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Vous venez de télécharger la première Partie des mémoires de guerre de Edmond tondelier


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22 février - Aujourd’hui, je devrais souhaiter la fête d’Amante car c’est demain son anniversaire. J’y penserai toute la journée. Certes, elle connaît les vœux que je forme de tout mon cœur, mais ce qu’elle ne connaît pas, c’est la souffrance que j’éprouve à la pensée de ne pouvoir lui en faire part et de ne savoir quand il me sera possible d’y parvenir.

On vient de m’interrompre pendant que j’écrivais ce qui précède au bureau. C’est un sergent du Régiment d’André qui est venu m’apporter le bonjour de son camarade et me donner de ses nouvelles. André était avec son régiment en réserve d’armée à Pogny depuis deux mois. Il vient de remonter aux tranchées mais pour remplacer momentanément un régiment disloqué. Ce sergent me dit que le Cent cinquante cinquième serait appelé à rester régiment de réserve et à marcher en avant après le premier choc.

Je reste à peu près seul à La Varenne. Sayour va donner congé à notre propriétaire.
24 février - Triste journée. Les allemands attaquent Verdun avec une vigueur effroyable. On cède du terrain. Depuis quatre jours, la bataille fait rage. Je crois que l’on tiendra, mais quelle hécatombe. Un ordre du jour boche dit que c’est la dernière offensive, mais il s’agit de galvaniser les hommes, et cet ordre du jour n’a pas d’autre but. Il ne faut pas compter sur une retraite même si l’on échouait dans cette tentative de percer le front français et de prendre Verdun.

Sayour a fait son déménagement ce matin. Je reste seul au logis, mais jusqu'à quand ?


28 février - La bataille continue, violente autour de Verdun. La ville est probablement détruite. Le fort de Douaumont a été pris, repris. Nos troupes se sont repliées sur la seconde ligne et gardent la crête des Hauts-de-Meuse. La situation reste grave, bien que le public n’est pas l’air de s’en douter, si l’on en juge par les conversations entendues en chemin de fer et au café. Des renforts énormes sont envoyés. Le premier corps serait parti. Malgré le pessimisme noir de Démaretz, je veux espérer mais quelles pertes effroyables de part et d’autre. Il est impossible que la guerre se prolonge longtemps si l’on va dans cette voie. On sent chez tous les esprits cultivés une angoisse sourde qui perce pendant toutes les conversations.

Rémy m’a écrit hier qu’il était en permission à Ablon. Je lui écris pour l’inviter à déjeuner mercredi. Hier, à la gare du Nord, Carvo (?), de Neuvilly m’a dit qu’il a eu des nouvelles de sa mère. On me reparle de Madame Dundre (?) morte à Chartres depuis son évacuation. J’ai reçu des anciens élèves du Cateau, Monfroy, Griselin, Fontainier. Degrémont me parle de la dernière réunion rue Cadet. On n’y fait rien, naturellement.

Hier soir, je reprends le train à huit heures dix à la Bastille mais à dix heures quarante, j’étais encore au parc de Saint-Maur. Je partis à pied et arrivai à La Varenne à onze heures. La ligne était encombrée de trains (renforts, matériels, blessés, etc. …)
1er mars - Nous commençons notre vingtième mois de guerre, et la victoire totale, définitive ! qu’on nous promet paraît toujours aussi éloignée ! La bataille qui se livre depuis dix jours autour de Verdun semble se ralentir et subit un temps d’arrêt. Qu’est-ce que cela nous réserve ? Il serait difficile de le dire. Les journaux allemands sont de lecture bizarre et embarrassée. C’est pour eux la victoire, naturellement, mais les pertes sont tellement fortes qu’on ne peut pas s’en réjouir. Chez les neutres, on conclut nettement à un échec boche car le front n’est pas percé et Verdun n’est pas prise, tant s’en faut.
Aujourd’hui, j’ai fait venir Rémy et sa femme et j’ai déjeuné avec eux. Puis, je les ai promenés autour du Louvre. Rémy a le petit air suffisant, détaché, connaisseur de celui qui n’a plus rien à apprendre de Paris. Il est presque amusant.

Barker m’a écrit une longue lettre. Il me dit beaucoup de choses aimables et est presque lyrique en parlant de la France. Il est réconfortant car il me donne bien une idée de la pensée dominante anglaise.


