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Vous venez de télécharger la première Partie des mémoires de guerre de Edmond tondelier


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21 décembre - L’hiver astronomique commence demain. Encore une raison qui s’ajoute aux autres passées et aucun changement. On annonce une offensive boche entre la Bassée et Ypres. Le centre d’attaque est donc Lille. Quelles nouvelles horreurs sont condamnés à subir mes chers absents ? Occupation des classes à Mouvaux, logement de boches, etc. réquisitions, vols.

Aujourd’hui, je reçois une lettre de la femme de Rémy. Elle m’invite à l’aller voir à Ablon. Une carte de Christmas de Ronald. Il est à la citadelle de Douvres comme second lieutenant et il est soldat depuis quatorze mois. Il partira sans doute dans un an, comme capitaine !!



Je vois à tout ce qui m’entoure et tout ce que j’apprends que l’année prochaine ne verra pas la guerre se terminer. Pourrai-je vivre jusque là ? Je constate de visu l’influence que peut avoir un galon d’officier sur l’esprit d’un collègue et le changement que cela produit. Le fossé se creuse tout doucement. Différence d’attitude, plus de confidences, la camaraderie s’atténue, les poignées de mains sont molles et embarrassées. Tournier s’en aperçoit, de même que Sayour. C’est l’esprit militaire qui s’affirme.
27 décembre - Je rentre de Mont-Saint-Sulpice dans l’Yonne. J’ai pu obtenir une permission de quatre jours la veille de Noël et suis allé passer deux jours avec Sandras. Parti le 24, après une journée mouvementée, je suis allé me coucher près de la gare de Lyon où je devais prendre le train le 25 à sept heures et demi. Mon voyage s’est bien passé. En arrivant à Laroche, je m’informe et prends la route de Mont-Saint-Sulpice par Cheny et Ormoy, neuf kilomètres. Au sortir de Cheny, un homme m’offre une place dans sa voiture et je peux faire la route dans de meilleures conditions par la pluie et le vent. J’ai trouvé aisément Sandras, il est installé chez un bourrelier. Son caractère est resté le même, jovial et bon enfant. Il me raconte sa fuite en voiture devant l’ennemi. De sa maison, il ne reste plus que les murs. De tout le mobilier qu’il y avait (trois familles), il ne reste rien. Heureusement, ses valeurs ont été sauvées. Elles étaient dans un coffre-fort à Reims. Marcel est prisonnier en Allemagne, à Friedsiechfeld (?)? Nous évoquons le passé et parlons beaucoup de Vilain, de ma famille, des amis communs, de lui-même dont la marche, hélas, ne fait aucun progrès. Je passe près de lui deux journées paisibles dans ce village perdu où toute une colonie d’Ardennais entretiennent le culte du foyer perdu.
Je suis reparti aujourd’hui après le déjeuner par Brienon. En changeant à Laroche, j’ai pris un train express qui m’a amené à Paris à six heures et quart et je suis revenu coucher à La Varenne. Avec toutes mes pérégrinations, j’ai oublié de noter que j’avais reçu une lettre d’une demoiselle Tonilhet (?), évacuée de Lille le 13 décembre, et actuellement dans l’Ardèche. Elle me donne des nouvelles de Lille, de Faldony, chez qui tout irait bien, mais sa lettre est rédigée de telle façon que je vois qu’elle ne connaît pas Faldony. Je lui demande un supplément d’information pour Mouvaux.
30 décembre - J’ai passé la journée du 28 à Maisons-Laffitte et suis revenu hier déjeuner chez Madame Taisne à Neuilly. A quatre heures, j’étais à La Varenne. Reçu diverses lettres sans intérêt. Aujourd’hui, je reçois une lettre de Madame Garraud qui s’est fait rapatriée. Enfin, j’ai des nouvelles de tous, et des récentes. Tous bien portants. Suzanne reçu au B.S.2 en juillet. Edmond suit les cours d’électricité. Jehan prépare son examen de bourse.
Papa, maman, toujours valides. Amante a reçu cinq ou six lettres de moi. Elle me sait sans nouvelles et en souffre. Lettre très explicite que Madame Garraud m’offre de compléter. J’écris immédiatement pour demander des détails sur des points que je précise. Attendons. La lettre est venue par le lycée Montaigne.

