi à reculer ? C’est désespérant de vivre dans cette incertitude.


1er octobre - Dimanche, neuf heures du soir - On m’a remis ce matin ma feuille de service : six classes différentes qui comportent au moins quarante élèves chacune. J’aurais fort à faire, mais cela m’aidera à passer le temps et je m’ennuierai moins. Reçu une lettre de M. Alfred Lantoine que j’avais informé des nouvelles reçues de Genève ; il s’attendait un peu aussi à un malheur.

Quand chacun aura fait le compte de ce que la guerre lui a coûté, de ce qu’elle a enlevé à son aisance, à sa tendresse, à son bonheur, qui osera se dire heureux. J’attends toujours des faits de guerre décisifs et rien ne vient.

Vu ce midi Achille Pachy qui a reçu un message de sa famille. Louis Ball doit venir prochainement à Paris. Henri a des furoncles et de l’exéma.

M. Bourgin m’écrit pour son fils qui entre dans ma classe de Sixième B. Weill est à Paris, j’irai le voir demain.


3 octobre - Mardi - Rentrée des classes avec son défilé habituel des élèves. Comme toujours, remise de l’emploi du temps. A Montaigne, la rentrée ne se fait que l’après-midi. Le matin, après la messe des internes, le proviseur réunit le personnel et le met au courant de la situation, annonce les changements et cause de choses diverses intéressant l’établissement. Je retrouve ma Sixième B de l’an dernier, Quatrième et Cinquième B en dessin et deux Sixième A plus une Cinquième A. En tout, onze heures. C’est supportable.

J’accomplis les rites habituels mais mon esprit est ailleurs ; je pense qu’il y a deux ans, à pareille date, je quittai Lille après avoir eu à peine le temps d’embrasser Amante et Jehan. Naïvement, je comptais que mon absence durerait autant que la première, quelques semaines, et, certes, je n’envisageais pas une séparation de deux ans, pendant laquelle je n'aurais que trois lettres pour me réconforter.

Si triste que soit le passé, je ne vois pas l’avenir moins sombre. Un collègue qui fut employé au contrôle postal me dit aujourd’hui que nous ne serons jamais au point et que nous n’aurons livraison de certaines commandes d’artillerie qu’en avril prochain. La guerre durera tout l’hiver et tout l’été de 1917. Que restera-t-il de notre France ? de notre jeunesse, de nos hommes valides ? Je suis allé voir Weill hier ; il est en congé de convalescence, épuisé par la vie du front et le manque de confort. Il a dû être évacué dans un hôpital au Hâvre.
5 octobre - Jeudi - Hier, j’ai fait connaissance de deux classes nouvelles et suis allé dîner chez Weill. Aujourd’hui, je suis allé à Clichy où j’ai trouvé Paul qui arrive en permission. Il me raconte différents épisodes de sa vie de brancardier aux jours d’offensive de la Somme du 3 au 26 septembre. Il a pris part aux combats autour de Combleu (?) ; il est actuellement au repos dans un secteur de Champagne.

Pendant que nous causons passe un enterrement d’un soldat mort à l’hôpital Gouin et ma pensée se reporte à ce pauvre André qui n’a même pas eu cette suprême marque de sympathie là-bas à Dun le 6 juin.


7 octobre 1916 - Samedi - J’ai aujourd’hui 47 ans et, pour la troisième fois, je passe cet anniversaire loin des miens sans avoir, comme de coutume, les vœux d’Amante, des enfants, des parents. Certes, il ont pensé beaucoup à moi aujourd’hui et j’ai bien souvent fermé les yeux essayant de me représenter ce qu’ils font, ce qu’ils diraient si j’étais près d’eux. Je revois ma chère Amante si tendre dans l’intimité, si aimante … Suzanne prenant un air à l’aise et détaché. Edmond et Jehan offrant leurs souhaits avec une gaucherie qui m’amusait tant. Papa et maman accomplissant les rites de très bon cœur. Aujourd’hui, je suis seul et rien ne viendra me consoler. Je suis allé trois fois à la loge du concierge voir si une lettre m’était arrivée, j’espérais vaguement que le sort travaillerait pour moi, mais rien n’est venu …

Après ma classe du matin, je suis allé à Clichy pour aider Paul à de vagues travaux d’emménagement chez ma tante. J’ai déjeuné là, on a causé. Et en revoyant le coffre fort que j’ai acheté, je me demandais si ce meuble n’était pas appelé à devenir le premier d’un nouveau mobilier si l’autre venait à être anéanti.

