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Vous venez de télécharger la première Partie des mémoires de guerre de Edmond tondelier


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4 juin - Hier samedi, les journaux annoncent une grande bataille navale entre les flottes anglaises et allemandes devant le Jutland. Les renseignements précis manquent encore aujourd’hui mais ce que les allemands - profitant de la loyauté anglaise qui publie ses pertes - annoncent comme une victoire y ressemble de moins en moins.

Démaretz qui est arrivé avec une humeur massacrante ne manque pas de dire que la suprématie anglaise n’existe plus, que c’est une défaite, que Verdun sera prise dans quinze jours, etc… Au restaurant, un mot malheureux de Louis Baudouin provoque une colère et des phrases d’une violence inouïe. Il y faut toute ma diplomatie pour empêcher une rupture. Malgré cela, Démaretz, intraitable, refuse de passer la soirée avec nous et s’en retourne seul à Grenelle.

Deux autres incidents avaient aussi marqué la soirée. L’un à propos de Lucien sur lequel j’avais un renseignement qu’il ne connaissait pas et qui m’avait valu un démenti. L’autre à propos de la fréquentation du restaurant par des femmes de mœurs plus ou moins légères, ce qui avait provoqué des réflexions à haute voie et des injures à leur adresse.

Louis Baudouin me donna l’explication de cette humeur. On a mis Démaretz en demeure de faire une besogne déterminée et qu’il ne veut pas faire, et son administration, qui le connaît, veut l’obliger à faire cette besogne ou à partir.

Ma journée d’hier a été mortelle. Pas de travail sérieux au bureau et cafard invincible. J’écris à Weill une lettre pessimiste. Pas encore de carte pour écrire à Mouvaux. Je crois qu’on ne m’en donnera que quand Lille sera évacuée.
Je passe l’après-midi au bureau où, après avoir collationné une brochure de tir, je me roule les pouces en attendant sept heures. Rien à faire pour le moment, chacun pense à ses affaires et on ne parle pas. Les relations sont si peu cordiales que la conversation ne peut jamais se généraliser. Le temps me pèse horriblement et cela continue dans une forte mesure à augmenter le cafard. Je vis dans mes souvenirs, et je revois les années d’avant-guerre. A cette période de l’année, je m’occupais beaucoup des abeilles. Les dimanche après-midi, on partait en famille faire une promenade, les enfants allaient devant et nous causions de nos soucis, de nos préoccupations scolaires, des petits aménagements appelés à rendre le foyer plus confortable. Nous avions ainsi des moments heureux pendant les belles promenades dans la campagne. Tout cela m’apparaît maintenant si lointain, si perdu dans des souvenirs surchargés par les événements de guerre. Que ma vie d’alors semble être d’un autre monde et, quelques soient mes espérances, j’ai le vague pressentiment que l’avenir est maintenant gâché, que je ne retrouverai plus ma maison avec ses habitants, que tout sera bouleversé, qu’il y aura des disparus … lesquels ?

Retrouverai-je ma situation au lycée de Lille ?


6 juin - Vendredi - Deux jours d’activité à tirer des épreuves en polycopie puis plus rien. Au lycée, travail de fin d’année, feuilles de notes, examen de passage, compositions et nous sommes au commencement de juin. Je ne reçois rien d’André et sa dernière carte remonte au 27 mai. Qu’y a-t-il ?
Léonard, qui a passé devant un conseil de révisions, est convoqué comme garde-voie, service auxiliaire à Conflans-Sainte-Honorine pour le 17 courant. Je vais rester seul au lycée, pour combien de temps ? Et serai-je encore longtemps dans mon service ? Pour la première fois, je redoute les vacances qui vont m’enlever les quelques heures de détente qui me rattachaient à mon métier.

La grande bataille navale est décidément une victoire anglaise. Les allemands avouent leurs pertes une à une. Le front autrichien est percé sur une grande étendue. A ce jour, les russes ont fait cinquante et un mille prisonniers et ce n’est pas fini. Est-ce le commencement de l’offensive ? Chez nous la lutte est toujours acharnée à Verdun. Le fort de Vaux est perdu. Léonard nous avait dit que les anglais auraient pris l’offensive mais j’en doute, et rien, dans les communiqués anglais, ne justifie l’offensive, au contraire.

Chez nous, depuis des mois, nous travaillons sur le canon de 32 et le type de projectile n’est pas encore arrêté. Pas de trains nouveaux à La Varenne. Alors quoi ? Il est vrai que nous ne voyons qu’un petit côté des préparatifs.

