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Vous venez de télécharger la première Partie des mémoires de guerre de Edmond tondelier


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3 novembre - Je suis allé faire classe au lycée Montaigne (Sixième B). On me donne mes élèves, quarante-six. Il y aura à faire. J’aurai trois heures par semaine, et comme j’ai du temps de reste, j’offre du dessin. Je me procure une table de logarithme - il y en a deux à la maison - et, après avoir déjeuné au lycée, je rentre à La Varenne à une heure. Je trouve une lettre de Sandras. Lettre charmante que je conserverai. L’après-midi se passe à calculer. Et là-bas, comment s’est-elle passée ? Je songe aux mercredi et samedi soir, quand j’avais la perspective du lendemain à passer auprès d’Amante. Pourvu qu’elle ait la force de vaincre son chagrin. Tout est là. J’espère qu’au moment du danger, il trouveront un abri à Roubaix. Je passe par des alternatives d’espoir et de découragement. Il semble parfois, après examen des faits, que la guerre ne peut se prolonger, puis, le lendemain, les illusions tombent devant une dépêche ou un examen plus sain des réalités.
5 novembre - Démaretz m’écrit qu’il a reçu une lettre de personnes habitant Chaville. Sa femme serait en bonne santé et, dans l’ensemble, la situation serait assez rassurante. On n’aurait pas de nouvelles de nous depuis le 7 juillet. Ce soir, je retourne à Paris pour une classe à faire de deux heures et demi à trois heures et demi. J’irai voir ma tante Marie qui me répare mes chaussettes. Je dois, en outre, acheter du linge car le mien est en mauvais état et s’use. Mon collègue Auzemberger vient de me communiquer un document officiel qui a été lu aux troupes il y a quelques mois. Tableau des pertes, au 30 mai 1915 (non compris celles de la bataille d’Arras, ni celles de Galicie, les pertes italiennes, serbes, monténégrines et japonaises).

Alliés



Nation

Tués

Blessés

Disparus

Total
















France

460 000

660 000

180 000

1 300 000

Angleterre

184 000

200 000

90 000

474 000

Belgique

49 000

49 000

150 000

248 000

Russie

1 250 000

1 680 000

850 000

3 780 000



















1 943 000

2 589 000

1 270 000

5 802 000



















Ennemis










Allemagne

1 630 000

1 580 000

490 000

3 700 000

Autriche

1 610 000

1 865 000

910 000

4 385 000

Turquie

40 000

144 000

95 000

279 000



















3 280 000

3 589 000

1 495 000

8 364 000
















Total

5 223 000

6 178 000

2 765 000

14 166 000



9 novembre - J’ai passé mon dimanche comme de coutume avec Démaretz. A la gare du Nord, j’ai revu quelques évacués connus, dont Achille Pachy, qui a reçu des nouvelles de chez lui ; Lemaire, contrôleur au Mongy, également. Tous en reçoivent, sauf moi. Vu aussi Marotin, dont la femme et les enfants sont venus le rejoindre de Bruxelles. Je n’ai pas de chance. Si seulement je savais qu’il vont bien et sont toujours sains et saufs. C’est à désespérer. D’autre part, pour faire classe le lendemain à Montaigne à huit heures et demi, j’ai dû coucher à Paris, rue Myrha, et suis rentré à La Varenne à une heure, après avoir déjeuné au lycée.

Aujourd’hui, Auzemberger a été appelé à Paris à la section technique. Il vient de rentrer avec un travail considérable pour la préparation duquel le capitaine Gérardville veut que nous allions passer huit jours auprès de lui. Dès demain matin, nous partirons. Comment allons-nous vivre là-bas ? Rentrerons-nous chaque jour à La Varenne ? Problème qui va me faire dépenser plus d’argent qu’il ne faudrait.

Enfin autre chose à noter. J’ai quitté le Café de Paris où j’avais ma chambre. Nous avons pris des chambres dans une villa tranquille de la paisible rue Lecerf, non loin de la Marne. Chambres très avantageuses et bien meublées. C’est le douzième lit que je vais essayer, je ne compte pas les lits de camps, canapés de gare, paillasses à terre, occupés pendant mes gardes, à Nogent ou ailleurs, ni les lits d’hôtel ni la brouette de la gare de Calais maritime. Et ce n’est pas tout.

