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Vous venez de télécharger la première Partie des mémoires de guerre de Edmond tondelier


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6 octobre - J’attends toujours. On a essayé vainement au bureau de Fontenay de téléphoner au sous-lieutenant pour s’assurer qu’il s’agissait bien de moi et aujourd’hui, au matin, on n’a pas encore pu obtenir la communication. Il faut attendre, et je n’ai rien à faire. On dit que la Soixante douzième Batterie qui est à Nogent depuis quatorze mois va partir à Vincennes où elle va réintégrer le fort, où elle remplacera le Deuxième Lourd, devenu Quatre-vingt deuxième.
Toujours rien d’André. J’ai bien peur pour lui, car j’ai vu aujourd’hui des lettres venant du front écrites le 25 septembre. Il semble que tout ce qui était retenu est maintenant envoyé. Au mess, je vois un adjudant de Lille qui, avant la guerre, était fixé à Bruxelles. Il est comme moi, sans nouvelles. N’ayant rien à faire, j’écris dans ma petite chambre, ayant sous les yeux les six portraits aimés. Et il faut tenir bon pour ne pas m’affaler sur mon lit et pleurer mon bonheur perdu.

Les journaux d’aujourd’hui sont peu rassurants. La Bulgarie va tomber sur la Serbie. Le ministère grec, Venyelos (?), favorable à l’Entente, est démissionnaire. Les complications ne manquaient cependant pas.

Je m’ennuie chaque jour un peu plus et j’aimerais mieux, certes, une occupation plus estimable.
7 octobre - Je suis à La Varenne Saint-Hilaire depuis ce matin. Hier soir, à l’appel de cinq heures, on m’a remis l’ordre de partir. Je règle rapidement les petites affaires. Propriétaire, mess, et je fais mes adieux à tous ceux que j’ai connus si peu. Le mess de Nogent, bien que très confortable, ne me plaisait guère. On passait le temps à table à se lancer des boulettes et à infliger des amendes de cinquante centimes. Ce matin, je suis allé au Cèdre faire régler mes affaires, prêt, livret, etc. et à neuf heures cinq, je partais pour La Varenne où je suis arrivé à neuf heures et demi. Je prends des renseignements. Il paraît que la liberté y est relativement grande, les permissions faciles, mais je dois m’attendre à partir au front d’un moment à l’autre, car la fonction du parc est de fournir du personnel pour poser des voies ferrées pour l’Artillerie Lourde. De temps en temps, on forme un groupe qui va en renfort quelconque du front travailler plus ou moins longtemps.

Le détachement de la douzième Batterie du neuvième Régiment d’Artillerie à pied est hétéroclite. Beaucoup de méridionaux, des corses, etc. Réception bizarre. Je trouve assez rapidement une chambre, Café de Paris, et fais mon emménagement.


C’est aujourd’hui le 7 octobre, et je ne puis m’empêcher de songer à ce qu’évoque cette date, anniversaire de ma naissance. Certes, on a pensé beaucoup à moi aujourd’hui là-bas et je suis bien sûr qu’Amante est triste à mourir. L’an dernier, à Boulogne, j’étais avec Monsieur Passaye et l’on prit un café. Cette année, je suis seul dans une chambre d’hôtel et je me désole, parce que je ne vois pas le terme de cette période de malheur.

Rien d’André. Qu’est-il devenu ?


8 octobre - Pas de nouvelles d’André. Il faut m’attendre à un malheur car, après les recommandations que je lui avais faites au mois d’août, il m’aurait sûrement écrit s’il avait pu le faire. Et il est impossible qu’il soit resté, même involontairement, sans me faire passer un mot. Je vais écrire demain à son capitaine. Il est vrai que sa lettre peut avoir été à Ozoir, d’où elle serait renvoyée à Nogent et à La Varenne.

Ma première journée à l’A.L.V.F. est bizarre. Je suis allé ce matin au terrain de manœuvre. C’est un terrain nivelé sur lequel on pose des voies de garage pour la Compagnie de l’Est. Les hommes travaillent de sept heures et demi à dix heures, et de une heure et demi à quatre heures.


