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Vous venez de télécharger la première Partie des mémoires de guerre de Edmond tondelier


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26 mars - Je fais une conférence aux sous-officiers sur l’expansion de l’Angleterre.
Dans le cantonnement, on commente bruyamment les mesures prises et les sanctions d’hier. J’assiste à des conversations suggestives. J’ai eu hier avec le chef Travers un entretien dans lequel j’ai essayé de lui expliquer l’état d’esprit des sous-officiers ; ai-je réussi à lui démontrer qu’il y avait plus de défiance que d’animosité ? Certainement, il y aura des froissements plus pénibles et des faits regrettables si cet état d’esprit persiste. Trois sous-officiers ont demandé leur déplacement. Deux ont réussi. Cela sera commenté et apprécié par le chef du dépôt.
Les journaux n’apportent aucun fait qui soit de nature à justifier l’espoir d’une libération prochaine de Lille. Le sixième mois tire à sa fin. Comment vont-ils
là-bas ? Comment vivent-ils ?

27 mars - Je suis allé hier après-midi au Cercle des Fonctionnaires, avenue de l’Opéra, où, m’avait-on dit, un Monsieur Baillart aurait des renseignements sur la région du Nord. Je suis tombé dans une réunion où pérorait un Monsieur Ernest de Colmar, sur les questions de l’Alsace. Le dit Baillart ne savait rien, il centralisait seulement les renseignements sur les fonctionnaires évacués. Encore une illusion perdue. Monsieur Dewez, qui a fait parvenir une lettre à Lille et à Roubaix pour moi, ne reçoit rien depuis dix jours, cela au moment même où je commençais à espérer que, par son entremise, j’allais recevoir enfin des nouvelles. C’est navrant.

Du front, rien. Les communiqués sont vides. Qu’attend-on ? La journée est immuable : deux promenades hygiéniques. Demain, pas d’appel (jour des Rameaux), c’est fête pour beaucoup ; vacances pour les professeurs parisiens. Que faire ? J’en viens à envier le détachement et l’oubli d’un ivrogne.



28 mars - De vagues indices permettaient de supposer qu’une alerte nous réveillerait cette nuit. J’avais prévenu mon hôte. Je m’endormis vers dix heures et demi. Confiant à onze heures. Des hommes envoyés par Klein viennent sonner et m’avertir. On n’a entendu aucune trompette. La population est encore une fois en émoi. A onze heures et demi, le lieutenant vient et assiste à l’appel ; il y a encore six manquants, c’est tout bonnement scandaleux. Si on admet que les hommes et sous-officiers peuvent coucher en ville et si on obtient des logements par voix de réquisition, on doit, en cas d’alerte, employer les moyens - et tous les moyens - réglementaires pour les éveiller.
Je considère l’alerte de cette nuit comme une manifestation intempestive et arbitraire de l’autorité, quand l’autorité s’est exercée de cette façon. Il y aurait d’ailleurs beaucoup à dire sur la manière dont s’est effectuée cette alerte et sur la portée des déductions qu’on en tirera en haut et en bas.

Je rentre au gîte à minuit et demi et me rendors très tard.

Je vais à Paris chez Weill où j’ai des nouvelles du nouveau militaire, puis au lycée Montaigne. L’après-midi, je vois Démaretz et vais à la gare du Nord où je rencontre beaucoup de Catésiens, dont quelques uns arrivent du Cateau, par l’Alsace et la Suisse, évacués par les boches. Renseignements vagues mais plutôt pessimistes pour la population pauvre. Aucune précisions sur Neuvilly. Démaretz a, par un tiers, des nouvelles de Roubaix : on n’y manque pas de pain (cent vingt grammes
par jour), le moral baisse. Toujours des tuyaux sûrs, chacun a les siens. Tous sont crevés.

Maurice Passaye a eu des nouvelles de sa femme et de son fils. Y en aura-t-il un jour pour moi ?



29 mars - Encore une nuit mouvementée. A deux heures, les trompettes sonnent la générale sur le quartier situé le long de la Marne. Je me lève et part au cantonnement. Nous sommes cinq en tout. Il s’agit en réalité du rassemblement du deuxième Régiment d’Artillerie Lourde qui part au front. Il est fâcheux que l’on ne donne pas des instructions plus précises et que la population civile subisse le contre coup de ces appels et de ces alertes. Je rentre à trois heures, 2 avenue Satin, et la nuit s’achève. Je vais à la conférence de presse où un représentant de commerce nous parle, de la façon la plus incohérente, des installations électriques. Des mots vides de sens et un exposé qui dévoilent une ignorance totale du sujet et des propriétés de l’électricité. Une supériorité s’affirme, qu’on pourrait appeler celle du cynisme inconscient.

