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carnet VII
Lundi 15 octobre 1917 - Démaretz est allé hier passer la journée à Bry. Lucien est revenu en permission. Je vais avec Jehan chercher Madame Vignol pour faire une promenade avec ses enfants mais elle est partie, à Nogent je crois. Je conduis alors Jehan au musée Grévin où il s'amuse beaucoup. A six heures, nous rentrons au lycée. Aujourd'hui, je suis allé au Ministère m'occuper du renouvellement de la bourse de Jehan. Je refais une demande pour 1917-18 que je remettrai demain au proviseur et, après le souper, je vais chez Démaretz. J'apprends par le journal des Réfugiés que les boches envisagent l'évacuation de Lille et probablement Roubaix-Tourcoing. Cette évacuation serait suivie pour les évacués d'une quarantaine en Belgique. C'est épouvantable, que vont faire les miens ? Il faut maintenant m'attendre à tout, en commençant par le sacrifice de notre petit avoir. Pauvre mobilier qu'on avait mis tant d'amour à rassembler, collections, livres, etc. Et quand ce sacrifice sera fait, les plus terribles maux attendront mes vieux, ma femme, mes autres enfants sauront-ils résister à toutes ces souffrances ? J'en doute. L'avenir me paraît de plus en plus noir malgré tout le bruit et toutes les rumeurs de paix.
17 octobre - Huit heures - Je n'ai guère de courage et cependant il m'arrive d'en donner à d'autres. J'étais allé hier après la classe chez Mademoiselle Mignon pour lui restituer un livre qu'elle m'a prêté avant les vacances. Nous causions de la paix et j'essayais de lui donner les raisons que j'ai d'y croire. Elle a peu de confiance et ne voit pas d'issue à ce fléau. Rentré dans ma chambre, je perds toute assurance et suis assailli par tous les papillons noirs. Je me figure les miens sur le chemin de l'exil, partant désespérés d'abandonner tout ce qu'ils possédaient et se demandant s'ils sortiront vivants de cet enfer ; ou bien je vois Amante essayant de sauver quelques bribes et compromise par les affaires qu'elle a cachées. Mais la pensée de cette quarantaine en Belgique m'effraie plus que tout le reste car elle causera infailliblement une dépression terrible des caractères et des forces. Et puis il y a Edmond et Suzanne qui peuvent être réquisitionnés à chaque instant …

Je n'ose parler de tout cela à Jehan. Il vit insouciant et me cause rarement de Mouvaux. Il pense à eux, sûrement mais il n'ose m'en parler pour des raisons que j'ignore.


18 octobre - Huit heures - Léonard me dit ce matin qu'il ne croit pas à l'évacuation de Lille. La ville vient en effet d'être frappée d'une nouvelle imposition de plusieurs millions. Un journal publie une lettre du Maire qui dit qu'on a payé. Il semble bien qu'il n'aurait pas payé si la ville avait dû être évacuée. Je me raccroche à cette manière de voir.

Je suis allé à Malakoff arracher des pommes de terre. Après tout, cela vaut bien une promenade fastidieuse sur les boulevards.

Madame Vignol vient me voir le soir à six heures et demi. Elle est fatiguée de la pension de famille et va chercher un appartement. Nous sommes encore dans une période de crise accentuée par le malaise politique. Je ne vois rien dans ces ténèbres.
Dimanche 21 octobre - Je suis allé vendredi soir chez Démaretz pour passer un moment avec Lucien. Le concierge me prévient qu'il est chez Madame Boulanger. J'y vais et on cause de choses banales. Hier, j'ai passé la matinée à des achats de sous-vêtements d'hiver pour Jehan et pour moi. Après la classe du soir, je trouve ma tante Marie qui m'attend pour m'inviter à déjeuner mardi. Albert est revenu et elle veut nous réunir pour quelques heures. Elle apporte du chocolat à Jehan et je lui fait prendre du café dans ma chambre.
Aujourd'hui, j'ai eu des nouvelles. J'avais appris hier soir qu'un paquet de lettres était arrivé par la poste des Alliés, Bar le Duc (?). Un lillois, Monsieur Picard m'en avait causé rue Cadet. Démaretz en a reçu une de sa femme. Elle dit peu de choses d'Amante. Il semble que rien de grave ne s'est passé à la maison. Papa est rétabli (ceci est du mois d'août). Est-elle partie et subit-elle une quarantaine en Belgique ? Pas un mot de la santé d'Amante, de maman, d'Edmond.
Il semble que Madame Démaretz n'a pas le temps de prévenir à Mouvaux qu'elle pouvait écrire. Je suis heureux de ce peu de nouvelles, mais il faut avouer que je n'ai pas de chance. Il n'y a jamais rien pour moi directement. On a reçu notre message donnant quelques détails sur les enfants puisque l'on sait que Lucile est à Jules Ferry. Je lis à Jehan tout ce qui nous concerne sur la lettre.