En dehors de ces heures, on est libre. Je suis affecté à la onzième pièce et me voilà maintenant à la douzième Batterie du neuvième Régiment d’Artillerie à pied. Ma fonction consiste à assimiler le travail de la pose des voies, ce qui est assez facile. Aujourd’hui arrive un maréchal des Logis, professeur au lycée de Pontivy. Il revient du front, rappelé ici dans les mêmes conditions que moi, sans savoir pourquoi. Il avait envoyé une note pour le tir sur avion, et son nom a été retenu comme le mien. Il loge au même hôtel. Je fais la connaissance d’un autre professeur du collège de Montbéliard, également sous-officier. Ce sera une société.

Aujourd’hui, les communiqués annoncent la prise de Tahure, et les combats pour conserver cette position importante.

Reçu une lettre d’Achille Pachy, qui redoute le chômage de l’hiver.
11 octobre - Samedi, j’ai obtenu une permission que j’ai passée à Paris. J’ai pu prendre le train à quatre heures vingt-sept, et suis allé attendre Démaretz et Louis, à qui j’avais télégraphié. Nous avons dîné ensemble et, Louis parti de son côté, je vais coucher avec Démaretz.

Dimanche ordinaire avec séjour classique à la gare du Nord, où j’ai toujours l’espoir de voir arriver je ne sais qui de la famille. Une dame Lemaire me dit qu’il est dangereux d’écrire dans le Nord (amendes, emprisonnement). Et moi qui ai écrit deux lettres récemment. Que faire ? Je vais essayer par un prisonnier, mais je n’en connais pas personnellement. Jules Vasseur m’assurait qu’il ferait quelque chose auprès d’un Monsieur Pollet. Je vais lui écrire pour lui demander s’il a écrit et l’adresse exacte du Pollet en question, qui pourrait bien être de Mouvaux. Je rentre le soir à onze heures à La Varenne.

Aujourd’hui, surveillance au chantier de l’A.L.V.F., qu’un loustic traduit “à la vaste fourmilière”. Rien encore à notre sujet. Que veut-on faire de nous dans une unité où les cadres regorgent : vingt-six sous-officiers plus deux adjudants plus deux chefs plus deux sous-lieutenants plus un lieutenant plus un capitaine plus un commandant ?

L’offensive va-t-elle continuer ? Pas encore de lettre d’André. Je n’ose y penser, et puis-je écrire à son capitaine ?


12 octobre - Enfin, une carte m’arrive d’André. Elle est datée du 3 octobre. Il ne me dit que quelques mots, la carte étant censurée. Tout va bien pour lui. Espérons que depuis le 3, il ne lui est rien survenu de mauvais. Quel poids de moins sur le cœur ! Une carte de Colson, soldat interprète au vingt-et-unième Chasseurs à Limoges. Une lettre de Boucher qui m’attend. Une lettre du proviseur de Montaigne qui est prêt à me demander quand j’aurai moi-même fait une demande ici, ce que je vais me hâter de faire. Une lettre de Weill qui est chargé à Toul de six heures de physique-chimie au collège.

Ce matin, revue de cantonnement. Le mien, qui est installé chez un marchand de charbon, est tout à fait remarquable de saleté. Je suis chef de pièce en l’absence du chef en permission. C’est presque amusant. Et dire qu’on veut faire de moi un chef de cantonnement !!

A deux heures et demi, je vois le capitaine au sujet de la demande du proviseur de Montaigne. Accueil correct mais froid. Le capitaine ignore l’esprit et la lettre de la circulaire invoquée et me demande de la lui procurer. On me prévient que je prends la garde ce soir et, à quatre heures et demi, on m’informe que je suis nommé chef de cantonnement.
13 octobre - Je prends la garde à cinq heures, avec douze hommes et un brigadier. Le poste est installé dans un dortoir de mécaniciens du chemin de fer et j’y ai passé une très mauvaise nuit, car il y a des puces et les paillasses à terre sont dures comme du bois. J’ai rêvassé tout le temps, l’esprit à Mouvaux. Le matin, on m’apporte le café à sept heures, et me voilà assis sur le banc du poste jusqu’à cinq heures. Que me réserve cette fonction de chef de cantonnement. Plus de service mais moins de garde. Des responsabilités qu’il faudra faire préciser. On parle de l’arrivée de cent cinquante hommes, venant de Cherbourg pour former une batterie nouvelle. Il y a ici autant de potins que partout ailleurs.

On m’amène un prisonnier dont la punition mérite d’être relevée. Planton à la porte du cantonnement, il avait trois boutons de sa veste déboutonnés. Sa tenue parut incorrecte à un adjudant qui passait et qui fit un rapport. Résultat, trois jours de prison !! Or, la prison est un cabanon fermé avec une paillasse. Comme il y avait déjà un prisonnier, l’homme aurait couché à terre si je n’avais pas pris sur moi de le coucher au poste.