Le détachement auquel j’étais affecté est parti aujourd’hui à Wissous près de Palaiseau ; le collègue Bricourt, de Bevillers, est parti. Ne nous attachons à personne. Qui sait de quoi sera fait demain, qui sait, dans les circonstances actuelles, où on va ? Les journaux sont insipides et me dégoûtent. Je n’y peux rien trouver de ce que j’attends ou espère.


11 novembre - Depuis trois jours, nous travaillons à la section technique de l’Artillerie, place Saint-Thomas-d’Aquin. C’est un ancien couvent ou séminaire qui a depuis longtemps été mis à la disposition de l’Artillerie. Les nombreuses cellules ont été transformées en bureaux d’officiers de toute sorte, relevant du service de l’Artillerie, et là s’élaborent les plans des nouveaux projectiles de nouveaux canons, etc. C’est dans une de ces cellules que le capitaine Gérardville nous a réunis pour nous faire vérifier une série interminable de calcul de balistique. La théorie est un peu obscure mais, quand on a le courant de ces formules trigonométriques où entrent des facteurs de calcul intégral et différentiel, on en sort et je calcule comme un autre avec ma table de logarithmes. Nous devons rester une huitaine de jour, après quoi, quand nous aurons le courant nous reviendrons à La Varenne.
Nous partons ce matin à sept heures et demi et déjeunons à Paris. Ce sont des frais auxquels s’ajoutent les déplacements. Nous seront-ils remboursés ?

Hier soir, en rentrant, Auzemberger et moi avons pris le thé dans ma chambre. Son père alsacien a opté en 71 et sa famille était restée en Alsace. Actuellement, mon collègue a des cousins germains dans l’armée allemande ! L’un d’eux est même prisonnier en France dans l’Allier. Sa qualité d’Alsacien l’a fait interner dans un camp spécial. Quelles situations étranges on eût trouver dans cette guerre.

Nous déjeunons au Saulnier, rue Montmartre. Ce fut mon restaurant l’an dernier pendant quelques mois. On m’aurait cassé bras et jambes si on m’avait dit alors qu’un an après, j’y reviendrais sans en savoir davantage sur l’issue de la guerre et les privations que je ressentirais encore après un laps de temps aussi prolongé. André m’a écrit quelques lignes. Il va bien mais, vraiment, il ne sait pas raconter la moindre chose des événements auxquels il est mêlé. Reçu également une lettre de Guérin, l’ingénieur que j’ai connu à Ozoir et Pontault. Il est maintenant aide-contrôleur des forges (?) à Fumel, Lot-et-Garonne.
15 novembre - Après une série de calculs à la section technique de l’Artillerie, je passe la soirée du samedi à Paris où je vais dîner chez des amis de Démaretz, Madame Boulangeot. Démaretz trouve chez lui, boulevard de Grenelle, une carte de Mademoiselle Lagillière qui lui donne des nouvelles des siens. Il a reçu des nouvelles par Monsieur Larivière, celles-ci plus récentes. Pour moi, pas un mot …

Le dimanche se passe comme de coutume. Il pleut. Je ne sais que faire de onze heures et demi à trois heures et demi car Démaretz est allé dîné avec Lucien chez Goisne (?). A la gare du Nord, où nous arrivons assez tard, je ne vois que de vagues connaissances.


Le soir, je passe mon temps au cinéma ! Quelle existence ! Quand tant de réfugiés semblent s’adapter à leur genre d’existence. Aujourd’hui, au lycée, on me colle une nouvelle classe (Cinquième B).

Je rentre à La Varenne où j’apprends de nouveaux départs à Wissous.


