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Vous venez de télécharger la première Partie des mémoires de guerre de Edmond tondelier


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11 juillet - J’ai fait hier ma dernière classe au lycée et les élèves manifestent quelque surprise en voyant que l’heure se passe sans le moindre incident. Démaretz vient me voir le soir. Il m’explique qu’il est allé à Versailles et n’a pas eu le temps de venir me prévenir. C’est gentil. J’écris à Sandras, Barker, H. Pachy. Dans la journée, je suis allé au Conservatoire régler toutes mes affaires. La répartition ne peut se faire cette année plus que la précédente parce que l’on ne peut se procurer les certificats de vie d’assurés restés dans les régions envahies. La Compagnie versera-t-elle aux assurés l’intérêt de l’argent retenu jusqu’à la fin des hostilités ? Je crains bien que la répartition ne nous réserve des surprises désagréables.

Colson m’écrit et m’envoie quelques cartes de Carcassonne.

J’envisage avec une certaine répugnance ma visite médicale et mon entrée éventuelle à l’hôpital militaire de Vincennes et je me demande combien de temps on me tiendra là, si je dois y entrer.
13 juillet - La distribution a eu lieu hier. Elle ressemblait à toutes les autres avec moins de toilettes claires et sans musique. Organisée dans la salle des fêtes du lycée Louis-le-Grand. Elle réunissait la plupart des élèves, les familles tassées dans la galerie supérieure. Le proviseur présidait assisté d’un Inspecteur Général (Potel) et du Proviseur de Louis-le-Grand. Il prononça un petit discours de circonstance et un professeur, Monsieur Sicart, dans le discours d’usage, prit comme thème l’une des œuvres de bienfaisance fondée au lycée à l’occasion de la guerre : les filleuls des classes. Par des citations, il montra le sentiment qui se faisait jour dans la correspondance émouvante des parrains et des filleuls.

A onze heures et demi, tout était terminé et je rentrais mélancoliquement au lycée.


Les vacances jadis si attendues, si désirées m’apparaissent sous des couleurs sombres. Jusqu’à ce jour, j’avais par mon travail supplémentaire au lycée quelques heures de liberté et une soirée que je n’aurai plus. En outre, comme on a demandé au bureau dimanche du travail à six heures du soir au moment où la plus grande partie de l’équipe était sortie, le lieutenant a dit qu’il ne prendrait sur lui d’accorder des permissions, qu’il faudra dorénavant s’adresser au capitaine. J’aime autant cela mais les autres, lieutenant en tête, n’oseront jamais demander de permission, par crainte de déplaire ou d’être envoyé plus loin. Ô courage humain! Si seulement après ces deux mois de purgatoire ou d’enfer, je pouvais savoir les miens dégagés et les revoir, ne fut-ce qu’un jour, ou bien les faire venir à Paris !!
J’ai oublié de noter que mardi 11, Monsieur Debuyne était venu me chercher à Saint-Thomas-d’Aquin avec Démaretz. Il est maintenant lieutenant, légion d’honneur, croix de guerre, médaille militaire. Nous avons déjeuné ensemble au restaurant puis il est parti à Dunkerque.
14 juillet - Neuf heures du soir - Ce matin, nous sommes venus au bureau comme les autres jours malgré un note d’Albert Thomas donnant congé à tous les services de l’artillerie, sauf à travailler dimanche toute la journée ; mais les officiers, gênés de constater que nous sommes les seuls dans tout l’établissement à travailler le jour où l’on a voulu fêter le 14 juillet pour la première fois depuis la guerre, nous renvoient à dix heures jusqu’à trois heures. J’en profite pour aller voir le défilé, sur les grands boulevards, de toutes les troupes qui ont participé à la revue aux Invalides. C’est une foule et une cohue indescriptibles. Placé près de la Porte Saint-Denis, je peux facilement voir passer des détachements de toutes les troupes alliées. Belges, anglais, écossais, irlandais, canadiens, australiens, néo-zélandais, hindous, russes formidables et enfin les troupes françaises, alpins, chasseurs à pied qui défilent aux sons entraînants de la marche de Sidi Brahim. Infanterie de ligne, le Cent dixième de Dunkerque, dont la musique joue un pas redoublé (?) où l’on retrouve “Les enfants de Valenciennes”, Saint-Cyriens à cheval, mitrailleurs algériens et marocains, sénégalais avec leur nouba, annamites, infanterie de marine, fusiliers marins. Tous arrivent du front et y retournent ; ils ont la figure tannée et une mâle énergie paraît sur leurs visages. Défilé émouvant qui me met à chaque instant les larmes aux yeux. La foule est délirante et les événements récents font passer sur le spectacle un vent de victoire.
A trois heures, je retourne au bureau pour le travail urgent et je passe mon temps à rédiger des notes en attendant six heures pour faire une vague besogne de copiste pendant trois quarts d’heure.