Hier, je suis allé au Nouveau Cirque. J’avais un billet de faveur que Sayour m’avait donné. C’était idiot et je regrette bien les vingt-deux sous que j’ai payés.

J'espère avoir des nouvelles d’André prochainement. Pourvu qu’il n’ait pas été envoyé à Verdun. Son secteur a été attaqué également (…) de Navarin. Je tremble toujours pour lui ……

Ma chambre à La Varenne, 7 rue Lecerf (Croquis N°1).
2 mars - Un temps d’arrêt dans la bataille de Verdun mais le calme paraît annoncer un autre orage, probablement sur un autre point du front. Lequel ? Une concentration allemande en Belgique laisse supposer que ce sera en Flandre.

Mes amis disparaissent l’un après l’autre. Après Bianconi, Boutry ; après Boutry, c’est Babut, dont Les Débats de ce jour m’annoncent la mort. Pauvre garçon ! Quel malheur ! Que nous restera-t-il après la guerre ? Et dans cette hécatombe, les miens seront-ils épargnés ? Je n’ose plus y penser tant j’ai peur du réveil.


6 mars - Vendredi dernier, je suis allé revoir Monsieur Boucher. Il doit subir une opération à la fin de la semaine et je lui ai offert de transmettre des nouvelles de sa santé à ses amis pendant qu’il sera dans l’impossibilité de le faire lui-même. Il m’a remis un paquet d’adresses, nous avons causé assez longuement de la guerre, de Babut, etc. Il se fera opérer dans une clinique rue Monsieur.

Le samedi se passe comme les jours précédents. Depuis une semaine, nous n’avons plus rien à faire et on tue le temps. Dans la matinée, vers dix heures, on entend une formidable explosion.


Par les journaux de midi et du soir, on apprend qu’un dépôt de grenades a fait explosion à Saint-Denis. Il y a de nombreux morts et beaucoup de blessés. Le soir, je vais avec Démaretz voir une pièce de cinéma au Vaudeville Cabiria. Louis Baudouin vient nous rejoindre.

Le dimanche, je ne vais pas au bureau. C’est la première fois depuis deux mois. Voyage traditionnel à la gare du Nord où je vois des gens de Saint-Python (?) qui me donnent des nouvelles de l’endroit. Nouvelles qui sont en contradiction avec celles que publie Le Bulletin des Réfugiés. On annonce de nouveaux trains d’évacués, mais quand ? Et puis Amante ne reviendra pas. Edmond est probablement inscrit maintenant et jamais elle ne partira sans lui. Ce matin, je trouve dans le train de La Varenne un contrôleur de Lille avec qui je faisais route fréquemment, il y a trois ans, quand je retournais chaque jour à Valenciennes. Il me dit ce qu’il sait (fort peu de choses).

La bataille de Verdun se prolonge mais les boches semblent bien avoir échoué. C’est l’impression qui se dégage des extraits de la presse étrangère. Je dis la presse étrangère car nos journaux ne peuvent dire qu’une faible partie de la vérité.
9 mars - Période de tranquillité relative. Notre sous-lieutenant est parti pour quelques jours en permission et, sans abuser, on respire un peu et on se retrouve à l’aise.

J’ai reçu aujourd’hui une lettre d’André. Il est en repos, et s’attend à partir à Verdun, où la bataille fait rage sans que la décision soit encore bien dessinée. On a des communiqués hauts et bas. On tient bon mais en perdant pied de temps en temps sous la poussée allemande. Ce départ possible pour Verdun d’une division généralement en réserve fait prévoir que ce n’est pas près de finir. Barker m’a écrit il y a quelques jours. Il m’annonce que Ronald est toujours à Douvres. Alan passe l’examen pour l’école de Cadets. Rien d’intéressant.