17 novembre - Depuis quelques jours, je n’étais pas bien. Pourtant hier, j’ai dû revenir à Paris à une heure et demi avec la fièvre et une grippe intestinale qui se traduit par une diarrhée très vive et des troubles de l’estomac. Cela doit tenir à l’alimentation infernale et à tous les déplacements qui la causent. La nuit, je suis fiévreux et je dors très mal. Je pense à la classe du lendemain et les inquiétudes générales ne suffisent pas à me troubler ! Aussi, aujourd’hui, je reste à La Varenne et je me mets à la diète et je prends un purgatif léger. D’ailleurs, c’est le dernier jour de travail à la section technique. Nous allons nous réinstaller à La Varenne.

Une journée comme celle-ci me montre tout ce que j’ai perdu. Malade chez des étrangers, il nous faut payer pour tout, feu, thé, tisane, lait, pain, etc, etc.


Et quels soins ! Néanmoins, je préfère cela à l’infirmerie et à un cortège d’ennuis. J’ai télégraphié au proviseur de Montaigne, car j’avais classe ce matin.

Reçu hier une lettre de Barker. Ronald est toujours dans un camp d’instruction pour officiers, et il est engagé depuis plus d’un an.

Les journaux sont toujours absurdes et n’apprennent rien. Quelle vie sans issue ! Je ne sais plus que faire. Dimanche, on me disait qu’il était arrivé un certain nombre de lettres par Tordent (?). Moi, je n’ai rien. L’adjudant Pollet a-t-il maintenant reçu ma lettre ? A-t-il écrit pour avoir des nouvelles à Mouvaux ? Je vais écrire à Madame Duestberg Largillière pour lui demander si elle en sait un peu plus que ce qu’elle a dit, sur les miens en particulier, dont elle n’a pas dit un mot.
18 novembre - La nuit a été meilleure, bien que toujours agitée. Je me lève avec un peu de fièvre et je passe la journée dans ma chambre. J’ai pu manger un peu de bouillon et un œuf. Malgré tout, je grille d’impatience et voudrais aller à Paris. Peut-être y a-t-il quelque chose pour moi au lycée Montaigne et ma stupide indisposition m’empêche de l’avoir immédiatement.
Les journaux sont pessimistes et laissent entrevoir l’écrasement de la Serbie et du corps expéditionnaire que nous avons là-bas. Pour la première fois, quatre ministres anglais viennent délibérer à Paris dans une sorte de grand conseil de guerre.

Sur le front, rien ! Des coups de mines (?). Je vais écrire à André pour l’engager à venir passer sa permission ici. S’il peut en avoir une, il me sera toujours facile de lui accorder du temps et de le promener. En outre, il pourra aller voir son oncle.


19 novembre - Huit heures et demi - Je suis presque guéri et j’ai passé la journée à notre bureau avec les collègues. J’ai pris mes deux repas à notre popote et je ne sens presque plus rien. Pas de toux. Je pourrai aller à Paris demain. Nous allons au bureau pour tâcher de faire changer nos vêtements qui sont un peu mûrs. Ce sera pour demain. En rentrant à mon ancien hôtel pour prendre un paquet de linge, j’assiste à une petite manifestation de clients qui a pour résultat de me rappeler à nouveau ma situation. Ces gens souhaitent la Saint-Edmond à un camarade. Hélas, moi aussi, autrefois ……… Aujourd’hui, on pense à Saint-Edmond là-bas et on se désole.
J’ai essayé d’écrire par une adresse nouvelle qu’on m’a donnée, Dyselink à Ternerzen, sans grand espoir, néanmoins. Je promets dix francs si je reçois la réponse.
22 novembre - Lundi - Je suis rentré de Paris à une heure et demi. J’ai fait ma classe au lycée après un dimanche passé comme tous les autres, sans incident notable. Je n’ai rien appris. Si, encore une déception. Samedi, j’étais allé à Montaigne voir s’il n’y avait pas de correspondance pour moi et j’ai trouvé une carte de Quartier La Tente m’informant que ses tentatives pour m’avoir des nouvelles avaient échoué. Il a protesté auprès de l’ambassadeur, mais en pure perte. Je suis fixé, il n’y a plus rien à faire. Envoyé dix francs à Rémy.
22 novembre, c’était jadis la foire Sainte-Catherine au Cateau. C’est Sainte-Cécile. Je ne puis souhaiter la fête à Suzanne mais par les pensées, je lui envoie mon souhait en regardant sa photo. Pauvre enfant ! Pauvre femme ! Pauvres parents !! Que devenez-vous ?
23 novembre - Reçu une carte d’André. Il pense à la permission, son tour approche. J’espère que bientôt il pourra venir passer quelques jours avec moi. Il me dit qu’il se porte bien malgré le froid et qu’il grossit.

