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Vous venez de télécharger la première Partie des mémoires de guerre de Edmond tondelier


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8 septembre - Rien d’intéressant. Je me suis fait proposer hier pour le personnel susceptible d’être affecté au contrôle des correspondances en langues étrangères. C’est peut-être un moyen de rentrer à Paris, au Ministère de la Guerre ou ailleurs. Le commandant me donne une appréciation favorable et flatteuse. Cette proposition ira à la Division le 10, au gouvernement militaire le 13 au plus tard. Je serai fixé vers le 20 ou le 25. Démaretz m’informe que Lucien est nommé élève-aspirant. Il part à Saint-Cyr prochainement.
Au moment où on croit que l’offensive est commencée, on apprend que Joffre est parti en Italie. De plus en plus, je crois à la campagne d’hiver. Espérons que d’ici là, j’aurai quitté Ozoir, où je m’ennuie de plus en plus. Dimanche, on a fait un état de prévision de fin des travaux. Ce serait pour le 15 octobre. Un autre état (matériel et personnel) semble bien indiquer que l’on s’attend à un déplacement inopiné du personnel.

Il y a un an, je voyageais du côté du Mans. C’était la nuit qui commençait, et je n’entrevois pas l’aube de cette nuit d’un an.


9 septembre - Journée passé à travailler pour moi, comme hier d’ailleurs (cinq chiffres pour le bureau). Hier soir, je suis allé faire une promenade jusqu’au passage à niveau de Gretz. Promenade magnifique où l’on voit la ferme Péreïre, le château du même, et cette magnifique route de Meaux à Melun qui, entre Gretz et Pontcarré, est couverte de gibier, de faisans par milliers. Je suis si bien seul que ma pensée n’éprouve aucune contrainte, et les détails de ma vie reviennent en foule. Je redoute le malheur et me demande si ma part de joie n’est pas complètement arrêtée et si, quand la guerre sera finie, je dois encore compter sur une heure de contentement. Cette séparation inhumaine bouleverse toute ma vie et je suis, en somme, plus malheureux que le prisonnier de droit commun qui peut, à jour fixes, voir les siens, recevoir leurs lettres. Si j’étais seul à souffrir ainsi, mais eux, là-bas, sont plus à plaindre que moi car ils ignorent tout ce que m’apprennent chaque matin les journaux et les lettres.
10 septembre - Aujourd’hui, quelques lettres, une de Colson, Boucher, André, Evelina, Paul.

J’écris à Émile Macarez et à Madame Seydoux. A cette dernière, je demande si elle peut me procurer un moyen d’écrire à Mouvaux. Qui sait ? Sa maison a certainement des correspondants boches et il se peut que, par des intermédiaires, elle me fasse parvenir une lettre. Mon seul passe-temps intéressant est d’écrire, et j’écrirai au pape si le pape avait quelque pouvoir dans les affaires de ce genre. Et puis, écrire maintenant, c’est encore penser à ma femme et aux miens ……


12 septembre - C’est aujourd’hui la fête Solesmes, d’Arleux (?). Je ne pense aux fêtes que pour les souvenirs qu’elles évoquent. Hélas ! Hier, le commandant partait à dix heures et demi en permission. A midi, un message annonçait l’arrivée du commandant du secteur à trois heures et demi et du général à quatre heures. J’étais seul au bureau avec le capitaine à cinq heures. J’apprenais le départ du commandant et la nomination du commandant Tur à la tête de mon service (c’est le quatrième depuis quatre mois et demi). Le commandant Thiollier part près de Clermont Oise, à Airions, dans un secteur nouveau d’une ligne qui ira de Beauvais à la Fère-en-Tardenois (?). J’apprends en même temps qu’on vide le camp retranché. Cela sent mauvais et je m’attends à des changements plus importants d’ici quelques temps. Ces changements ultérieurs reposent d’ailleurs sur une offensive fructueuse, et il faut attendre des résultats problématiques.

Les sapeurs bûcherons sont partis aujourd’hui vers Villers-Côteret. Les artilleurs du château de Romaine également. Enfin, on expédie demain cinq cent outils de terrassiers à Longpont. J’apprends également l’envoi de mille cinq cent artilleurs du camp retranché vers Senlis.


Cette journée du dimanche a été bien remplie. J’ai dû aller retenir un wagon à la gare d’Ozoir, téléphoner, rédiger des notes de toutes sortes et il se pourrait que demain, je sois obligé de partir en auto à Villiers pour chercher des outils. C’est un travail fou pour lequel je suis seul car tous sont partis en permission. Un sous-officier est désigné pour convoyer l’outillage qu’on envoie à Longpont près de Soisson. Je serais allé volontiers faire cette promenade là-bas.

