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Vous venez de télécharger la première Partie des mémoires de guerre de Edmond tondelier


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A la gare du Nord, un train annoncé depuis hier (rapatriés de l'Aisne et du Soissonnais).
5 février - Je suis allé hier chez Boucher (?) que j'ai mis au courant des renseignements récemment obtenus. Il compatit à mon chagrin avec une délicatesse d'expression que me touche profondément.

J'ai oublié de noter que Weill m'avait renvoyé une lettre de moi, lettre que j'avais écrite à Mouvaux en octobre 1914 et qui n'est pas parvenue. Elle a mis trente-neuf mois pour me revenir. Il y en a une centaine qui en Belgique, en Hollande, en Suisse sont au rebut puisqu'elles n'ont pu atteindre Mouvaux.


6 février - Toujours rien. Les trains n'amènent plus de rapatriés du Nord sans doute et me voilà, une fois de plus, déçu pour longtemps. Je ne saurai quelque chose de la mort de mon frère que quand le temps aura passé et quand d'autres événements plus ou moins graves auront pris le premier plan. Situation douloureuse.
J'ai un travail considérable de compositions. Trois aujourd'hui et l'abrutissement qu'il procure m'empêche de penser. Que fait Amante avec tout son monde ? Madame Blondiaux qui ne la connaît pas assez ne pouvait me donner que de vagues détails. Je ne pouvais demander aucune décision. Si Suzanne venait !
8 février - Toujours rien - Hier, je suis allé voir Mis à Janson et avec lui l'ai visité les rues bombardées de son quartier. Rue de Saïgon, une bombe tombée au milieu de la rue a tapissé les murs de trous. Avenue de la Grande Armée, les deux derniers étages d'un immeuble au coin de la rue Anatole de la Forge ont été démolis et pulvérisés, le mur a été projeté dans la rue.

Le soir, chez Démaretz, je n'apprends rien de neuf.

Aujourd'hui, Evelina m'écrit une bonne et amicale lettre de condoléances. Madame Taisne vient me voir et m'invite à dîner avec Jehan chez elle dimanche prochain. Je regarde le calendrier, il paraît que c'est le carnaval. C'est le quatrième carnaval rouge.

De la guerre, rien. On est toujours dans l'attente de l'offensive que tout semble annoncer et qui ne se déclenche pas. A Brestlitovsk, les pourparlers russo-boches semblent interrompus, mais que croire ?


10 février - J'ai vu hier soir chez Laure qu'un train avait emmené vendredi des évacués de Roubaix. A la rue Cadet, où je suis allé avec l'espoir d'écouter une conférence de Sembat, je n'ai entendu qu'une diatribe violente contre les pouvoirs publics, qui la méritent d'ailleurs, et un incident pénible entre russes.

Aujourd'hui, les journaux annoncent que la paix serait signée entre l'Ukraine et les boches.


13 février - Après avoir dîné à Neuilly chez Madame Taisne, nous sommes allés, avec elle et son fils, faire une promenade au bois et nous avons passé une heure en bateau sur le lac par un temps très doux. A cinq heures, Jehan et moi partons chez Démaretz qui vient de sortir puis je rentre au lycée. J'ai reçu une lettre de ma tante Marie qui m'attend à déjeuner mardi, avec Albert, revenu en permission. J'y suis allé hier et n'ai rien appris d'intéressant.

Il n'y a plus de train de Roubaix et du Nord. Je me demande toujours si Virginie ne va pas tenter de se faire rapatrier et je tremble de la voir arriver.

A tout hasard, j'envoie à Genève les renseignements nécessaires à la demande d'évacuation de Suzanne mais je n'ai guère confiance.
La situation générale est de plus en plus trouble. La Russie ne signe pas la paix mais elle démobilise. L'Ukraine a signé la paix avec les austro-boches mais il serait difficile de préciser ce qu'est l'Ukraine.
Les journaux apportent aujourd'hui les discours d'Orlando en Italie et de Lloyd George en Angleterre. Peu de précisions dans le premier, obscurité dans le second qui provoque une séance orageuse au Parlement anglais. La grande offensive n'apparaît pas. on se perd en conjectures et cependant les semaines, les mois se passent. On me disait hier que le front anglais allait s'étendre jusque Soissons. Nos alliés sont déjà à Noyon. Les américains ont leur petite part de front mais comme ils ne seront prêts qu'en 1819 (sic) . En attendant, on
commence à tenir les propos imbéciles que l'on tenait sur les anglais en 1915 et 1916. Le reste des roubaisiens évacués le 3 janvier est arrivé vendredi à Evian. Y a-t-il eu des évacuations de Mouvaux à la fin de janvier comme on semblait l'annoncer ? Mystère.
14 février - Ce matin, je suis allé voir Madame Vignol. Elle demeure rue des Vinaigriers. On lui avait donné un appartement boche mais il est inhabitable et elle l'a refusé. Elle pense acheter des meubles. Je vais même avec elle au Bûcheron (?) mais tout est inabordable : une misérable tables coûte soixante-cinq francs.

L'après-midi, je vais travailler aux champs à Malakoff et je rentre à six heures et demi, harassé. Cela m'aidera à dormir.

Pas de lettres. Ce matin, en allant rue des Vinaigriers, j'ai poussé jusqu'à la gare du Nord dans l'espoir de voir des listes de trains. Il en arrive chaque jour à Evian, mais aucun n'amène des gens de Mouvaux. celui de mardi avait quelques personnes de Roubaix (…). Maintenant, les évacués font un stage en Belgique.

Rencontré Maurette (?) que j'ai conduit jusqu'à la gare Montparnasse. Nous nous verrons dimanche chez Weill.


Lundi 18 février - Quatre journées passées sans nouvelles, pas une seule lettre, des rapatriés de toutes les régions sauf de Roubaix Lille Tourcoing. Un professeur de Montaigne, à Laon depuis le début de la guerre, vient d'arriver à Evian, la famille de Torper ; le père d'un professeur Puttre a annoncé son arrivée (d'Auby). Pour moi, rien. Je me demande si Suzanne a bien fait tout ce qu'il fallait et tient réellement à venir. Si Amante pouvait revenir à sa place ! Mais pourquoi ces pensées amères ? Ne serait-ce pas souhaiter qu'elle soit malade ?
Hier, Démaretz est venu au lycée à une heure. Je l'ai accompagné jusqu'à la gare de l'Est en discutant sur la situation. Il admire les russes et leur gouvernement. Je ne puis, malgré ma sympathie pour toute cause révolutionnaire, avoir un mot de tendresse pour ces énergumènes qui ont fait si admirablement le jeu des boches au détriment des alliés, qui ont provoqué la guerre et ne nous ont causé que des déceptions depuis le 2 avril 1914. Naturellement, nous ne pouvons nous entendre car le raisonnement de Démaretz tend à les innocenter et à rejeter toute la faute sur les alliés. Je me promets toujours de ne plus discuter et me laisse entraîner trop souvent, et cela ne sert à rien. En le quittant, je pars chez Weill à qui je raconte les nouvelles que j'ai reçu du Nord, la mort de Faldony. Maurette arrive avec sa femme. Il ne sait rien de nouveau ou peut-être ne veut-il rien dire. Il avoue d'ailleurs qu'il ne fait plus aucun pronostic car, comme beaucoup, il s'est souvent trompé. Il croit à l'offensive prochaine car l'Allemagne a besoin de victoire pour relever son moral pour six mois. Il a sur toutes choses un ton un peu sceptique et légèrement railleur qui m'est pénible. Nous causons jusqu'à sept heures. Il partage ma manière de voir sur la question des colonies et l'attitude réservée de l'Angleterre.
Après le souper, je sors avec Clavier. Nous faisons une partie de billard et, en rentrant dans ma chambre, je faisais ma préparation quand tout à coup, j'entends une canonnade lointaine qui augmente de plus en plus. C'était une nouvelle alerte : les sirènes se font entendre. Je descends à la cave avec les malades à une heure, puis cela se calme et, à onze heures, on sonne la breloque. C'est fini. Je n'ai pas entendu de bombes. Ce matin, on annonce que c'était une simple alerte provoquée par des bruits de moteurs suspects. Mais le soir, on dit qu'il y aurait eu des dégâts à Ménilmontant. On apprendra peut-être la vérité plus tard.

Les journaux de ce soir annoncent l'arrestation de Ch. Humbert, la nouvelle avait été censurée dans les journaux du matin ??

Les boches annoncent que l'armistice russe est rompu. La guerre va-t-elle recommencer ? Et contre qui ? L'armée est en plaine décomposition, elle n'a plus ni chef ni officiers ni matériels ni rien de ce qu'il faut non pour vaincre mais pour résister. Le boche sera-t-il donc toujours favorisé par les événements. Hier et aujourd'hui, congrès du parti socialiste. Qu'en sortira-t-il ? Cela est sur les genoux des dieux.
Mercredi 20 février - Quelques lettres. Louis Ball, Maurice Caron et une carte-message de Neuvilly. Réponse à mon message du 5 septembre 1917, ainsi conçu «Merci bonne nouvelle Rémy. Donnez nouvelles Amante. Situation assez satisfaisante mais François aveugle, impossible de travailler. Votre maison intacte. Baisers. Bouvelle» Le message est daté du 22 janvier 1918. Donc quatre mois pour aller et pour revenir. Je voudrais que la lenteur soit insupportable aux boches mais je n'y crois pas. Pauvre François. Encore un qui aura tout supporté ! Puis-je faire savoir son état à Amante qui a déjà tant de sujets d'inquiétude et de chagrin ?

Je m'étonne que Alfred Lantoine ne m'ait pas encore répondu depuis que je lui ai annoncé la mort de Faldony.


De la guerre, rien. On attend l'offensive. Démaretz me disait ce soir qu'il croyait qu'elle était commencée ?? Le gouvernement Lénine Trotsky, qui avait eu une velléité de résistance après la rupture des pourparlers de Brest Litovsk cède à la première manifestation d'hostilité de l'Allemagne. C'est bien fini de ce côté. Du nôtre, c'est toujours aussi sombre.

