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Vous venez de télécharger la première Partie des mémoires de guerre de Edmond tondelier


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1er août - Dimanche - Une carte de Colson qui est toujours à Lyon. Il me demande d’écrire à Lefebvre, dont il est sans nouvelles. Le communiqué de ce matin dit : “En Argonne, dans la région de la Fontaine aux Charmes, et au Four de Paris, le bombardement des tranchées de part et d’autre se poursuit d’une façon presque continue.
Que devient André dans cet enfer ? Sa dernière carte est arrivée ici jeudi, et il doit m’écrire tous les trois jours.

Je viens de reprendre quelques volumes à la bibliothèque de Monsieur Mitouard, mais je ne puis lire tant j’ai l’esprit ailleurs.

Au déjeuner, je vois au mess un roubaisien, père de notre garçon de table, il a reçu une lettre de sa femme il y a huit jours. Passe-t-il réellement ses lettres à la frontière hollandaise ? En recevrai-je bientôt une de Mouvaux ? Non, je n’ai pas assez de chance.
3 août - Dimanche soir, je suis allé me promener seul (toujours seul) sur la route de Chevry, au-delà du château de la Chauvennerie, dans le bois d’Attilly. Il avait plu, l’air saturé d’humidité contenait en suspension toutes les odeurs de la forêt. Je suis rentré par la pluie et, après le dîner, j’ai lu jusqu’à onze heures. Hier, je suis allé visiter les papiers de tous les hommes des nouvelles équipes qui viennent d’arriver ici de Saint-Souplet. On trouve de tout, un lillois de la rue des Estagnes, à côté d’un ottoman au bureau. The commandant speaks a little more and I can’t understand why.

André m’a écrit. Il en voit de toutes les sortes et a failli être tué par un crapouillot. Je lui écris et lui recommande toujours la prudence.

Les communiqués sont visiblement destinés à donner le change. Il n’y a aucune action importante. Les boches attaquent faiblement par-ci par-là, on les repousse. Quant à une offensive d’ensemble, rien. Combien faudra-t-il encore de mois pour que les anglais soient prêts et opèrent efficacement sur terre. Toujours des bruits invraisemblables. On serait allé jusqu’à Lille !! Cela vaut la reprise et la perte de Douai à l’affaire de Touchez.

Je reçois aujourd’hui une lettre du commandant du dépôt du Premier escadron du train. Vilain n’a pas rejoint, il est probablement prisonnier en Allemagne ou caché à Crèvecœur.


4 août - Je vais en auto terminer le contrôle des nouvelles équipes d’ouvriers. Cela me procure une promenade au château des Agneaux, au fort sud. De là, nous allons à Pontault un état de cantonnement à Madame Copeaux. Je revois le château qui m’abrita pendant deux mois et demi.

Boutry m’écrit une bonne longue lettre. Il est dans les tranchées depuis dix mois et en a entendu de toute sorte en Champagne, en Lorraine. Il doit être maintenant vers Souchez. Le communiqué de ce soir annonce encore une fusillade incessante au Four de Paris. Pauvre André.


5 août - Je mène une vie abrutissante par sa monotonie. Certes, si je trouvais un moyen d’en sortir, je n’hésiterais pas, malgré le prétendu avantage de cette situation de tout repos. Lettre d’André du 30 Juillet. Il m’écrit qu’il ne dit rien parce qu’il n’a rien à dire, c’est toujours la même chose.

Les journaux sont vides. Perdra-t-on ou ne perdra-t-on pas Varsovie ?


9 août - Je reviens de permission à Troyes. Lundi, j’ai pu partir à onze heures vingt mais pour ne pas passer sept heures en chemin de fer, il a fallu que je retourne à Paris prendre le train de treize heures qui repassant à Ozoir, me met à Troyes à quinze heure vingt. Là aussi, chez Evelina, j’ai trouvé le même sentiment de lassitude. Les pertes sont très grandes aussi dans le village. Revu les vieilles connaissances, passé la soirée et la journée du dimanche à causer du passé et de la famille. Je reprends le train le soir par une chaleur torride, pour repasser encore une fois par Paris, où il est impossible maintenant de se faire servir un verre de bière. Je rentre à Ozoir à onze heures et demi ou minuit, plus triste que jamais car le but paraît s’éloigner de plus en plus. Varsovie est prise. Il est probable que nous allons recevoir une nouvelle avalanche de boches.

Carte de Colson. Toujours caustique, à l’ordinaire. Démaretz m’a écrit samedi. Il trouve des complications à Maisons Laffitte.