Les événements militaires sont sans changement. On attend pour attaquer Salonique. Action en Alsace, sans importance. De mon voyage, après conversation avec Sandras, je dégage que la guerre sera très longue encore et que rien ne permet d’en fixer le terme à six mois près. De plus en plus consolant !! Quelle tristesse de passer cette fin d’année comme l’autre et d’entrevoir une semblable, l’an prochain, avec un peu plus de misère et de désespoir. Lucien Démaretz m’écrit, il est reçu aspirant et va partir à son corps.

Colson m’écrit que le recteur fait passer des examens avec le concours d’un recteur boche.

1916
2 janvier - J’ai passé ma soirée du 31 décembre à Paris avec Démaretz, Lucien et Louis. Soirée habituelle.
Restaurant et cinéma. Le 1er janvier, après une nuit passée rue Myrha à l’hôtel, je vais souhaiter la bonne année à Démaretz, à Madame Weill, au Proviseur de Montaigne et à ma tante Marie, chez qui je déjeune avec Louis. Hélas, c’est là toute ma famille actuellement et pour longtemps encore. Je parle longuement des nouvelles reçues, des absents mais à quoi bon geindre ? Je vais le soir à la gare du Nord, et j’y trouve Madame Vasseur. Elle a pu revenir avec ses enfants. Amante ne peut pas, probablement parce qu’Edmond est porté sur les listes allemandes.

J’ai passé ma journée du dimanche ici à me ronger. Nous attendons le coup de téléphone qui va nous appeler sous peu à Paris. Que devenir encore ? Si on nous installe à la section technique, place Saint-Thomas-d’Aquin avec le prêt franc, je tâcherai de me faire héberger à Montaigne. Cela m’évitera la vie d’hôtel et la gargote horrible à trente-cinq sous. Je me tourmente beaucoup pour toutes sortes de raisons, redoutant l’inconnu, comme si mes peines présentes ne suffisaient pas.

J’écris à Madame Seydoux pour lui donner des nouvelles de papa et maman et je lui offre mes souhaits de bonne année.
5 janvier - Encore un changement, et ce n’est pas le dernier. Hier, nous avions passé la journée au bureau avec la menace imminente d’un déplacement à Paris, section technique de l’A.L.V.F., quand, à six heures, le planton est venu nous prévenir qu’un coup de téléphone avait notifié la décision. Je suis parti comme d’habitude faire ma classe du mercredi et, pour changer un peu, je suis allé prendre le train à Champigny à six heures et demi, car j’étais en avance. Après le déjeuner, je suis allé place Saint-Thomas-d’Aquin, où nous sommes installés.

Que vais-je faire ? J’ai une bonne chambre à La Varenne, je paie dix sous de train aller et retour. A Paris, je n’aurai rien de comparable pour ce prix (vingt-cinq francs par mois). D’autre part, au lycée, on se refusera peut-être à me loger comme l’an dernier. L’envie de conserver ma chambre me tracasse et Paris me dégoûte. Rien ne m’attire plus là-bas et, ce soir, je reviens avec plaisir. Notre jeune collègue, moins favorisé, doit coucher dans une caserne, rue de Babylone. Tout cela est bien compliqué. Quant à la guerre, elle dure toujours sans changement ni fait notable. Les journaux n’ont que la prétendue maladie du kaiser à nous offrir avec la baisse du mark, avec lesquelles ils épiloguent, sans succès d’ailleurs.


8 janvier - Nous sommes à Paris, et cela ne me sourit guère car le travail ne cesse pas. On trouve toujours quelque chose en retard à nous donner. Jusqu’ici, je suis rentré à La Varenne pour me coucher, sauf hier où j’ai voulu voir jouer une revue jusqu’au bout !! Cela m’a obligé à coucher à Paris dans un hôtel près de la Bastille. Aujourd’hui, je rentre car Démaretz veut dîner chez des amis de son beau-frère et demain, il va à Bry-sur-Marne. J’ai tellement peu le désir d’être libre à Paris, que j’ai préféré revenir me coucher. J’ai trouvé ici une lettre très aimable de Madame Seydoux et une autre de Madame Taisne que j’avais tenue au courant des nouvelles reçues de Mouvaux.

J’ai beaucoup à écrire et mes déplacements m’en empêchent. A peine puis-je trouver le temps de reprendre mon journal pour y jeter quelques lignes de temps en temps. Et cependant l’envie ne m’en manque pas. J’ai laissé passé l’anniversaire de mon mariage tant j’étais triste. Voilà vingt-deux ans !! A pareille époque, j’étais dans l’ivresse. Qui aurait pensé qu’après vingt et un ans et vingt-deux ans, je subirais des tourments semblables à ceux que je souffre actuellement.