Le soir, j’ai emmené Paul dîner au restaurant avec Louis puis je l’ai conduit au cinéma.

Au lycée, je fais connaissance avec mes élèves. Six classes différentes, trois Sixième, deux Cinquième et une Quatrième et en voyant les nouveaux, hésitants et mals à l’aise, je pense à Jehan faisant ses débuts au lycée Faidherbe où j’aurais tant souhaiter le guider.

Hier, Démaretz m’a conté une intéressante conversation qu’il a eu avec Labaeye, récemment nommé avec son fils à Nanterre. Cette guerre nous fera voir tout ce qu’il est possible de supposer comme immoralité.
9 octobre - Après un dimanche passé comme tant d’autres à déambuler sans but, j’arrive à une journée à marquer d’un caillou blanc.

J’ai reçu deux cartes, l’une de Mouvaux, l’autre de Lille. Elle sont du 22 juin et du 25 juin. La première d’Amante me dit “Nous sommes en bonne santé, Suzanne demeure à la maison, Jehan ira en octobre au lycée. Comment va à l’école ? Tendres baisers. A. Tondelier

Celle de Virginie par les traductions successives a perdu toute clarté “Nous sommes heureux des nouvelles que nous avons reçues. André va à l’école comme Edmond et Jean. Suzanne est chez elle ; Lille et Mouvaux sont tous en bonne santé. Nous aimerions avoir des nouvelles des oncles et tantes. Mère et sœur”. Je suppose qu’il faut lire “d’André”, mais à l’époque où cette lettre a été écrite, le pauvre André était enterré depuis 19 jours et les malheureux ne le savent pas encore maintenant.

Je suppose aussi que maman était, elle, à Lille, de là cette finale (ta) mère et (sa belle) sœur. Ce sont maintenant les dernières nouvelles en date. On n’entend plus parler de lettres arrivées par la Hollande. Le filon est coupé. De la guerre, rien de rassurant ; les ennemis concentrent leurs efforts sur la Roumanie qui évacue la Transylvanie. Un transport français chargé de troupes vient d’être coulé, en Méditerranée. Sur deux mille environ, on en a sauvé treize à quatorze cent. Dans la Somme, rien de nouveau aujourd’hui.


J’arrive à la dernière page de mon carnet et ne suis guère plus avancé qu’en avril quand je le commençais. J’ai perdu André, j’ai reçu deux lettres, quelques cartes messages et la guerre n’a changé en rien ma situation. Aujourd’hui, un soldat qui causait devant moi à mon collègue Maupinot, disait très sérieusement que cela durerait encore deux ou trois ans.
carnet V
15 octobre - Dimanche - Cette semaine a été très remplie et j’ai laissé passer plusieurs jours sans commencer mon cinquième carnet. Les classes me prennent beaucoup de temps en préparation et en écritures de toutes sortes et, si je veux prendre un peu d’exercice si nécessaire à ma santé, j’arrive à occuper tout mon temps. De ma correspondance, j’ai à relever une lettre du recrutement de Lille m’informant que le numéro de matricule d’André est bien celui qui a été indiqué par la lettre fatale de la Croix Rouge. Encore un espoir, le dernier, qui s’en va.

Une lettre de Paul Vanderpotte (?) qui m’annonce qu’Albert Machuet est revenu d’Allemagne. Ma tante m’invite à dîner jeudi avec lui et Louis. J’y vais et Albert m’apprend qu’il a bien envoyé ma photo et qu’il a reçu une lettre d’Amante en juin, lui offrant ses services. C’est tout pour ce qui me concerne. Il raconte ensuite sa vie au camp de Friedrischfeld (?). La rareté des vivres a été un leurre jusqu’à ces mois derniers puisqu’il pouvait se procurer de la viande sans carte. Maintenant la pénurie se fait sentir. Les enfants ont tous des sabots, plus de cuir. Le moral des soldats baisse, surtout depuis la Somme.

Il me raconte dans quelles conditions il fut fait prisonnier au début de l’offensive de Verdun : c’est lamentable et cela confirme la négligence des chefs, le manque de préparation qui faisait dire aux boches que le dimanche suivant, ils seraient à Verdun. Détails divers sur le moral des prisonniers au camp où Albert se faisait passer pour aumônier alors qu’il n’était que brancardier.

Une lettre de Colson, qui m’écrit longuement que le traitement des prisonniers boches en France accentue la différence. Si seulement on confiait la garde des prisonniers à ceux qui reviennent ou au moins à des officiers qui ont été au feu.