Mon équipe du poste se compose de franc-comtois et de jurassiens qui racontent leurs petites histoires sans émotions apparentes. Beaucoup reviennent du front en Champagne où ils sont allés construire des voies. Ils parlent des bombardements de Suippes par les marmites (?).
15 octobre - J’ai reçu une carte d’André datée du 9. Il va bien et me demande de l’argent. Il va probablement être nommé sergent. Je souhaite qu’il soit mis au repos bientôt ; et cependant les journaux annoncent que l’offensive allemande continue. Les communiqués redeviennent quelconques. D’ailleurs, toute l’attention se concentre sur la Serbie et les Balkans. On entend parler que de départs de troupes à Salonique.

J’ai pris hier ma fonction de chef du cantonnement Faucher. Ce cantonnement est installé dans l’immeuble d’un marchand de charbon, les hommes couchent dans des hangars fermés tant bien que mal. Ma pièce est dans une écurie. Les hommes ont des paillasses sur la grève, tout est sale, noir, poussiéreux. Les sous-officiers mangent dans la maison où ils ont installé leur popote. C’est beaucoup plus sale qu’à Nogent et je regrette Pontault à ce point de vue. Il viendra peut-être un temps où je regretterai La Varenne, car nous ne sommes pas au bout.

La fonction de chef de cantonnement me dispense de la garde, quelquefois du travail, mais me donne des responsabilités nouvelles, d’autant que j’ai avec moi des jeunes soldats du midi souvent flemmards et carottiers (sic). Je tâcherai de les avoir par la justice et la complaisance.

Aujourd’hui, j’ai passé la matinée à faire des étiquettes. L’après-midi, il y avait revue de linge. C’est le train-train de caserne, avec l’absence de confort en plus. Des lieutenants qui font du zèle à tort et à travers. Il y a surtout, à quatre heures et quart, un rapport quotidien qui est une bouffonnerie. Espérons qu’il ne présentera pas de difficulté qui m’empêcherait de coucher en ville.


18 octobre - Lundi - Samedi, j’ai eu vingt-quatre heures de permission après une journée bizarre. Un adjudant d’esprit étroit, très embêté de me voir au cantonnement, où je devais rester pour l’organisation, au lieu du travail où je pourrais être une cherche-noise devant les hommes. Puis, comme mes réponses le mettent en vilaine posture, il tourne court et me renvoie.

Le soir, je pars à Paris où je passe la soirée avec Louis Baudouin et Démaretz. Le dimanche, je vois Déroide, officier d’administration. Depuis huit jours, il me parle de Lille. Rien de neuf. La journée se passe comme un dimanche à Paris, partie de billard de deux heures à trois heures et demi, puis deux heures à la gare du Nord où je vois Mangin, Monsieur Bayard, de Wassigny et quelques inconnus. Je n’ai rien appris de nouveau mais, malgré le supplice de cette cohue d’évacués, de réfugiés, j’y vais car j’ai toujours l’espoir de trouver quelqu’un qui me dira ce qui m’intéresse et que j’ignore. Tout cela est toujours bien douloureux mais, dans ma situation, on se plaît dans sa douleur car on n’est pas seul. Je rentre à neuf heures à La Varenne où, pendant une semaine, je vais voir passer des trains.


La journée se passe avec le train-train de la caserne : matin, changement d’effets, et soir, travail au terrain de manœuvre. Cela consiste pour moi à regarder quelques vagues terrassiers. On a amené une pièce de deux cent quarante, un truc (?), et je regarde la mise en batterie effectuée par des artilleurs du Septième. C’est intéressant. Huit vérins descendent et pincent les deux rails de manière à rendre le wagon immobile. La pièce est énorme, dix-neuf mille sept cent quatre-vingt kilos à elle seule. Un enfant la mettrait en batterie à la position de tir. Elle lance un pruneau de cent quatre-vingt six kilos à quinze kilomètres.

A ce sujet, j’ai oublié de noter que j’ai vu hier aux Invalides le matériel rapporté de Champagne à la suite de l’offensive du 24 septembre. C’est (…), canons de soixante dix-sept, obusiers de cent cinq, de cent cinquante, mitrailleuses, lances-bombes, mortiers, etc. (…). Tout y est représenté. On voit même un obus de quatre cent vingt non éclaté.