Il y a un an, j’étais à Roubaix, malade et détraqué. J’écrivais à Girard. Si j’avais su tout ce qui m’attendait !!
10 août - Un peu de paperasse que j’expédie au plus vite. Une idée m’est venue, j’écris à Monsieur Quartier la Tente, à Neufchâtel, Suisse, pour lui demander de m’envoyer des cartes suisses que je lui renverrai remplies et qu’il expédiera par voie allemande à Mouvaux. S’il veut bien entrer dans ma combinaison, c’est un moyen à tenter. Mais je ne suis pas sûr de son adresse et j’écris au petit bonheur. Réussirai-je à le toucher ? Si oui, il se pourrait qu’il me procure un boche qui, par relations également, ferait parvenir mes lettres … Mais ce serait trop beau. Enfin, je me devais de tenter cette chance unique. On verra ce qu’elle donnera.

Visite du colonel Gruss qui cause très aimablement, en l’absence du commandant.

J’écris à Démaretz, à Louis Baudouin, à Madame Caron. Pas de lettre d’André depuis cinq jours et on se bat ferme dans sa région. Que devient-il ?
12 août - Toujours sans nouvelles d’André et les communiqués indiquent toujours de violentes attaques de ce côté. Aujourd’hui, “violents bombardements à l’est de la route Binarville, Vienne le Château”, juste à hauteur du Four de Paris. Sa dernière remonte au 1er août et nous sommes le 12. Je m’attends à tout. Je lui ai écrit à nouveau. Si je n’ai pas de lettre demain, j’écrirai à son capitaine. Il est ou tué ou blessé ou dans l’impossibilité d’écrire ou bien on retient les lettres de son secteur pour éviter des renseignements prématurés aux familles. Que faire ?
13 août - Pas de nouvelles d’André, je n’ai plus qu’un espoir, c’est qu’on ait retenu toutes les lettres des militaires de cette région pour éviter des indiscrétions prématurées. Je me donne jusque lundi ; le 16, j’écrirai à son capitaine. Louis Baudouin et Démaretz m’ont écrit. Ils viennent passer la journée dimanche avec moi.
14 août - Rien d’André. Sandras, qui a eu mon adresse à Weill m’écrit à Pontault. Je lui ai écrit longuement hier en lui donnant mon adresse. Il me répondra sans doute dans quelques jours. J’écris quelques lettres pour tuer le temps et chasser mes sombres pensées.
Un ouvrier belge réfugié vient demander du travail. Il a dû quitter Tains en Gobelle (?) bombardé depuis dix mois. Il abritait là-bas une escouade de soldats français, ici on lui refuse du travail, pour en conserver à une bande de vauriens et d’apaches. Je lui donne quelques conseils et le moyen de se faire embaucher à Paris. Réussira-t-il ?

Les journaux sont nuls. L’action semble se ralentir en Argonne, l’offensive boche paraît enrayée de ce côté. On parle de tentative allemande pour la paix. Démaretz m’a écrit, il me dit que Baur a reçu une lettre du 25 juillet. Sa fille viendrait à Vincennes. Comment ? Il semble que la situation là-bas soit sans changement. C’est ce que je puis souhaiter de mieux, mais jamais de lettre, cela est bien dur. Je vis sans but, sans énergie, dégoûté de tout ce qui m’entoure. Si j’en avais le droit, je partirai au front de suite.


16 août - Toujours sans nouvelles d’André, j’écris à son capitaine la lettre suivante : Sans nouvelles d’André Tondelier, mon neveu, caporal à la quatrième Compagnie du Cent cinquante cinquième Régiment d’Infanterie, je prends la liberté de vous en demander. Mon neveu, originaire de Lille, est complètement séparé de sa famille depuis les premiers jours d’octobre 1914 ; il n’a d’autre correspondant que moi depuis cette époque et doit m’écrire tous les trois jours. N’ayant pas reçu de lettre postérieure au 1er août, je redoute un accident. Persuadé que vous voulez, si les circonstances vous le permettent, m’ôter cette inquiétude parmi tant d’autres, je vous prie d’agréer, …

Il me faudra attendre huit jours pour la réponse. Et, malheureusement, je ne puis rien faire d’autre. Je n’ose penser aux conséquences d’une réponse fâcheuse. Hier, Démaretz et Louis Baudouin sont venus déjeuner avec moi. Nous avons passé notre temps à évoquer les souvenirs communs et, en particulier, les noces d’or d’il y a deux ans, quand nous étions réunis pour cette fête de famille qui provoqua tant de joie chez tous. Je leur ai fait voir les tranchées, réseaux, créneaux, postes de mitrailleuses qui constituent la défense d’Ozoir. Nous avons envisagé l’avenir. Il est sombre, et le changement bien problématique.