Et rien ne vient plus. Je ne sais pas s’il ne faudra pas attendre dix autres mois avant de recevoir d’autres nouvelles !! J’avais écrit à Madame Garraud pour lui demander des nouvelles supplémentaires, mais rien ne vient. Peut-être n’ose-t-elle pas me le dire.
12 janvier - Journée très remplie à cause du voyage à Paris qui prend chaque jour deux heures. Auzemberger émet la prétention de nous faire rester jusque six heures et demi, alors que notre meilleur train par à la même heure de la Bastille. Tant pis, on passera outre.

Reçu hier la visite de Louis Ball, venu en permission voir sa sœur. Je prends rendez-vous avec lui pour déjeuner et aujourd’hui il est venu me chercher à Montaigne. Nous déjeunons dans un Duval, grand luxe pour moi maintenant. Il a le mal du pays (homesick, plus exactement). A deux heures, il me quitte. Il repart demain. Hier, j’ai soupé dans une autre auberge de La Varenne où j’ai touché un piano. Vieux souvenir de la maison. Où êtes-vous ?

André m’écrit. Il est au repos et me demande de l’argent.

De la guerre, rien de saillant sur le front français. En voilà jusque Pâques ou la Trinité comme cela.


17 janvier - Mes journées sont extrêmement remplies maintenant car je rentre chaque soir à La Varenne tardivement, et je pars tôt à Paris, soit pour aller au lycée, soit pour le bureau de la place Saint-Thomas-d’Aquin. Et, ne pouvant écrire le soir, j’en suis réduit à emporter mon carnet si je veux y consigner les menus faits qui marquent mes journées.

Madame Garraud m’a enfin écrit, elle me donne les renseignements que j’attendais. On a dû loger l’hiver dernier un sous-officier à la maison. Il n’y a eu aucune réquisition, les précautions étaient prises. Edmond n’est pas inscrit. Faldony et sa famille sont en bonne santé. Madame Garraud me charge d’une mission financière qui ne me va guère, mais il faut savoir s’entraider.

Louis Baudouin, que j’ai vu dimanche, a eu lui aussi des nouvelles d’Héléna. Maurice serait bien prisonnier. Il n’écrit pas en France vraisemblablement parce qu’il travaille dans une usine Allemande.

De la guerre, rien de saillant. Le Monténégro capitule. On nous fait avaler la pilule en nous donnant de fausses nouvelles sur la mort de Guillaume.


23 janvier - Je n’ai plus de temps à moi. Au bureau, on travaille d’arrache pied à des trajectoires et on sort de là abruti et fourbu de calcul. Cela ne peut durer car c’est un surmenage fou. Le dimanche même, il faut donner comme les autres jours et, depuis que nous sommes installés à Paris, je n’ai pas eu un dimanche entier. Aujourd’hui même, je passerai ma journée au bureau après une mauvaise nuit à l’hôtel. Je rentrerai à La Varenne à neuf heures dix et demain, je reprendrai le train à six heures trente-neuf pour revenir faire classe à Montaigne à huit heures et demi. Ma santé se ressent de ce surmenage et, si j’ajoute les préoccupations de famille, dont le souci me revient aussitôt que je cesse d’être absorbé, il en résulte une dépression physique et nerveuse qui ne laisse pas de m’inquiéter. Il serait grand temps de mettre fin à cette manière de vivre, d’enrayer la machine si je ne veux pas la voir s’user trop vite et surtout si je veux revoir les miens.

De cette semaine, rien à noter. Jeudi, j’ai dû rester à Paris et coucher dans un hôtel près de la Bastille.


Vendredi, je suis allé voir Boucher dont la conversation est toujours si amicale, si précise. Je voulais lui communiquer les nouvelles reçues des miens. Le soir, en rentrant à La Varenne, je trouve au restaurant un groupe de soldats du Premier d’Artillerie à pied, venus pour former un train blindé. Ce sont des gars du Nord, l’un est de Tourcoing, l’autre de Lille, un autre de Mouvaux, rue Marceau (Cossin ?). On cause un peu et je me retrempe dans les souvenirs évoqués par un compatriote perdu comme moi dans l’immense armée. Ce doit être un membre du cercle catholique civil car il ne me parle que du curé, du vicaire. Je ne le connaissais pas même de nom.