Nous venons de passer la semaine de carnaval. Comme tous ces jours qui rappellent des souvenirs de fêtes sont tristes et me sont pénibles ! Démaretz est venu me voir avec Lucien à mon bureau de Saint-Thomas-d’Aquin. Il m’a donné des renseignements obtenus par Larivière, prisonnier en Allemagne. Ils confirment ceux que m’a donnés Madame Garraud et sont beaucoup plus brefs sur mes enfants. D’Amante et de papa et maman, pas un mot. C’est désolant. Et rien à faire. Je n’ose plus écrire malgré le conseil de Madame Garraud. Il semble bien qu’il soit d’ailleurs impossible de faire passer une lettre en fraude puisque je ne reçois rien.
14 mars - Mardi - Après quatre jours, je reprends mon journal. Pas de nouvelles d’André. Est-il parti à Verdun, comme sa lettre le fait craindre ? Evelina m’écrit aujourd’hui. Elle est, elle aussi, sans nouvelles de Gaston et très inquiète. Le malheur plane sur toutes les familles. Samedi, j’ai soupé avec Démaretz et Louis Baudouin. Louis part rejoindre son bataillon du côté de Soissons et Démaretz est insupportable, taquin, sarcastique. Nous avons passé la soirée chez Madame Boulengeot et j’étais excédé. Le dimanche classique maintenant : travail et promenade à la gare du Nord. Nous avons cependant assisté à la Mairie du quatrième à une manifestation de la Ligue des Droits de l’Homme, à la mémoire de Jacques, fusillé à Lille pour avoir favorisé l’évasion de prisonniers et d’aviateurs anglais. Lundi, je suis allé à la maison de santé rue Monsieur où Boucher vient de se faire opérer, samedi dernier. L’opération a été réussie, tout va bien. J’écris treize lettres pour en aviser ses amis. Je repasse à la caserne rue de Babylone, avec l’intention de voir mon collègue Mourret, malade. Mais il est à l’infirmerie de l'École Militaire et je ne puis le voir. Le soir, je dîne avenue Louis Blanc avec Finet.

Le Bulletin des Réfugiés signale un moyen de faire parvenir des nouvelles dans les régions envahies, par la Croix Rouge de Francfort. Je vais encore essayer, mais sans grand espoir.

Ralentissement et calme à Verdun, mais pour reprendre dans quelques jours.


19 mars - Dimanche, neuf heures et demi - Je rentre de Paris où j’ai passé comme de coutume la soirée de samedi avec Louis Baudouin et Démaretz à broyer du noir dans le pessimisme du dernier. De la semaine qui vient de se passer, je n’ai rien à noter que les trois visites à la maison de santé où je suis allé prendre des nouvelles de Monsieur Boucher pour les transmettre à ses amis.

Ce matin, j’ai trouvé au bureau une lettre de lui. Il va bien et ne souffre que de l’estomac.

Toujours pas de nouvelles du Nord. Le cercle de fer est infranchissable. Que deviendront mes chers exilés et combien de temps encore passerai-je dans cette situation misérable ? Je n’ose plus écrire mes pensées et je fais les plus noires suppositions. C’est à pleurer.
21 mars - J’écris par l’intermédiaire d’un bureau suisse et de la Croix Rouge de Francfort 3 une courte lettre de vingt mots. Encore faut-il que certaines conditions soient remplies : lettre écrite à la machine, coupon réponse, disposition spéciale. Réussirai-je à la faire parvenir et, surtout, à avoir une réponse ? J‘en doute, car il y a des mois, j’ai essayé par le Ministère des Affaires Étrangères et je n’ai jamais rien reçu. Enfin, il faut tout tenter pour n’avoir rien à me reprocher.

André m’a écrit hier, il est à Vacheranville (?), près de Verdun, en plein dans la fournaise. Cette bataille qui dure depuis plus d’un mois ne paraît pas près de se terminer.

Des faits de guerre, on ne peut rien dégager de rassurant, pas d’espoir. On est toujours aux visites officielles. Cadorna et le Prince de Serbie sont à Paris ; mais les boches sont à Noyon et rien ne permet d’espérer que ce n’est plus pour longtemps.

Je viens de recevoir une nouvelle carte d’André, du 18. Il est bien à Verdun et me dit que son secteur est assez calme. Il me demande des nouvelles des nôtres … hélas !


24 mars -Vendredi - Après ma classe à Montaigne, je vais chercher des photos pour Démaretz et je passe à Clichy pour voir ma tante que je ne trouve pas. Elle est au Sacré Cœur. Je rentre à La Varenne le soir comme de coutume. Seul, toujours seul, comme Werther.

J’ai fait une découverte désagréable avant hier ; la promiscuité, le voyage, la foule convoyée (?) m’a procuré une vermine répugnante. Je m’en suis aperçu à temps. Une application de pommades et quelques bains me débarrassent rapidement de parasites encombrants. Nos officiers, qui étaient partis essayer des pièces sur affût turc (?) à Quiberon, sont rentrés ce matin. Que va-t-on faire de nouveau ? Dans ce bureau qui commence à me peser.