Au moment où la lettre à Dessus allait partir, j’ai reçu une carte d’André. Il avait oublié dans sa poche une lettre pour moi. Il me demande de l’argent que je lui envoie immédiatement. Il l’attendra moins que je n’ai attendu sa lettre. Enfin, tout cela est passé. Jusqu’à la prochaine alerte.
17 août - Rien de nouveau, les journaux sont nuls. Quelques saisies, l’Homme enchaîné. Guerre sociale. Rappels qui ont trop parlé. Je reçois une lettre de Alfred Lemaire, son père Pierre est encore au dépôt, mais va repartir au front comme mitrailleur. Il a reçu fin juin une lettre de sa femme.
18 août - Lettre de Boucher, il est au Vésinet et je ne pourrai le voir samedi à Paris. J’irai donc à Maisons-Laffitte prendre Démaretz. Je reçois une lettre du concierge de Montaigne. Il me demande l’adresse de Lefebvre pour lui expédier une lettre arrivée de Lille par l’intermédiaire de Madame Colle. Veinard ! Moi, rien. Que faire ? Il y a deux ans, à pareille date, nous fêtions en famille les cinquante ans de mariage de papa et maman. On était gai, heureux. Et je peux, en me reportant à la photo, revivre cette journée au cours de laquelle on ne pouvait prévoir les événements actuels et les séparations cruelles qui en résultent.
19 août - J’ai reçu aujourd’hui une lettre de Monsieur Quartier la Tente. Il a le moyen d’obtenir des nouvelles et me demande les noms ou personnes à qui je m’intéresse. Il ne m’indique aucun moyen, mais laisse entendre que ce serait par voie diplomatique. Il servirait, dit-il, d’intermédiaire à un grand nombre de personnes. En fait, il ne me donne aucune précision. Je lui réponds en envoyant l’adresse de ma famille à Mouvaux et celle de Faldony. Je suggère l’envoi d’une lettre ou d’une carte, mais il faut attendre sa réponse encore pour les voies et moyens. Le soir, je vais me promener dans la campagne. Les premiers permissionnaires de quatre jours sont partis aujourd’hui. J’étais en tête de liste, n’ayant pas reçu de famille depuis ma mobilisation mais où irai-je passer ces quatre jours ? J’ai laissé mon tour à un autre et, plus tard, si Lille se trouve débloqué, je serai fondé à réclamer l’utilisation de ces quatre jours avec les deux roubaisiens qui sont ici.
20 août - Rien de bien intéressant. Pas de courrier le matin. Les journaux apportent des nouvelles plutôt tristes. La prise du Kosovo par les boches. Vilna suivra. Un grand navire coulé, l’Arabia, avant-hier ; c’était un navire de transport. Que doit-on penser et augurer de l’avenir ? André est probablement fatigué car je ne reçois rien de lui. Et cependant, je crois savoir qu’il est au camp de Châlons. Le fils de mon propriétaire, infirmier près du Four de Paris, est revenu en permission et me l’a dit.

Je pars demain en permission de vingt-quatre heures à Paris. J’irai jusqu’à Maisons-Laffitte et reviendrai à Paris avec Démaretz.


24 août - Quatre jours sans apporter de confidences à mon journal de guerre ! Il est vrai que ces quatre jours ont été remplis. Mettons un peu d’ordre.