L’anxiété augmente à mesure que les jours passent. Ce soir, j’irai voir Boucher. Me dira-t-il quelque chose ?


Lundi 12 juin - Samedi dernier, Louis Baudouin n’est pas venu à notre rendez-vous habituel. Son bureau s’installe à Puteaux, et il est probable que le soir après son déménagement Louis, profitant du congé de Pentecôte, est parti en Normandie. Démaretz et moi passons la soirée ensemble. Le dimanche, je ne vais pas au bureau l’après-midi et nous allons ensemble à Suresnes voir un ami de Démaretz - M. Martel, vétérinaire départemental de la Seine, originaire de Bamet (?). Promenade superbe par la Porte Maillot, Bagatelle, La Muette, mais il est à remarquer que toutes mes promenades me laissent une impression d’amertume et de souffrance intérieure. Je m’en veux de profiter seul des belles choses que je vois, et je suis triste à pleurer. Le soir, nous entrons au Variétés où je vais voir jouer La Belle de New York. Aujourd’hui, lundi de Pentecôte, je passe la journée au bureau à ne rien faire, mais le principe est sauf : les bureaux de la guerre sont ouverts.

Marotin me disait hier qu’avec vingt-cinq autres auxiliaires, il avait été réclamé par la Société Générale pour trois semaines. On laisse l’enseignement péricliter. Périssent l’enseignement et le service public plutôt que la finance. Néanmoins, il paraît qu’au ministère on s’occupe de préparer la demande de libération des R.A.T. auxiliaires et inaptes pour le mois d’octobre. Je doute fort qu’on réussisse. Les autorités militaires sont trop heureuses d’avoir le dernier mot pour une question intéressant un service public.


La victoire russe sur les autrichiens prend plus d’extension. On annonce à ce jour cent six mille prisonniers, un butin immense et le front reporté très loin en arrière. Et ce n’est pas fini. On persiste à prédire l’offensive prochaine ; des indices laissent croire qu’elle est commencée. J’en doute. Le Bulletin des Réfugiés annonce que les boches réquisitionnent des femmes, des jeunes gens pour tous les travaux. Va-t-on les laisser enlever des récoltes qui commencent à mûrir, foins, etc … dans notre région ? C’est vraiment inconcevable. Ne serons-nous donc jamais prêts ? Les arguments de simple bon sens n’ont probablement aucune valeur au point de vue militaire.
Monsieur Martel, que nous avons vu hier, pense que cela finira en octobre. Les privations en Allemagne sont de plus en plus grandes. Albert Boulogne, interné en Suisse, lui écrivait récemment que les soldats allemands ramassent en cachette les débris de cuisine (couenne de lard, de jambon) des prisonniers français pour s’en nourrir. Mais ce peuple d’esclaves est tellement domestiqué qu’il ne se rebellera jamais et l’on aurait tort de compter sur des émeutes et une révolution. Il se fera tuer pour obéir et laissera les femmes et les enfants mourir de faim.

L’explosion de Lille a dû être formidable et dépasse tout ce qu’on peut imaginer car le Bulletin des Réfugiés dit que des vitres ont été brisées jusqu’à Douai (!!). Que reste-t-il de la maison de Faldony ?

J’ai oublié de noter le plus important. Samedi matin 10 juin, j’ai enfin reçu du capitaine Guérin les deux cartes pour correspondre avec Mouvaux. Je les ai rédigées immédiatement et les ai fait mettre à la Poste le soir même. Elles arriveront dans deux mois et j’aurais peut-être une réponse dans quatre.

André ne m’écrit plus. Sa dernière carte est du 27 mai. Je lui ai réclamé une lettre il y a huit jours et pas de réponse. Où est-il ? N’a-t-il pas eu un accident ? Est-il prisonnier, blessé,


ou …… ?
15 juin - Toujours rien d’André. J’ai écrit à son oncle Alfred pour lui demander s’il est plus favorisé que moi. Aujourd’hui, j’écris à son sous-lieutenant. Les communiqués nous disent si peu de choses sur Verdun. Jamais un mot de nos pertes, de nos régiments engagés ! Je ne vis plus que dans la crainte d’un malheur, ceux qui m’accablent ne suffisent sans doute pas.