J’écris aujourd’hui à Monsieur Pollet, prisonnier à Munster, pour le prier d’écrire à Amante et lui donner des nouvelles. Mais ma lettre parviendra-t-elle ? J’écris également à Brive pour demander au capitaine Gérard de rechercher Rémy. Comment faire ? Je ne sais où m’adresser, ne connaissant pas le régiment où il sert.
20 octobre - Ma journée d’hier a été occupée par la manœuvre à pied à laquelle il faut me mettre au courant. Car les cantonnements sont tout changés. Le soir, marche. Rassemblement sur le bord de la Marne en manteau roulé et en arme (fusil Gran (?)). Nous allons à Chenevière où, derrière l’école, se trouve une terrasse dominant la vallée. Point de vue superbe, gâté par le brouillard. De là, nous partons sur la route de Pontault et Ozoir, et nous rentrons par Ormesson.

Cette marche n’est pas longue mais m’a fatigué beaucoup et je décide d’aller voir le major. Il m’a reçu ce matin, et m’a exempté de marche après m’avoir ausculté. Il m’ordonne du quinquina. Serais-je faible ? Les palpitations sont peu sensibles quand je suis reposé, mais la transpiration est abondante aussitôt que je fatigue. J’ai remis une demande pour aller faire classe à Montaigne, car le proviseur a écrit de son côté. Qu’est-ce que cela donnera ?

Reçu une carte d’André. Il est sergent. Sa carte est du 14. Il ne me dit rien, naturellement. Je me demande s’il a jamais rédigé dix lignes de ce qu’il a fait. Enfin, l’important est qu’il s’en tire.
Cet après-midi, revue en tenue de campagne dans les cantonnements. Les officiers arrivent à deux heures et demi et le capitaine me dit qu’il a reçu la lettre du proviseur de Montaigne. Il est d’accord en principe et me permet d’aller demain à Paris pour m’entendre avec Monsieur Robineau (?) sur l’emploi du temps. La revue se passe sans incident notable car, le capitaine étant présent, les adjudants, lieutenants et sous-lieutenants ne disent rien.
22 octobre - Je suis allé à Paris hier, on m’a donné un horaire. Cinq heures par semaine. Reste à savoir s’il sera accepté par le capitaine quand le proviseur le lui enverra. Je déjeune avec Maurice et les douaniers, et je vais voir Boucher avec qui je passe deux heures. Il me ramène à pied jusqu’à la gare de l’Est, en causant de différentes choses. Je lui ai remis une lettre pour Amante et des valeurs (trois bons et deux obligations). Je reprends le train à la Bastille à sept heures quarante et rentre à La Varenne à huit heures et quart.

Ce matin, manœuvre à pied et service de place. Le soir, marche ; j’espère en être dispensé.


Je reçois une lettre de Gérard qui me donne l’affectation de Rémy. Enfin ! Classe 1909, numéro de matricule 477, inscrit au répertoire du vingt-huitième Régiment de Dragons avec le numéro 08.515, et une lettre d’André. Par le langage convenu, je sais qu’il est entre Saint-Souplet et Saint-Hilaire-le-Grand, à dix kilomètres de Tahure, environ. Je vais immédiatement écrire au dépôt de Rémy pour avoir des nouvelles.
25 octobre 1915 - Samedi dernier, j’ai fait de la manœuvre à pied et commencé à commander. Le matin, il y avait travail et j’ai fait la connaissance du sergent-major Tatin, qui est l’ancien élève de Weill à Tournon. Une explication un peu vive avec l’adjudant Dubey (?) me cause quelques inquiétudes, car il est bien évident que mon gîte à l’hôtel est irrégulier, surtout étant chef de cantonnement. Enfin, on verra. Le soir, j’ai une permission et je pars à Paris où je vais au cinéma voir représenter quelques épisodes de la bataille de Champagne. Je couche à l’hôtel, rue Myrha. Le lendemain, je vais à Clichy voir ma tante Marie, et j’y trouve Louis Baudouin qui va se fixer à Paris. L’après-midi, je vais avec Démaretz et Lucien à la gare du Nord. Il fait un temps abominable, mais quand même nous restons là. Toujours les évacués ou les fugitifs qui s’interpellent. Tout le monde semble se faire à la situation. Depuis un an que cela dure, on s’habitue et, sous prétexte de prendre son mal en patience, on se fait à sa vie, on s’adapte. Je fais tache, certainement, dans cette ruche car je ne ris pas et les taquineries des uns et des autres finissent par m’agacer. Aussi, c’est presque avec un sentiment de soulagement que je repars à La Varenne.

