Un chat comme chat

tarix	24.06.2016
ölçüsü	33 Kb.

UN CHAT COMME CHAT

De Piotr WILKON, illustré par Josef WILKON

Traduit et adapté de l’allemand par Ophélie CHAVAROCHE

Actes Sud Junior, Les Albums Tendresse, 2005

Très loin d’ici, en haut de la Colline Noire, une belle maison abritait une famille de chats ; une famille aristocratique : dans chaque pièce étaient accrochés des portraits des parents, des grands-parents, des arrière-grands-parents, et même des arrière-arrière-grands-parents de Monsieur Casimir et de Madame Caroline. La lignée était réputée pour la couleur de sa fourrure qui brillait au soleil comme des morceaux de charbon bien luisants. Monsieur Casimir en était très fier.

Depuis longtemps, Monsieur Casimir et Madame Caroline rêvaient d’avoir des petits.

Un jour, Madame Caroline donna naissance à quatre petits chats dont la fourrure était d’un beau noir de charbon comme celle de leurs parents.

C’est le plus beau jour de ma vie ! s’écria Monsieur Casimir.
Je n’en suis pas si sûre…murmura Madame Caroline, tu n’as pas vu le cinquième…

Monsieur Casimir, très étonné, aperçut alors un petit chat qui ressemblait tout à fait à ses frères et sœurs…, sauf que sa fourrure était complètement rousse !

C’est incroyable ! bégaya Monsieur Casimir en regardant le cinquième petit chat. Quelle honte ! Un chat roux dans la famille ! Que vont dire les voisins ?

Monsieur Casimir eut beau se lamenter et se plaindre pendant des heures, cela ne change rien.

En plus d’avoir une fourrure différente de celle de ses frères et sœurs, Rousseline n’en faisait qu’à sa tête, ce qui agaçait beaucoup ses parents.
Chaque fois que la famille partait en promenade avec Maman Caroline, la petite Rousseline marchait toujours la dernière, à quelques pas derrière les autres. Les chats du voisinage regardaient passer cette drôle de famille en riant sous cape.

Vous avez vu cette petite chatte toute rousse ? chuchotaient-ils.

Et Rousseline s’obstinait à n’en faire qu’à sa tête : elle ne voulait pas boire de lait, seulement du thé. Elle ne faisait sa toilette que lorsque ses frères et sœurs s’étaient endormis. Et elle faisait encore la grasse matinée quand tous les autres avaient déjà fait leur toilette du matin. La première fois que ses parents voulurent lui apprendre à attraper les souris, Rousseline ne trouva pas cela intéressant du tout, elle joua et dansa avec les souris comme si elles étaient ses meilleures amies. Les chats du voisinage, indignés, refusèrent désormais de fréquenter la famille Casimir.

Tout devint très silencieux sur la Colline Noire.

Monsieur Casimir en fut si triste que de longs poils blancs strièrent sa fourrure noire, autrefois si belle et si brillante.

Un beau jour, Rousseline décida qu’elle ne voulait plus dormir dans le même panier que ses frères et sœurs. Elle alla s’installer dans la niche du chien Gribouille. On avait donné ce nom-là au vieil épagneul parce que son pelage était parsemé de taches de toutes les couleurs. Gribouille fut très content d’accueillir Rousseline, qui lui fit découvrir qu’il s’entendait très bien avec les chats. Ce fut la goutte d’eau qui fit déborder le vase. Se lier d’amitié avec un chien, personne n’avait jamais vu ça dans une famille de chats respectables.
Le lendemain, Madame Caroline dit à sa fille :

Tu nous as déshonorés ! Comment oses-tu être amie avec un chien ?
Maman, dit Rousseline, fiche-moi la paix, laisse-moi décider de ce que je veux faire de ma vie.
Je t’aime beaucoup ! s’écria madame Caroline. Ce que je te dis, c’est pour ton bien !
Je préfère partir, insista Rousseline.

Elle quitta la maison et, sur la Colline Noire, la vie redevint comme avant.

Les voisins, les amis revinrent rendre visite à la famille.

Monsieur Casimir ne se fit plus de poil blanc et teignit en noir ceux qui étaient apparus. Madame Caroline, elle, était triste de n’avoir que de rares nouvelles de sa fille.

Un jour, Oncle Cunibert leur révéla que Rousseline avait de mauvaises fréquentations : on l’avait vue avec des chats roux et même avec des chats tigrés.

C’est la faute de cet horrible chien avec qui elle habitait, se plaignit Madame Caroline.
J’ai toujours dit que l’on ne pourrait jamais en faire une chatte comme il faut, soupira Monsieur Casimir.

Cela faisait très longtemps maintenant que Rousseline avait quitté la Colline Noire. Ses frères et ses sœurs avaient grandi et fondé leur propre famille.

Un dimanche, Monsieur Casimir et Madame Caroline étaient assis devant la télévision avec leurs petits-enfants, tous du même noir charbon, quand Rousseline apparut sur l’écran.

Elle était la chanteuse d’un groupe de rock très célèbre.

Ses fans, des chats de toutes les couleurs, l’acclamaient avec joie.

C’est Rousseline ! s’écria Madame Caroline, heureuse et fière.
Je sens déjà me pousser des poils blancs ! gronda Monsieur Casimir.

Il regarda pourtant le concert jusqu’à la fin.
Quelques jours plus tard, alors que Monsieur Casimir était en train de dresser soigneusement l’arbre généalogique de la famille de la Colline Noire, il entendit soudain frapper à la porte.

Est-ce que je peux entrer ? demanda Rousseline. Je voudrais vous présenter mes enfants. Je n’ai pas pu venir plus tôt, avec l’enregistrement de mes disques, et puis tous les concerts….

D’adorables petites boules de poil rousses la suivaient. Et, caché derrière les autres, un petit chat noir avançait en trébuchant.

Celui-là, c’est mon portrait craché ! s’écria Monsieur Casimir, flatté.
Oui, dit Rousseline. Noir comme le charbon. Je l’ai appelé Casimir en ton honneur. Je me demande ce qu’il deviendra, car il ne fait jamais rien comme les autres…

Madame Caroline accepta ses nouveaux petits-enfants avec amour, et Monsieur Casimir ne se fit plus aucun poil blanc.

On dit qu’il consacre tout son temps à ses petits-enfants, car sa fille Rousseline est très souvent en tournée.

Au fait, on dit aussi que l’on n’a jamais vu autant de voisins et d’amis dans la maison de la Colline Noire.

Qui n’aurait envie de fréquenter la famille d’une chanteuse de rock si célèbre ?