J’ai passé aujourd’hui la journée à chiffrer. Demain matin, classe à Paris.

De la guerre, rien. Communiqués nuls ou bien, rien à signaler. Une lueur d’espoir en Orient. Paroles réconfortantes de Kitchew (?), mais à quoi bon se leurrer quand l’issue est si éloignée. Je perds l’espoir de revoir les miens et mon foyer, et je ne me pardonnerai jamais d’avoir quitté Lille sans les avoir emmenés tous, quand tant d’autres l’ont fait sans risques ni reproches. J’entends ici bien des conversations sur le front et la guerre. Aucun de tous mes camarades n’est dans une situation analogue à la mienne, le seul qui était de Cambrai est parti à Wissous. Ces gens ne peuvent ni me comprendre ni compatir.
24 novembre - Je suis allé faire classe au lycée. On me donne une nouvelle classe, Quatrième B, dessin. Je rentre à une heure pour recommencer à chiffrer. Rien à noter sur ma journée, comme sur les événements d’ailleurs. Calme plat. Barker me disait dans sa dernière lettre : These terrible times are certainly teaching us the lesson of patience and calmness and of still greater fortitude until the final victory. Hélas, oui ! mais c’est dur, et que sera la victoire pour moi ?
29 novembre - Lundi - J’ai laissé passer quatre jours sans venir consigner mes notes, et cependant j’en ai quelques unes.

Vendredi, en allant au lycée, je fais route dans le Luxembourg avec un de mes élèves qui a de la famille à Lille. Sa mère venait de recevoir une lettre par la voie Tordeur (?). Les renseignements qu’elle me donne sont, sinon rassurants - car rien ne peut me rassurer - du moins pas plus inquiétants. Le charbon ne serait pas augmenté, les pommes de terre bon marché mais la ration de pain n’est pas forte, deux cents grammes. En entrant au lycée, on me remet une carte de Monsieur Pollet, l’adjudant à qui j’ai écrit. Il va essayer d’avoir des nouvelles. Puisse-t-il réussir !

Le samedi, je vais à Paris et le dimanche, je vais voir Boucher pour retirer mes valeurs afin de souscrire à l’emprunt. Sur le conseil de Boucher, j’essaie d’aller au Trocadéro où l’on va organiser une manifestation en l’honneur (?) de Miss Cavell. Il n’y a plus de place. J’entrevois Buisson, Painlevé le Président, les gros de la Ligue des Droits de l’Homme.

Reçu une lettre de Rémy qui m’envoie l’adresse de sa femme.

Du dimanche à Paris et de la gare du Nord, rien à signaler.
30 novembre - Suzanne a aujourd’hui vingt ans. Encore une fête de famille que je passe dans le chagrin. André m’a écrit. Il pense avoir sa permission prochainement. Je lui écris pour lui dire que je l’attends.
1er décembre - Je souscris à l’emprunt en transformant mes bons du Trésor, et je verse cent cinquante francs d’or, contre lesquels on me délivre trois vignettes au nom des enfants.

J’espérais avoir quelque chose au lycée, lettre ou carte, mais rien, rien. Je désespère.