Samedi, je suis allé à Maisons-Laffitte où j’ai trouvé Démaretz. J’ai visité le magasin, son logement, et après avoir passé une heure et demi, nous reprenons le train à six heures et quart pour rentrer à Paris, où nous passons un bout de soirée dans un cinéma. Le dimanche, je vais déjeuner chez ma tante Marie, où je trouve Louis Baudouin et Maurice Caron, qui passe actuellement son examen de chef de section. Il me raconte ses déboires à Béthune et son service à Saint-Cyr. Après le déjeuner, nous allons retrouver Démaretz, et on file à la gare du Nord en quête de nouvelles. Toujours de nouvelles figures. Roland fils, du Cateau, Scailleux, un ancien surveillant d’internat de Valenciennes. En somme, peu de nouvelles, pas de changement. On voit que les gens s’habituent à cette existence, chacun semble prendre son parti et fait son deuil pour vivre en conséquence. On s’interpelle par-ci par-là. Le soir, je retourne à la gare, après avoir accompagné Démaretz à Saint-Lazare. A la gare de l’Est, j’assiste une fois de plus à ces départs et à ces arrivées de permissionnaires du front. Spectacle gai et triste à la fois, où le psychologue qui a le temps, peut trouver matière à des dissertations variées et contradictoires ; car chacun voit là tout ce qu’il veut y voir, et même ce qu’il ne voudrait pas y voir. C’est le jeune soldat qui a la croix de guerre et que des parents fiers et anxieux ramènent en se demandant si c’est la dernière fois. C’est un père territorial, que ces enfants embrassent encore, pendant que la mère pleure. Ce sont deux jeunes mariés, le soldat n’ose pas pleurer. Ce sont des groupes qui ont trouvé courage au fond d’une bouteille de vin et s’en vont gaiement.

Je retourne à Ozoir, où je trouve une lettre d’André qui s’excuse ……
Lundi - Je travaille d’arrache-pied le matin et, l'après midi, je pars avec le commandant et le capitaine à Sucy. Boissy-Saint-Léger, Limeil, Villeneuve-Saint-Georges, Choisy-le-Roi, Créteil, Joinville-le-Pont, Nogent, où nous nous arrêtons pour le service au bureau du lieutenant Lorieux. Nous revenons par le Perreux, Bry, Villiers, Malnoue, Croissy-Beaubourg, Ferrière, où on traverse le parc des Rothschild (faisans innombrables), Ozoir. Tout ce voyage en trois heures.

Avant mon départ, on m’avait remis une lettre de Madame Colle. Elle me fait part d’une lettre de son mari, contenant une phrase pour moi. Ce sont des nouvelles qui remontent au 8 juillet. La voici : “Meilleur et bien sympathique souvenir de Monsieur Salé. Toute famille de Monsieur Tondelier en excellente santé, sans ennui. Heureux avoir reçu bonnes nouvelles du cher absent qu’elle embrasse bien tendrement”. C’est court, mais la rareté des nouvelles m’oblige à me contenter de peu. Reste à savoir combien de temps Messieurs Salé et Colle les ont conservé avant de pouvoir les envoyer.

D’autre part, je me demande si ma famille fait allusion aux nouvelles reçues de moi récemment ou aux vagues renseignements que Colson et Lefebvre avaient donnés en février pour moi à Madame Colle. Tout cela est bien obscur, et sera sans doute bien long à élucider.
26 août - Il semble que mes correspondants se donnent le mot pour ne pas m’écrire, et cependant j’écris partout. Hier, j’ai reçu une carte de Weill. Il vient de sortir de l’infirmerie (maux d’estomac) et me donne quelques renseignements sur son travail. Planchettes de tir et levée topographique. Ici, je m’ennuie de plus en plus. Je désespère. On a l’impression, à la lecture des journaux, d’un immense piétinement. On attend des choses extraordinaires, et on ne sait pas lesquelles. Mes nuits sont toujours longues et agitées, rêves et cauchemars invraisemblables. Il me faudrait une vie plus remplie. On annonce de nouveaux ouvriers (cinq cents). Il n’y en a jamais assez, et cependant les travaux sont virtuellement achevés, mais on en trouve toujours de nouveaux et je crois bien qu’on en trouvera jusqu’à la fin de la guerre. Le C.R.P. (Camp Retranché de Paris - ?) sera bouleversé, ceinturé, hérissé sans autre résultat que d’avoir fait des dépenses effroyables.

Journaux - Protestations contre la censure, préparation d’une séance secrète à la Chambre où le Ministre de la Guerre va certainement passer un mauvais quart d’heure. Les communiqués n’annoncent que des actions d’artillerie par-ci par-là. J’espère que les anglais seront prêts à la Noël.


28 août - Le communiqué de ce jour annonce-t-il l’offensive ? “Sur un grand nombre de points du front, notre artillerie a dirigé contre les positions ennemies une canonnade particulièrement efficace.” Attendons deux ou trois jours pour nous en rendre compte.

Hier, un artilleur, surveillant de chantier, a été surpris par un garde, occupé à poser des collets.


Le soir, il y a eu confrontation dans les bureaux. Dénégations énergiques puis aveux devant la menace du conseil de guerre. Finalement, tout s’est arrangé, la plainte n’aura pas de suite et l’artilleur Majoureau sera privé de permission.