Je ne reçois rien du proviseur de Montaigne ! Il se pourrait que le Recteur trouvât mon déplacement inutile pour si peu de temps (cinq heures). Néanmoins, j’écrirai ce soir au lycée pour savoir quelque chose. D’ailleurs, je ne sais pas si je pourrai continuer la manœuvre à pied qui m'épuise vite, et je retournerai prochainement voir le major.

Ce matin, j’ai assisté à un cours sur la construction des voies ferrées fait par un ingénieur. Ce n’est pas difficile, peu de théorie. Depuis trois jours, il passe de nombreux trains d’anglais partant sur Marseille.
27 octobre - J’ai reçu hier une lettre du proviseur de Montaigne. Il me donne mon emploi du temps que j’envoie par lettre au capitaine, avec demande pour commencer mon service au 1er novembre. Hier, le collègue Sayour a été affecté à Paris pour le service Central de l’A.L.V.F.. On lui a enfin dit pourquoi nous étions ici. Il s’agit de calculer des tables de tir. Cela va permettre d’établir et de préciser notre situation ici. On va mettre à notre disposition une salle de l’infirmerie. Nous ne serions plus au service de la batterie, ce qui présenterait un avantage considérable car les fonctions de chef de cantonnement ne procurent que des ennuis lorsqu’on a affaire à des officiers et des adjudants comme ceux que nous avons ici. Quoiqu’on fasse, il y a toujours quelque chose qui cloche, et c’est prétexte à observations blessantes ou à rebuffades peu polies.

Nous avons chiffré toute la journée et il est probable que nous continuerons, mais j’aime autant cela que le travail inepte et la manœuvre à pied abrutissante, sans compter le voyage au front d’ici quelques jours ou quelques semaines.

Les journaux sont pleins de l’exécution de Miss Cavell (?) à Bruxelles. On n’avance plus. Nous voilà repartis pour un hiver entier, hors préjudices des difficultés croissantes dans les Balkans.
Les trains d’Anglais continuent de passer à La Varenne, probablement se dirigeant vers Marseille. En attendant, je ne reçois rien du Nord. Le journal d’hier donnait quelques détails sur le ravitaillement des régions envahies.
28 octobre - Reçu une carte d’André. Il est en première ligne et doit revenir à l’arrière aujourd’hui. Il commence déjà à souffrir du froid et nous ne faisons qu’aborder l’hiver. Il a reçu de sa tante un mot l’avisant qu’elle a su par un brésilien rapatrié de Lille que toute sa famille était en bonne santé. Tant mieux. Recevrai-je bientôt quelque chose du même genre ?

Ma situation ici se précise. Je suis maintenant exempt de tout service à la Batterie et relevé de ma fonction de chef de cantonnement. Ouf !

J’ai passé une très mauvaise nuit. Rêves abominables de la famille, d’Amante. Je ne m’arrête guère aux rêves mais celui-ci m’avait laissé une impression d’horreur dont je ne savais me débarrasser.

Ce matin, le capitaine doit s’informer si je puis être autorisé à faire classe à Montaigne. J’aurai probablement une permission de quarante-huit heures à la Toussaint, que je passerai soit à Paris, soit à Maisons-Laffitte.


29 octobre - Je suis allé ce matin à Paris par le tramway. Il était nécessaire d’aller à Montaigne car demain, je ne pourrai m’y rendre avant la fermeture de l’économat. Rentré à onze heures et quart, j’ai déjeuné au restaurant et suis allé à notre bureau où j’ai trouvé une lettre du dépôt du Vingt-huitième Dragon. Rémy est en bonne santé apparemment car on a rien reçu le concernant. On me donne une adresse postale complète, secteur postal 37. Je lui écris à nouveau et lui offre de l’argent. Il est probable que le pauvre garçon n’en a pas vu beaucoup depuis un an, s’il n’est pas ordonnance d’un officier.

Nous n’avions rien à faire et j’ai passé mon après-midi à rêver. En fermant les yeux, je me revoyais à Mouvaux et je voyais papa, allant et venant dans le jardin, maman dans la cuisine, Amante à l’école, les enfants ?? où ? Suzanne ? Edmond ? Jehan, probablement en classe. Et tous ces malheureux se demandant quand finiront ces horreurs, pendant que, de mon côté, je n’ose envisager l’avenir ne sachant si je les reverrai jamais.