Louis Ball m’écrit qu’il viendra prochainement. La classe 89 est relevée de son emploi aux G.V.C. (?) et va partir au front.

Rencontré hier Louvet au Vieux Condé. Classe 91, ou 92, il a pris son service au Vingt-septième d’Artillerie et est versé dans l’infanterie comme sergent et part aux tranchées.


Weill espérait une prolongation, on la lui refuse et il est reparti au front. La souscription à l’emprunt bat son plein. Je vais souscrire un peu. Je suis toujours gêné par cette préoccupation de conserver mon or. J’irai voir Madame Seydoux mardi et lui demanderai si elle veut me confier une partie de la rente de papa que je convertirai en leur nom, cinq à six cent francs si possible.
18 octobre - Mercredi - Reçu une lettre de Maurice Caron qui m’envoie le texte de sa citation et me donne des détails sur un bombardement qu’il a subi récemment. Avec beaucoup de crânerie, il analyse ses sentiments pendant ce bombardement et donne ainsi une idée de sa bravoure. C’est vraiment très bien.

Vu Madame Seydoux hier. Je l’ai tenue au courant des nouvelles que j’avais, récentes et anciennes, et je lui ai appris la mort d’André. Elle aussi me demande comment la famille supportera ce malheur. Mon projet de souscrire pour papa lui plaît et elle me remet six cent francs contre reçu. Je crois bien faire. Ne serai-je pas blâmé plus tard pour avoir fait ce que j’ai fait ?

Je fais ma classe avec goût et corrige mes copies régulièrement ; c’est un gros travail, mais j’oublie mes tourments.

Les journaux laissent, malgré un optimisme de commande, percer l’inquiétude au sujet de la Roumanie menacée. L’effort va-t-il se continuer de ce côté pour empêcher l’ennemi de concentrer ses efforts sur ce petit pays ?


20 octobre, huit heures - Je suis allé hier à La Varenne pour tâcher d’obtenir du tabac et remercier le fourrier (?) qui m’avait envoyé les deux cartes messages arrivées pour moi la semaine dernière. Il pleuvait. J’ai néanmoins fait mon petit tour de Marne et suis rentré à Paris à cinq heures.

Ce matin, je trouve une lettre d’Ogden qui a reçu ma carte de Carcassonne et m’invite à aller en Angleterre aux prochaines vacances. J’espère bien qu’en juillet 1917, Lille sera libérée et alors la question ne se posera même pas. Quant à y aller à Noël ou à Pâques, non ! Inutile de s’exposer à un torpillage au moment ou l’ennemi veut reprendre la guerre sous-marine.

On a arrêté à Rotterdam un certain nombre d’espions boches. Il est probable que la voie Spareboon (?) et Landes (?) est coupée car ces deux adresses étaient à Rotterdam et le grand nombre de lettres qu’ils recevaient n’avait pas été sans attirer l’attention des espions. Il n’est pas arrivée de lettre postérieure au 5 juillet par cette voie, à ma connaissance. Les miennes sont-elles parvenues ? N’ont-elles pas créé de difficultés à Amante ?
21 octobre, huit heures - J’ai remis aujourd’hui une police (?) individuelle au proviseur sur laquelle j’ai indiqué mes vœux. J’ai beaucoup réfléchi au sujet de ces vœux et finalement je demande Paris pour le cas où mon poste serait supprimé par suite d’une réduction du personnel du lycée de Lille. Cette éventualité doit être envisagée et, comme elle peut s’ajouter à cette autre : disparition de mon mobilier, je dois penser à ne pas être envoyé dans une école primaire. Le proviseur, en lisant mes vœux, me dit : “Dans ce cas, je vous demanderai pour Montaigne”. Bonne parole qui montre en quelle estime il me tient. Je crois bien que, le cas échéant, il chercherait à m’être utile et je compterais sur lui si le sort voulait que je quitte Lille.

Le froid arrive et j’ai commencé à faire du feu dans ma chambre.


25 octobre - Cela va mal en Roumanie. L’ennemi tient deux cols de la frontière sur la Transylvanie. Les roumains ont dû, sous la pression, évacuer tout le territoire conquis ; d’autre part, en Dobroujda (?), Mackinsen (?) et (?) les bulgares ont coupé le chemin de fer de Constanza et occupé cette ville qui est le grand port roumain et le grenier du pays. Ce nouvel allié va-t-il subir le sort de sa Serbie, de la Belgique et du Monténégro ? La situation est angoissante et l’on se demande si les Russes sont enfin en mesure de faire quelque chose.