Madame Taisne vient me demander un léger service : écrire à Monsieur D.


Vendredi 22 février - Rien. Hier je suis allé à la gare du Nord voir la liste des trains. Mardi, il est arrivé un train de Roubaix. Démaretz n'avait rien reçu mercredi soir, sa femme n'en n'était donc pas.
J'ai écrit le 4 février à Alfred Lantoine pour lui annoncer la mort de Faldony et il ne m'a pas encore répondu. Je lui écris à nouveau aujourd'hui pour le cas où ma lettre serait égarée. Je ne puis croire à une telle négligence de sa part. Les journaux parlent beaucoup de la grande offensive boche comme d'une chose imminente et l'énervement augmente. Quels jours allons-nous vivre pendant plusieurs mois ?
24 février - C'est aujourd'hui la fête anniversaire d'Amante. Je ne puis une fois de plus lui offrir mes vœux. Je pense aux années passées, aux années perdues depuis quarante-trois mois et je me désole quand je suis seul et toujours ma pensée est là-bas.
Hier, Louis Ball, que je n'avais pas vu depuis longtemps est venu me voir. Il voit les événements en anglophobe et attribue tous les maux à la politique Clun (?). Je n'ai pas le courage de la désabuser.

Les russes qui comptaient sur une révolution en Allemagne (…) la désorganisation d'une part et la fourberie boche de l'autre. L'ennemi marche sur Petrograd et prend de nouveaux gages. Nous n'en sortirons pas si les peuples ne s'en mêlent point et n'imposent pas la paix aux gouvernements.

Cet après-midi, je suis allé chez Démaretz. Il a reçu une lettre d'une dame Gaillot qui lui dit ceci «Je viens de voir Madame Passaye récemment rapatriée et amie de Madame Tondelier. Elle se demande si actuellement Madame Tondelier et sa fille ne sont pas elles-mêmes rapatriées. Sinon elle serait heureuse d'apprendre l'adresse exacte de Monsieur Tondelier afin de lui donner des nouvelles des siens». Je pars avec Démaretz à la gare du Nord puis, violemment intrigué et ému au-delà de toute expression, je vais place Pigalle ou Maurice va le dimanche et tâche d'obtenir l'explication de cet imbroglio. Très étonné que Maurice ne m'ait pas écrit et n'ait pas donné mon adresse qu'il connaît. Il y a alors une série de quiproquo qui me confondent. D'abord, Maurice me dit qu'il sait que Faldony est mort … ?? puis qu'il ignore que Suzanne doive revenir, puis sa femme m'apprend qu'elle a appris par Suzanne Viannet (?) que ma fille devait être arrivée. Celle-ci survenant me dit qu'elle n'en sait rien et que c'est Madame Passaye mère qui le lui a dit. Bref, il faudra que j'aille chez Madame Passaye demain pour savoir quelque chose. Je n'aurai jamais cru que Maurice se serait désintéressé à ce point de moi. Mais la guerre m'a appris tant de choses. Enfin demain je saurai si Amante pense à revenir et si Suzanne peut être en route.
Cet anniversaire aura été une journée d'émotion. Il n'en fallait pas tant pour me faire penser à Amante.
25 février - J'ai vu Madame Passaye et Mademoiselle Courtin. Elles sont provisoirement installées dans une pension de famille 10, rue d'Offimont (?) et j'ai pu éclaircir toutes les obscurités de la journée d'hier. Le retard qu'on a mis à me prévenir vient de causes diverses, négligences grosses et multiples préoccupations, il ne s'agit pas de Maurice. J'ai causé longuement et j'ai eu quelques détails sur le mort de Faldony. Mon frère serait mort subitement pendant la nuit d'une crise d'urémie et malgré de pressantes démarches, les boches ne voulurent par délivrer de laissez-passer à mes parents qui ne revirent point leur fils. Maman eut une crise grave. Cet effroyable malheur la vieillit un peu plus. Madame Passaye ne peut préciser la date. Elle place le triste événement un peu avant la Noël. D'autre part, elle me donne de nombreux détails infimes sur Amante, les enfants, la vie. J'enregistre tout et en écrivant je les remémore. Mademoiselle Courtin me dit mieux la souffrance des malheureux restés là-bas. Les privations, les dangers qu'ils courent constamment, bombardements par avions, etc., la mortalité effrayante, les jeunes gens qui s'étiolent, les malades qui ne peuvent plus vaincre la maladie, la plainte silencieuse des gens qui protestent contre le détachement dont font preuve les alliés à l'égard des populations. J'ai l'explication de ce qui m'intriguait le plus : le rapatriement d'Amante. Il s'agit de Madame Démaretz qui devait revenir avec Suzanne. Madame Gaillet a confondu l'une avec l'autre.

Suzanne pense à revenir. Où est-elle ? Peut-être en Belgique. Edmond va toujours à Colbert, comme élève il court moins le risque d'être pris par les boches.

Je vais en les quittant à la gare du Nord mais depuis hier il n'y a qu'un train annoncé et il ne vient pas de Roubaix.

C'est aujourd'hui le dernier jour et si je ne reçois pas un télégramme de Suzanne demain, c'est l'ajournement sine die, pendant que peut-être elle est en Belgique, exposée à toutes les avanies.

Quand je pense à tout ce cortège d'ennuis, de soucis, je suis sans force et souhaite la paix à tout prix.
26 février - Je n'ai rien reçu. C'est fini d'espérer. En voilà pour plusieurs mois sans doute. Je suis allé cinq fois chez le concierge et les cinq fois, j'ai trouvé ma boite vide. Il se peut que l'offensive commence le 1er mars et je suppose que les évacuations seront suspendues pendant la durée des grandes opérations auxquelles on s'attend. C'est une déception qui s'ajoute à toutes les autres. J'ai écrit aujourd'hui au père de Picavet pour lui demander l'adresse de son fils en Suisse. Je vais essayer de faire passer une photo et quelques mots car par la Belgique et la Hollande il n'y faut plus songer.
1er mars - Hier, j'étais allé voir Madame Vignol mais, ne l'ayant pas trouvé, je suis allé à la gare du Nord. Un train de Roubaix est arrivé samedi ou dimanche. Les autres amènent des évacués de l'Aisne pour la plupart. Celui de mardi est suivi de la mention «Dernier convoi». Je rentre au lycée les bras cassés.

Le soir, chez Weill, on parle de logement et Madame Weill écrit à une de ses amies pour demander si elle consentirait à me louer une partie de son appartement dans le cas où Suzanne arriverait. Weill va demander à un de ses cousins interné en Suisse de servir d'intermédiaire pour faire parvenir des nouvelles à Amante.

De la guerre : discours au Reichtag. Réponse de Balfour. Dans l'un, Hestlony (?) dit que l'Allemagne est prête à causer avec la Belgique et à traiter si les alliés n'ont pas d'avantages spéciaux en Belgique. On pourrait, si on le voulait sérieusement, échanger l'Alsace - Lorraine contre la colonie allemande, mais c'est trop simple, il y a trop de gens qui se figurent encore que l'on peut abattre l'Allemagne.
4 mars - Hier dimanche, Lucile Démaretz a reçu une lettre d'une petite cousine d'Amante qui vient d'être rapatriée de Roubaix. Madame Démaretz est en Belgique depuis le 25 janvier. Partie avant cette cousine, elle n'est pas arrivée et comme les trains sont suspendus, elle est là pour un temps indéterminé. Il n'y a pas un mot de Suzanne. Elle charge Lucile de m'informer de la mort de Faldony par un mot de ma famille. Je demande à Lucile de s'informer quand elle écrira. Suzanne n'a donc pas pu partir avec Madame Démaretz.

Je conduis Jehan au cinéma puis, à cinq heures, je vais à la gare du Nord où je rencontre Proneau (?) du Cateau. Rien de changé au service des expatriements. Il n'y a plus de train.

J'ai écrit à Monsieur Picavet pour lui demander l'adresse de son fils interné en Suisse afin d'essayer de faire passer une photo à Amante. Reçu sa réponse aujourd'hui et j'écris immédiatement.

Le fils de Madame Taisne a été déclaré bon pour le conseil de révision. Ce matin, elle est venue me voir, elle est bouleversée. Je la rassure et lui promets l'appui de Monsieur Seydoux.

Il fait un temps abominable, pluie et neige fondue. Les rues sont transformées en marécages. Je n'ai pas bougé de ma chambre. J'ai d'ailleurs toutes mes notes trimestrielles et je suis accablé de paperasses.
7 mars - jeudi - Je suis allé accompagner Madame Taisne chez Monsieur Seydoux qui fera le nécessaire mais la pauvre dame ne sait jamais ce qu'elle doit faire. Elle est tiraillée par son fils, son désir à elle. Un mot suffit à lui faire changer d'opinion.

L'après-midi, je vais à Malakoff travailler au champ pendant que Jehan va à Clichy.


9 mars - Samedi - Hier soir, nouvelle alerte, attaque d'avions. J'étais sorti prendre du café avec Maupinot au Mahieu à neuf heures. On entend la sirène et chacun s'en va rapidement chez soi. C'est l'obscurité complète. Je rentre au lycée et passe une heure et demi avec les pensionnaires dans une cave. De temps en temps je vais écouter la canonnade puis, à onze heures, je me couche mais des bombes tombent et je me relève et vais passer une heure et demi dans les sous-sols. A ceux qui se plaignent je dis que c'est là la vie courante dans nos pays envahis, pourquoi se plaindre ?

Je vais tout à l'heure à l'enterrement d'un professeur de lycée mort à cinquante neuf ans.

Soir - Rien de nouveau, je suis allé déjeuner au restaurant avec Maupinot et Massinon car je n'avais pas le temps de retourner au lycée ni d'aller au cimetière Montparnasse. Aura-t-on une autre alerte aujourd'hui ou le jour suivant ? Les communiqués annoncent jusqu'à présent neuf tués, trente-neuf blessés. On en recausera dans huit jours.