L’an dernier, à pareille date, je promenais ma mélancolie dans le bois d’Attilly à Ozoir. Il y a deux ans, j’étais à Tourcoing avec les familles Debuyne et Démaretz, Amante et les enfants étaient avec moi. Papa et maman étaient partis à Lille ou à Anoy (?).

Que tous ces souvenirs apparaissent lointains, il semble que ces deux années ont duré autant que toute ma vie.

Evelina m’a écrit ce matin. Elle me demande instamment de lui écrire. Elle “aime à lire mes lettres”. Je ne lui écris sur la guerre que mes prévisions et comme elles se sont trouvées souvent vérifiées par les événements, elle me prend pour une manière d’oracle. Je la mets d’ailleurs en garde contre toute espérance prématurée, contrairement à tout ce qui s’écrit dans les journaux. Je lui donne cette fois un résumé de la lettre d’Amante.

Toujours rien d’André. Louis Baudouin a dû écrire à son ami Coussemaker qui est de la même compagnie mais il n’a pas encore pu me donner la réponse car il est parti voir son patron, Monsieur Moglia, à Saint-Malo, profitant ainsi du pont 14, 15, 16 juillet.

Ce soir, en revenant du bureau, j’ai rencontré dans le Luxembourg le Lieutenant Noury que j’avais connu à Pontault. Il est commissaire de gare à Montparnasse et, pendant la journée, assure son service au contrôle commun des Compagnies de chemin de fer. Il me donne quelques renseignements sur les ordres de transports qui vont atteindre la somme formidable d’un milliard payée par l'État aux Compagnies. Lui voit la guerre se prolonger jusqu’à l’automne 1917. C’est rassurant !!