Sur la guerre : toujours des actions d’artillerie qui ont leur écho jusque dans les communiqués russes.

A cinq heures et demi, je pars à Villiers chercher quelques outils, voyage intéressant et mouvementé. Je passe par Ozoir-gare prendre l’heure du train de demain puis, en route pour Ferrière, Croissy-Beaubourg, Malnoue et Villiers. Mais dans ma précipitation, j’ai oublié un laissez-passer. Heureusement, les gas des voies présentent les armes comme si j’étais un simple général, et je passe. A Villiers, on me dit : Ce n’est pas ici, c’est à Emérainville et Combault qu’il faut aller. J’achète du carbure et après le dépôt de la voiture nous partons à Emérainville où on me remet une herminette (?). Je repars pour Ozoir en passant par Pontault, il est sept heures et demi du soir.
Je rends compte de ma mission et me voilà tranquille.
13 septembre - Journée bien remplie. Le matin, je vais au bureau à six heures et quart, il y a beaucoup à faire pour cette expédition d’outils. J’accompagne le nouveau commandant pour une courte tournée. Vers dix heures et demi, le commandant Thiollier me fait ses adieux, il part à Airion avec son ordonnance et sa voiture. L’après-midi, il y a un nouvel état à produire ; il va falloir neuf cent à mille hommes pour les convois de ravitaillement (autos) et beaucoup partiront faire leur apprentissage.

Je vais faire une magnifique promenade à bicyclette à Gretz, Armainvilliers. On nous autorise à traverser le parc d’Edmond ! de Rothschild, où il y a de nombreuses statues et une prise d’eau immense, des arbres splendides. Le château est une ambulance. Nous sortons par la porte du Puits carré et nous tombons (?), sur la route d’Hermières, sur une jolie ferme qui fait l’effet d’un décor de féerie, mais ce que nous voyons surtout c’est du gibier, faisans innombrables. Nous partons toujours en forêt à Ferrière, dont le parc est entièrement entouré de murs. Je peux néanmoins voir la façade et une vue de l’entrée de ce château historique où fut signé l’armistice de 1870 par J. Favre (?) et Bismarck. J’entrevois au-dessus des haies une roseraie immense, des serres nombreuses. Si papa pouvait visiter tout cela !! Nous retournons par Pontcarré et, sur la route, je lance quelques mots lillois à un groupe de gas du Nord que j’ai reconnu à leur parler en passant. Nous rentrons à sept heures (?).


14 septembre - Je reçois deux lettres. Une de Madame Seydoux qui est très aimable et une d'Émile Maccary qui est très réconfortante. Il rappelle notre amitié d’enfance et me donne rendez-vous pour demain. C’est très joli, mais un peu trop rapproché pour qu’il me soit possible d’obtenir un laissez-passer. Je vais lui écrire.
16 septembre - Il y a un an, je me morfondais à Brive avec l’espoir de retourner bientôt dans le Nord. Les classes territoriales n’étaient pas toutes appelées et je voyais quelque répit avant mon incorporation. J’avais en outre l’espoir de pouvoir communiquer car on recevait des télégrammes pour Lille. Que d’événements depuis !

Hier, il y a eu une visite générale des auxiliaires. Celui d'ici, Gort (?), a été versé dans le service armé. Je suis maintenant plus inquiet que jamais. Une note du Temps d’hier annonçait que la misère était affreuse à Lille-Roubaix-Tourcoing, que la population était évacuée peu à peu. Qu’attend-on pour l’offensive ? Depuis dix jours, on n’a pas dit un mot du front anglais et je me demande si on essaiera quelque chose pour dégager notre malheureuse région.


17 septembre - Toujours du changement. Le capitaine Dart s’en va et on adjoint au commandant celui de Lésigny, qui doit venir à Ozoir. Il se pourrait, si cette affirmation se vérifie, que ma situation soit modifiée car le dit commandant peut conserver son personnel de bureau et me remettre dans le détachement. Attendons la vérification de tous ces ragots.
20 septembre - J’ai passé ma permission à Paris et à Clichy. J’aurais beaucoup à écrire si je devais raconter l’emploi de mon temps. J’en donnerai seulement un sommaire. Vu Madame Seydoux qui a été extrêmement aimable et qui a mis sa bourse à ma disposition. Elle n’oublie point papa et maman. Elle me donne quelques détails sur le Cateau, me parle de la guerre, mais pas moyen d’écrire dans le Nord.