Reçu une lettre de Favières, professeur, le gendre de de Lauvereyn (?) qui approuve le groupement des professeurs des régions envahies dont la réunion a lieu demain à Montaigne.


10 mars - Ce matin, réunion des professeurs évacués. Constitution d'un groupement de défense. Revu quelques anciens de Lille, Valenciennes. Je suis nommé trésorier.

L'après-midi, je vais chez Démaretz et nous faisons une promenade au bois de Boulogne par la porte de Passy, le lac, la porte Maillot. Je vais lui remettre une photo à renvoyer à Larivière qui pourra peut-être l'expédier à sa femme pour Amante.


12 mars - Hier, à neuf heures, nouvelle alerte suivie peu de temps après d'un bombardements par avions. Je vais à la cave de l'infirmerie où nous attendons au bruit d'une canonnade violente. On entend très distinctement la chute des bombes puis, tout à coup, vers dix heures, trois détonations suivies de bris de verre se succèdent coup sur coup. Dans le voisinage on les situe dans le Luxembourg ou rue d'Assas. Les élèves sont épouvantés, on les rassure. Une seule chose m'empêche d'être effrayé : la pensée que les miens en voient de pires. Je vais voir Jehan à l'autre bout du lycée. Tout va bien, le bruit s'éteint peu à peu et, à minuit et demi, on va se coucher. Je néglige les réflexions entendues dans cette gendarmerie.

Aujourd'hui, je vais voir les points de chute dans le quartier. Deux bombes sont tombées dans le Luco. Devant l'infirmerie, à hauteur de la rue de Fleurus, une rue Madame et rue de Mézières. Je descends plus bas. Deux sont tombées à l'angle du boulevard Raspail et du boulevard Saint-Germain.


Il y en aurait sur le ministère de la guerre, rue de Lille, rue Las Cases. Les journaux de ce soir ne disent rien. Ce n'est que peu à peu qu'on apprendra une partie de la vérité.
Il y a quarante deux ans, on avait des dégâts d'un autre genre (12 mars 1876). Je revois mon frère avec son képi, papa montant des poids sur une toiture en zinc qui menaçait de se détacher.
Neuf heures du soir - On commence à avoir des détails sur l'incursion d'hier soir mais il est difficile d'avoir des précisions. Belleville, le quartier du ministère de la guerre, le quartier du Luxembourg sont les plus atteints. Il y a de nombreux morts, Station Bolivar. Demain, on donnera des chiffres plus ou moins exacts. On entend les propos les plus ridicules : brouillards artificiels, incendie du ministère de la guerre.

Il est question de ne tenir aucun pensionnaire pendant les vacances de Pâques. Que vais-je faire avec Jehan pendant quinze jours ? J'avais parlé avec Mis d'aller en Touraine, mais je ne l'ai pas vu depuis plus de trois semaines. J'irai peut-être voir Sandras à qui je promets une visite depuis dix-huit mois.

Il n'est pas encore question de trains d'évacués.
14 mars - Jeudi - Weill m'écrit qu'il se charge de faire parvenir à un cousin, Schwob, prisonnier en Suisse, une lettre que celui-ci expédiera à Mouvaux. Je prépare cette lettre et la lui porterai demain avec une photographie. Démaretz va en envoyer une à Larivière. Enfin, j'attends une réponse de Picavet peut-être que sur les trois, une arrivera.
Je suis allé avec Mis, que j'avais été cherché à Janson, voir les points de chute des bombes. Nous sommes allés à l'arrêt de métro à Bolivar où une panique a causé la mort de soixante-quatre personnes, Rue de Meaux, avenue Jean Jaurès, avenue Laumière, rue des Dunes, rue Réteval, rue Bolivar, rue du Faubourg du Temple, les dégâts sont considérables, mais n'atteignent jamais le rez-de-chaussée quand il y a plus de deux étages. Les caves sont donc des abris à peu près sûrs. Mis a reçu des nouvelles de sa femme. Il a envoyé de l'argent et possède un reçu de sa femme avec quelques lignes de correspondance. Je n'ose pas en envoyer, je réfléchirai encore.

Les trains recommencent le 8 avril (avis du Consul de Bâle).

Virginie m'écrit, elle a trouvé un ménage à faire à Bordeaux.
15 mars - Vendredi - Encore une catastrophe. Une explosion formidable s'est produit dans la banlieue Nord de Paris à une heure quarante-cinq et a détruit un nombre considérable de vitres dans Paris. Les journaux du soir ne donnent aucun détail. On parle de Saint-Denis, de La Courneuve, de Dugny (?).

Je suis allé porter chez Weill une lettre pour la Suisse. Arrivera-t-elle à Mouvaux ?

En rentrant à dix heures, je vois une lueur rouge qui illumine le ciel au dessus de Paris dans la direction du Nord. Est-ce l'incendie occasionné par l'explosion qui produit cette teinte sinistre ou est-ce encore un autre malheur. Nous vivons des heures et des jours terribles. L'inquiétude est sur tous les fronts et les communiqués, en voulant être rassurants, masquent la vérité. Nous n'en sortirons pas.
Dimanche 17 mars - Les renseignements sur la catastrophe de La Courneuve commencent à arriver : trente morts, nombreux blessés, en réalité on ne sait pas encore le nombre de morts car il y a de nombreux manquants militaires ou ouvriers militaires (douze sur vingt-cinq en poste n'ont pas répondu présent, quarante-sept travailleurs sur soixante-trois, idem).
Hier, je suis allé à une conférence de L. Le Soyer (?), rue Cadet, conférence très intéressante où l'apôtre de la paix par le droit montre que la paix est possible autrement que les armes. On ne devrait négliger aucune occasion de parler mais si l'on a comme seul but la victoire je crois que la guerre durera encore longtemps.
Aujourd'hui, je vais voir Madame Taisne qui m'a envoyé un pneu pour me dire que son fils Georges a été très malade, lymphangite et phlegmon. Il va mieux. Je passe l'après-midi chez Madame Vignol qui désirait me voir pour différentes petites choses sans grande importance puis je rentre à sept heures au lycée avec Jehan.

Rien concernant les rapatriements. Reçu une lettre de la cousine Desfrénous par l'intermédiaire de Démaretz. Elle ne m'apprend rien que je ne sache. Selon elle, Faldony est mort vers la Noël. Le retour de Suzanne lui paraît peu probable. Elle n'en a pas entendu parler. Sa fille croit qu'elle est inscrite à Mouvaux. Alors ??


22 mars - Vendredi - Je suis allé hier à Neuilly revoir le fils de Madame Taisne qui va bien puis, l'après-midi, j'ai travaillé aux champs de Malakoff où j'ai épandu du fumier pour le labourage prochain. Je suis toujours en quête d'un logement. Ce matin, les journaux annoncent que les boches ont commencé une offensive sur une front de quatre-vingt kilomètres contre les anglais entre la Sensés (?) et la Fère (?). Est-ce la partie décisive qui commence ?

Soir - À neuf heures, alerte, on descend dans les caves. Je vais jouer une partie d'échecs et, à dix heures, on entend les cloches, c'est fini. Il n'y a rien. On remarque un progrès sensible dans l'organisation de l'alerte. Sirène au bruit perçant et prolongé. A la fin, les cloches annoncent beaucoup mieux que la berloque des pompiers la fin du danger.


23 mars - Samedi - J'écris au bruit des bombes. Ce matin, un certain nombre de détonations espacées d'une demi heure s'est fait entendre vers huit heures moins le quart, huit heures et quart, puis, à neuf heures, on a sonné l'alerte. Je me préparais à sortir. Je suis rentré au lycée et j'ai assisté à la mise en cave de tous les élèves car je n'avais pas classe. A dix heures et quart, le recteur passe dans une poussière dense. On entend fréquemment des détonations mais personne ne peut dire en quels points. On parle de la gare de l'Est. Une serait tombé rue Michelet, derrière le lycée. En ce moment, deux heures, on entend des détonations vers Montrouge et nul ne peut dire si ce sont des bombes ou des coups de canons de D.C.A.

L'alerte n'a pas encore pris fin et malgré cela la circulation n'est pas interrompue, on voit de nombreux piétons, des autos en grand nombre, des voitures. Il est probable que des avions boches sillonnent le ciel à des hauteurs considérables et, hors d'atteinte, ils laissent tomber leurs crottes à leur aise.

Pas de nouvelle ce matin de l'offensive anglaise. Tiennent-ils ?

Il faut s'attendre à tout dans cette grande partie qui va être probablement décisive.


Soir, dix heures et demi - L'alerte a pris fin à quatre heures. Les élèves sont restés dans les cave sept heures consécutives au milieu d'une poussière irrespirable mais nous n'étions pas au bout de nos peines. Le soir, après le souper, j'étais sorti avec un surveillant quand, à neuf heures, retentissent encore les sirènes. Deuxième alerte. Je rentre rapidement de la gare Montparnasse mais après une heure et demi passée à la cave, on entend la berloque et les cloches. Il n'y a pas eu de bombardement. Va-t-on pouvoir dormir en paix ?

Le communiqué anglais annonce une percée. Espérons qu'elle sera sans conséquence.

24 mars - Une heure - Ce matin, dès sept heures, le bombardement commence et l'alerte est donnée aussitôt. Les journaux annoncent qu'une pièce à longue portée, installée au-delà du front, bombarde Paris. La distance n'est pas inférieure à cent vingt kilomètres. C'est formidable et cela dépasse tout ce que l'on a fait de colossal dans cette guerre. Les coups aujourd'hui sont beaucoup plus nombreux. A part l'obus tombé hier à cinquante mètres du lycée, dans l'avenue de l'Observatoire, il n'est pas signalé de points de chute à proximité et cependant, les coups se suivent à raison de six par heures environ. Voilà qui va faire fuir beaucoup de parisiens.

25 mars - La nuit dernière, après une heure du matin, nouvelle alerte, la quatrième en quarante heure : avions boches, je vais à la cave pendant une heure puis, la berloque annonce que tout est fini. On se recouche et ce matin, à six heures quarante-cinq, arriva le premier obus.