Hier, je comptais passer la soirée avec Louis Baudouin et Démaretz mais le premier n’est pas venu et le deuxième devait dîner à Grenelle. Je passe tristement mon temps au cinéma où je vois dérouler un beau film, “Alsace”, avec Réjane comme principale interprète. Je vais ensuite me coucher avec Démaretz à l’hôtel, rue Myrha, pour passer ma journée au bureau. Sayour est parti en permission hier pour huit jours.


28 janvier - Vendredi, j’ai fait classe à Montaigne et j’ai pu reprendre le train de quatre heures dix à la Bastille pour rentrer à La Varenne un peu plus tôt. J’en profite pour jeter quelques lignes sur mon journal que je délaisse, faute de temps. Je n’ai rien à noter cependant. Parlerai-je de notre travail au bureau de la place Saint-Thomas-d’Aquin, il est de plus en plus assommant, toujours des trajectoires, à raison de six cent logarithmes par feuille. En outre, notre chef de file, qui se prend de plus en plus pour un grand homme, s’isole dans sa chambre. On est toute une journée sans le voir. Impoli et distant, il croit sans doute que la guerre durera toujours. Comme je rirais de tout cela si, comme tant d’autres, je n’avais pas de soucis écrasants.

Il y a aujourd’hui un an que le concierge de Montaigne m’a avisé qu’il y avait un ordre d’appel pour moi à la gendarmerie, boulevard Exelmans. Un an. Nogent, Pontault, Ozoir, La Varenne, Paris. Où s’achèvera le cycle de mes pérégrinations ? Que trouverai-je au bout ? La ruine, le deuil, la mort ? Qui sait ?


Reçu quelques lettres cette semaine dont une d’André qui m’inquiète. C’est la première dans laquelle il paraît hanté de tristes pensées. Je lui ai répondu immédiatement pour le secouer un peu, d’une façon toute paternelle d’ailleurs. Moi aussi j’ai des pressentiments funestes, motivés plus par la crainte que par les faits. Comment ferais-je si je devais être un jour le messager funèbre ?

Les journaux comme La France Militaire annoncent que l’Allemagne cherchera sûrement la solution de ses difficultés sur le front français. Cela paraît en effet assez probable et, dans un temps rapproché, deux ou trois mois, il y aura de nouveau des pertes effroyables de part et d’autre. Que restera-t-il après cette hécatombe, qui ne sera pas la dernière.

Je n’ose plus écrire à Mouvaux après ce que m’a dit Madame Garraud, et n’ai même plus la mince satisfaction de penser que j’ai écrit. Que font-ils là-bas ? Toute pensée, toute conversation m’y ramène. Ce matin, je parlais d’abeilles avec Fournier, et je me demandais ce qu’il restait de mon rucher après ce deuxième hiver ?!
3 février - Le dimanche a été ce que sont mes dimanche maintenant, travail au bureau une partie de la journée. La veille (samedi), Louis Baudouin est arrivé dîner avec Auguste This, revenu en permission de six jours. Nous passons la soirée au cinéma quand, pendant la projection, j’entends un bruit inaccoutumé. Je sors et j’entends les pompiers. On annonce des Zeppelins sur Paris. Vers dix heures et demi, des bombes ont été jetées sur Belleville. La voûte du Métro est crevé près de la station des Couronnes, quelques immeubles détruits près du Père Lachaise. Vingt-six tués et une quarantaine de blessés. Le lendemain, nouvelle tentative au Bourget et dans la banlieue, sans incident notable, au moment où je rentrais à La Varenne avec Sayour et Fournier. Une troisième tentative a avorté, ainsi qu’une quatrième.

Des faits de guerre, rien d’intéressant. Aujourd'hui, on donne quelques détails sur l’explosion de Lille, qui aurait eu des effets terribles et qu’on attribue aux avions alliés ?? Ce qui me paraît douteux.