Nous avons évoqué nos vieux souvenirs de Pontault, le commandant Fernez, le capitaine Masson,
etc …
16 juillet - Les succès des anglais se continuent au nord de Péronne, mais ils ne peuvent décrocher Villers. C’est long ! On arrive à vingt mille prisonniers faits par les alliés dans cette région. Au bureau, on ne fait pas grand chose ; il est question de retourner au Hâvre, puis à Quiberon pour de nouveaux tirs d’essais. Je pars ce soir à La Varenne pour assister à la visite médicale de demain matin. Que va décider le major ? Mon urticaire me gêne beaucoup, surtout la nuit et j’ai le corps couvert de petites écorchures faites en me grattant.
Il faudrait un régime suivi et régulier, mais allez concilier cela avec mon genre de vie. J’ai reçu il y a deux jours des lettres de Madame Taisne et de Madame Seydoux ; échange de politesse. Le moindre billet d’André ferait mieux mon affaire. J’écris à l’Agence des prisonniers de guerre à Genève. On va me répondre qu’on ne sait rien, qu’on prend note de ma lettre et qu’on me communiquera les renseignements recueillis à ce sujet et, comme pour Maurice Théry, je ne recevrai plus rien. Démaretz vient me chercher au lycée à une heure, nous faisons une partie de billard en buvant notre café et, à deux heures et demi, j’entre au bureau pour continuer à ne rien faire. C’est charmant ! Si on voyait que cette présence au bureau est nécessitée par un travail utile, personne ne songerait à se plaindre car on comparerait l’effort personnel fourni à la grandeur de la cause. Mais, de constater qu’il faut être présent pour ne rien faire, sans avoir jamais la moindre trace de liberté, c’est plus fort que toute la dose de philosophie qu’on peut avoir amassée depuis dix-huit mois de mobilisation à l’âge de quarante sept ans.
19 juillet - Parc Saint-Maur, hôpital auxiliaire, numéro cent quatre-vingt quatorze - Je suis à l’hôpital. Pour combien de temps ? C’est la question que l’on pose lorsque l’on entre dans ces lieux de souffrance et de misère. Lundi, le médecin de La Varenne que je suis revenu voir me dit qu’après m’avoir revu et examiné “à distance”, “Le médecin d’un hôpital peut seul prendre la décision que comporte votre état et votre maladie ; moi, je ne pourrai que vous exempter pour un ou deux jours. Lui pourra soit vous envoyer devant une commission de réforme, soit vous donner une convalescence qui vous permettra de suivre un régime approprié”.
Il me signe un billet pour l’hôpital cent quatre-vingt quatorze qui se trouve à vingt minutes de La Varenne, au parc Saint-Maur, boulevard National, 81. Je lui demande de la dater du 19 pour avoir le temps d’aller régler mes affaires à Paris. Il accepte et je repars prévenir au bureau. Le lendemain, mardi, je passe la journée avec Démaretz ; le matin, nous nous faisons photographier pour trente sous et l’après-midi, nous allons au parc de Saint-Cloud, que Démaretz ne connaît pas ; puis, nous revenons par Auteuil et, après avoir dîné ensemble, je le quitte pour rentrer à Montaigne et faire mon sac. Ce matin, je viens à La Varenne où l’on procède à la dernière formalité et me voilà parti à l’hôpital.

C’est un petit château (des Oiseaux) bâti dans un petit bois très joli. On me donne une petite chambrette où je serai seul, ce qui n’est pas pour me déplaire. Je vais me promener dans le parc pour reconnaître le pays et j’attends le major qui doit venir ce soir. C’est d’apparence familiale. Attendons pour nous faire une opinion.


20 juillet - J’ai vu le médecin hier soir ; il reconnaît la nature de l’affection cardiaque, insuffisance aortique. Pour l’urticaire, il hésite et se demande s’il n’y a pas de la gale. Il remet le diagnostic au lendemain quand le deuxième médecin sera présent. Je cause un peu avec lui. C’est un ami de Detienne et je me fais connaître. Il serait assez d’avis de me faire réformer ou tout au moins me faire verser dans l’auxiliaire. Nous avons des peines communes, son fils est porté disparu depuis dix-neuf mois.

Ce matin, je repasse une seconde visite. Le second médecin vérifie le diagnostic des trois médecins qui m’ont ausculté antérieurement et ses constatations sont plus affirmatives. Pour l’urticaire, mêmes hésitations. On parle de prurigo et on envisage de m’envoyer à Saint-Louis, chose à laquelle je ne tiens nullement. On me met au régime, suppression du vin, un litre de lait par jour. Pourvu qu’on ne me garde pas longtemps ; cette existence est assommante malgré la liberté assez grande et les égards qu’on me témoigne.

Je passe mon temps à observer et à me documenter sur la vie dans les hôpitaux. Certaines conversations avec les malades sont bien intéressantes.

J’ai été placé dans une petite chambre où je suis seul, ce qui présente un avantage sérieux pour la suite.