Un est tombé hier sur Louis le Grand. J'y vais pour un congrès de notre corporation mais j'ai l'esprit ailleurs. Il y a des dégâts, peu de choses en somme. Les journaux annoncent que vingt-six obus ont été tirés. L'offensive boche se continue, les anglais «encaissent» et cèdent le terrain mais en infligeant des pertes terribles à l'ennemi. Nous prenons part à l'action sur l'aile droite vers Noyon. Depuis le 23, le communiqué ne l'annonce qu'aujourd'hui, on semble dire qu'une contre-offensive commencera bientôt. Les boches font des pertes effroyables mais ils poursuivent quand même. Il faudrait des nerfs d'acier.

Madame Taisne m'écrit qu'elle m'attendait à déjeuner hier mais sa lettre n'est arrivée qu'aujourd'hui du fait de la désorganisation des services. De nombreux parisiens s'en vont. Il se pourrait que les lycées et écoles fussent licenciés si le bombardement devait continuer.

Nous resterons jusqu'au moment où on nous dira : Partez !
Combien de temps encore durera cette vie ? Démaretz, avec qui j'ai passé une partie de l'après-midi hier, a appris que sa maison et l'école ont été réquisitionnées par les boches. Son mobilier est dispersé chez des amis, à Mouvaux même. Que fait-on à la maison ? On attend probablement, sans espoir. Il y a longtemps qu'Amante à perdu toute confiance sur l'issue de la guerre. Aura-t-elle la force de vaincre son découragement et son chagrin ?
27 mars - L'offensive continue et la situation reste grave. Le front actuel est jalonné par le front de 1915 ou à peu près. Noyon est reperdu. L'objectif boche semble être Amiens. S'il y arrivaient, je me demande comment tiendrait le Nord. Un communiqué annonce, dit-on, quarante-cinq mille prisonniers, dont quinze mille français. Ce qui est le plus lamentable semble être l'exode des malheureux qui étaient réinstallés dans les régions dévastés et qui ont dû reprendre le chemin de l'exil. L'effet produit dans les régions envahies doit être lamentable et terrible. Les pertes allemandes sont énormes. La question qui se pose actuellement est la suivante : l'ennemi continuera-t-il à attaquer en faisant de tels sacrifices ou bien, épuisé, pourra-t-il résister à une contre offensive que nos réserves, jointes aux réserves anglaises, entreprendront probablement. Question angoissante. Nous revivons les journées tragiques de Verdun, mais ici nous sentons que la partie est décisive et si l'on échoue je me demande si l'on pourra jamais attendre les américains.
Depuis lundi matin, on n'a pas eu d'alerte malgré ou parce que les nuits sont claires. Le canon ne tire plus, est-il hors d'usage ? Les jours suivants nous le diront. Hier, je suis allé déjeuner chez Madame Taisne puis j'ai passé l'après-midi avec Mis. Vu un point de chute de bombe dans la rue de Lille devant l'ambassade d'Allemagne. Quelques mètres, trois, plus au sud et c'était dans la cour de cette officine d'espionnage. Aujourd'hui, étant sorti avec Madame Vignol, vu un point de chute d'obus, boulevard Saint-Denis (brioche de la Lune).

Ce matin, je suis allé à Bagneux pour trouver un laboureur. Jehan m'accompagne partout naturellement.


29 mars - Fait quelques courses hier à Clichy, puis en ville où j'ai cherché à voir Madame Passaye. Mais précisément ce matin j'ai reçu une carte d'elle. Partie au Mans avec Mademoiselle Courtin pour se mettre à l'abri, elle m'écrit qu'elle a envoyé de ses nouvelles à Mouvaux ?? Je lui réponds immédiatement pour lui demander si elle peut me donner le moyen qu'elle emploie.
L'offensive continue toujours avec la même violence, avec des alternatives, nous avons perdu et repris Mondidier. Les anglais subissent un choc terrible et depuis hier, je m'attends à la chute d'Arras.
Je rencontre dans les rues de Paris des évacués qui arrivent avec leurs paquets. Ils viennent s'abriter dans la grande ville pendant que les taxis et les autos chargés de malles conduisent aux gares de Lyon, d'Orléans et de Montparnasse des bourgeois apeurés qui ne se sentent plus en sûreté.
Vu hier soir Démaretz qui est dans le même état d'esprit qu'aux mauvais jours de Verdun. Tout va mal, responsabilités, gouvernement, etc, etc. Il est difficile pour ne pas dire impossible de discuter car il n'envisage les hypothèses qu'avec passion. J'ai passé aujourd'hui l'après-midi avec Mis et Lefebvre, celui ci toujours aussi pessimiste que jadis. Nous causons de la guerre et il croit que ce sera encore très long. Ses déductions d'historiens, ses comparaisons avec les situations passées sont impressionnantes et me cassent bras et jambes. Quelques obus tombent sur Paris pendant notre promenade.
30 mars - Lundi, le bombardement recommence plus régulier et plus fréquent que les jours précédents. Je constate que les points de chute sont plus nombreux dans le quartier. Vers midi, un obus tombe devant le Sénat et écorne le bassin du Luxembourg, à cinquante mètres du Sénat. D'autres sont tombés boulevard Montparnasse, rue de Rennes, rue Falguière, etc, etc. Il semble que Montaigne soit tout à fait dans la ligne de tir. Hier, un obus est tombé sur l'église Saint-Gervais et a tué soixante-quinze personnes, blessé une centaine pendant ou à la fin d'un office du Vendredi Saint.

Je suis allé voir le trou au bassin du Luxembourg. Des pierres ont été projetées jusqu'au lycée. On se demande, après l'affaire de l'église Saint-Gervais si les classes recommenceront comme d'ordinaire. Il y a là une grosse responsabilité à prendre pour le recteur et je ne vois pas bien la scène du dernier jour de classe se renouvelant souvent sans provoquer des protestations. D'ailleurs, il est possible que les élèves en cessant de venir règlent eux-mêmes la question.

Demain, je compte partir avec Mis et Jehan à Fontainebleau mais il fait un tel temps que notre voyage est bien compromis. L'offensive continue, nous gagnons sur certains points, les anglais perdent sur d'autres, le front va vraisemblablement se stabiliser, mais la ligne Paris - Amiens est maintenant à quinze (?) kilomètres du front actuel ??
1er avril - Je suis parti seul avec Jehan hier matin à Fontainebleau. Mis souffrant, je l'ai su en rentrant, n'a pas pu nous accompagner. Je n'ai jamais vu autant de monde à la gare de Lyon. Une cohue indescriptible ! J'ai fait les trois quart du trajet debout avec cinq autres voyageurs dans un coupé de dix places. A Fontainebleau, je me suis assez bien débrouillé et nous avons vécu à peu de frais. Visité le château dépouillé de tout son mobilier mais dont les salles ont toujours fort grand air. Le château est beau mais sans unité architecturale, tout est juxtaposé. Le parc est très beau mais la forêt est incomparable? J'y ai fait deux excursions, une hier à la tour Dénicourt (?) et une ce matin, au mont aigu et vers les gorges de Franchard (?). Ce qui lui donne un cachet particulier est la profusion de rochers de grès mais cela ne vaut pas l'Estérel, comme couleur et pittoresque. J'ai beaucoup pensé à Amante, pendant mon excursion. Que fait-elle, maintenant qu'elle n'a plus Madame Démaretz. Que doit-elle penser de l'offensive dont les boches n'ont pas manqué d'exalter le succès.

Hier, le bombardement a continué. Aujourd'hui, après midi également et à sept heures et demi, un obus est encore arrivé. J'ai oublié de noter que samedi, une carte - message du 16 novembre 1917 m'était arrivée de Mouvaux. La prochaine m'annoncera la mort de Faldony ? J'ai des nouvelles postérieures de six semaines, et plus directes que ces phrases déformées par deux traductions.


4 avril - Dans la nuit du 1er au 2, nouvelle alerte. A trois heures et demi du matin, j'ai été réveillé par la canonnade et, en descendant à la cave, j'ai vu des éclatements d'obus. Cela dura jusqu'à cinq heures. Le bombardement continu mais beaucoup plus ralenti, quelques coups tous les jours. Hier, un. Aujourd'hui à midi on n'a pas encore tiré.
Mardi, je suis allé chez Madame Taisne déjeuner avec Jehan. J'ai photographié Hector, qui sera appelé le 15 avril. L'après-midi, je vais à Janson voir Mis. Il me dit que le communiqué allemand a annoncé qu'il avait capturé mille cent canons et fait soixante-quinze mille prisonniers. On multiplie en paroles rassurantes mais si depuis deux ou trois jours, l'offensive marque un temps d'arrêt on se rend très bien compte qu'elle va recommencer plus violente que jamais.
Hier, j'ai fait quelques emplettes pour Jehan et au moment où je passais près de l'Hôtel de Ville pour aller voir les départs de l'église Saint-Gervais, un obus éclatait derrière Notre-Dame. Ce fut le seul de la journée. L'après-midi, nous allâmes au cinéma mais c'est le dernier jour des matinées. Aujourd'hui, on annonce qu'il n'y en aura plus.
On ne sait pas encore si les classes recommenceront le 8 avril. On dit qu'une réunion devait se tenir hier au Ministère. Les décisions prises ne sont pas encore connues. Démaretz pense à envoyer ses enfants à Montluçon. Tant qu'il y aura des classes à Montaigne, je resterai. J'irai ce soir dîner chez Madame Taisne et montrer les épreuves des photos prises avant-hier à Bagatelle.
5 avril - L'offensive boche continue toujours vers Amiens. La résistance est grande mais les anglais cèdent un peu. Que nous réservent les jours qui vont suivre ?

Après une journée de pluie battante, je suis allé hier chez Madame Taisne. Elle est toujours dans l'attente de la décision pour son fils qui sera incorporé le 15 avril.