Colson m’a écrit hier soir qu’il avait satisfaction. Il est nommé à Carcassonne un peu grâce aux démarches que j’ai fait faire par Accambray en sa faveur. Je n’en ai fait faire aucune pour moi-même et cependant je n’ennuie prodigieusement au bureau où le travail devient fastidieux et assommant l’après-midi. J’envisage les vacances avec terreur car je n’aurai plus les trois demi-journées par semaine qui font diversion dans cette stupide existence militaire en me rappelant mon métier. Aujourd’hui, Fournier me dit qu’il tient de quelqu’un qui approche l'État major que l’offensive anglaise est imminente. Il y aurait en ce moment de gros mouvements de troupe par voie ferrée. On a déjà annoncé tant de choses ! Je n’y croirai que devant le fait accompli.

C’est aujourd’hui qu’on a adopté la nouvelle heure, le changement n’est pas appréciable pour nous. La soirée est plus belle et plus longue. Au lycée, j’établis mes feuilles de prix. Dans un mois les élèves seront en vacances et moi je continuerai mon service, à moins que …
17 juin - Rien d’André. J’ai écrit à son oncle Alfred. Il me répond que lui aussi est sans nouvelles depuis la même date, 27 mai. Il a envoyé des colis. Une ou deux lettres sont restées sans réponse. Il a écrit au capitaine et au sergent-major et attend !! C’est angoissant et j’ai peur d’une fatale nouvelle. Maurice Caron m’écrit. Il part en renfort, vraisemblablement à la boucherie de Verdun. Cela ne finira pas. Toute notre jeunesse y passera.
19 juin - Le silence d’André se prolonge et j’ai perdu tout espoir de recevoir une lettre de lui. S’il était blessé ou dans un hôpital, il aurait pu me faire écrire. Restent deux hypothèses : il est prisonnier ou tué. S’il est tué, je le saurai prochainement par la voie officielle ; s’il est disparu ou prisonnier, je ne saurai rien de longtemps car il ne pourra pas écrire avant un mois. Que faire ? J’ai une peur terrible d’être obligé d’apporter une nouvelle fatale à sa famille et à la mienne. S’il est prisonnier, il est probable que les siens le sauront avant moi. Et je me demande si ce n’est pas ce qui pourrait lui arriver de mieux dans les circonstances présentes.

Samedi soir, j’ai trouvé Lucien Démaretz avec son père au restaurant. Il a une permission de six jours qu’il va passer à Maisons-Laffitte. Maurice Caron a pu le voir quelques fois à la Ferté-Milon.

On persiste à annoncer l’offensive et rien ne permet, à ma connaissance, de la croire imminente. D’ailleurs, l’A.L.G.P. n’est pas prête : onze groupes (quarante quatre canons) de 32 sont seulement en formation, les tirs d’essai ne sont pas faits et je n’oserai pas dire que le matériel est au point. Il se peut toutefois que ce matériel ne soit appelé qu’à remplacer celui qui est en usage. D’ailleurs, que pèsent l’anxiété et l’impatience du public à côté des préparatifs d’une opération d’aussi vaste envergure. Mais, à côté de ces questions sentimentales, il y a d’autres raisons politiques qui assurent l’opportunité de l’offensive. Récolte des régions envahies, secours à l’offensive russe et occupation de l’ennemi sur tous les fronts pour faire une saignée énorme simultanément. Les journaux y ajoutent une autre raison aujourd’hui. A Lille-Roubaix-Tourcoing, on emmène tous les gens valides à des travaux quelconques, cultures probablement, dans des régions et pour des destinations inconnues. Tiendrait-on en France à la dépopulation de nos régions après avoir constaté la ruine totale ?

Soir. Un officier, pendant que j’étais dans le bureau du capitaine, rapporte que l’offensive anglaise serait commencée. On le saurait par un radio allemand … Attendons.


21 juin - Mercredi - Rien d’André. Qu’est devenu le pauvre enfant ? Je ne puis plus espérer. Il est prisonnier ou tué. Quand serai-je fixé sur son sort ? Je ne me charge pas d’annoncer une nouvelle fatale à sa famille, non !
Au bureau, nous n’avons rien à faire et je crois bien qu’il y a de sérieux changements en perspective. On commence à nous utiliser comme convoyeur de confiance, l’un a été à Quiberon, deux autres au Hâvre.