Nous allons ensuite à la gare du Nord, où je rencontre Maurice Passaye, sa femme, Émile Carion et sa femme, Camille, Thomas, un ancien camarade d'École Normale, Lévy, qui est démobilisé et fait classe dans une école de Paris. J'évoque avec chacun les souvenirs communs. Tout cela est bien douloureux et avive mes regrets. Rien n'apparaît dans l'avenir qui doive apporter un changement à cette vie intolérable.


La guerre est stationnaire. Les boches avaient organisé un raid de zeppelins sur la France et un sur l'Angleterre. Des huit zeppelins envoyés chez nous, cinq sont abattus, détruits ou capturés. Deux se sont enfuis en Suisse et un est perdu on ne sait où.

La conversation que j'ai eue hier avec Debierre ne m'a pas appris grand-chose. Il ne croit pas à l'évacuation de Lille. D'autre part, une note parue dans Le Matin dit que pendant les mois qui vont suivre, on n'évacuera que les français actuellement en Belgique.


Mardi 23 - Reçu aujourd'hui une lettre de Jean-Baptiste Péru (?). Il m'apprend que sa femme a été évacuée sur Carcassonne où elle se trouve au bureau de bienfaisance. Je lui écris immédiatement en même temps qu'à Colson pour qu'il fasse ce qu'il pourra pour Virginie.

Je vais ensuite déjeuner à Clichy avec Albert et Louis Baudouin où l'on ne parle que de la guerre et des absents. Je n'apprends rien qui vaille d'être noté.


Le Ministère démissionne sans démissionner mais pour pouvoir débarquer Ribot (?). La raison est que l'on reproche à celui-ci d'avoir refusé des passeports à Briand que les boches auraient voulu voir en Suisse pour lui faire causer de la paix et de leurs conditions (??). Nous sommes arrivés à une période où il ne faut plus refuser de parler de paix, ce qui ne veut pas dire qu'il faut accepter toutes les propositions.
Le soir, Madame Taisne vient me voir et me causer de son fils qui passe la deuxième partie du Bacc. Philo vendredi.

Madame Vignol vient en même temps et ma cellule de moine se trouve tout à coup transformée en une sorte de parloir à demi mondain.


Jeudi 25 octobre - On a attaqué au Nord de Soissons et il semble bien qu'on a remporté une victoire. Huit mille cinq cent prisonniers, quelques villages, des positions très fortes ont été reconquis. On se trouve maintenant à quelques kilomètres de Pinon où jadis … je fus avec papa, voir le Tour en allant à Concy (?).
Hier, Madame Taisne est revenue m'inviter à dîner avec Jehan chez elle dimanche prochain. Albert Machuel est venu me voir à quatre heures et demi. J'ai pris le thé avec lui. Il repart dimanche dans la région de Verdun au sud de la côte 304 où André fut blessé à mort jadis.

Le proviseur m'a offert deux billets pour une matinée de gala au Trocadéro. Il insiste pour que j'y conduise Jehan. J'y suis allé aujourd'hui.


C'était une séance très intéressante de cinématographie de la guerre. Mis était venu me voir au moment où j'allais partir. Je n'ai pu lui consacrer que quelques minutes. J'irai le voir prochainement. Je lui ai communiqué mes dernières nouvelles.

Hier soir, nous avons veillé. On a causé de la guerre avec Madame Oberlin et Buffart (?) qui joue toujours au pacifiste éploré alors qu'on sent une sécheresse de pensée égoïste dans toutes ces paroles.