30 mars - Hier soir, appel au quartier à huit heures et demi. J’étais de ronde à dix heures et quart. En allant porter mon marron au Cèdre, je rencontre un soldat affolé qui court chercher le piquet d’incendie. Je me renseigne et j’apprends qu’il y le feu au cantonnement Couvert (Deuxième Lourde), dans une écurie. Cela amène un nouveau branle-bas de combat. Ma ronde faite, je retourne au cantonnement. C’est ma quatrième nuit mouvementée. Tout s’arrange. Je fais mes offres pour remplacer un camarade absent qui arrive peu après et je rentre me coucher à minuit.
Je vais à Paris me documenter pour la conférence de vendredi, La photographie, et je passe l’après-midi aux Batignolles où on va emballer mon coffre-fort. A mon retour à Nogent, des soldats me disent que Lille serait occupé par nos troupes. Je suis payé pour n’accueillir des nouvelles de ce genre qu’avec des réserves, et je ne crois plus. Je n’aurai pas de désillusions. J’en ai eu trop en octobre et en novembre.

2 avril - Les calembredaines sur Lille et la prétendue occupation anglaise ne sont pas confirmées. Désigné pour prendre la garde à Nogent-Mulhouse, j’ai passé la journée et la nuit précédente à bouquiner, à regarder passer les trains. La nuit a été tranquille. Couchés dans une salle d’attente sur les canapés de première classe, nous ne pouvons empêcher le vacarme des trains, le va et vient des employés. J’ai peu dormi mais, en fait, je ne suis pas fatigué. On va reconstituer Anquetil aujourd’hui. En ferai-je partie ? L'adjudant me demandera certainement.
Je fais une conférence sur la photographie.
Belle remarque sur les ordonnances médicales militaires. Un sous-officier va consulter le major pour une irruption de petits boutons dans le dos. Celui-ci l’exempte de marche et lui ordonne des bains à prendre dans un hôpital situé à une heure et demi de marche de Nogent.
Après-midi. Un concert spirituel à l’église de Nogent est organisé par le curé avec le concours de quelques artistes de l’Opéra mobilisés à la Soixante-douzième Batterie et soigneusement embusqués: Francs, Lasalle, auxquels se joignent un violoncelliste et Delmas de l’Opéra. Le concert est organisé pour célébrer le vendredi saint.
Le programme est assez beau, j’y relève la Huitième béatitude de Franck. Malheureusement, un prédicateur profite de cette manifestation pour se lancer dans une diatribe imbécile sur la guerre rédemptrice, sur le caractère des luttes futures auxquelles les catholiques seront préparés par la guerre présente, lutte sans pitié contre les ennemis de la religion, le luxe, etc … Le prêtre fait de l’union sacrée à sa façon. Cela n’aurait pas d’importance si le grand nombre de militaires, le chef du cantonnement en tête, n’étaient présents et ne donnaient une sorte de considération à ces paroles impies et méchantes.