Il est question de me nommer au bureau du lieutenant-colonel, quelque chose comme chef de bureau - ? - car il faut un sous-officier pour remplacer Clément qui, fatigué, a demandé à partir au front dans un groupe de 32 avec le capitaine Charet. Cela ne serait pas déplaisant si l’on n’était pas si tenu. Je tâcherais de conserver mon emploi à Montaigne si cela se prolongeait au-delà des vacances qui, vues de maintenant, me paraissent si longues.

Démaretz m’a écrit pour me demander de me renseigner sur une prétendue marraine de Lucien dont je ne connais même pas le nom. Je n’ai d’ailleurs aucun moyen d’investigation. Louison R. Jean de Beauvoir ??

J’avais raison de me méfier de l’annonce d’une offensive anglaise. Les communiqués sont quelconques et le front anglais ne paraît pas témoigner d’une activité plus grande. Et cependant, tout paraît indiquer que c’est imminent. J’y croirai quand ce sera fait.


22 juin - Une nouvelle saison commence aujourd’hui. Elle n’apportera pas grand chose. Les russes évaluent leur butin, ils ont la Bukovine presque entière. Les anglais attendent leur heure et nous faisons tuer du monde.

Au bureau, rien à faire. Deux collègues, Sayon et Fournier, sont au Hâvre, le lieutenant va partir à Quiberon. On ne parle plus de me mettre au bureau du colonel. Il est probable que si l’équipe est dissoute, on nous versera dans le groupe de 32 en formation. Quelques uns n’existent encore que sur le papier et sont encore à l’usinage au Creusot.

Evelina m’écrit ce matin pour me demander des nouvelles d’André. Hélas !!. Léonard m’écrit qu’il est à Triet, il paraît content.
24 juin - Je suis au Hâvre depuis hier. Jeudi soir, le lieutenant me dit à six heures : "Vous partirez au Hâvre demain à sept heures et demi". On m’a remis un petit paquet de crushers (?) avec l’ordre de me mettre à la disposition du Capitaine-Lieutenant de Varman-Héritier avec l’autorisation d’assister au tir d’essai du canon de 32. J’ai bâclé vivement un sac et je suis parti par Argenteuil, Mantes, Vernon ; avant d’arriver à Sotteville, je vois un chantier de prisonniers travaillant pour la Compagnie de l'État. Je suis arrivé au Havre à onze heures.

L’après-midi, nous allons voir la pièce monstrueuse de 32, sur son affût (cent soixante neuf tonnes : poids du tube, quarante huit tonnes, poids affût et pièce, cent soixante neuf tonnes). Elle est haguée (?) sur un épi de tir parallèle au canal de Tancarville. On tirera sur les prairies dans la baie. Le sous-lieutenant me donne des instructions pour l’observation.

Nous prenons nos repas dans un mess de sous-officiers du Premier Régiment d’artillerie à pied. Inoccupés, nous visitons, Fournier (?) et moi, le port où travaillent de nombreux prisonniers sous la surveillance de vieux territoriaux. Le soir, en me promenant sur la digue, je rencontre Vandacle qui promène son chien. Nous faisons ensemble le tour de nos connaissances communes.

Le samedi, on décide, après l’arrivée des obus, que le tir aura lieu le dimanche matin. Mais à neuf heures du soir, tout est décommandé parce que le capitaine est rappelé d’urgence au front. Certains y voient un indice de l’offensive.

L’après-midi, je vais me promener à Saint-Avène (?), campement belge, siège du gouvernement. La ville est remplie d’anglais et de belges. J’ai admiré sans réserves des batteries merveilleusement équipées.
Dimanche matin, 25 juin - Nous allons avec un lieutenant reconnaître le champ de tir à vingt kilomètres par la route qui longe l’ancienne falaise de la baie de Seine, le long du canal de Tancarville, à l’endroit où il débouche dans la Seine. Promenade en auto à grande vitesse. Le soir, après une flânerie prolongée à Saint-Avène, je décide de rentrer à Paris. Le tir est renvoyé à je ne sais quand.

J’assiste à des reconnaissances en dirigeables et hydravions sur la rade. Vu entre autres choses les navires coulés dont on aperçoit les mâts. L’un a été ramené dans la jetée et n’a pu aller plus loin.

La ville a un air anglais. Très grand nombre de soldats qui circulent. J’admire des compagnies de cyclistes, des régiments qui défilent dans un tohu-bohu de curieux, de belges, d’ouvriers en débardeurs.

On entend le canon du front. Est-ce l’offensive ? Toujours cette pensée obsédante. Et là-bas, que deviennent-ils pendant que j’ai ici toutes les apparences du bien être et de l’agrément ?