21 juillet - Journée monotone et paisible comme doit l’être une journée d’hôpital. Le matin à sept heures, déjeuner, café au lait puis toilette en attendant les docteurs qui passent vers huit heures et quart. Le Docteur Crouzet me donne des indications. Demain, j’irai au bain puis, après un savonnage soigné, je m’appliquerai de la pommade, fleur de soufre et oxyde de zinc dans du cold cream (?) médicament à deux fins. Il m’ordonne un second litre de lait et je supprimerai toute viande.

Très obligeamment, il m’offre une permission avant que j’en demande. J’accepte pour dimanche. J’irai à Paris et rentrerai le soir au train de neuf heures. J’ai reçu une lettre de Barker à qui j’avais écrit pour procurer une pension à un surveillant d’internat du lycée. Il offre de le prendre à des conditions très avantageuses. Lettre très affectueuse. Il a bien de la chance avec ses enfants. Tout lui sourit.


Je passe une partie de la journée en promenade dans le Parc Saint-Maur. Hier, j’ai visité le quartier du vieux Saint-Maur où se trouve l’observatoire annexe de Paris. Aujourd’hui, je vais au cimetière et l’après-midi, je vais le long de la Marne, vers Bonneuil, où le génie installe une voie ferrée qui part de Sucy et aboutit à un quai qu’on établira sur la Marne. Il y a là un chantier d’Annamites qui naturellement ont une bonne fortune auprès et parmi les femmes de La Pie et Adamville (?).
22 juillet 1916 - Samedi - Journée morne. Le matin, visite des docteurs. Je vais prendre un bain et me savonne au savon noir selon les recommandations puis je rentre dans ma chambre et je reçois la visite de Cornilleau à qui je donne les renseignements nécessaires sur la famille Barker. Je le reconduis au tramway et vais me promener le long de la Marne par le Pont de Bonneuil, le pont de Chenevières, La Varenne, Champigny, Les Plantes et je rentre par le Parc. Je ne me fatigue jamais à faire cette jolie promenade ; seul, sans conversation à soutenir, je laisse aller mes pensées toujours tristes vers le Nord. Aujourd’hui, elles sont plus tristes que jamais car mon séjour à l’hôpital les assombrit encore. Amante me recommande de me soigner et je ne puis que me laisser soigner. Je redoute un exéma qu’il faut attribuer à l’alimentation infernale à laquelle j’ai été soumis depuis neuf mois au restaurant et même au lycée où on nous sert trop de viande frigorifiée. Il faudrait le retour à la maison, la vie plus douce, et je n’en suis pas là. Lundi, je demanderai au Docteur combien de temps il compte me conserver, car je crois bien que si mon séjour se prolonge, je deviendrai plus malade.
Les malades et blessés me paraissent tous être de braves garçons. La plupart viennent de l’hôpital de Pantin. L’un a reçu un éclat d’obus à la tête il y a quinze mois et a été paralysé. Il marche comme Monsieur Passaye. L’autre a le bras coupé, deux autres une jambe, un autre des fractures mal remises, un autre a eu le corps traversé de part en part à hauteur du poumon par une balle. Tous parlent de la guerre, des tranchées, sans forfanterie, des scènes auxquelles ils ont assisté, aucune gloriole car tous savent ce que l’on peut voir. Un amputé me raconte qu’il a vu un culot d’obus ouvrir en deux un soldat de la clavicule au ventre.

On m’annonce qu’un lillois vient d’arriver. Je vais le voir. C’est un employé de la ville, un R.A.T. du Vingt-septième versé au Quinzième puis au Troisième à La Varenne. Parti de Lille le 9 octobre à la grande évacuation, il n’a pas eu de lettre de sa famille depuis et ne sait rien de particulier sur la ville. Impossible de savoir si c’est l’arsenal ou d’autres dépôts de munitions qui ont sauté. C’est toujours la question que je pose à ceux qui sont lillois et qui ont pu en entendre parler.