Les opérations militaires sont nulles. Nous en avons comme cela pour trois mois au moins. J’en viens à me demander si, dans un an, la situation ne sera pas identique à ce jour. Et je m’engourdis de plus en plus.
2 décembre - Je reçois deux lettres. L’une, de la femme de Rémy qui sera demain à Paris pour me voir, l’autre, de Démaretz, qui a reçu des nouvelles de Madame Duestberg Largillière. Elle lui dit quelques nouvelles de Mouvaux. Tout irait bien ! Papa et maman étaient en bonne santé à son départ, à fin avril. Oui, mais maintenant ?
9 décembre - Depuis huit jours, je n’ai eu guère de temps pour mon journal. Il y a eu des événements multiples et variés et, de plus, mes soirées ont été toutes très remplies au point que je me couchais très tard.

Le 9 décembre, j’ai vu la femme de Rémy qui m’attendait au rendez-vous que je lui avais donné. C’est une femme assez accorte, avenante. Avec elle, je vais au Bon Marché voir une de ses cousines chez qui elle est à Ablon. Je l’emmène ensuite dîner au restaurant et la quitte à sept heures à la Bastille et je rentre.


Le lendemain, je retourne à Paris en permission, puis lundi je dîne au restaurant à La Varenne avec quelques amis. André m’annonce son arrivée pour mardi soir. Il est à Freinville chez son oncle. Je l’attends avec impatience. Il arrive et nous lui faisons fête comme nous pouvons. Le mercredi, je l’emmène à Paris, il se promène pendant ma classe et, à dix heures et demi, je vais déjeuner au restaurant. Je lui donne une paire de guêtre et lui achète différentes choses. Puis, nous allons voir ma tante Marie et le soir, nous rentrons à La Varenne. Aujourd’hui, je le fais photographier. Il est bien portant, et me raconte sa vie de tranchée. C’est terrible. Il me quitte à deux heures et demi, triste et démonté. Je fais mon possible pour le réconforter, mais c’est pénible de le voir s’éloigner en se demandant si nous nous reverrons jamais. Sa permission expire demain et il va rentrer dans la fournaise. Depuis trois jours, on se bat furieusement dans son secteur de Saint-Souplet et je souhaite que, quand il arrivera, tout soit apaisé pour qu’il soit au repos.
10 décembre - Rien d’intéressant à noter. Je suis allé faire classe à Paris entre deux trains et je rentre en nage. Toujours pas de lettre à Montaigne, je me désole. Est-ce le voyage d’André qui me rend si triste ? Son départ si peu rassuré qui m’enlève tout ressort ? Le communiqué de ce soir dit que l’ennemi est refoulé dans le secteur de Saint-Souplet.

J’ai oublié de noter que Démaretz m’a communiqué dimanche dernier une lettre de Madame Duestberg Largillière. Elle lui dit que les miens étaient en bonne santé en août à son départ de Roubaix, il y a quatre mois de cela. Ce sont les derniers renseignements que j’aie de mes chers absents. Et dire que depuis, j’ai écrit cinq ou six fois.


14 décembre - Ma vie est de plus en plus remplie par le travail, et je ne saurais m’en plaindre car cela m’empêche de penser pendant le jour. Mais il reste les nuits, et elles sont longues …

Samedi, au moment de partir pour la permission, un coup de téléphone de la section technique nous a réclamé pour un travail inachevé. Nos sommes rentrés le soir et avons passé une grande partie de la nuit puis la matinée du dimanche à chiffrer. L’après-midi, je suis quand même allé à Paris car il y avait une réunion rue Cadet, où Detienne nous a donné des détails sur la vie dans le Nord. Il paraît que la conduite des femmes n’y est pas exemplaire. La vie est très chère. Detienne nous donne en outre des explications sur la politique et la guerre. C’est effroyable et désolant. Je ne puis écrire tout ce qu’il nous a dit sur le haut commandement, le ministère et l’administration militaire. Je sors de la réunion désespéré et abattu.

Au lycée Montaigne, pas de lettres ! Je vais donner quelques renseignements au Proviseur sur ma situation militaire pour l’administration.
A La Varenne, travail interne au bureau. On a heureusement Sayour pour se dérider.
15 décembre - J’ai remis aujourd’hui une note trimestrielle au lycée pour mes trois classes. Encore un petit fait qui me rattache à la vie universitaire.