Je vais chez ma tante Marie, à Clichy. Rien à signaler. Albert Machuet (?), versé dans le service armé, fait sa marche d’entraînement à Guéret. Louis travaille rue de l’Ourcq, comme magasinier dans une usine. Le soir, je rejoins Démaretz gare Saint-Lazare. Le dimanche, nous allons à la Bastille puis, l’après-midi, gare du Nord où je vois Jules Vasseur qui me donne une adresse pour écrire dans le Nord. Entrevu différentes connaissances. Soupé avec Démaretz, Lucien, Louis et je rentre à Ozoir.

Aujourd’hui, j’écris à Amante. Serai-je plus heureux ? Aurai-je une réponse dans cinq ou six semaines ?

Des nouvelles, ici. Bitard (?) s’en va au Génie. Leçon de chimie de guerre avec le capitaine Masson. Des nez s’allongent. Difficultés nombreuses sur les chantiers. Rapports divers. Cela promet. Des instructions vont surgir mais les difficultés augmenteront. Ce serait amusant si on ne voyait pas tant de fantoches inquiets parce qu’ils sentent leur situation ébranlée et la dissolution prochaine du bureau, du détachement, etc …

Des radiations sont proposées. Chez les embusqués, on va rire jaune dans quelques petits groupes.
21 septembre - Encore une date historique mais qui, cette année, ne se signale par rien. J’ai écrit longuement à Amante et versé sept francs vingt dans un mandat destiné à couvrir les frais d’envoi à domicile et le retour d’une réponse. Quand aurai-je la réponse ? L’adresse doit être bonne car Vasseur a eu une lettre récemment, et Maurice Caron me l’avait donnée en affirmant qu’un sergent de Saint-Cyr avait régulièrement des nouvelles par cette voie.

Hier soir, j’ai lu un peu et rangé des papiers dans ma chambre. Les soirées s’allongent déjà, mais où ira-t-on quand Ozoir sera fini ?

La lecture des journaux n’apporte que le découragement car les russes reculent toujours. Vilna est occupée par les boches et, de ce côté, en dehors des luttes d’artillerie, rien de remarquable et aucun résultat. Il va falloir se préparer à la campagne d’hiver et, comme je ne serai plus à Ozoir, il y aura bien des difficultés à tourner (?) si on nous expédie à Soisson.
22 septembre - Mon petit Jehan a aujourd’hui onze ans. Il semble vraiment que je sois condamné à n’être jamais auprès de lui à ses anniversaires successifs. Je ne l’ai pas vu naître et, les autres années, je me trouvais presque toujours à Paris. L’an dernier, j’étais encore à Brive, et, depuis un an, je n’ai pu l’entrevoir que du 28 septembre au 3 octobre. Une année entière, non seulement sans voir ses enfants, mais sans en entendre parler ni en avoir de nouvelles. Et toujours rien. Il semble que pour le reste des français, pour le gouvernement, nos malheureux n’existent plus. On prend tout doucement les mesures utiles à la guerre d’usure, à l’offensive lointaine. Mesures qui permettent à l’ennemi de renforcer toutes ses positions et de les rendre imprenables. Notre état-major juge-t-il y gagner dans l’esprit du monde des alliés et estime-t-il que les régions envahies n’ont aucune valeur ? Je me désespère de la situation et me demande si je saurai encore passer un hiver entier dans le même état d’esprit et, si je ne savais pas faire plus de peine aux miens en m’exposant à disparaître, je n’hésiterais pas à partir pour le front.
23 septembre - Je reçois aujourd’hui un lettre d'Achille Party. Versé dans l’Auxiliaire l’hiver dernier, il travaille à Paris. Il voit le chômage arriver. Il a reçu une lettre de sa femme. Tout le monde en reçoit sauf moi.

Rappel pour mémoire. Demande Lamouroux. Réponse N°8307. 20 septembre “ La consigne est de garder les ouvriers” malgré conclusion (…) du commandant du secteur. Travail, (…), débauchage, désorganisation. A rapprocher, rapports Guérin. Panet.

Après la guerre, on se plaindra des impositions.

Je voudrais tant avoir un travail utile et intelligent à faire, mais non. Les travaux devront être finis le 15 octobre. Nous en reparlerons le 15 novembre. Le capitaine part demain vers Longpont avec le commandant Fromheim qui va à Artenne (?), toujours sur la nouvelle ligne Beauvais, La Fère. Paris sera imprenable jusqu’à la prochaine guerre mais on aura masqué le vide des opérations sur le front par des travaux.