Au mess, disgressions1 prolongées sur les travaux et les incohérences dont on a chaque jour des exemples. J’assistais il y a deux jours à une conversation dans laquelle on disait que les travaux de défense étaient loin d’être achevés. Il serait question d’une ligne de Beauvais à Villers-Côteret et d’une de Melun à Orléans. Ici même, on en prévoit encore pour trois ou quatre mois. Comme tout cela tiendrait peu de place dans mes préoccupations si j’étais enfin en communication avec Mouvaux. Il y a un an, nous vivions là-bas des jours d’angoisse, les dix-huit Uhlans sillonnaient la région, on se sentait à la veille d’événements imprévus et graves, mais nous étions réunis. Aujourd’hui, je me ronge à trois cents kilomètres et, pour seule consolation, j’ai mes six photographies et la carte postale du 10 juin. Rien ne me dira s’ils vivent tous à l’heure présente.


29 août - Journée agitée. Je suis éveillé à cinq heures et demi par un planton qui vient me réclamer. Un télégramme, arrivé cette nuit, prescrit l’envoi d’un certain nombre (trois cent) d’R.A.T. à Vincennes pour le parc d’Artillerie de place. Il faut prévenir les hommes et, surtout, les empêcher de filer. Dépêches, messages, courses de planton, bref, à quatre heures, il en part vingt. Le chef de ce détachement, un sous-officier, est ivre mort quand on va le chercher pour le départ. Il arrive en retard à la gare et manque deux trains. C’est du propre. Un pauvre bougre peu chançard serait cassé. Lui s’en tirera. Je vais moi-même à Paris pour toucher mon mandat.
31 août - Hier, j’ai déambulé un peu partout. Au lycée Montaigne, le censeur, qui arrive d’Amiens, me dit que trois corps d’armée sont retirés du Nord et passent chez lui. Ils sont remplacés par des anglais qui restent encadrés par notre artillerie. Leur front, destiné à s’allonger, va jusqu’à la Somme. André m’écrit de son côté qu’il y a à Châlons des accumulations formidables d’obus … Aux communiqués, toujours des actions d’Artillerie. Il semble bien qu’on amorce une offensive, jusqu’au jour où on verra à quel point elle a le plus de chances d’aboutir. Après quoi, ce sera la ruée. Que deviendra Lille dans ce chaos ?

Le commandant me propose pour l’atelier de réparation de l’aéronautique militaire à Saint-Cyr. On demande là, probablement en application de la loi Dalbiez, des sous-off R.A.T. (Réservistes de l'Armée de Terre - ?) pour un stage, avec nomination de sous-lieutenant. Réussirai-je ? Je n’y attache pas d’importance car je n’ai d’autre ambition que d’avoir une vie plus active, et ce serait certainement au détriment de ma liberté.

J’ai vu hier Deyrine, toujours le même bon garçon. Sans pose, nous avons causé longuement. Il a sa famille avec lui, mais ses parents sont dans l’Aisne. Il est sans nouvelles d’eux. Maurice Passaye ne sait rien non plus. Son beau-frère était à Paris depuis dix mois. Il n’a pensé à s’informer que le 17 août, si son beau-frère, vérificateur des douanes, était encore en vie. C’est beau la famille. Je ne vois rien venir de Monsieur Quartier La Tente. Combien de jours faudra-t-il attendre de ce côté ?
2 septembre - Toujours des actions d’artillerie aux communiqués. Rien de précis concernant l’offensive dans les Balkans. L’attitude de la Bulgarie reste équivoque. La situation reste trouble, et rien ne permet d’émettre une hypothèse raisonnable. Les temps ne sont pas encore révolus.

2 septembre, il y a un an, les quatre-vingt allemands qui prirent Lille, arrivaient à dix heures du matin. Je restai le cœur serré, pressentant l’avenir. Le soir, on avait l’impression d’être à côté d’une ville morte. Silence pénible et poignant. Puis, la nuit, on ramena les enfants de Roubaix, qui étaient au sanatorium de Zuydcoote. Dix heures et demi, puis, à minuit, on vint me dire qu’il fallait fuir. Je me rappelle avec émotion cette animation silencieuse des rues. Ces adieux à Amante, papa, maman, ces enfants que je ne voulus point éveiller, ce voyage dans les ténèbres par Bondu (?) Frelinghien, Quesnoy, rue Deute (?), Houpline (?), Armentières. C’était le commencement de mes malheurs. Le crépuscule d’une nuit de séparation qui dure toujours et dont je n’entrevois pas la fin. Un an ! Sans nouvelles des faibles. Un an de privations pour eux, de supplices et de tortures morales.
Un an entier passé à me demander ce qu’ils font, comment ils vivent, et rien qui permette d’entrevoir la fin de ce drame horrible.