Et dans tout cela, c’est moi le moins à plaindre car, jusqu’à présent, j’ai eu de la chance et n’ai encore couru aucun risque. Il se peut que je n’en courre pas davantage. La liberté relative dont j’ai joui jusqu’à présent rendait toujours ma situation militaire supportable. Rien ne fait, hélas ! prévoir le moindre changement.
30 octobre - Reçu, avec une carte de Colson, une lettre de Rémy. Il est au front mais ne me dit même pas dans quelle région. Il était marié depuis deux mois et demi quand la guerre éclata. Sa femme, évacuée, serait à Ablon.

Mon collègue Sayour est à Paris. Il doit tout à l’heure me dire si je vais faire classe à Montaigne car il va le demander au capitaine Gérardville, dont nous dépendons maintenant. J’ai en poche ma permission de quarante-huit heures et je me demande ce que je vais en faire, car le résultat le plus clair est dans la dépense que je fais.

La situation dans les Balkans empire plutôt qu’elle ne s’améliore. Que sortira-t-il de tout cela ? Est-ce la prolongation de la guerre ou, comme les journaux allemands l’annoncent, le cheminement vers la paix ? C’est déprimant au possible.
2 novembre - Samedi, à trois heures, Sayour revient avec l’autorisation du capitaine Gérardville et le capitaine de la Batterie me la communique. Il m’établit un laissez-passer permanent pour trois jours par semaine - lundi, mercredi, vendredi - pendant lequel je pourrai aller librement à Paris, pour mon cours. Je pars ensuite à Paris, où je trouve Démaretz à sept heures et quart et Louis. Nous dînons ensemble et finissons la soirée au cinéma : c’est là qu’on voit le mieux les actualités de la guerre.
Démaretz m’emmène coucher boulevard de Grenelle, où on trouve le lit occupé par Lucien qui a, lui aussi, une permission de quarante-huit heures. Il faut faire contre mauvaise fortune bon cœur et on se couche à trois dans un lit heureusement assez large. Le dimanche, nous partons à Saint-Germain par la pluie. Nous pouvons visiter la ville, mais le château est fermé. Ce sont trois gardiens qui nous en informent. Il vaut mieux voir les soldats au café. Nous allons voir Vulstecke d’Haumont qui est aide-pharmacien et, avec quelques évacués, on cause du Nord. Mais il faut repartir à Maisons-Laffitte (sept kilomètres). On ne connaît pas la route et Démaretz n’est jamais pressé. Aussi, on part à cinq heures et quart par des chemins inconnus en forêt. Nous arrivons à Maisons à sept heures et quart. Je suis fatigué à cause de ma nuit précédente et la soirée se passe à boire du café et à causer à trois. Démaretz a peur de l’hiver et de la solitude qu’il subira.

La journée de la Toussaint est pluvieuse. Nous ne savons où aller. Je vois sommairement la ville où l’on rencontre des quantités de jeunes soldats (Dragons) qui sont là depuis un an. Visité une écurie, le château est fermé, naturellement.


Enfin le soir, je pars à huit heures cinquante et rentre à La Varenne à onze heures. Ce matin, j’ai trouvé quelques lettres. Maurice Caron me demande de l’argent, je lui envoie vingt francs. Evelina réclame des nouvelles. Je passe la journée à notre bureau à ne rien faire. Nous avons un adjudant, professeur au Prytanée de La Flèche qui va travailler avec nous.

Ces trois jours m’ont paru interminables. Demain, j’irai faire classe à Montaigne. Cela procurera une diversion que j’attends. J’aimerais savoir combien durera cette vie nouvelle mixte.

Rien de nouveau encore de Mouvaux, soit par la Hollande, la Suisse ou l’Allemagne (prisonnier). Je voyais hier tant de gens avec leurs enfants, et moi j’étais dans la foule comme un corps sans âme, n’ayant envie de rien, la pensée là-bas, indifférent à tout. Je trouve Démaretz curieux dans ces circonstances tragiques. Jamais il ne parle de sa famille, et, quand j’en parle, il laisse tomber la conversation comme s’il valait mieux n’en point parler. Est-ce à dessein ? I believe that he is thinking the only and the most to grudge and commiserate for himself not for his dear own.

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