Le communiqué de ce jour annonce une offensive réussie à Verdun où nous avons repris Thiaumont, la villa et le fort de Douaumont, en faisant trois mille cinq cent prisonniers.

Hier, je suis allé voir Boucher et je lui ai causé longuement des bruits (?) de guerre qui le préoccupent aussi. Il me donne une idée de la censure à propos d’une pièce de vers qu’il a écrite sur ce sujet. Ce soir, je suis allé attendre Démaretz à la Préfecture de Police et nous nous sommes promenés jusqu’à six heures et demi. Il comptait sur un emploi dans une œuvre de guerre, fondation américaine pour les aveugles, mais l’affaire à craqué, il n’y a rien de fait.
26 octobre - Je reçois aujourd’hui une note du bureau de recrutement d’Avesnes m’informant que je dois me présenter au bureau de recrutement le plus voisin qui me fera convoquer prochainement devant une commission spéciale de réforme, en application de la loi du 17 août 1915. Par la suite, le bureau de recrutement d’Avesnes me fera connaître s’il y a bien ma nouvelle affectation. Et voilà ! Je vais donc passer à nouveau devant une commission de réforme, et si un médecin le veut, il pourra infirmer le diagnostic et les propositions des six médecins qui m’ont examiné en juillet.

C’est quand même une secousse, je me croyais libéré pour un peu plus de temps. Me voilà encore dans l’incertitude et je n’avais pas besoin de cela.

Ce matin, je suis allé souscrire à l’emprunt pour papa et maman. Je n’ose le faire pour moi, j’ai converti mes deux obligations.
29 octobre - J’ai reçu hier une lettre très intéressante de Maurice Caron. Il dit ce qu’il faut et il le dit bien. C’est un brave et bon garçon qui mérite qu’on s’intéresse à lui. Il parle d’Albert Machuet en termes mesurés et excellents. Une carte de Colson m’apprend qu’il arrive demain en permission. Cela me fait plaisir ; malgré un esprit caustique et railleur, je l’aime beaucoup et j’aime sa bonne camaraderie.

Je suis allé vendredi au bureau de recrutement et l’adjudant m’a dit qu’il réclamait à Brive mon “dossier sanitaire” et quand il l’aurait, il me ferait convoquer devant une commission. Attendons.


C’est aujourd’hui dimanche, il fait un temps affreux, je passe la matinée à ranger mes affaires dans ma chambre. Désœuvré, ne pouvant sortir, j’ai toujours l’esprit là-bas et je fais à loisir des comparaisons. Je ne fais plus aucun pronostic. L’Allemagne a voté douze milliards de crédits, l’emprunt lui en a rapporté huit liquide, soit environ vingt-cinq milliards de francs. Elle dépense deux milliards cent soixante-dix millions par mois et peut donc résister encore un an.

Devant ce chiffre on perd tout espoir et je me demande où est la sagesse. Doit-on, comme le disait Louvel il y a huit jours, se laisser aller et abandonner tout esprit critique ?


Lundi 30 octobre - Hier, en sortant, j’ai trouvé la convocation du recrutement chez le concierge. C’est pour jeudi ; cela n’a pas traîné. J’aime autant cela, mieux vaut être fixé rapidement. Jeudi, à huit heures et demi, j’irai une fois de plus montrer mon architecture au 51 bis, boulevard Latour Maubourg (Corridor d’Arles).

Je sors avec Démaretz qui va souscrire à l’emprunt puis nous partons à pied vers les gares de l’Est et du Nord.

Rien appris d’intéressant et, à six heures, je vais avec lui à la gare d’Austerlitz chercher Colson qui arrive en permission. On cause ; il paraîtrait que pour cet hiver on va se borner à reprendre Péronne et Bapaume, ce qui revient à dire qu’on va les détruire, puis on attendra le printemps, puis l’été et ainsi de suite.
A dix heures et demi, je vois arriver Louis Ball qui vient en perm’ à Paris. Il a reçu des cartes-message. On cause une heure dans ma chambre et nous prenons rendez-vous pour dîner avec Démaretz. Il est très anglophope (sic) et pessimiste.
2 novembre - Mes journées ont été assez remplies. Mardi, sortie avec Colson qui va aux Invalides pour sa permission. Nous faisons ensemble un peu de photo sur les quais et aux Tuileries. L’après-midi, je fais classe une heure et nous nous retrouvons le soir avec Louis Ball et Démaretz au restaurant.