3 avril - Rien à signaler d’intéressant pour cette veille de Pâques qui évoque pour moi tant de souvenirs de famille. Ma pensée me rapporte invinciblement là-bas … Que font-ils pendant ces vacances si tristes où les causes de douleur et d’inquiétude s’ajoutent… Si seulement j’avais de leurs nouvelles! Vivent-ils tous ? Pauvres parents, pauvre femme, pauvres enfants … il y a aujourd’hui six mois que je vous ai quittés. Vous reverrai-je jamais ?
6 avril - Deux jours de fête ont passé. Le dimanche de Pâques a été un jour de pluie. Je suis allé en civil à Paris où j’ai déjeuné avec Démaretz. Il m’apprend que son frère est à Bry et doit venir me voir le lundi. Je vais à la gare du Nord où je cause à quelques gens du Nord. Le lundi, j’ai une permission de la journée ; je vois le matin Léon Démaretz. Je retourne à Paris et l’après-midi, je retourne à la gare du Nord et je vois des gens du Nord. Trevet, professeur de violoncelle à Valenciennes me raconte sa vie de prisonnier en Allemagne, où il a passé quatre mois et demi dans différents camps. Il a pu faire réformer son fils et est rentré en France. Il arrache la vie à Paris. Je lui procure par Démaretz quelques adresses et il a des chances d’entrer à la Banque de France ou à la Caisse des Dépôts et des Consignations. Nous causons du Nord. Un tourquennois vient de recevoir une lettre de sa femme. Elle dit que tout va bien à Tourcoing. Elle ne souffre pas de privations.
Depuis huit jours, les communiqués sont insignifiants (Rien à signaler). Un progrès du côté autrichien. Tout cela est d’une lenteur désespérante. Lefebvre est incorporé au Huitième Territorial à Dunkerque. Son cousin vient de m’en aviser par une carte. Quel soldat fera-t-il ?
Ici le cantonnement présente une animation de mauvais aloi. Depuis samedi, six hommes, pris de boisson, on été mis en prison. Deux, et probablement trois, passeront certainement au Conseil de guerre étant donné les voies de fait et menaces proférées. Tout cela aurait pu être évité avec un peu de tact et de mesure dans le commandement.

Le soir, en allant chercher mon journal à la gare, je visite un train sanitaire complètement installé ; il part à Neufchâtel, dans les Vosges, chercher des blessés.


Y aurait-il un mouvement offensif de ce côté ? Le communiqué est insignifiant.
Je rentre tôt et passe comme toujours une heure à lire mon journal en subissant la conversation de mon hôte.

7 avril - Aujourd’hui, appel à six heures et demi. Nous avons tant à faire! A huit heures et demi, conférence de Monsieur Van Baum sur les tunnels et en particulier le tunnel du Nord-Sud sur la Seine, dont il a dirigé les travaux. En rentrant à la maternelle, on me remet une lettre de Léon Bataille qui me donne des détails sur sa vie aux environs de Soissons. Versé dans la réserve de l’active avec le grade de sous-lieutenant, il me paraît être en danger. Il a appris que Maurice Théry était prisonnier. Ma carte ne lui sera pas remise. Pauvre garçon! De santé plutôt délicate, comment supportera-t-il la privation de la captivité lui qui est déjà débilisé par huit mois de campagne.

9 Avril - J’ai reçu hier une lettre de Monsieur Poiret. Il pense à nous, à eux. Les anglais attendent que l’état des routes permettent de lancer l’artillerie. On attend toujours. Je suis allé à Paris donner à Louis Baudouin la nouvelle de la capture de Maurice Théry. Je l’ai aidé à emballer mon coffre-fort. Dans combien de mois ce colis arrivera-t-il et jusqu’à quel point me sera-t-il utile si tout le reste de mon mobilier est volé ou détruit, si mon foyer n’existe plus ?
J’apprends que Monsieur Caron est passé dimanche, se rendant à Saint-Astier,
au Soixante-treizième de Béthune. Je rentre à Nogent à cinq heures pour l’appel. Le service me désigne pour commander le piquet d’incendie. Cela me vaudra une nuit sur la paille au cantonnement ce soir.
Je fais une conférence sur la vie d’Arago et, comme je ne dois pas quitter la Maternelle, j’en profite pour mettre ma correspondance en ordre. J’écris à Gérard.

Monsieur Barker m’envoie une longue lettre dans laquelle il me donne des nouvelles de toutes nos connaissances communes anglaises. Visiblement, il cherche à me remonter, mais il n’y a rien à faire. Je n’arrive à oublier momentanément Mouvaux que quand je suis parti dans une conversation animée, et je me reproche cinq minutes plus tard cet oubli.


Aujourd’hui, le communiqué annonce un succès important dans l’Est
(région de Verdun), pertes formidables pour les boches. Si mes prévisions se réalisent, on doit attaquer de tous les côtés et les anglais devront marcher vers Lille et je suis dans cette douloureuse situation: je souhaite l’offensive et j’en redoute les effets qui peuvent être mortels pour les miens. Que font-ils ?

Le bruit du canon doit leur arriver et ils attendent les alliés libérateurs qui vont peut-être tirer sur eux pour atteindre l’ennemi. Est-il possible qu’on détruise ainsi une région, une ville ouvrière sans défense. En y réfléchissant, je sens chaque fois l’inquiétude et l’angoisse augmenter un peu plus.