Lundi 24 - Hier, j’ai passé ma journée à Paris. Parti de l’hôpital à sept heures, je vais chez Démaretz et, à neuf heures et demi, nous allons rejoindre Labaeye et son fils qui sont à Paris. Ils m’accompagnent au Luxembourg pendant que je vais au lycée chercher quelques petites choses qui me manquent. Nous déjeunons ensemble et, à trois heures, je vais avec Démaretz rue Cadet où a lieu une réunion de maçons des régions envahies. C’est toujours la même chose, constatation pessimiste à mon point de vue. On sent que la foi est absente. Nous en sommes au cinquante quatrième milliard et des exemples montrent bien que le moral de l’armée s’affaiblit. On voit des unités se rendre et, d’autre part, rien dans le gouvernement ne démontre l’énergie ni le désir de rechercher les responsabilités de certains manquements graves. Du haut en bas, on attend la victoire comme une chose inéluctable qui fera passer tout le reste.

A six heures, je vais à la gare du Nord où je trouve Achille et Henri Pachy. Ce dernier, en permission, est actuellement aux environs de Comircy (?). Achille réclame la paix à tout prix ! Peu lui importe le vaincu ou le vainqueur !! Et ce qui est tragique actuellement c’est que ceux qui pensent comme lui sont légions. Je rentre au Parc à neuf heures.

Hier, à la réunion de la rue Cadet, Détienne nous a donné des explications sur les réquisitions de travailleurs et de jeunes gens fortifiant les allemands dans la région du Nord. Il paraîtrait que c’est une manière de représailles et que les boches ont amené trente mille hommes travailler un peu partout, dans les Ardennes et jusqu’en Pologne pour protester contre l’envoi de nos prisonniers au Dahomey et au Maroc. Une délégation est allée voir le président du Conseil pour lui demander de protester par la voie diplomatique. Monsieur Briand a reconnu le fait, il a dit qu’il protesterait avec énergie, énergie coutumière dont nous connaissons la mesure …

Aujourd’hui, j’ai fait ma promenade favorite sur la Marne mais d’un autre côté, par la passerelle qui traverse l’été (?) des peupliers et je suis revenu le long du petit bar (?) de la Marne jusqu’au Pont de Créteil. J’ai vu le confluent de Morbras, la rivière de Pontault, il y a deux mètres de largeur à peine.

Ces promenades si belles me laisseront un bon souvenir de l’hôpital. D’une durée moyenne de trois heures, le matin et le soir, elles me font beaucoup de bien.
En outre, elles me permettent de suivre mes pensées sans aucune contrainte, pas de conversation, un peu de lecture dans un livre souvent refermé.

N’empêche que le temps me paraît bien long.

Rencontré le Docteur en ville et causé quelques minutes avec lui. Demain, visite plus minutieuse en vue de la suite à donner à mon séjour.
26 juillet - Mercredi - Ma visite d’hier a dicté la décision du docteur qui, après m’avoir ausculté longuement, m’a proposé à l’examen d’une commission de réforme siégeant à Vincennes vendredi. Il me propose pour le service auxiliaire ; la commission décidera.

Je vais me promener l’après-midi du côté d’Orniemon Ormesson(?) et je rencontre au château de Graival (?) le camarade Meunier de Pontault-Ozoir. Il est là chef de cantonnement et de popote pour le personnel d’aspirants officiers qui suivent le cours de chemin de fer à voie de soixante centimètres et me donne des nouvelles de ceux qui faisaient partie de notre mess l’an dernier. Les uns sont sur le front, les autres au petit chemin de fer de Bonnières, Jouy-en-Josas, Boissy etc…

La nuit dernière a été très mauvaise ; mon urticaire m’a fait beaucoup souffrir et je n’ai pour ainsi dire pas dormi.

Reçu un mot de Démaretz, il est à la préfecture de police. Nous verrons pour combien de temps.