Je suis rentré à Paris par le train rapide de cinq heures vingt-trois (arrivée à neuf heures à Saint-Lazare).
28 juin - J’ai fait classe à Montaigne lundi. L’après-midi, je retourne au bureau où l’on me prévient que je dois repartir le soir même au Hâvre, le tir ayant lieu le lendemain. J’ai trouvé une lettre de Maurice Caron. Il est a Verdun lui aussi et croit qu’il est prêt d’André. J’ai repris le train à cinq heures six, et me voilà reparti au Hâvre où j’arrive à neuf heures. Je soupe rapidement et me couche à l’hôtel Terminus. Je suis très enrhumé et malade. Après une nuit très mauvaise, je me lève à quatre heures pour partir au champ de tir comme observateur. Temps exécrable ; on installe le téléphone sur la ligne et nous nous plaçons à cinq cent mètres les uns des autres. Je suis au poste court et, pendant le premier tir, je n’ai pas grand chose à voir. C’est bien curieux. Malheureusement, il pleut et je peux m’installer dans une cabane de berger. Les obus tombent au milieu des vaches. On est prévenu par téléphone du départ du coup et quarante huit secondes plus tard, on entend un sifflement comme un coup de tonnerre et immédiatement on voit en un point de la prairie une gerbe de poussière et de terre soulevée. Il s’agit de situer le point dans sa mémoire pour le retrouver plus tard. Les six premiers coups sont tirés à seize mille deux cent mètres, les six derniers à quinze mille deux cent dans un espace de quarante ares environ. C’est remarquable de précision. A la fin du tir on va dans la prairie relever les points de chute dans un terrain piqueté jadis par le cadastre ; promenade très fatigante qui dure jusqu’à trois heures et demi, puis on repart en camion. Je suis fourbu, néanmoins je prends le train de cinq heures vingt-trois et rentre à Paris le soir même, fatigué, malade et inquiet.
De la guerre. Je crois que les anglais ont commencé leur grande canonnade. Briand est allé sur le front anglais probablement pour dire sur quels points on pourrait tirer. Pauvre région du Nord. Que nous restera-t-il ? J’ai peu de confiance, on parle de pression lente et continue, offensive économique à laquelle les allemands répondent sans se gêner.

Naturellement, les bruits les plus invraisemblables circulent. Trois ou quatre fois, on m’a dit que Lille-Roubaix-Tourcoing était repris, qu’on s’y battait dans les rues, que Lons était en flammes. Je ne puis rien croire de ces calembredaines.


30 juin - Je ne suis pas allé au bureau hier ; malade, grippé, je suis incapable d’un effort et ai passé la journée sur mon lit. Ce matin, je trouve une lettre d’Alfred Lantoine. Il a reçu une réponse du cent cinquantième corps concernant André. Il est présumé prisonnier à partir du 29 mai. C’est bien ce que je pensais en ne recevant pas de lettres de son lieutenant. Pourvu qu’il soit réellement prisonnier. En arrivant au bureau, je rends compte de mon absence et vais voir le médecin qui me diagnostique une insuffisance aortique et m’interdit une foule de choses : marche rapide, port de sac, fardeaux, gros livres, escaliers. Il m’engage à voir le médecin du corps et à me faire verser dans l’auxiliaire ou réformer, ce qui lui paraît inévitable si je n’ai pas affaire à un homme prévenu ou buté.

Je vais ce soir à La Varenne et me ferai porter pour la visite du lendemain. De l’offensive anglaise, je ne dégage rien. Il semble que nos alliés veulent procéder méthodiquement et reconnaître l’état des tranchées et les défenses avant de lancer l’infanterie.


4 juillet - J’ai enfin reçu une lettre de Mouvaux le 2 juillet. Elle est du 29 mai. Tous sont vivants et bien portants. Amante est maigre. J’ai des nouvelles de chacun, inutile de les répéter ici. J’ai écris immédiatement une longue lettre par la même voie, Spareboon (?) à Rotterdam. Maurice Passaye, que j’ai fait prévenir, vient me voir. Je lui donne des nouvelles de sa mère.

L’offensive anglo-française est commencée depuis quelques jours. Elle se dessine du côté de Péronne. Aujourd’hui, on nous dit que nous aurions fait huit mille prisonniers valides. Il faut attendre pour évaluer la portée de ces opérations qui prennent bonne tournure mais qui n’intéressent qu’une faible partie du front. Il est probable que l’on va recommencer la danse du côte d’Ypres où nous aurions des forces imposantes.