10 avril - J’ai passé la nuit au cantonnement, couché sur la paille, dans un sac à viande, avec de nombreuses couvertures ; ce n’était pas trop pénible mais je me suis réveillé souvent. Le matin, il pleut ; on doit faire une promenade. Au dernier moment, on supprime la promenade et on me charge de faire in abrupto une conférence aux sous-officiers. J’avais heureusement sous la main un résumé d’une conférence faite par Brieux aux États-Unis. Je brode un peu et m’en acquitte convenablement. Avec un laissez-passer, je vais me documenter à l’Odéon en vue de conférences prochaines.
En réalité, je vais assister à une audition de la Damnation. L’œuvre de Berlioz m’émeut profondément. D’amour, l’ardente flamme … me tire des larmes. Encore une évocation de mon bonheur passé …

12 avril - Je suis retourné à Paris hier, et je suis attiré invinciblement par la gare du Nord qui réunit, surtout le dimanche, tous les malheureux évacués en quête de nouvelles. Un ami de Démaretz a reçu de sa femme une lettre commencée par Madame Démaretz qui ajoute à la fin quelques mots. Nous allons avenue Parmentier voir une dame qui arrive de Lannoy. Elle ne sait rien nous concernant et ne retourne pas. Donc rien à faire. J’ai vu à la gare du Nord Mangin, du Cateau, Pelabon, Proneau de Denain, qui me paraît bien malade. Un monsieur de Tourcoing a des nouvelles assez rassurantes dans leur esprit, mais est-ce vrai ? Je rentre à huit heures et demi à Nogent.
Aujourd’hui : calme plat. J’écris à Barker et le prie de me faire passer une lettre par l’intermédiaire d’une société anglaise, The Wounded Alliee Committee 30 Charing Cross SW London. Arrivera-t-elle ? L’adresse m’en a été donnée par ma propriétaire.

J’assiste à une conférence sur le Métro par un ingénieur de cette compagnie.


Il semble que je suis arrivé à expiration du délai normal pour le retour des réponses à ma lettre au commencement de mars. Tout appel de mon nom me rend nerveux. Je crois toujours qu’on va me donner une lettre des miens.

14 avril - Hier, nous avons fait une marche d’entraînement de quinze à seize kilomètres, manteau roulé en sautoir. Itinéraire : Boulevard de Strasbourg,
la Maltournée, Neuilly-sur-Marne, Noisy-le-Grand, Bry, Le Perreux et Nogent. Deux arrêts de dix minutes. L’après-midi, on me demande de faire une conférence. Je parle de Victor Hugo et je lis Souvenir de la nuit du 4 et L’Expiation, avec commentaires historiques.

Mon propriétaire est parti aujourd’hui avec sa famille voir son fils, soldat automobiliste à Epernay. Il me laisse ses clefs. Tous sont très heureux d’aller voir l’absent dont ils ont d’ailleurs des nouvelles chaque jour. Moi, Je reste, je n’ai même pas la consolation de lire une lettre des miens, je ne sais pas si ils sont encore tous en vie, depuis six mois et demi. Ah! si je pouvais avoir un mot d’espoir! Mes jours seraient moins tristes et je serai plus patient. Mais rien !


15 avril - Les hommes disponibles vont en marche d’entraînement à Noisiel. Si j’étais valide et libre d’esprit, je partirais, mais c’est me condamner à entendre chanter et rigoler, puis je serais éreinté.
Mieux vaut rester, j’invoque la préparation de ma conférence et je vais à Paris passer quelques heures aux Batignolles avec une cousine. Je passe chez Weill. Il n’y a personne chez Boucher, personne dans l’avenue d’Orléans. Je rencontre Vache, professeur à la Faculté des Lettres de Lille. Nous causons quand un lieutenant de la garde me fait prendre la fuite. Il est de service et vérifie les laissez-passer. Je l’ai échappé belle mais on ne m’y reprendra plus à Paris en tenue, sans titre de permission.