25 septembre - Je suis un peu souffrant. L’intestin est pâle (?) et je souffre de coliques probablement dues à la viande frigorifiée, qui n’est pas toujours de bonne qualité.

Ici, toujours des changements, le commandant est parti hier pour quatre jours, reconnaître une ligne de chemin de fer à Miramar, près de Marseille. On a expédié les affaires en cours. L’après-midi s’est passée à flâner, et j’ai joué aux cartes dans la cuisine. Le soir, je suis allé faire une visite à Monsieur Cortillot, journaliste de Laon, réfugié ici et malade. Ce matin, on nous annonce l’arrivée du commandant Goury du Rostan, chargé maintenant de commandement du cinquième secteur. Je crois qu’il va y avoir des changements peu agréable à beaucoup, car c'est un chef exigeant et peu commode quand il y a des infractions aux règlements. Tenue, café, service, etc.

Lefèbvre m’écrit enfin. Je suis rassuré. Il est versé dans l’Auxiliaire et reste à Dunkerque comme secrétaire. Il vaut mieux cela pour lui.
Hier, j’ai écrit à nouveau à Faldony, par l’intermédiaire d’une dame à qui Jules Vasseur doit remettre ma lettre. Cette lettre arrivera-t-elle ?

Au point de vue général, la situation se complique encore du fait de l’attitude de la Bulgarie, qui mobilise probablement contre la Serbie. Va-t-on prendre l’offensive une bonne fois ? Les journaux, comme Le Temps, semblent le suggérer. Tout cela est bien obscur et laisse peu d’espoir de voir se dénouer ces difficultés.


Bientôt, le temps sera mauvais, on ramènera des troupes ennemies contre nous, et je me demande quand on en sortira.
26 septembre - Dimanche - Le communiqué semble indiquer l’offensive en deux points, l’un au Nord de Lens à Loos en Gohelle et Hulluch, l’autre en Champagne entre l’Aisne et la Suippe, où l’on occupe les tranchées ennemies, et où la progression continue …… Attendons les autres communiqués.

Depuis trois jours, aucune lettre n’est arrivée du front. Je m’ennuie et suis très anxieux. Mon état général est plutôt mauvais et nous sommes dans des conditions déplorables pour nous soigner ici. La situation du bureau paraît de plus en plus précaire, car il n’y aurait plus, dit-on, qu’une position dans le secteur. Le commandant serait donc inutile et le service serait centralisé entre les mains du commandant Goury du Rostan qui a son personnel. Rien d’étonnant à ce que j’aille prochainement surveiller un chantier. Je vois avec inquiétude l’avenir si sombre et la vie de famille si loin, si même je dois la reprendre.

Reçu aujourd’hui une lettre d'Émile Macary, qui compte me voir mercredi. Dans quel état serai-je mercredi et pourrai-je aller à Paris ?
27 septembre - Toujours du changement. Aujourd’hui sont arrivés des bureaux de Sucy. Le sergent Philippon me dit qu’en application de la loi Dalbiez, on va remplacer les employés par des militaires et que, vraisemblablement, les bureaux vont être supprimés. Ceci suppose ma rentrée dans le rang. Attendons le retour du commandant qui rentre demain pour se faire une opinion. D’ailleurs, tout semble indiquer que la situation va se trouver modifiée du fait des événements. Le communiqué de ce jour est le plus beau depuis la Marne : vingt mille prisonniers en deux jours. L’offensive semble déclenchée en deux points. Arras, la Bassée et Champagne. Pas encore de lettre du front. Que devient André ? Il est probable qu’on veut impressionner la Bulgarie. Notre situation ici serait vivement réglée si les boches rectifiaient leur front. Mais que feront-ils ?

Pas de lettres aujourd’hui. Je suis sur des épines et je lis tous les communiqués et tous les journaux pour chasser mes idées.