Aujourd'hui, j'ai expédié une photo à Picavet et le texte d'une carte qu'il veut bien transmettre à Mouvaux. Cela arrivera-t-il. J'en ai envoyé trois, par Larivière, par le cousin e Weill et celle-ci.
J'ai passé la journée à Saint-Germain-en-Laye avec Mis et Jehan et j'ai pu visiter le château qui est vraiment beau. Les collections archéologiques sont tout à fait remarquables et les plus belles que j'ai vues. Le ciel couvert et saturé de vapeurs empêchait d'apprécier le panorama merveilleux de la terrasse. Rentré à six heures.
Demain, dernière journée de vacances. Quand pourrai-je écrire Dernière journée d'exil ? Dans trois mois il n'y aura plus que quelques journées de classe et il faudra songer à s'exiler car je ne pourrai rester au lycée pendant les grandes vacances. J'irai errer dans le midi. A moins qu'un obus ou une bombe ne règle la question d'ici là.
7 avril - Dimanche - Dîner chez Madame Taisne jeudi. Je reste chez elle jusque dix heures. J'avais porté quelques épreuves des photos prises mardi. Samedi, je suis allé au Père Lachaise avec les enfants et Madame Vignol. Vu quelques tombeaux, au mur des Fédérés, je constate qu'il est tombé une bombe d'avion qui a fait d'importants dégâts (écoles). Des chapelles du cimetière ont été disloquées et brisées par le seul déplacement d'air. Avant de partir du lycée, vers midi un quart, un obus est venu tomber à cent mètres de ma chambre, angle de la rue Michelet et de la rue d'Assas. Jehan court bien vite et ramasse un éclat. Le soir, je vais passer une heure chez Monsieur Valette.
Expédié une carte-message à Amante.
L'offensive continue avec ses hauts et ses bas. L'ennemi se rapproche de plus en plus d'Amiens puis de Clermont. La ligne Paris-Amiens n'est plus qu'à quelques kilomètres du front. Pertes considérables en hommes chez les boches mais avancée quand même.

D'autre part on note des promesses américaines. Démaretz perd toute notion des réalités et présage les pires éventualités. Aujourd'hui, j'ai fait une promenade avec lui dans le quartier de Chaillot. Nous avons été frappé par le grand nombre des immeubles vides. Les Champs-Élysées sont déserts. On remarque des ballons d'observations (saucisses) aux tuileries, aux Champs-Élysées, au Luxembourg.

Le bombardement continue mais très espacé. On dit que les avions ne viennent plus régulièrement jusqu'à Paris ??
8 avril - La rentrée a été retardée d'un jour pour des causes mal définies. Je suis allé cet après-midi chez Madame Taisne. Elle est toujours aussi démontée. C'est demain que sont fils sera appelé à faire son choix au recrutement.

M. Bayard que je voie raconte des histoires extraordinaires. Transfert de valeurs de la Banque de France. Il tremble sans doute et voit noir.

Rien de bien saillant dans l'offensive. La question reste toujours en suspens pour Amiens. Peut-on espérer que cette offensive sera la dernière grande opération militaire ? Aujourd'hui on annonce officiellement que la frontière franco-suisse est fermée. Cela suppose des opérations chez nous, des mouvements de troupes sur lesquels on veut garder le silence. Va-t-on faire une diversion et attaquer en Lorraine ? Certains disent que nos troupes de choc sont de ce côté.

Mes lettres sont-elles arrivés en Suisse ? Peut-être ! Sont-elles parties à Mouvaux ? On parle à table de la rentrée. Il y aurait un déchet sérieux. On saura cela demain.


Jeudi 11 avril - La rentrée est déplorable en Quatrième B, dix-sept élèves sur trente cinq, en Cinquième A1, douze sur quarante-sept, en Cinquième A5, neuf sur trente deux, en Sixième A5, huit sur trente, en Sixième B, dix-sept sur quarante-neuf. Il y a des classes de un élève, deux, trois. Pas d'incidents ni de bombardement ni mardi et mercredi.
Mardi, je fus chez Weill qui a expédié sa femme et sa fille en Bretagne mercredi soir, chez Démaretz qui pense à envoyer ses enfants à Montluçon? Aujourd'hui, je suis allé travailler avec quelques élèves à Malakoff. Le bombardement à recommencé à quatre heures. Un obus est tombé à Montsouris, un près de la mairie de Malakoff, un hôpital Baudeloque, boulevard de Port-Royal, deux autres je ne sais où derrière Montaigne. Demain cela recommencera. Le proviseur et le censeur sont affolés.

Reçu une carte où on me dit d'Evian qu'on prend bonne note de ma lettre transmise par la Croix-Rouge concernant le rapatriement de Suzanne ??

L'offensive boche réussit toujours un peu. Aujourd'hui, les anglais cèdent du terrain et abandonnent Armentières. Que doivent penser mes gens à Mouvaux. Ils sont sûrement encombrés de soldats et peut-être ont-ils été chassés de la maison. J'espère que Foch va bientôt prendre l'offensive à son tour. L'aviation américaine se prépare mais quand sera-t-elle prête ? On parle d'un nombre énorme d'avions. J'attends. Quant aux régiments américains, ils n'ont pas encore donné. J'attends.

Les journaux parlent surtout en ce moment de la polémique Czenain (?) Clémenceau. Celui-ci a mis en cause l'empereur d'Autriche. Je me demande si cela aura des répercussions sur les événements. Il y a aussi les révélations in extremis de Bolo sur lesquels les journaux brodent ce que veut bien laisser écrire la censure.


13 avril - Samedi - Hier matin, le proviseur nous réunit à dix heures et demi pour nous donner connaissance d'une circulaire du recteur (instructions au sujet des bombardements). Il donne les chiffres de la rentrée, deux cent quarante élèves présents sur plus de mille élèves, et il ne cache pas son sentiment qu'il y en a deux cent quarante de trop. On parle de prendre des arrangements, réduire les heures, fusionner les classes. Je signale le risque qu'auront, encore une fois, les évacués qui, rendus disponibles, pourront être expédiés ailleurs. On promet de ne pas prendre de mesures qui nous atteindraient. D'ailleurs, le proviseur me fait des protestations. Il annonce qu'il prévoit le licenciement du petit collège. Puis, à deux heures et demi, à la rentrée, il nous informe que l'ordre est arrivée de licencier tous les élèves jusqu'au 5 mai. Nouvelle tuile. On donne des devoirs aux élèves au 5 mai. La situation ne sera pas changée et j'ai bien peur que la mesure ne soit généralisée ou prolongée. Que vais-je faire de Jehan ? Encore une année à demi-sacrifiée. Moi, je perds mes leçons, maigre supplément qui me permet de voyager en vacances.
Le soir, je vais dire cela à Démaretz qui fulmine. Il est sans nouvelles de Lucien depuis quinze jours et n'en est que plus irrité. En rentrant vers dix heures et quart, j'arrive dans la rue Bréa au moment où les sirènes donnent l'alerte. Je cours au lycée et je rentre au moment où un avion se fait entendre au-dessus du Luco et, une minute après, des détonations formidables éclatent. L'alerte prend fin à onze heures et aujourd'hui j'apprends que des bombes sont tombées rue Saint-Antoine, boulevard Henri IV, on dit encore vers la place d'Italie. Le bombardement par canon continue, intermittent, aujourd'hui. Il n'y a pas de point de chute dans le quartier mais entre six heures et demi et huit heures du soir, il y a eu cinq obus.

J'écris à Colson et à Girard.

La guerre va mal du côté anglais. Les boches ont pris Merville, Estrives (?), Stenmark (?), Neuf Berquin Bailleul (?) et Hazebrouck sont menacés comme Béthune. Va-t-on perdre les dernières mines ?

Aujourd'hui les journaux du soir publient un manifeste de Douglas Haig aux troupes anglaises annonçant l'arrivée prochaine des réserves françaises. Je crois que la vraie bataille va commencer.


14 avril - Les boches font du bombardement un supplice varié et raffiné à l'usage des parisiens. La nuit dernière, l'ai été réveillé par un éclatement d'obus à minuit quarante-cinq, c'était le deuxième. Vingt minutes plus tard, un autre éclatait , puis ce fut tout. On dit qu'il y en a eu d'autres dans la banlieue. Aujourd'hui, quelques coups, l'un à deux heures, l'autre à quatre heures, je n'ai pas entendu les autres. Je suis allé voir Démaretz. Il est toujours sans nouvelles de Lucien et s'inquiète. Je fais ce que je peux pour le rassurer. Il a écrit à son sergent-major et à son capitaine. Puisse-t-il recevoir bientôt des nouvelles. Je suis dans ma chambre toujours dans l'attente énervante d'une explosion. Le fatalisme a du bon. J'ai au-dessus de moi un grenier vide et un toit mais s'il y a un risque à côté d'une foule de chances, on peut compter sur son étoile. L'arabe dit «Nectoub !»
18 avril - Jeudi - Les jours se traînent lamentablement. Bombardement dans la nuit. Je suis allé voir lundi les dégâts considérables fait par la torpille de la rue de Rivoli près de la station de métro Saint-Paul. Les effets sont terrifiants, une conduite de gaz crevée a mis le feu à quatre étages d'un immeuble en face, le déplacement de gaz a tordu les persiennes et les barrières en fer comme du papier.
Mardi matin, Jehan s'est levé avec les oreillons. Pendant la nuit du 15 au 16, bombardement. Les élèves s'en vont, il n'y a plus que Démaretz et le proviseur me dit qu'il va écrire à son père pour lui conseiller de l'envoyer à Montluçon. Il se débarrasse de son internat et fait tout pour qu'on n'arrive pas au 5 mai. L'après-midi, deux professeurs, Lotheher (?) et Sicart, viennent voir des photos dans ma chambre. A cinq heures, je vais voir Boucher et un obus éclate pendant que je suis chez lui. J'apprends qu'il est tombé rue Mollis dans une usine où il a fait une douzaine de victimes. Le soir, je vais mettre Démaretz au courant. Il se décide à demander le transfert de bourses de ses enfants. Il n'a pas encore reçu de nouvelles de Lucien.
Hier mercredi, je passe une partie de la journée dans la chambre de Jehan. A deux heures, je vais voir Madame Taisne. Elle est absente et je ne trouve que Monsieur Bayart, Hector est affecté à Versailles.