16 avril - Vendredi - Journée magnifique, temps ravissant, les marronniers poussent leurs feuilles. Je devrais faire une conférence, mais d’un commun accord, on la renvoie à la semaine prochaine et je vais à Joinville chercher Maurice Caron qui a été désigné pour l’école de gymnastique. Je vais au Fort de la Faisanderie, puis à Saint-Maur. Je reviens à la Faisanderie où j’apprends que Maurice n’a été là qu’un jour et est parti à Saint-Cyr, versé dans la cavalerie comme E.O.R.
L’après-midi, nous retournons au champ de manœuvres de Vincennes et visitons un dépôt de voitures automobiles réformées ; nous revenons par le port neuf, bondé de soldats artilleurs au passage à la manœuvre, ruche énorme toute bourdonnante de la vie de la caserne. Je fais cette promenade avec Monsieur Oudinot, juge de paix de la classe 81, engagé pour la durée de la guerre, qui me donne souvent des détails intéressants sur son métier de juge, la mentalité de ses ressortissants. Je change de mess pour me trouver dans un groupe plus restreint dont fait partie Klein.

17 avril - Je passe la matinée à écrire dans ma chambre et, entre deux lettres, je rêve à tous mes chers exilés. Que deviennent-ils ? Cette prolongation de leur silence dans une période où tant de gens du Nord, évacués, reçoivent des lettres permet toutes les suppositions. N’ont-ils pas été condamnés par une tentative infructueuse ?
Ne redoutent-ils pas des représailles pour eux ou pour moi ? N’ont-ils pas renoncé à m’écrire, parce qu’ayant des nouvelles fâcheuses, un décès peut-être à m’apprendre, ils remettent à plus tard le moment de me communiquer ces nouvelles fâcheuses, ce deuil ? Toutes ces suppositions me tuent.

Et cette offensive qui n’avance pas, ces anglais qui n’ont pas encore de munitions suffisantes pour commencer et continuer le mouvement en avant. Tout contribue à me démoraliser.



19 avril - Lundi - Je suis allé hier à Paris passer la journée avec Démaretz. Il a vu une Madame Labbe qui arrive de Roubaix. Elle a vu la famille Démaretz, les enfants avant son départ et donne des nouvelles. Son fils sait que la famille Démaretz va souvent à Mouvaux pour voir les miens apparemment. C’est peu, mais je me raccroche à cette nouvelle qui est la première ayant quelque caractère personnel.
La vie est chère, les classes fonctionnent, on n’aurait pas logé de boches chez les institutrices ; le moral faiblit car, là-bas, on entend toujours le canon et on ne voit aucun progrès sensible.
Je vais à la gare du Nord, où je vois Vignol, Henri Carond, dont la ferme est brûlée, Beugnier mobilisé à Sarlat depuis sept mois comme instructeur, Madame Vacherand, du Cateau, Poirier. Conversations variées, mais qui ne m’apprennent rien. Je rentre le soir à Nogent. Si on pouvait, même approximativement, fixer une date pour soi à laquelle on pourrait espérer des nouvelles.
L’après-midi, nous allons au Tremblay, où sont les fameuses pièces de 105.
Le capitaine, bien aimablement, nous explique le fonctionnement de ces canons qui sont de véritables merveilles de précision pouvant tirer douze coups par minute à dix et même douze kilomètres. Les appareils de pointage sont des instruments très curieux avec prismes qui permettent la visée et le repérage dans tous les sens.

Nous passons là quelques heures intéressantes avec des artilleurs du Deuxième Lourd.



20 avril - Promenade marche par un temps superbe. Nous allons à Joinville par la Marne, à Saint-Maur, carrefour de Bellechasse près de La Varenne, Champignol, traversée de la Marne, Champigny, le Plant, Tremblay, Nogent. Si, plus tard, les circonstances le permettent, je reviendrai avec Amante voir ces bois charmants de la Marne, que malgré tout je ne puis apprécier maintenant.

Et cependant, toute la campagne n’est qu’une immense gerbe de fleurs. Tous les arbres fruitiers sont blancs. Cela me fait penser à mes abeilles. En ai-je encore ?



22 avril - J’ai eu mardi soir une grosse déception. Klein, que je prenais pour un bon garçon, un peu simpliste mais dévoué, s’est conduit comme un goujat, me prenant à partie sans rime ni raison à propos de conférence. Je renonce à expliquer ses incartades injustifiées. Il n’existe plus pour moi.

Je suis de garde à Nogent-Mulhouse. La nuit a été très mauvaise. Des laitiers bruyants ont fait un vacarme d’enfer pendant deux heures dans la salle d’attente où nous sommes couchés. De nombreux trains passent chargés de troupes se rendant sur le front : trois batteries de 155, longs et courts, du matériel de toute sorte.