Le jours de la Toussaint, je vais avec Colson à Janson de Sailly voir Mis qui s’y ennuie ferme. L’après-midi, congrès de la Ligue des Droits de l’Homme où l’on assiste à une joute oratoire entre partisans et adversaires de l’arbitrage. J’entends Victor Bérard (?) Alexandre, Demartial, Séverine (très émouvante), Maire (?) Vérone ; et surtout, je rencontre Deguise avec qui nous passons la soirée et nous soupons.

Nouvelle implication du côté de Salonique, où Sarrail demande du monde, des canons de tranchées. Le ministre y est parti. Ce matin, je suis allé à la caserne de Latour Maubourg. Le médecin m’a ausculté et a conclu immédiatement à mon maintient. Après cela, je suis revenu au lycée reprendre Colson pour le conduire à la gare de Lyon. Il repart content de son séjour, et moi je vais me promener à la campagne vers Créteil. Le paysage est bien changé, les feuilles tombent, hiver triste (…) s’annonçant plus triste que le précédent, car, si l’an dernier, j’espérais dans le Printemps prochain, cette année je n’espère plus. La guerre peut durer encore deux ans. La nation sera exsangue. J’espérais un déplacement du front occidental, je ne l’espère plus avant la paix. Bébille m’a donné l’adresse de mon vieil ami Thomas, prisonnier à Münster ; je vais lui écrire et me mettre à sa disposition. Lui pourra écrire chez moi et envoyer de mes nouvelles à Amante. J’ai enfin un correspondant prisonnier. Puisse-t-il me servir !
4 novembre - Ce matin, je trouve dans ma boîte une carte me convoquant à nouveau devant la Troisième commission de réforme le 6 novembre. Il doit y avoir erreur, je vais au bureau de recrutement de la Porte de Châtillon où l’on m’explique qu’on a établi une liste sans vérifier la précédente et on annule cette seconde convocation. Bel exemple de l’ordre qui règne dans ces bureaux où le personnel cependant ne manque pas.

En passant rue Vavin, je constate que le mobilier de Laure est arrivé. J’entre, mais elle est partie chez son beau-frère. J’irai demain.

Depuis hier, nous avons une nouvelle convive : la Doctoresse de l’établissement. Elle me parle de Lille qu’elle connaît.
6 novembre - Lundi - Samedi, nous sommes allés au cinéma. C’était écœurant, mélange de cynisme et de sentimentalisme autour de Mistinguette, la gourgandine à la mode. Hier, séance rue Cadet. Detierre raconte son voyage à Salonique. Ses déclarations sont peu rassurantes.
Nous sommes dans un cercle. L'État Major accumule les fautes, le gouvernement n’ose pas lui parler ferme. Les Alliés comptent sur l'État Major et le ministère n’ose pas déplaire aux Alliés ni les désabuser. C’est lamentable. Des officiers ne cachent pas leurs sentiments, ils pensent qu’«on ne les aura pas”, que “l’effort est trop grand, trop au-dessus de nos forces”. La question des effectifs devient angoissante ; on la tourne en comptant les blessés et les malades dans la zone des armées. La propagande cléricale est faite ouvertement. Démaretz pose une question sur le nombre de tués, blessés, disparus, prisonniers. Detierre se tient dans le vague et parle de deux millions mais c’est manifestement faux. Les boches auraient trois cent cinquante mille prisonniers français et nous, environ cent cinquante mille boches. Il confirme mes renseignements, à savoir que l’action reprendra plus forte en mai 1917, quand les anglais étendront leur front (jusqu’à Reims ?). De tous cela, je ne dégage rien de rassurant. Hier, les journaux annonçaient que les empires centraux avaient proclamé l’indépendance de la Pologne. Leur intention est claire : armer les polonais pour renforcer leurs effectifs. Il vont avoir tout l’hiver pour y travailler. C’est effroyable, nous n’en sortirons pas.

J’écris à Émile Macarez (?) que j’ai l’intention d’aller voir samedi prochain. Les dimanche me dégoûtent.


Mercredi 8 novembre - Semaine de compositions qui s’ajoutent aux devoirs. Je corrige jusque dix heures du soir. J’en ai pour une quinzaine de jours, après quoi ce sera calme.
Reçu ce matin une lettre d'Émile Macarez ; il m’attend samedi, cela fera diversion pendant deux jours.

Les journaux annoncent aujourd’hui l’élection de Hughes comme président des États-Unis. Démaretz y voit un succès allemand et trouve Wilson admirable. Comme je ne suis pas tout à fait de son avis, mon opinion n’étant pas faite sur une élection en somme assez confuse pour nous étrangers - il se fâche et j’arrête la discussion en ne répondant plus.

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