Bolo a été fusillé hier matin à Vincennes.

L'offensive boche continue. Bailleul est tombé ainsi que Meteren (?). La situation paraît de plus en plus grave. Je me demande s'il ne va pas falloir abandonner Ypres et redresser le front qui forme là une poche dangereuse. Cela va mal. Que devient l'armée de Foch ? Est-elle déjà disséminée dans les troupes anglaises ?

Ce matin, on me dit que Madame Taisne m'a téléphoné pour me dire qu'elle m'attend ce soir à six heures. Son fils est incorporé demain à Versailles. Je ne suis pas allé à Neuilly car Hector est venu me faire ses adieux. Je vais chez Mademoiselle Mignon, elle est très ennuyée d'être nommée à Molière et s'étonne qu'on l'ait débarquée avec cette désinvolture.


20 avril - Samedi - Reçu hier une lettre de Maurice Caron. Il a l'intention de se marier et me demande mon avis. Je lui écris et lui livre toute ma pensée. Je dis qu'il a tort et qu'il peut attendre sa mère puisqu'il n'a qu'elle au monde. C'est sa seconde bêtise car il fait aussiune demande pour entrer dans l'aviation. Sur l'une et l'autre question, il a eu mon avis. J'ai fait et dit ce qu'aurait conseillé sa mère.
Hier on annonçait que d'importantes mesures étaient prises pour faire taire le canon qui bombarde Paris mais à six heures un obus est tombé. On me dit qu'il y en a eu trois (pas de victimes).
Je suis allé voir Massinon pour l'informer des nominations. Cinq professeurs supplémentaires quittent Montaigne dont Minouflet (?) qui va à Pasteur. Le proviseur dit qu'il me tiendra jusqu'à la fin mais si l'on ne rouvre pas le 5 mai, je serai disponible et il faudra partir. Où ? L'interne, Mademoiselle Germain, me dit que les surveillants d'internat vont être congédiés. On leur laissera le temps de trouver autre chose.
Tout cela ne sent pas bon et je crois bien que si la guerre n'est pas terminée en octobre et si la situation ne s'est pas modifiée, je ne recommencerai pas une année à Montaigne.
Dimanche 21 avril - Période calme qui peut cesser d'un moment à l'autre, peut-être cette nuit. Sur le front il y a sans doute un regroupement des forces en vue d'une nouvelle offensive qui paraît imminente. Tiendra-t-on ? Ou bien va-t-on apprendre la chute de Béthune, d'Amiens ?
Vu aujourd'hui un prisonnier de cinquante ans qui arrive d'Allemagne. Il a passé trois ans et demi à Mindon (?). Sa femme, évacuée près de Chimay attend son rapatriement. Je désespère quand je songe à l'avenir et je me demande si Amante saura tenir.

Démaretz n'a pas encore de nouvelles de Lucien. Cela fait quatre semaines. Est-il prisonnier ? Ou bien ?

Vu hier matin le proviseur, il compte me tenir mais aura-t-il des élèves pour m'occuper.
Je suis bien installé ici maintenant.
Lundi 22 - Je fais travailler Jehan le matin. L'après-midi, nous allons à Clichy mais ma tante est absente. J'ai cru un instant qu'elle avait quitté Paris, mais elle est en course. Je reviens à pied et en nous reposant dans le Luxembourg, je songe qu'il y a seize ans à pareille date, je recevais ma nomination pour le lycée de Valenciennes. Date importante dans ma vie. J'étais loin de prévoir alors qu'un jour viendrait où je serai condamné à vivre plus de trois ans et demi séparé de ma famille, dans l'angoisse et l'inquiétude, en me demandant à chaque instant si je les reverrai.
Ce soir, Monsieur Valette est venu passer une heure dans ma chambre puis j'ai appris le jeu d'échec à Mademoiselle Germain.
Jeudi 24 avril - Mardi - Passé l'après-midi chez Massinon qui corrige quelque devoir de latin à Jehan, puis le soir, à onze heures cinquante, alerte. Hier après-midi je suis allé avec Jehan et René Démaretz voir un photographe ami de Cornighian, surveillant d'internat. Il me montre ses priorités de développement et fait quelques clichés. Ce soir, je vais chez Démaretz. Il est toujours sans nouvelles de Lucien. Il y a maintenant quatre semaines. On ne lui répond pas du régiment. Cela devient grave.

Le matin à sept heures dix un obus tombe (probablement dans le quartier). Les journaux apprennent la reprise de l'offensive vers Amiens par le Nord et par l'Est. Les anglais perdent Villers Bretonneux et (…) le bois de Hangard (?).

Que devient l'offensive de Foch ? Sommes-nous destinés à être manœuvrés sans répit ?
J'ai appris par le concierge de son immeuble que Laure était partie avec ses enfants il y a trois semaines à Toulouse. Elle aurait pu m'en informer.

Lettre de Virginie et de Colson. Le soir, Louis Baudouin vient me voir, il me demande de l'aider à faire établir un acte de naissance pour Maurice Caron qui pense à se marier. Je refuse de m'y prêter n'étant pas de cet avis et opposé en principe à ce mariage.

J'ai passé une partie de l'après-midi chez Madame Vignol avec Jehan. Sa fille fait sa communion jeudi prochain. Je décide de lui acheter un livre de messe. Cette enfant a pour moi une affection filiale.
Vendredi 26 - Madame Taisne vient me voir. Son fils n'est soldat que depuis huit jours et elle est déjà allé trois ou quatre fois à Versailles. Elle a l'intention de le faire partir dans l'artillerie à pied, dont il ne veut pas entendre parler. Elle regrette de n'avoir pas suivi mon conseil. Il est tard.

L'offensive boche marque un temps d'arrêt.


Samedi 27 avril - Démaretz m'écrit. Lucien a été blessé le 30 mars à la cuisse et fait prisonnier. Il n'y aurait rien d'essentiel atteint. Mais pourquoi l'a-t-on laissé là ? Avec un mot en allemand le recommandant aux boches ? Pauvre garçon ! Puisse-t-il bientôt envoyer de ses nouvelles.
Dimanche 28 - Les journaux ce matin annoncent que les boches ont pris le mont de Kemmal (?). Je crains qu'on ne soit obligé d'évacuer Ypres. Madame Taisne me téléphone d'aller déjeuner chez elle avec Jehan. Son fils est revenue en permission. J'y trouve Monsieur Bayart qui me parle de ses chasses à Wassigny. A trois heures et demi, je vais rue Cadet où Démaretz se signale par des propositions extravagantes. Je rentre à six heures et demi et passe ma soirée dans ma chambre avec Jehan et René.

Les journaux annoncent que la frontière est ouverte. Un train d'évacués est déjà arrivé. La période d'attente anxieuse va recommencer. Je vais me demander cent fois par jour si Suzanne va revenir. Démaretz a reçu avis que le transfert de bourse de ses enfants était autorisé. Le proviseur me dit que je vais avoir la Quatrième B et la Sixième B. Cela me fera sept ou huit heures par semaine. Je n'aurai plus Jehan dans mes classes.


Jeudi 2 mai - Les jours passent. Lundi, je suis allé chez Massinon avec Jehan qui prend une leçon puis mardi, je vais aux champs où j'apprends à labourer avec tracteur automobile. Nouveau métier. Mercredi après-midi également.

Je reçois la visite de Maurice Caron en permission. Il m'annonce qu'il va se marier malgré mes conseils et nos avis et il me demande même d'être son témoin. Je refuse naturellement, lui ayant déconseillé le mariage, je ne puis l'aider à se marier. Je pense le revoir demain mais viendra-t-il ? Cependant, je lui ai parlé avec douceur et il ne peut me taxer d'aigreur. Aujourd'hui, je suis allé à Versailles avec Madame Taisne et son fils voir son soldat. Nous avons soupé dans la chambre qu'il a au patronage catholique de l'endroit. Je rentre à neuf heures et demi.

La grande offensive boche semble s'enrayer. La victoire commence à apparaître lointaine à l'ennemi et on reparle de paix. Que verra-t-on le mois prochain ?

Mardi j'ai passé la soirée chez Deroo (?) qui est très ennuyé à cause de ses enfants.


Samedi 4 mai - Maurice Caron est revenu me voir hier. Il m'annonce son mariage qui a bien lieu aujourd'hui. Il me demande s'il pourra me revoir après. Je n'ai aucune peine à lui prouver que je ne lui en veux pas et je lui promets de l'aller voir dimanche à Bagnolet avec Jehan. Il doit repartir jeudi au front. Pauvre garçon. Qu'est-ce qu'un mariage dans ces conditions ?

Hier, Massinon est venu faire travailler Jehan vers cinq heures. On m'a remis nos emplois du temps (neuf heures par semaine, cinq en Quatrième B, une heure en Cinquième B et trois en Sixième B).

Les journaux reparlent d'une offensive pacifiste boche. Je m'en doutais un peu.
Lundi 6 mai - Je suis allé hier avec Jehan à Bagnolet chez Madame Cheminard, 38 rue Paul Vert, où on nous fait bon accueil. Je souhaite que Maurice n'ait pas à regretter son mariage et que sa mère soit contente. Je n'écrirai rien de plus. Avec la famille, nous allons au cimetière de Bagnolet puis par Ferrial (?) et Les lilas, nous rentrons dans Paris où on va au Père Lachaise, Columbarium. Je quitte la famille pour rentrer dîner à six heures et demi au lycée.

Aujourd'hui, rentrée. Douze élèves en Sixième B et treize en Quatrième B. Le lycée est comme un corps sans âme. Je vois mes nouveaux élèves. Rien à noter de particulier. J'irai demain déjeuner à Clichy avec Maurice et sa femme.