C’est un défilé incessant et varié. Où vont-ils ? Peut-être vers Lille, où ils tireront sur Mouvaux.

Je viens de recevoir une carte de Lugiez, comptable au Mongy mobilisé à Dunkerque ; lui a des nouvelles des siens qui sont à Bruxelles. Il me parle des diverses personnalités dont on s’occupait autrefois. Comme tous ces souvenirs semblent loin de nous.



23 avril - Hier, en rentrant de ma garde à Nogent-Mulhouse, on m’a appris que j’étais désigné pour aller à Pontault. Ce matin, je suis allé voir le lieutenant-chef du détachement de Nogent, il m’a donné quelques renseignements complémentaires. Je serai là-bas le secrétaire du commandant, un ingénieur des Ponts. J’ai, paraît-il, tout ce qu’il faut pour cet emploi. Pontault est à une quinzaine de kilomètres de Nogent, sur la ligne de Troyes, près de la gare d’Emérainville, à proximité de bois très jolis. Il est probable que mon emploi me permettrait d’aller à Paris de temps en temps. Je suis désigné et n’ai qu’à attendre.

Je vais ensuite faire ma conférence sur l’année terrible et j’obtiens un assez vif succès. Est-ce la dernière de ma série ? Vais-je quitter Nogent ? Est-ce à Pontault que l’on m’apportera la première nouvelle de Mouvaux ? Si je pouvais avoir la réponse à cette dernière question. Le désespoir arrive, j’espérais tant dans le mois d’avril et nous voilà le 23. Les augures nous prédisent l’offensive pour le 15 mai. Qu’y a-t-il de vrai dans cette nouvelle prédiction ?



24 avril - Je suis à Pontault. Hier à cinq heures, à l’appel, le chef m’a notifié que le lendemain à huit heures et demi, je devais me trouver au Cèdre avec tout mon fourniment pour partir à Pontault. Louis Baudouin et Paul étaient venus à Nogent passer quelques heures avec moi. Je leur ai remis mes vêtements civils et j’ai passé la soirée à ranger mon paquetage. Ce matin, j’ai fait mes adieux à mon propriétaire, à mes camarades, et me voilà parti.
Pontault est un triste village situé à trois kilomètres de la gare d’Emérainville. Je serai affecté à un bureau installé dans le château, j’aurai l’occasion de disserter sur la beauté de l’endroit car il n’y a, paraît-il, presque rien à faire. Je suis arrivé avec un sous-officier du cantonnement Kalis qui vient ici avec sa femme. Je déjeune avec lui dans une maison particulière et, à deux heures, on nous présente au commandant Ferney. Mon collègue est reçu plutôt fraîchement. Il a un livret matricule (que j’ai apporté sous enveloppe fermée) plutôt chargé. Je fais connaissance avec le personnel du bureau et prends des renseignements sur le travail à faire, le genre d’occupation, les responsabilités. Ce n’est pas la mer à boire. On pourrait expédier en une heure le travail de quatre scribes. Je vois la concierge qui est la dispensatrice des faveurs (des chambres), et suis autorisé à prendre la chambre de mon prédécesseur. C’est une chambre d’ami, au deuxième, d’où la vue sur le parc est bien jolie ; mobilier sobre mais très propre. Je m’entends avec un planton qui sera mon brosseur et m’installe.

25 avril - Je ne suis pas au bout de mes surprises. Après une présentation aux sous-officiers, je dîne avec eux au mess, et le soir, je rentre au château situé au milieu du parc. Chants d’oiseaux, rossignols, c’est calme et reposant. Nous nous réunissons dans la salle à manger avec le commandant et on fait la partie de manille. C’est patriarcal et familial. J’y reviendrais quand les premières impressions seront vérifiées.

Ce matin (dimanche), je me mets en quête d’une blanchisseuse et je fais le tour du village. C’est triste : aucune animation, des maisons blanches, intérieurs sales, auberges peu accueillantes. Depuis huit mois, Pontault est rempli de soldats et les collègues qui surveillent les travaux de construction de batterie, de tranchées, connaissent tous les habitants. Je passe l’après-midi au bureau à envoyer ma nouvelle adresse à quelques correspondants.


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