Ronald m’a écrit. Il est inapte à cause de sa lésion d’un muscle de la cuisse. Il est quand même premier lieutenant. Boucher va mieux. Les nouvelles que je suis allé prendre aujourd’hui sont bonnes.
27 mars - Lundi - J’ai reçu une lettre de Guérin qui, l’an dernier, fut envoyé en même temps que moi à Pontault, mais comme dessinateur. Il est maintenant contrôleur pour le service des munitions à Tumel (?), et il vont en permission à Paris. Il me demande de lui consacrer une soirée. Je lui écris pour lui donner rendez-vous demain soir.

Samedi, je suis allé dîner avec Démaretz chez le Docteur Lable de Roubaix, actuellement major à Paris, après quatorze mois de front. Nous avons remué quelques souvenirs du Nord et on a eu l’occasion de parler de quelques fantoches politiciens du Nord qui actuellement s’enrichissent à faire des obus.

Le dimanche, je m’octroie l’après-midi, et après le tour classique à la gare du Nord, je rentre à La Varenne par le tramway. Je vais être obligé avant peu de quitter car on fait des difficultés pour donner des billets à la gare et, d’autre part, on va nous relever du service du courrier. D’ailleurs, j’ai constaté que mon temps de guerre se modifie tous les trois mois, et après trois mois à Nogent, trois à Pontault, trois à Ozoir, trois à La Varenne, trois à ce secteur technique, il faut bien changer pour m’installer à Paris pour faire un nouveau changement.
Si je puis aller jusqu’au 25 avril, je le ferai car je me plais à La Varenne et les soirées à Paris ne me disent rien qui vaille. Enfin ! on verra …

Aujourd’hui, Monsieur Boucher m’a reçu dans sa chambre. Il va mieux mais son organisme général reste détraqué, et il a hâte de quitter la maison de santé pour rentrer chez lui. J’ai expédié les dernières lettres que j’avais à envoyer et il me préviendra quand il rentrera chez lui.

Aujourd’hui a lieu la grande conférence des Alliés à Paris. Qu’en sortira-t-il ? Va-t-on se décider à une offensive avant le dégel, mais j’en doute. D’ailleurs, toute appréciation sur ces faits est hors de notre portée. On subit les événements, et c’est tout !
29 mars - J’ai reçu quelques lettres. Madame Garraud m’offre ses services amicalement pour le cas où j’aurai besoin d’un concours féminin dans mes travaux d’aiguille. Elle me dit que la récolte de miel à Mouvaux a été plus faible, que mes appareils photographiques sont en lieu sûr. Démaretz a reçu par le Ministère des Affaires Étrangères des nouvelles du Cateau et de sa mère. Evelina me demande des nouvelles et mon opinion sur les événements, la guerre, etc. Qu’ai-je à dire ? C’est bien à moi de remonter les autres !!

Hier, j’ai passé la soirée avec Guérin, et j’ai couché à Paris. Nous avons pris un bock au cabaret de Bruant en causant d’Ozoir et de différentes choses. Il m’a parlé du travail dans les usines. Là aussi, il faudrait un contrôle plus actif et on en charge des contrôleurs peu qualifiés. Il me cite un chef, rengagé de la classe 1905 qui, au lieu d’être au front, se fait paisiblement des mois de quatre cent Francs à vérifier le calibre des obus à Fumel (?).

Je cherche un appartement ou une chambre à un prix abordable, car je vais quitter La Varenne vers le 9 avril. D’autre part, un mot du sous-lieutenant cet après-midi semble indiquer qu’on va me déplacer. Pour aller où ? Bah ! Ici ou là, c’est toujours comme soldat et j’ai si peu de désirs en dehors de mon retour dans le Nord que je me désintéresse de tout. Qu’on fasse de moi ce que l’on voudra.
30 mars 1916 - Il y a trois ans, à pareille date ! nous faisions notre emménagement à Mouvaux. C’était des projets d’avenir de toutes sortes et, certes, l’hypothèse d’une guerre venant bouleverser notre vie ne fut jamais envisagée. De tout cela, que reste-t-il ? Des craintes, des inquiétudes et une séparation totale, cent fois pire que celle qui résulte de l’emprisonnement. Je souffre à la vue de tout ce qui m’entoure, le printemps qui est si beau dans cette banlieue parisienne me fait plus cruellement sentir l’absence des miens. Les anglais ont un mot qui exprime bien mon mal, c’est le homesick. Et cependant, personnellement, je n’ai pas à me plaindre, si je compare mon sort à celui des soldats du front. André est au Mont Homme (…) Verdun dans une position effroyablement bombardée depuis un mois. Que devient-il ? Je lui écris de me renseigner souvent et, quand je lis les communiqués, je tremble toujours d’apprendre que des positions importantes sont prises.