De ma vie si remplie, que dirai-je ? Je m’engourdis de plus en plus, je trouve à peine le temps d’écrire et de tenir mon journal. Je n’ai d’ailleurs rien à relater.
Une petite affaire bien militaire chaque jour. Nous portons le courrier de La Varenne à Paris pour le bureau du parc. Hier, le colonel n’ayant pas reçu son courrier des mains du planton, téléphone à La Varenne (…) de le demander à son bureau. Grand émoi. Mesure d’ordre, l’une de service, avec note au lieutenant, toute la gamme de l’absurde qu’on ne peut pas arrêter parce qu’il n’est pas permis d’intervenir si on n’est pas appelé. De même, le colonel Gérardville demande en vertu de quelle circulaire je suis autorisé à quitter mon service trois fois par semaine pour aller faire classe à Montaigne. D’un mot je pourrai le renseigner mais il est plus simple pour ces messieurs de mettre en branle la voie hiérarchique aller et retour. Naturellement, notre sympathique lieutenant ne bouge pas. Quelles hautes préoccupations pour les temps de guerre. Comme on voit que les boches sont à Noyon ! Comme c’est bien le moment opportun de dire “Faites-moi tenir la circulaire autorisant le dénommé Tondelier à quitter trois fois par semaine le bureau (où il ne fait rien depuis huit jours) pour aller donner des cours à Montaigne et contribuer à la réorganisation d’un service public !
6 février - Dimanche - Je pensais hier matin passer la journée avec Démaretz mais il m’a écrit puis télégraphié qu’il avait un lumbago et était immobilisé pour quelques jours. J’ai quand même couché à Paris dans un hôtel voisin de la Place d’Italie, quartier où Sayour est très connu. Pour passer le temps, nous sommes allés à l’Alhambra, ancien théâtre du Château d’Eau puis de la Place de la République, quartier que j’ai fréquenté beaucoup jadis. Aujourd’hui, j’ai travaillé au bureau jusque trois heures et demi. C’est de plus en plus désagréable d’être sous les ordres de notre sous-lieutenant et je prévois des difficultés dans un jour prochain, car Sayour n’est pas tendre à son égard et il ne sera pas commode.

Plus jamais rien du Nord, c’est navrant. Que deviennent mes pauvres chers ? Je me désole et n’ose plus y penser. Il y a plus de seize mois que je les ai quittés et j’ai beaucoup moins d’espoir qu’il y a seize mois. Les événements n’annoncent rien et il semble que nous n’aurons de bataille et d’actions vigoureuses que dans six mois. Suis-je condamné à mourir sans les revoir ou à vivre encore longtemps dans cette situation militaire déprimante et pénible pour un homme de quarante-six ans et demi.


9 février - Hier, j’ai reçu coup sur coup deux visites à mon bureau de Saint-Thomas-d’Aquin. Paul, le mari de Berthe, et Henri Pachy. Tous deux sont en permission de six jours et je n’ai pas pu les accompagner car le travail ne chôme pas. Même expression de lassitude et d’inquiétude pour les familles restées au pays, et dont ils sont, l’un et l’autre, sans nouvelles.

André m’a écrit, il pense revenir en permission dans quelques semaines. Je ne vois pas comment je pourrai lui donner autant de temps qu’à La Varenne.

Il est triste de n’envisager l’avenir qu’en rapportant tout à la guerre. Peu à peu, on ne voit plus la vie autrement qu’en soldat. Je ne me vois plus avec ma femme et mes enfants, comme dans le passé. L’avenir est noir, opaque. Le proverbe anglais dit bien que les images les plus noires ont des revers d’argent mais, jusqu’à présent, je n’ai pas encore pu voir ni le revers ni même le bord.

Hier, je suis allé avec Paul chez ma tante Marie. J’ai appris qu’Albert était infirmier au front, mais je ne sais où. Le soir, j’ai couché à Paris. Aujourd’hui, je rentre seul à La Varenne.


16 février - Je néglige mon journal. Est-ce le temps qui manque ? Est-ce le vide de ma vie ? Je ne sais.

Vendredi dernier, on m’amène un nouvel élève au lycée. En le questionnant, j’apprends qu’il est d’Anzin et habitait rue Saint-Waast. Il vient d’être rapatrié et me donne des nouvelles de Berthe et de ma tante Hélène, qui se portaient bien à la fin de décembre. Je peux rassurer Paul jusqu’à cette date. Démaretz à reçu des lettres de prisonniers lui donnant des nouvelles de sa famille. Les journaux annoncent qu’on va pouvoir correspondre avec les régions envahies, mais chaque fois qu’une note paraît sur ce sujet, elle est démentie le lendemain.