On voit les professeurs sans classe venir prendre contact. Nous mangeons dans une chambre de surveillant et restons encore sept à table.

Mercredi 8 mai - Pas de classe aujourd'hui, je range un peu. Hier, après la classe du matin, je suis allé déjeuné à Clichy chez ma tante avec Maurice Caron et sa minuscule femme. Le soir j'étais allé chez Weill mais il est en permission pour une dizaine de jours en Bretagne où sa femme s'est réfugiée. Je rentre lentement en passant par la rue de la Santé, le faubourg Saint-Jacques, les Feuillantines (Maison de Victor Hugo).

Aujourd'hui, après avoir donné une leçon, je passe l'après-midi avec Massinon, puis à cinq heures, pendant que Jehan achève une version que son ancien professeur corrigera à six heures et demi, nous allons ensemble écouter un cours de Bonglé (?) à la Sorbonne (Sociologie).

Le soir, comme Jehan a bien travaillé, je le conduis au cinéma à Cluny.

L'offensive boche est momentanément suspendue. On s'attend à une reprise mais dans combien de temps ?
Les trains d'évacués sont toujours suspendus et nul ne sait quand ils reprendront. Suzanne est peut-être en Belgique depuis plusieurs mois, seule sans société dans un village perdu, se demandant comme moi quand cette situation prendra fin.
La quatrième année tire à sa fin et la guerre m'apparaît beaucoup plus longue dans l'avenir qu'elle ne semblait devoir durer au moment où elle éclata.

C'est comme une parenthèse ouverte dans ma vie, parenthèse qui ne se fermera peut-être que quand je n'y serai plus, ou quand quelques uns des miens, vaincus par la maladie, la douleur, etc. n'y seront plus.

On pense parfois que la vie redeviendra normale, que l'on se retrouvera pour reprendre la vie commune. On se dit que peu de choses seront changées puisque le cœur reste le même, puis, quand on constate les ravages causés par le temps sur les personnes que l'on a pas vues pendant quelques années, l'on est effrayé et il m'arrive souvent de me demander dans quel état les miens me retrouveront (s'ils me revoient).
Vendredi 10 mai - Anniversaire du Traité de Francfort, 1871. Après mes deux heures de classe le matin, le suis libre et je vais l'après-midi me promener avec Maupinot, puis, le soir, après le souper, avec Clavier et Lelen (?) et Jehan. Nous nous promenons dans le Luco qui est merveilleux. Les marronniers sont tout fleuris, les aubépines commencent, le temps très doux incite à la rêverie et dans ce cadre magnifique. Je suis tristement ma pensée. Je songe aux promenades que nous faisions quelquefois, Amante et moi après la classe, après le souper, à deux dans les champs, autour de Valenciennes, au marais de l'Épaix, à La Brignette sur la route de Tamars, à Mouvaux le long du canal ou sur le boulevard. C'étaient les seuls moments de détente après les journées fatigantes d'Amante. Tout cela est bien loin, je n'aurai plus jamais de ces heures paisibles. Même si je retrouve ma femme, mes enfants, mes parents, les regrets, le souvenir des années perdues empoisonneront ma vie.
Démaretz, que j'ai vu hier, n'a pas encore de nouvelles de Lucien. Il avait demandé au sergent-major des renseignements plus précis et on ne lui répond pas.

Malgré ces sujets d'inquiétude, il ne décolère pas et passe tout son temps à fulminer contre tous.

Au lycée, on liquide toujours et je vois venir le moment où il n'y aura que deux ou trois surveillants. La bataille semble toujours arrêtée provisoirement malgré les actions de détail. Y a-t-il regroupement des forces boches ? La tuerie va-t-elle reprendre prochainement ? Et pour combien de temps ?

J'attends toujours la réponses aux nouvelles que j'ai fait parvenir à Mouvaux par Albert Boulogne, par le cousin de Weill, par Picavet. Cela date de plusieurs mois et rien ne vient.


Samedi 11 mai - Monsieur le Proviseur me fait entrer dans son bureau ce matin pour me prévenir que le prix de ma pension va être augmenté en raison du renchérissement constant de la vie. Je lui fait part de mon intention de quitter le lycée en octobre et de m'installer en ville avec Jehan.

Il est triste de songer que nous devons prendre des mesures et former des projets comme si la guerre devait toujours durer. Les considérations familiales en peuvent même pas être envisagée, elles ne comptent plus pour plusieurs années peut-être et, quand ma pensée y revient, je serre les poings et je maudis le sort.

Démaretz est venu me voir à cinq heures (pas de nouvelles de Lucien), il est toujours aussi monté contre tous et prédit la catastrophe militaire avec toutes les autres qu'il juge inévitable.

Il m'annonce cependant que les rapatriements vont reprendre le 21 mai (d'après le Journal des Réfugiés). Nous verrons cela le 22. Si d'ici là l'offensive reprend, ces rapatriements seront encore une fois reculés et l'on aura une déception de plus à encaisser.

Le soir, Massinon vient donner quelques conseils à Jehan pour son latin.
Mardi 14 mai - Dimanche, jour pluvieux et maussade. Je travaille avec Jehan dans ma chambre jusqu'à midi puis, à deux heures, je vais chez Démaretz. Il enfourche encore une fois son dada politique, nous sommes une nation finie, avachie, mal conduite, il faudrait des élections, les parlementaires vont être sans mandat. Déjà les deux cinquième des sénateurs le sont et comme je réponds que la guerre est une situation anormale comportant des mesures exceptionnelles, que les élections, pour une fraction importantes, seraient faussées, je me fais rabrouer avec fracas. Il croit toujours que ce qu'il aura vaudra mieux que ce qu'il a et voit bien les affaires de la France comme il voit les siennes propres. Je le laisse aller. A quoi bon ? La discussion est impossible et j'assiste à un long monologue où l'orateur parle pour lui-même pendant que Jehan rit sous cape.

Je rentre à cinq heures et demi et, le soir, nous allons avec Clavier et Lelen, faire une partie de billard avec Monsieur Clavier père près de la gare.


Lettre de Mis que je cherchais à voir jeudi. Aujourd'hui, lettre de Rémy. Il était venu me voir et je n'étais pas libre. Il m'avait promis de venir mais je ne l'ai plus revu. Il m'écrit aujourd'hui qu'il est reparti au front.

J'ai commencé mon cours de géométrie en Quatrième. C'est nouveau pour moi et un peu dur à cause des nouveaux programmes (homothétie et lieux géométriques), mais je tiens à en sortir honorablement et je bûche mes cours pour les faire.

Paris reprend peu à peu son train de vie courante. Je viens de lire l'accord pour l'échange des prisonniers : beaucoup vont revenir. Le travail dans les régions envahies va être réglementé ?? Tout cela n'indique pas une fin prochaine de la guerre.

Madame Vignol est venue me voir aujourd'hui. Elle me raconte ce que lui disent ses neveux sur la bataille qui s'est livrée autour du Mont de Kenun, l'héroïsme des artilleurs anglais qui font l'admiration du poilu français.


Jeudi 16 mai - Hier, j'ai fait quelques courses pour Colson et je suis allé entendre le cours de Bonglé à la Sorbonne. En entrant à six heures et demi, je trouve Madame Taisne. Elle est encore une fois bouleversée car son fils doit suivre le cours d'aspirant et des instructions peu explicites lui font craindre un départ anticipé au front. Elle vient me demander de me renseigner et se figure que cela va coûter de l'argent. Je la rassure et lui promets de m'en occuper le lendemain.

Le soir, je conduis Jehan au cinéma et, à dix heures et quart, une alerte est donnée. Nous filons au lycée. Cela dure jusqu'à minuit. Rien de grave, on passe le temps dans la cave, à causer. Le surveillant général Ortolo (?), plus funèbre que jamais, dit les pires sottises en voulant parler de choses qu'il ne connaît pas.

Dans la nuit, l'alerte recommença mais, comme nous étions endormis, nous ne l'entendîmes point. J'ai su aujourd'hui que des bombes étaient tombées dans la banlieue sans faire de victimes. Ce matin, je suis allé au ministère de la Guerre d'où l'on m'a renvoyé au bout de la rue de Vaugirard, 252. Là, j'ai trouvé tous les renseignements nécessaires concernant les examens d'aspirant d'artillerie. Mis me fait téléphoner qu'il n'est pas libre et je conduis Jehan faire un peu de latin chez Massinon.
Samedi 18 mai - Hier, je suis allé chez Madame Taisne après le souper pour donner le résultat de ma démarche au ministère de la Guerre. En revenant, nous sommes arrêtés dans le Nord-Sud, rue du Bac, par une alerte. Je descends et, par le tunnel, nous revenons à Notre-Dame des Champs, d'où nous regagnons le lycée. Pas de canonnade. Nous allons à la cave et, à onze heures et demi, les cloches annoncent la fin. Les journaux informent ce matin que des bombes ont été lancées dans la grande banlieue.

Je touche les quatre mois d'arriérés de la nouvelle indemnité de vie chère, cent quatre-vingt francs.


Nous voici encore en vacances pour cinq jours. L'année dernière, la veille de la Pentecôte, j'apprenais que Jehan allais arriver. Cette année, Démaretz a la certitude que son fils est prisonnier. Il est dans un lazaret (?) à Saarbruck (Neuenkirchen). Il a été blessé à la cuisse et au scrotum (canal de l'urètre sectionné). Il va mieux, sa lettre est du 28 avril. J'ai appris cette nouvelle tout à l'heure.
Mardi 21 mai - Aujourd'hui, doit arriver à Evian le premier train d'évacués. Suzanne sera-t-elle de cette série ? L'avenir nous le dira, mais je n'y compte pas beaucoup, ce qui ne veut pas dire que je n'y songe pas.

Dimanche, je suis allé au lycée Lakanal à Bourg-la-Reine où se tient le congrès de l'enseignement secondaire. J'y suis retourné le lundi matin. Discussions passionnées mais courtoises sur le relèvement des traitements. Lundi après-midi, je vais avec Démaretz à la gare du Nord où je rencontre Horace Robert toujours roublard et fuyant.