3 avril - Lundi - Samedi dernier, j’ai passé la soirée avec Démaretz et Louis Baudouin qui m’apprend qu’Albert Machuet serait prisonnier à Münster. Il aurait été pris il y a un mois à Verdun avec tout son bataillon. Je pense immédiatement à la possibilité qu’il y aura de faire passer de mes nouvelles à Mouvaux quand on sera fixé.

Le dimanche, je travaille au bureau toute la journée, et vers quatre heures je vais rejoindre Démaretz rue Cadet où a lieu une réunion des T.M. (?) des régions envahies. Accambray nous fait un exposé de la situation militaire. C’est impressionnant, lamentable et douloureux. J’ai bien peur que nous n’allions tout droit à la révolution. Le soir, je rentre à La Varenne.

Aujourd’hui, j’ai parlé au proviseur de Montaigne et lui ai demandé de m’héberger à nouveau, car l’hôtel me dégoûte. Je retrouverai là Léonard qui a eu la même pensée et qui est là depuis trois jours. Cela ne paraît pas facile. J’aurai une réponse mercredi. Je n’ai pas encore de nouvelles d’André. Que lui est-il arrivé ? Sa dernière carte est du 24 mars.
7 avril - Je reçois une carte d’André. Il semble toujours gai, mais je me demande dans quelle mesure il est exposé. Son engouement sonne un peu faux et cela se comprend.

J’ai commencé mon déménagement hier, et je le continue pour l’avoir fini lundi. Je tâche au surplus de voir ce que je pense de la région de La Varenne que je ne connaissais pas. Hier, je suis descendu à Saint-Maur Créteil et suis reparti à pied en longeant la Marne jusqu’au pont de Bonneuil, en rentrant pas la rue Louis Blanc. Ce soir, je descendrai au Parc.

Je suis installé à l’infirmerie dans la chambre qu’occupait Colson. Pour combien de temps ?
8 avril - Ce matin, j’ai porté mon sac au lycée. Il ne reste plus là-bas que ma valise. L’installation au lycée se fait lentement. Au bureau, on copie une table de logarithmes spéciaux, travail assommant qu’on fait en attendant mieux. Entre temps, les deux jeunes racontent des épisodes de leur vie au front. Épisodes lugubres dans lesquels il y a toujours une note comique.
On rit, mais on reste le cœur serré devant la somme d’horreurs que représente la guerre depuis vingt mois.
9 avril - Je suis allé vendredi voir ma tante Marie. Elle me donne des nouvelles d’Albert Machuet, prisonnier au camp de Friedrischfeld bei (?) Wesel, après être passé par Münster. Il a écrit à Suresnes, d’abord, puis à sa tante. Il réclame de l’argent. Je n’ai pas d’inquiétude à son sujet, on pourvoira à tous ses besoins. Je donne des indications pour que ma tante fasse passer nos nouvelles à Mouvaux, mais le fera-t-il ? En tout cas, je lui écrirai de mon côté et tâcherai de lui faire passer ma photo et celle d’André. Puisque cela se fait, ce sera un moyen à tenter.

J’ai passé la soirée d’hier avec Louis Baudouin et Démaretz. Maurice Caron est souffrant à l’infirmerie (rougeole et bronchite). Espérons que ce ne sera rien.


11 avril - Me voici de nouveau installé à Montaigne. Rentré à La Varenne dimanche soir pour la dernière fois, j’ai bouclé ma dernière valise et, lundi matin, je suis parti après avoir fait mes adieux à Madame Buch. Ce n’est pas sans un serrement de cœur que je quitte ma chambre où j’ai trouvé tant de fois l’isolement et la tranquillité. J’avais, plus que dans différents logements, l’impression du “home”. Ma propriétaire s’était ingéniée à me rendre tous les services d’usage, et j’étais parfaitement tranquille. Encore une personne à ajouter à la liste des gens qui se sont intéressés à moi, et ont voulu rendre mon sort moins triste.