30 septembre - Nogent-sur-Marne. Me voilà redevenu nogentais et ces deux derniers jours sont fertiles en épisodes mouvementés. Mardi matin, le commandant Goury du Rostan arrive à huit heures et demi et me dit sans ambages “- Vous partez, vous ! - Bien ! - Vous dites ? - Je dis : Bien ! Mon commandant !” Puis, il s’en va et revient une demi-heure plus tard et me dit : “Je vais vous renvoyer à Nogent où l’on pourra tirer meilleur parti qu’ici de vos connaissances. Ici, vous devriez faire du pointage, et on peut vous utiliser beaucoup mieux.”
J’en profite pour demander un laissez-passer et le commandant me donne une permission de quarante huit heures. Je fais mes adieux partout. C’est une stupéfaction générale car on s’attachait à moi. Ma propriétaire, la bonne Madame Parisy, en est toute désolée. Je vais serrer la main de Monsieur Cortillot. Au mess, on est inquiet car les menaces du nouveau commandant pleuvent dru. Les camarades m’assurent de leur sympathie. Je paie la bouteille classique et je pars à quatre heures à Paris, car le lendemain, je dois toucher mon traitement et voir Émile Maccary. En passant, je dépose mon barda à la gare de Nogent.
Le mercredi 29, au lycée Montaigne, je donne ma nouvelle adresse et je vois le proviseur qui me lit une circulaire nouvelle en vertu de laquelle il est autorisé à me redemander. Je lui donne tous les renseignements nécessaires et il me promet d’écrire pour me réclamer au ministère. Le pauvre proviseur ne sait comment s’y prendre pour sa rentrée. Il a de nombreux élèves, et pas de professeurs. Il se pourrait donc que je fusse partiellement démobilisé pour aller faire classe à Montaigne, ce qui n’est pas pour me déplaire.

Je suis arrivé à midi à la gare de Lyon et je déjeune avec Émile Macary. Nous avons bavardé comme jadis, et fait pas mal de courses ensembles. Puis, le soir, j’ai dîné avec Passaye qui, lui, a eu des nouvelles de sa femme et de sa mère. Le communiqué du soir est très bon, mais rien ne se décide encore pour la région de Lille, malgré le succès anglais à Loos Vieny (?).

Aujourd’hui, je me présente à Nogent à dix heures et demi et suis reversé à la Maternelle, et je ne trouve plus qu’un seul sous-officier connu et un vague embusqué pompier. Tous les anciens sont partis, dispersés un peu partout. Je retourne à mon ancien mess Cavanna, et j’ai l’impression très nette d’entrer dans l’inconnu encore une fois. Attendons pour vérifier nos impressions.
D’André, rien encore. Une note laconique annonce qu’il ne faut pas attendre de lettres du front. Il est temps, je n’ai rien reçu depuis plus de huit jours et je me demande la part que le pauvre garçon a pris à cette tuerie effroyable, dans laquelle près de cent mille allemands ont été tués, blessés ou fait prisonniers.

J’ai toujours mon esprit tendu vers lui et vers les miens. Et rien pour me rassurer. Que faire dans mon désœuvrement qui va encore marquer mon séjour ici ? Mais n’anticipons point sur le troisième chapitre qui sera presque le troisième volume de mes mémoires militaires.