Aujourd'hui, avec Madame Vignol et ses enfants, nous allons au Bois de Boulogne qui est magnifique. Je rentre à six heures et demi et nous travaillons dans ma chambre. Il fait depuis trois jours une température sénégalienne. L'offensive ne commence pas. On l'attend. Et les nuits claires font redouter une attaque des gothars. Il y en a eu une sur Londres dimanche qui aurait fait des dégâts considérables. Le même jour, les anglais faisaient un raid sur Cologne et, là aussi, causaient des ravages. Ce sont des avants coureurs de mauvais signe.
Samedi 25 mai - Mardi soir, alerte. Rien de grave. Le lendemain, après une promenade à Joinville, Champigny et La Varenne avec Massinon, nous rentrons fatigués et nous avons deux alertes successives qui nous laissent éreintés. Je me couche à trois heures. Dernier jour de vacances, je passe mon temps à faire travailler Jehan. Hier, je suis allé dîner chez Madame Taisne qui voudrait que je réussisse à décider son fils à entrer dans la tornade (?). J'y retournerai dimanche. Des trains sont arrivés depuis mardi. Un de lillois, un autre de roubaisiens. Rien de nouveau. Je n'ai pas vu Démaretz cette semaine et je ne sais pas si sa femme lui a télégraphié d'Evian. Aujourd'hui, je reçois une carte de Picavet. Il m'annonce qu'il a envoyé le 15 mai la photo et les nouvelles que je l'avais prié de transmettre le 5 avril. C'est navrant. Les gens ne se doutent pas de nos souffrances et ne font rien pour y remédier. J'ai encore les bras cassés.
Mardi 28 - Dimanche, je vais déjeuner chez Madame Taisne. Son fils est revenu en permission et elle a invité un anglais à qui nos fils prennent des leçons des conversation. Après le déjeuner, nous allons au bois de Boulogne, à Bagatelle où les clématites commencent à fleurir./ Je rentre pour six heures et demi et le soir je conduis Jehan au cinéma.

Hier matin, à six heures et demi, le gros canon a recommencé à tirer régulièrement, de quarts d'heure en quarts d'heure. On n'a pas fait classe ce matin puis, le tir s'étant espacé, on a essayé l'après-midi. J'avais trois élèves en Quatrième. Le soir, les journaux nous apprennent que l'offensive avait repris en Champagne. Nouvelle période de crise.


Hier, on annonçait le repli sur de nouvelles positions. Aujourd'hui, le repli s'accentue. Le terrain conquis si péniblement l'an dernier est de nouveau perdu. On se bat à Fismes mais aujourd'hui on annonce l'arrivée des réserves. La boucherie va continuer, terrible. Ici, il y a eu une nouvelle alerte hier soir. Et aujourd'hui le canon a tiré toute la journée mais le tir est irrégulier, les points de chute sont éparpillés. On dit que les pièces allemandes, tout en étant plus près de Paris, sont hors de portée de notre artillerie. Ce n'est pas rassurant.

Aucune nouvelle de Madame Démaretz. Qui sait si la frontière ne va pas être fermée ? Et Suzanne ?

Massinon, le professeur de Jehan part à Voltaire. Encore une année perdue pour Jehan. Car avec toutes ces alertes et émotions variées, avec tous ces changements, il est impossible de fournir un travail suivi et il n'est pas fort.
Mercredi 29 - Comme les jours précédents, le canon a recommencé à six heures et demi, sept heures moins le quart, sept heures, puis deux coups à huit heures moins vingt-cinq, huit heures moins dix, sans compter ceux que je n'ai pas entendu. L'après-midi, je vais à la gare du Nord voir les listes de trains d'évacués. Il y en aura un de Lille demain, le 30, et un de Roubaix-Tourcoing, samedi 1er. Arrivera-t-il des gens de connaissance ? Madame Démaretz ? Suzanne ? L'offensive se déroule, les boches ont avancé jusqu'ici de vingt-cinq kilomètres entre Soissons et Reims. La situation est grave, malgré la note rassurante des critiques militaires. Il est probable que le front ne sera pas rompu mais les boches exploitent encore le succès comme une grande victoire bien qu'ils aient tout mis en œuvre pour obtenir une décision définitive. Et la guerre continuera jusqu'à l'arrivée des américains, c'est-à-dire jusqu'à l'année prochaine.
Vendredi 31 mai - J'ai passé une journée qui me laisse une fois de plus anéanti. Hier, j'avais travaillé avec Jehan dans ma chambre quand le soir, à six heures et demi, pendant le souper, Démaretz arrive me communiquer une dépêche de sa femme et ainsi conçue : Arrivons demain gare Lyon huit heures. Le pluriel nous faisait espérer Suzanne et nous voilà tout en émoi faisant des projets. Je me fais remplacer pour ma classe du vendredi matin et sans souci de la canonnade, puis de l'alerte de nuit, je passe mon temps à échafauder des espoirs prématurés et, à sept heures et demi, nous étions à la Gare de lyon. J'étais sur le quai où j'avais pu rester et je vis Madame Démaretz descendre seule. J'eus quelque peine à soutenir un tel choc après un tel espoir.
Jehan et moi revînmes au lycée brisés une fois de plus.

A peine ai-je pu obtenir des renseignements, je reverrais Madame Démaretz ce soir et tâcherai de fixer mes souvenirs. Pour le moment, je suis anéanti.


1er juin - J'ai revu Madame Démaretz hier soir. Elle a causé longuement d'Amante, de ses ennuis, des changements que Prost (?) lui avait fait avoir et qu'elle a pu heureusement faire annuler, de la mort de Faldony, des pourparlers avec les boches, des difficultés du ravitaillement, des ingéniosités d'Amante, de la maladie de papa, de la nourriture, etc., etc. Elle m'apprend qu'il y avait une deuxième lettre dans la ceinture du pantalon de Jehan et, en rentrant le soir, je me hâte de rechercher et je trouve en effet un deuxième billet, écrit sur toile, comme l'autre, que je déchiffre avec la plus grande difficulté car le crayon est effacé par le frottement et trois lignes sont illisibles. Je suis désolé d'avoir méconnu l'existence de ce billet si tendre, si plaintif où je retrouve une évocation d'un passé heureux.
A onze heures, nouvelle alerte suivie d'une seconde. Je dois rester jusqu'à une heure. Cette vie est éreintante.

L'offensive boche gagne. L'ennemi est maintenant à la Marne, Château-Thierry est évacué, Soisson prise, c'est une victoire boche (?) mais aujourd'hui on a l'air de tenir le coup et la question est de savoir si nous avons des réserves et si elles vont donner. L'ennemi semble décidé à jouer ses dernières cartes. Sommes-nous de taille à soutenir la lutte jusqu'au bout ? Les anglais ont-ils aussi des réserves en état de résister et de tenir. C'est ce que l'avenir nous apprendra. Il n'est fondé à croire que si nous pouvons donner à l'ennemi l'impression que la bataille ne nous a pas brisé. L'issue est proche et peut-être avec elle la fin de ces années infernales.

Le bombardement continue intermittent et éparpillé dans Paris et la banlieue. De temps en temps, une détonation qu'on ne peut situer.
Encore un carnet terminé. Avant de mettre le point final, je jette un coup d'œil sur les souvenirs qu'il rappelle, sur les maigres espoirs qu'il a enregistrés, sur les faits qu'il a signalés et je constate que, d'une façon générale, je suis beaucoup plus inquiet qu'il y a sept mois. L'avenir m'apparaît plus sombre et plus troublant que jamais. Combien de boches faudra-t-il tuer encore pour mater cette race exécrée ? Tout est là.

Brouillon de lettre du 20 janvier (probablement à l'attention de M. Seydoux) :


J'ai vu Madame Taisne hier et elle s'est montrée tellement hésitante entre tous les conseils contradictoires qu'elle reçoit, relativement à l'incorporation de son fils, que sur son insistance et pour la rassurer, j'ai promis de vous soumettre une question qu'elle ne vous a pas posée.

Dans le cas où il ne serait pas ajourné, son fils a-t-il des chances sérieuses d'obtenir par votre intervention auprès du recrutement de la Seine son affectation à un régiment d'artillerie lourde sans être tenu de s'engager avant le 31 janvier.

Je sais ce que ma demande a d'insolite et tout en insistant sur le crédit que vous confère votre situation au Parlement, je n'ai pas manqué de dire à Madame Taisne que vous ne voudriez ni ne pourriez garantir à l'avance la suite qui serait donnée à votre intervention auprès de l'autorité militaire. Mais Madame Taisne a été si éprouvée par le malheur, elle se sent si isolée depuis quelques années, que je n'ai pas cru devoir lui refuser cette dernière démarche auprès de vous. Il est entendu qu'elle vous informera dès qu'elle sera avisée de la date du Conseil de révision de Neuilly.

Je vous prie d'excuser la liberté que j'ai prise de revenir sur une question qui m'avait paru comme à vous même suffisamment éclaircie et vous remerciant sincèrement de votre accueil si bienveillant, je vous prie d'agréer, (…), l'expression de mes sentiments respectueux et dévoués.


Quelques vers …
Où donc sont allés mes jours évanouis ?

Est-il quelqu'un qui me connaisse ?

Ai-je encore quelque chose en mes yeux éblouis,

de la clarté de ma jeunesse ?
Tout s'est-il envolé ? Je suis seul, je suis là ;

J'appelle sans qu'on me réponde :

O vents ! O flots ! ne suis-je aussi qu'un souffle, hélas !

Hélas ! ne suis-je aussi qu'une onde ?
Ne verrai-je plus rien de tout ce que j'aimais ?

Au dedans de moi le soir tombe

O terre, dont la brume efface les sommets,

Suis-je le spectre et toi la tombe ?
Ai-je donc tout vie, amour, joie, espoir ?

J'attends, je demande, j'implore ;

Je penche tour à tour mes veines pour avoir

De chacune une goutte encore.
V.H.
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