Ici, je m’ennuie toujours. Aurai-je des nouvelles de cette proposition pour les ateliers d’aérostation de Saint-Cyr ? Cela me changerait et je suis prêt à tous les sacrifices s’ils doivent me procurer un dérivatif à mes sombres pensées, en attendant que je puisse les vérifier.


3 septembre - Triste journée, j’ai passé tout mon temps à penser à l’anniversaire de ma fuite de Mouvaux, et je suis complètement désemparé. J’écris une longue lettre à Barker, une autre à Léon Bataille qui m’a envoyé de ses nouvelles il y a deux jours. Je ne sais que faire et voudrais ne plus penser.

Il est arrivé quatre nouvelles équipes pour les travaux à faire autour d’Ozoir, et celle que j’ai visité comprend un grand nombre de gas (sic) du Nord. Il y a beaucoup de Lillois, Roubaisiens. Je cause à un ouvrier de Saint-Bénin, d’Haussy (?), un d’eux est de Mouvaux, où il habite le petit Tourcoing, mais ne me connaît pas. C’est une joie pour eux de me causer.


J’entends avec un certain plaisir le parler traînant de tous ces gaillards, et leur lance un mot patois, de temps en temps, qui les amuse.
6 septembre - Samedi (le 4), je m’apprêtais à partir en permission dans la matinée quand le commandant m’offrit de m’emmener à Paris en auto. J’acceptai, et nous voilà parti par Sucy, où on a affaire, puis par Chenevière, Champigny, Joinville-le-Pont, Saint-Maurice, le bois de Vincennes, le lac Daumesnil. Je quitte l’auto au Châtelet, et vais déjeuner avec Maurice Passaye au Saulnier, rue Montmartre. A deux heures, je vais chercher Démaretz qui arrive à Saint-Lazare. Il va acheter des vêtements et faire des courses. Nous allons le soir au cinéma, où il n’y a rien de bien fameux quand on a retiré du programme les actualités de la guerre.

Le dimanche matin, course rue Saint-Maur aux bureaux du Ministère de la Guerre. De là au Père Lachaise, où Démaretz désire voir le mur des Fédérés. Remarqué quelques tombes ; nous allons au four crématoire où l’on opère précisément l’incinération d’un mort. Nous assistons aux funérailles et à la mise en place des cendres dans le columbarium et nous visitons ensuite le four crématoire. Réflexions philosophiques.


L’après-midi, nous allons comme de coutume à la gare du Nord, où je vois d’ailleurs peu de connaissances. Je vois cependant une institutrice du Nord (Capelle) qui a pu fuir. Elle est venue voir son mari. C’est une compagne d’Ecole Normale d’Amante, et elle me donne des détails sur la vie là-bas. Inspection allemande, vaccination. Puisse-t-elle faire passer de mes nouvelles à Amante ? Car elle va repartir. Si je pouvais me dissimuler dans sa poche. Un autre, Monsieur Lepaut (?), de Roubaix, me donne quelques renseignements sur la vie, le mécontentement qui gagne de plus en plus nos populations urbaines. D’autre part, on parle beaucoup de l’offensive prochaine, mouvements de troupes pendant les opérations d’artillerie, déplacements. André m’en donne confirmation de son côté. Je suis toujours stupéfait du détachement qu’affichent un grand nombre de réfugiés qui, peu à peu, se fait à cette vie désœuvrée. On ne parle plus des nouvelles militaires, personne n’y croirait. Il semble toutefois, qu’on est dans la grande attente. Je compterai les jours après un an. En voilà trois. Jusqu’où irai-je ?
Le soir, en rentrant, je trouve une lettre de Maurice Caron, reparti comme sergent à Saint-Astier, une carte de Barker qui essaie de me réconforter et, ce matin, je reçois une lettre de Sandras. Toujours léger, spirituel, mais, cachant mal sa tristesse, il raconte sa fuite émouvante. Je vais finir la visite des papiers des hommes des nouvelles équipes. Je trouve toujours des réfugiés du Nord et un anglais de Londres, South Kensington, comptable sans travail, échoué aux tranchées. Je vois le plan des nouveaux travaux, ce sera de plus en plus fort.
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