Les journaux redeviennent ternes. Les renforts allemands amenés sur la Somme ont enrayé ou, pour le moins, ralenti l’offensive. Il faut attendre, comme toujours. Pas de fait dont on puisse dégager un pronostic.
27 juillet - Hier, j’ai passé l’après-midi à Paris. Je suis allé au bureau où je n’ai trouvé que les jeunes. Les gradés sont au Hâvre pour des tirs. J’y serais aussi si je n’avais dû entrer à l’hôpital. Au lycée, on fait passer les examens d’agrégation pour les jeunes filles. Je me promène sur les quais et, à cinq heures et demi, je vais prendre Démaretz à la préfecture de police. Je passe par un dédale de couloirs, d’escaliers dérobés dans des montagnes de dossiers, de cartons verts. Nous allons dîner ensemble et, à sept heures et demi, je retourne au Parc.

Ce matin, le docteur ne vient pas me voir. Je vais le trouver pour lui demander à quelle heure a lieu la visite de demain à Vincennes. C’est l’après-midi et j’y serai accompagné !!!

Il me passe cette petite pièce de vers de Richepin que je copie textuellement.

Le kaiser, furieux de l’attitude de J. Richepin, a traité celui-ci de voyou ; l’auteur des Blasphèmes et de La Chanson du gueux lui a répondu par ces vers :


Fantôme-roi, tête de mort que cale un trône,

Empereur vérolé, de sceptre couronné,

Animal vil et bas, spectre à la face jaune,

Prussien, je te méprise et je te crache au nez.
Le chancre mord ta chair et le remords ton âme ;

A peine à cinquante ans, le siècle te maudit,

Écoute cette voix qui dans le lointain clame :

Tu n’es plus bon à rien, meurs donc enfin, pourri !
Oui, crève ainsi qu’un chien au bord d’une ornière,

Crève ainsi qu’un crapaud dans le fond d’un fossé !

Que la race des loups s’en retourne en poussière

Et qu’il ne reste rien de tout ton sang passé !
César, encore un mot qu’il ne faut pas qu’on perde,

Retiens-le pour le dire à tes preux, à tes amis,

Je ne suis qu’un voyou de notre grand Paris !

Mais je suis un français, galeux ! Et je t’emmerde !
Signé Jean Richepin

De l’Académie Française (!)


Ce n’est pas très élevé comme sentiment mais cela exprime la pensée populaire à l’égard de l’auteur responsable de tous les maux dont nous souffrons depuis deux ans.
28 juillet 1916 - Hier après-midi, promenade très longue route de Bonneuil et au Bois du Chapitre sur la Marne. Je rentre assez tard le soir et on cause entre malades des malades absents. Une infirmière passe la soirée avec nous. Ce matin, je mets en ordre mes affaires pour partir à Vincennes à l’hôpital Bégin. Il est onze heures et on ne m’a encore rien dit. Quelle sera la décision de la commission ? Maintenu, probablement, on a besoin d’hommes. Et, d’autre part, le dernier mot là-bas n’est pas dit par un médecin mais par un officier de gendarmerie ; c’est plus militaire. D’ailleurs, que me procurerait ma libération ? La liberté. Je ne sais qu’en faire puisque je ne puis revoir les miens.
Sept heures, soir - Retour de Vincennes, ou plus exactement Saint-Mandé où se trouve l’hôpital Bégin. On m’avait fait accompagner par un petit jeune homme réformé qui fait le factotum à l’hôpital. La visite médicale se passe très rapidement, le médecin m’ausculte très sommairement après lecture de la feuille du docteur de l’hôpital. Il confirme la proposition, le général dit oui et me voilà instantanément versé dans l’auxiliaire.

Retour au Parc après la remise du livret. Là on m’apprend que dès demain je serai renvoyé à La Varenne. Pourvu qu’il ne leur prenne pas fantaisie de m’envoyer à Brest ou à Cherbourg pour me faire désarmer ou bien de faire traîner les choses en longueur.