Notre collègue Auzemberger est nommé sous-lieutenant depuis quelques jours. Je suis curieux de savoir s’il dira le mot utile pour nous à la section technique. Cela n’aurait d’importance que si nous devions partir au front. Or, je suis maintenant, à peu de choses près (quinze jours), dans les mêmes conditions que les hommes de la classe 87 au jour de la mobilisation.

Sur la guerre, rien qui annonce un prochain changement. Aujourd’hui, les journaux rapportent l’interpellation Symian (?) sur les malfaçons, la gabegie, les fautes de l’intendance. Je me demande où nous allons. Les malheurs de la guerre, la honte de l’invasion ne suffisaient pas. Si, à toutes ces causes de désespoir, ne s’ajoutaient pas mes angoisses intimes. On parle d’évacuer encore trois mille personnes du Nord. Si seulement les miens pouvaient venir !!!
16 décembre - On me rend les photos que j’avais fait faire quand André vint me voir. J’en envoie immédiatement. Celle de notre équipe est assez réussie.

J’écris à Sandras que j’irai le voir la semaine prochaine à Mont-Saint-Sulpice. Je n’ai plus de famille qui puisse me recevoir et, depuis un an que je suis soldat, je n’ai pas eu de permission dépassant trente-six heures. Plus j’interroge les événements et moins j’ai d’espoir car je doute de tout. Nous nous acheminons peu à peu vers le désastre irréparable. Je vois autour de moi une foule de gens qui s’adapte de toutes façons à ce genre de vie et moi, je reste triste à mourir aussitôt que l’isolement se produit. Malheur sur ceux qui ont déchaîné cette guerre ! Malheur sur ceux qui, la construisant si mal, sont pour une large part responsables de nos souffrances et de nos deuils !

Demain, je retournerai à Paris comme de coutume, en attendant je ne sais quel événement nouveau qui me démoralisera un peu plus.
20 décembre - Et les jours succèdent aux jours sans approche de changement. J’ai passé mon dimanche à Paris, partie avec Démaretz, partie soirée avec Sayour. Je suis allé à l’Eldorado entendre les inepties de Dranem et autres et je suis rentré plutôt écœuré. Le cinéma est moins bête que ce genre de spectacle par le temps présent. Une chose m’étonne toujours - et, de plus en plus, je constate qu’elle paraît toute naturelle à la masse - c’est la facilité avec laquelle les femmes jettent leur bonnet par dessus le moulin. J’ai vu des veuves en bonne fortune dont les maris sont victimes de la guerre, d’autres dont les maris sont au front et qui ne se refusent rien du plaisir. Je connais, entre autres, quatre sœurs. Deux sont veuves depuis la guerre, ayant perdus leurs maris au front, la troisième y a un mari, la quatrième est une jeune fille, vingt-trois ans. Et tout cela s’amuse, a des amants militaires du Neuvième d’Artillerie, découche ou reçoit à domicile. L’un de nous y couche quotidiennement, est chez lui en un mot. Et certes, il ne tiendrait qu’à moi d’avoir pareille bonne fortune.

Ce soir, nous entrons dans un café à quatre heures. Comme il est trop tôt pour s’y faire servir une consommation, nous allons dans une chambre réservée et trouvons là une femme mariée qui attend un petit jeune homme de dix-sept ans et demi, un boulanger. Elle nous le dit, accepte une cigarette et montre d’une façon non déguisée qu’elle prend celui-là à défaut d’un autre. Le grave journal Le Temps dans une chronique donnait hier la raison de cet état d’esprit qu’on remarque surtout dans les théâtres, et semblait le trouver tout naturel. C’est étrange.

J’ai vu hier Louis Baudouin. Il a reçu des nouvelles de sa femme par un prisonnier qui lui annonce que Maurice, qu’on croyait tué depuis le 8 mars, était lui-même prisonnier en Allemagne. Si cela pouvait être vrai.

Pour moi, toujours rien au lycée. Je verrai toutes les connaissances en possession de lettres et moi, je suis condamné à me passer de nouvelles, jusqu’au jour où j’apprendrai quelque malheur.

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