J’ai repris la chambre de Colson et j’y ai installé tout mon fourniment. Je vais y passer des heures paisibles et n’aurai plus à me préoccuper du voyage, du repas, etc. Mais c’est toujours la même question qui se pose, pour combien de temps ?

Léonard s’est installé à côté de moi. Nous mangeons avec les surveillants d’internat avec qui il est impossible de lier conversation. Je regrette notre table séparée de l’an dernier, avec Colson, Lefebvre, Deleuze où l’on causait de tant de choses.

Dimanche, je suis allé me promener l’après-midi avec Démaretz aux Buttes Chaumont.


En rentrant vers cinq heures, à la gare du Nord, j’ai rencontré Armand Guillaume. Il est téléphoniste à Saint-Denis et savait que j’avais été à Pontault. Il me donne quelques nouvelles de Valenciennes et m’apprend la mort de son frère. Le pauvre homme n’a pas supporté la mort de sa femme, il l’a suivie à quelques mois d’intervalle. J’ai ressenti un choc au cœur quand il m’a annoncé cette nouvelle. Qui sait si, à l’heure présente, je n’ai pas quelqu’un des miens disparu pour toujours. Moi aussi, j’ai des vieux parents …

Je vais avoir une permission de quatre jours et je ne sais pas où aller la passer.


12 avril - Pas de lettre d’André depuis le 4 et la bataille fait rage autour du Mont Homme. Je voudrais être sûr qu’il a été relevé le 8 comme sa dernière carte l’annonçait. J’ai écrit aujourd’hui à Albert Machuet et je lui envoie une photo en lui demandant de l’envoyer à Mouvaux. Réussirai-je à faire rassurer les miens ? J’ai écris au capitaine pour solliciter une permission.
13 avril - André m’écrit aujourd’hui une carte datée du 7. Il espère être relevé le 9. Je voudrais le savoir hors de la fournaise. Démaretz me propose un voyage à Pâques. J’irai probablement à Chevreuse, mais il faudrait pour cela qu’il prit sa permission en même temps que la mienne. Je n’ai pas le courage d’aller loin malgré le désir de sortir de Paris. J’irai également à Ozoir voir ce qui reste des anciens.

Le courage me manque également pour noter les faits de guerre. On est au cinquante cinquième jour de la bataille de Verdun. Le monde entier a les yeux sur nous mais on ne voit pas encore les interventions simultanées des alliés. Le dégel russe n’est pas achevé. L’armée anglaise n’est pas encore au point, mais il tombe des milliers de français chaque jour à Verdun et nous nous enorgueillissons des appréciations flatteuses des journaux étrangers.

Au bureau, un temps d’arrêt. Les chefs sont partis faire des essais et le travail à faire est terminé.
16 avril - J’ai obtenu ma permission hier matin et suis allé l’après-midi à Clichy chercher mes effets civils chez ma tante, pour le cas où je voudrais sortir le soir. J’ai passé la soirée comme de coutume avec Louis Baudouin et Démaretz au cinéma. On ne sait où aller puisque les cafés me sont interdits et, rentré au lycée, j’ai passé la matinée d’aujourd’hui à ranger mes affaires car mon ménage augmente toujours, et je vois le moment où il faudra acheter une malle pour tout fourrer, au cas où je devrais partir encore une fois pour une autre destination militaire.
17 avril - Lundi - Je reprends la vie civile pour quelques jours, et j’ai endossé avec une satisfaction évidente mon costume civil. Hier, j’ai passé l’après-midi comme les autres dimanche. Promenade, partie de billard et gare du Nord, où je n’ai d’ailleurs vu personne. Démaretz a reçu une lettre de Dehaut, par l’officier des familles dispersées, renseignement obtenus par le ministère des Affaires Étrangères. Je vais essayer aujourd’hui d’écrire encore une fois par la même voie, mais je n’ai pas grand chance d’aboutir. J’ai écrit il y a cinq ou six mois et n’ai rien reçu. Je vais aller me promener en civil à Nogent où j’ai un parapluie à reprendre, puis, si le temps le permet, j’irai le long de la Marne jusque Joinville et Champigny, pour aller ensuite à Saint-Maur Créteil et Alainville (?). Demain, j’irai voir Madame Seydoux et Madame Taisne.

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