Demain je vais à Paris toucher mon traitement à Montaigne et voir ma tante Marie qui m’a écrit une gentille lettre ce matin.
2 août - Brest - Ce que je redoutais est arrivé. Samedi, je suis allé à Paris, à Vincennes (Fort) pour les formalités relatives à ma sortie de l’hôpital. Deux bureaux, l’un pour me sortir de l’hôpital, l’autre pour me réexpédier à mon dépôt de La Varenne. Je repars à La Varenne où on m’apprend qu’il faut aller à Brest. Si j’étais réformé, on pourrait me déshabiller, mais étant versé dans l’auxiliaire, je dois aller à Brest. On me paie mon prêt et on me remet un ordre de transport pour Brest valable à partir du 31 juillet et je file à Saint-Maur pour remettre un papier à l’hôpital et à Paris où j’arrive à cinq heures. Je vais ensuite me mettre en civil et je vais rejoindre Démaretz et Louis Baudouin pour le dîner au restaurant.

Le dimanche matin à neuf heures, je pars au bureau où je vois tous les ex-collègues ; on croit que je viens travailler et l’annonce de la décision qui me concerne fait l’effet d’un pavé dans une mare. Je prends quelques renseignement utiles pour mon voyage auprès de Le Menu. Je serre la main à tous sauf à la brute malfaisante qui est d’ailleurs assez estomaqué et bave de jalousie impuissante. Je reprends ma table de logarithme. Ce pauvre lieutenant va être obligé d’en acheter une ! Fournier m’accompagne jusqu’à la porte et cause de l’équipe ; nous nous reverrons d’ailleurs.

Je retourne au lycée et passe l’après-midi en promenade avec Démaretz. Je suis un civil et c’est une sensation extraordinaire de soulagement que j’éprouve. Quel malheur de ne pouvoir en faire profiter aucun des miens.

J’ai décidé de partir lundi soir à huit heures vingt de Montparnasse d’où un express commode part à Brest et permet de faire les six cent vingt trois kilomètres en douze heures. Je vais prendre mesure pour un vêtement car celui que j’ai est invraisemblable pour l’été (vareuse molletonnée). J’achète un paletot d’alpaga et j’expédie quelques lettres. Je fournis les renseignements utiles à Cornilleau qui part le 1er août chez Barker et, à six heures et demi, je pars avec Démaretz (…) de Montparnasse. J’emporte dans mon sac tout mon barda et dans ma valise mes effets civils. A sept heures quarante, je vais essayer de prendre le train mais il y a une telle affluence que je dois y renoncer. Je prends le suivant, une heure plus tard, qui est heureusement aussi rapide. Je ne mets pas moins de douze heures pour arriver à Brest et on n’arrête qu’aux Préfectures. Versailles, Chartres, Laval, Le Mans, Rennes, Saint-Brieuc, puis Guingamp, Morlaix et Landerneau. J’arrive fourbu à neuf heures trente et je vais directement au bureau de la mobilisation où on m’apprend que pour me libérer, il faut d’abord m’incorporer à la Cent troisième Batterie. C’est à cette Batterie qu’on fera le nécessaire pour ma libération. Avec ma nouvelle feuille, je pars au Treillis Vert (?), quartier Saint-Pierre. On prend mes papiers, mon livret et on me dit de repasser à une heure et demi pour être déshabillé. Je vais chercher un hôtel et déjeuner. Je restitue tout mon barda et me mets en civil pour aller au bureau chercher mon ordre de transport et mon livret. A trois heures, tout est fini. Ouf ! Je vais alors me promener en ville et au port. Du pont National, je m’oriente dans l’arsenal où on ne peut rentrer à cause de la guerre. Puis, je visite le château, très intéressant, et vois le court d’Ajot qui domine le port de commerce et la rade. J’assiste là à un débarquement de russes. Au même moment, passent deux détachements de prisonniers boches : ils font plutôt grise mine.

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