carnet III
1er octobre 1915 - Nogent-sur-Marne - Me voilà donc revenu à Nogent. Les bureaux de la mobilisation m’ont appelé à l’école maternelle, où je ne retrouve qu’un vague embusqué parmi l’équipe de sous-officiers que j’y ai connus. C’est le pompier. Lui seul a survécu. Tous les autres sont partis à tour de rôle. Il y en a partout. A Dijon même. Je suis un peu perdu. Le vaguemestre Conrat fait fonction de chef. Je ne connais pas l’adjudant Fabiani. Mon premier soin est de chercher un logement à proximité du détachement. Je trouve une chambre nue dans une maison neuve. On me la meuble sommairement. Une table, deux chaises, un lit garni et un petit buffet. Je m’installe le soir même. Je suis allé revoir ensuite mes propriétaires du début qui me font bon accueil et sont toujours les mêmes (!). Le service n’a plus rien de comparable à ce qu’il était pendant l’hiver. Quand on n’est pas de service, on est libre. J’en profite et je passe la journée dans ma chambre à écrire. J’ai vu aujourd’hui l’adjudant Albert qui me demande d’aller à son mess. On verra.
J’ai fait une visite au lieutenant commandant le dépôt pour lui annoncer la demande du proviseur de Montaigne. Il m’a reçu extrêmement bien et ne mettra sûrement pas opposition, si la demande arrive jusqu’à lui. Je passe à la visite du major. Cela se borne à une conversation aimable.
2 octobre - Je suis désigné de patrouille de dix-sept heures à vingt heures trente. En attendant, je remplace un collègue qui part en permission et je vais prendre le service au Cèdre. J’ai reçu une carte d’André datée du 22 septembre. Qu’est-il devenu depuis ? Sa carte me dit qu’il fait partie d’une division d’attaque. Je viens de finir ma patrouille. Elle consistait à circuler en ville, la jugulaire au menton, avec deux poilus, et à m’assurer de la bonne tenue des hommes. Nous sommes peu nombreux comme sous-officiers et, demain, je prends la garde au jardin colonial où se trouve un hôpital. J’espérais voir Démaretz et Louis, mais je suis refait.
Nous sommes aujourd’hui samedi. C’est l’année dernière à pareil jour, mais le 3, que j’ai quitté les miens et, depuis un an, les allemands sont toujours à Reims et à Noyon et je me demande combien de temps durera encore cette séparation. trois cent soixante-cinq jours d’inquiétude. Si je n’avais pas l’espoir si solidement ancré, même sans savoir ce qu’il vaut, je serai mort depuis longtemps.
4 septembre - Hier, je suis allé à Paris le matin et j’ai vu Démaretz chez lui. Nous avons déjeuné ensemble et à deux heures et demi, je repartais à Nogent, où je suis arrivé juste, bien juste pour emmener ma garde au jardin colonial. Ce jardin est une propriété du Ministère des Colonies, dans le genre de Kew Garden en moins beau et dont les pavillons ont été transformés en ambulances - surtout par les tirailleurs algériens, marocains et sénégalais. Peu de français. Nous sommes dans un poste en planches, où il fait froid. Heureusement, on a des couvertures mais quand même, il y fait froid la nuit.
Je reconnais le service à faire : trois rondes de nuit à des postes de contrôleurs dans le parc puis inscrire les entrées et les sorties des blessés. Je passe une nuit assez mouvementée car, avec les rondes, il y a vers deux heures et quart un arrivage de blessés. Dans la journée, je vais visiter quelques salles où souffrent les malheureux. On m’apporte mes deux repas du mess. C’est froid et insipide. J’ai une équipe de braves types qui sont presque amusants. Un normand et un montreuillois ont joué aux cartes jusque deux heures du matin et je les entends déclarer les roués, noué, torré ! La journée se passe sans incidents. A cinq heures, on vient me relever et, en rentrant au cantonnement, j’apprends que je suis encore de service demain à six heures du matin à la cartoucherie. On sue vingt heures. Je vais à la manutention des obus. Si cela continue, je ne m’ennuierai pas mais ce sera plus dur qu’à Ozoir.

Deux lettres, de Louis Baudouin et Maurice Caron. Communiqués insignifiants. La Grèce se prépare à répondre à la Bulgarie qui n’a pas encore déclenché le mouvement.


Les journaux sont vides. Va-t-on continuer l’offensive ? Tout est là !

J’ai passé la journée d’hier en pensée avec les miens. Il y avait hier un an exactement que j’avais quitté ma famille, et je suis toujours séparé d’eux. Cette journée à dû être bien triste là-bas. Il est probable que les renforts amenés d’Allemagne occupent encore les écoles et qui sait si les malheureux n’ont pas été chassés de la maison pour faire de la place à quelque arrogant officier boche.


5 octobre - Hier soir au mess Jeanne d’Arc, l’adjudant Allart me dit qu’un maréchal des Logis Tondelier de la septième Batterie du douzième est mis à la disposition de l’A.L.V.F. à La Varenne Saint-Hilaire. Il n’y a qu’un Tondelier maréchal des Logis au douzième, c’est moi. D’autre part, qu’est-ce que l’A.L.V.F. ? Personne n’en sait rien. Je vais à Fontenay, où est le bureau de la mobilisation du douzième ce matin. Là, on me conseille d’aller jusqu’à La Varenne. Je prends le train et y arrive à neuf heures et demi. L’A.L.V.F. signifie Artillerie Lourde Voies Ferrées. Le commandant ne sait encore rien. Il pense qu’il y a lieu de téléphoner au secrétariat pour s’informer.
En y réfléchissant, et après avoir vu la note me concernant, je crois que cela tient à ce fait que nous avons envoyé pour proposition à l’atelier de réparation de l’aéronautique de Saint-Cyr n’a pas été utilisé pour cet atelier mais retenu pour une formation analogue. Et cela me vaut une désignation pour le moins surprenante. J’aurai probablement ce soir le mot de l’énigme. En attendant, je file à Clichy porter mes livres et papiers encombrants. Ce sera cinq à six kilos de moins à porter. Chez ma tante Marie, rien de nouveau. J’écris pour elle à André dont je suis toujours sans nouvelles depuis l’offensive du 25. Qu’est-il devenu ?
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