Le médecin de La Varenne propose de me mettre en observation dans un hôpital à Bégin (Vincennes). Je lui demande de surseoir une quinzaine de jours pour que j’ai le temps de finir mes cours à Montaigne. Son diagnostic est moins affirmatif que celui du major Hirschasser de Paris.
J’ai de nouvelles difficultés. Un urticaire fréquent, dû certainement à des troubles de l’estomac, et je passe des nuits déplorables.

Dimanche, je suis allé avec Démaretz à Bourg-la-Reine et Robinson pendant l’après-midi. Le soir, retour à la gare du Nord où l’on sent une certaine effervescence résultant de l’offensive qui s’annonce, comme toujours, très favorablement.


5 juillet - Mercredi - Je fais ma dernière classe aux élèves de Quatrième B, car les prix seront donnés le 12. Je vais ensuite à Clichy lire la lettre d’Amante à ma tante Marie. Elle me dit qu’Albert a écrit et envoyé ma photo à Mouvaux. Je suis toujours fatigué et il ne faut pas compter me reposer avant d’entrer à l’hôpital.

Reçu une carte de Rémy. Je vais lui écrire les nouvelles reçues.

Rien d’André. S'il est en Allemagne, il a déjà pu écrire plusieurs fois et je ne reçois rien. Albert Machuet à écrit à Mouvaux. Il a dit qu’il enverrait ma carte photo. Je m’explique la phrase d’Amante qui dit qu’elle l’attend.
7 juillet - J’écris à Colson, à Madame Taisne et à Madame Seydoux pour leur annoncer les nouvelles que j’ai reçues de Mouvaux. Le mouvement offensif du côté de Péronne se tasse ; on organise les positions conquises et on se défend contre les réactions de l’ennemi. L’action va-t-elle reprendre sur un autre point du front ? C’est pourtant le seul moyen d’obtenir quelque chose, car si l’ennemi peut se ressaisir chaque fois, s’il peut faire jouer ses réserves en temps opportun on n’en finira jamais ; et mesurer l’importance de la victoire par les quelques kilomètres conquis sur un point exposé à voir la guerre durer cent ans, ceci dit sans diminuer le mérite des soldats. Il faut des opérations de grande envergure répétées. Sommes-nous en mesure de les entreprendre ? Toute la question est là.

Démaretz, qui vient me voir de temps en temps au lycée, le soir, depuis qu’il habite Paris, nous voit déjà à Péronne avant la fin de la semaine. Un succès local modifie son état d’esprit et lui fait perdre de vue le reste du front.


9 juillet - Vendredi soir, je suis allé à La Varenne chercher une paire de chaussures que j’avais en réparation. Hier, passé la soirée avec Démaretz et Louis Baudouin au petit casino où l’on voit en plus mal, d’une façon très incommode, le spectacle idiot du caf’conc. L’optimisme règne partout, tous les gens du Nord espèrent et croient à la reprise prochaine de nos régions. Je voudrais partager le sentiment général, mais on n’a pas encore tué assez de boches pour cela. Le resserrement du front ne s’impose pas malgré les succès russes.

Sandras m’écrit aujourd’hui une lettre gentille ; naturellement, il blâme mon pessimisme. Il me donne des nouvelles de Vilain qui serait resté à Crèvecœur avec toute sa famille. Le père Nizol serait mort. Il y a deux ans, à pareil jour, j’assistais à la distribution des prix au lycée de Lille. Deux ans.

Que d’événements, et que de chagrins, de deuils, de malheurs depuis et rien ne permet d’en entrevoir la fin.

Ma journée n’a pas été gaie. Démaretz devait venir me prendre au lycée à une heure. J’avais demandé l’après-midi et, ne sachant que faire, je vais visiter l’exposition de la Cité reconstituée aux Tuileries. C’est une exposition de maisons à bon marché, mais dont les prix feront fuir tous les réfugiés et sinistrés indistinctement. Les parisiens, qui ont l’extase facile, admirent et envient les habitants futurs de ces maisons de poupées. Le jardin des Tuileries est noir de monde. Il y a concert avec chant Hérodiade (?), mais il faut payer pour bien entendre. Je fuis vers la gare du Nord où je ne vois personne. Je reviens au lycée et je finis mon dimanche dans ma chambre.

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