Dans un restaurant du boulevard Saint-Germain, je rencontre des lillois, et même un habitant de Mouvaux, qui habite rue du Congo. Mais personne ne peut rien m’apprendre. Je suis allé comme de coutume à la gare du Nord dimanche mais je sors chaque fois du café ahuri par le bruit et les conversations.

Lundi soir, je suis allé à l’Alhambra, où l’on change de programme assez souvent.


Mais ces distractions m’écœurent à la longue car il semble qu’elles sont faites des tristesses des miens. Je suis jaloux de cette liberté d’esprit de mes collègues qui peuvent faire tout ce qui leur plaît comme Sayour, très occupé avec ses aventures avec L… et qui se libère avec un billet de cent francs.

Weill m’avait écrit qu’il espérait être à Paris du 12 au 17. Je suis allé chez lui, mais sa permission est retardée. J’écris à Madame Garraud pour lui envoyer cinq cent francs et lui demander encore quelques renseignements complémentaires.

Le nombre de soldats du parc de La Varenne diminue tous les jours. Tous sont maintenant dispersés à Caen, Montchanin, Langres, Wissous, Paris. Que vont devenir tous ces camarades de trois mois. De la guerre, il n’y a pas grand chose à dire. Les boches ont attaqués sur divers points du front et, en particulier, près de Saint-Souplet, région d’André. Est-ce à une attaque que je dois attribuer le silence de celui-ci ? Il ne m’a pas écrit depuis huit jours.
Au bureau, un peu d’accalmie mais cela ne durera pas. On peut d’une heure à l’autre être replongé dans les logarithmes jusqu’au cou.
Vendredi 18 février - Soirée d’apaisement. Après ma classe au lycée, je prends le train de quatre heures dix à la Bastille et rentre dans ma chambre où je peux passer une heure et demi avant d’aller au restaurant. Je corrige des copies et puis mettre mes paperasses en ordre. J’ai vu hier Deguise à la Chambre mais, réflexion faite, je lui écrirai pour lui dire de ne pas donner suite à ma demande, d’ailleurs absurde et qui n’est fondée que sur le sentiment. Il faudrait d’ailleurs faire des démarches qui me répugnent.

Et pendant cette existence déprimante, les jours succèdent aux jours, les semaines aux semaines, les mois aux mois sans jamais apporter d’espoir notable. On fait aujourd’hui grand bruit autour de la prise d’Eizeroum (?), mais cela se passe en Arménie (!). J’aimerais mieux la reprise de Lille et de l’arrondissement de Cambrai. De tout le fatras des journaux, il est impossible de dégager une lueur d’espoir. On a tellement été trompés par la presse que, maintenant moins que jamais, j’ai confiance dans l’avenir. Heureux celui qui peut se dégager l’esprit de toutes ces contingences du malheur présent et s’amuser comme je le vois faire autour de moi. Hier, nous soupions au restaurant à trois avec Sandras et Li. Cela pourrait être plaisant en effet si l’on était quatre, mais pour cela il faudrait noyer tout le passé. Vingt-quatre ans d’affection, d’intimité tendre et ce n’est pas possible, je n’ose même pas y songer. Il semblerait que mon passé est mort et je n’est d'autre satisfaction que quand mon esprit s’y reporte.

André ne m’écrit pas. Voilà plus de dix jours que je n’ai rien reçu de lui. La dernière est du 5 courant et on s’est battu à Saint-Souplet la semaine dernière.
21 février - Aujourd’hui, je trouve au lycée le Bulletin qui annonce au Livre d’Or la mort de mon pauvre ami Léon Boutry (?), tué le 25 septembre dernier. Je conserverai la belle lettre qu’il m’avait écrite à Ozoir. Pauvre ami. Notre dernière longue conversation, en octobre 1914 avait roulé (?) sur la guerre. Il la sentait venir déjà et ne se doutait pas qu’elle l’emporterait. Un surveillant qui est de Lille me donne des nouvelles qu’il vient d’obtenir. Les anglais auraient bombardé deux usines électriques rue Auber et rue de La Barre, qui fournissent la lumière en ville et la force motrice au tramway. Ces bombardements auraient été effectués les 10 et 11 février. Madame Garraud m’écrit et répond aux questions que je lui avais posées. Amante aurait bien l’intention de se faire évacuer, mais elle est retenue par la présence de papa et maman. Madame Garraud me conseille d’écrire le plus possible mais je n’ose plus. On déconseille nettement de le faire à cause des amendes et emprisonnements qui frappent les destinataires quand les lettres sont interceptées.

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