Je ne crois pas avoir noté ce que j'ai appris concernant les représailles prochaines préparées par les anglais (Avion à Villacoublay, sept places, explosifs, départ à Belfort). Les boches vont écoper et apprécier les moyens qu'ils emploient.
Lettre de Dremaux (?) mon vieil ami d'Ecole Normale. Il est à Saint-Denis dans une école primaire. J'espère le voir prochainement.
Samedi 27 - Reçu aujourd'hui une lettre de Maurice Caron qui pense être envoyé prochainement à Saint-Maixent pour un nouveau stage d'aspirant. Ce sera toujours autant de pris sur le séjour au front.

Une lettre de Madame Garraud, toujours triste et résignée. Elle me demande mon avis sur la fin de la guerre. Ses enfants vont au lycée de Limoges où ils ont mes bouquins ce qui lui fait dire que quand ils apprennent leurs leçons, c'est comme si un ami était avec eux ces jours là ! Madame Vignol, venue me voir à quatre heures et demi, m'apprend qu'elle est nommée au petit lycée Condorcet. Je l'engage à chercher un logement dans le quartier des Batignolles car elle est décidée à acheter son mobilier sommaire, les garnis étant inabordables.


Le proviseur me donne mon billet de théâtre pour aller voir jouer demain le Malade Imaginaire au théâtre Albert Ier.
Mercredi 31 - Travail assommant de correction de copies qui m'empêche d'écrire. Dimanche dernier, je suis allé déjeuner chez Madame Taisne à Neuilly avec Jehan. on fête le succès du fils reçu au baccalauréat. Nous passons l'après-midi au jardin d'acclimatation et, le soir, nous allons, après le dîner, au théâtre où on joue passablement Le Malade Imaginaire.
Virginie m'écrit de Carcassonne où elle est parquée avec une centaine de réfugiés dans le bureau de bienfaisance. Elle voudrait bien que je la prenne à mon service si Suzanne revenait.
Girard m'envoie des noix pour Jehan.
Aujourd'hui, j'ai eu la visite de Lefebvre qui, nommé à Orléans, est venu passer son congé de la Toussaint à Paris. Il n'est ni gai ni rassurant et ne voit pas la fin de la guerre.
En Italie cela va très mal. Une offensive bien montée par les austro-boches vient de reprendre tout le terrain conquis. Le communiqué allemand annonce cent mille prisonniers, sept cent canons capturés. C'est à désespérer encore une fois. Le pis est qu'on y envoie une armée française, comme si on avait trop de monde chez nous. On n'en sortira pas.
1er novembre - Hier soir, je suis allé passer un bout de soirée chez Madame Oberlin qui a loué un appartement rue Claude Bernard, où elle reçoit ses clients. Constatation bizarre sur le rôle et l'attitude de Buffart (?). Je me désintéresse de tout cela et je plains cette dame qui méritait mieux que ce petit personnage vaniteux et plat.
Aujourd'hui, je suis allé à la gare du Nord où je n'ai vu personne de connaissance. Je m'ennuie. et la tristesse de la guerre jointe aux inquiétudes qui sont permanentes m'enlèvent toute force de résistance.
Que font-ils là-bas ? Toute la famille sait-elle maintenant qu'André n'est plus ? Si oui, je me fais une idée de ce que peut être cette journée des morts pour eux et pour Faldony, Virginie, Laure.
Je suis rentré au lycée à six heures et je veille seul dans ma chambre sans avoir le courage d'allumer mon feu. Jehan s'amuse avec les quelques pensionnaires qui restent. Moi, je voudrais pleurer.
2 novembre - J'ai passé ma journée avec Lefebvre. Mis est venu me chercher à dix heures et demi et nous avons déjeuné au restaurant avec Lefebvre et de Saint-Léger. Après quoi, nous avons fait une longue promenade aux Tuileries, aux Champs Élysées en philosophant sur la guerre. Conversation lugubre où Mis et moi nous nous heurtons aux arguments implacables de l'historien qui nous oppose la logique serrée des événements de la politique mondiale, des conceptions allemandes (comparaison de l'empire allemand et de l'empire Romain).
Je reste désemparé, une fois de plus. A cinq heures, je vais faire une visite à Madame Colle qui me prêche l'optimisme et la confiance sans d'ailleurs savoir dire pourquoi et comment.

J'ai un peu négligé Jehan aujourd'hui mais il fait si mauvais temps … J'écris à Virginie pour lui indiquer le moyen de se faire rembourser les bons de ville qu'elle a rapporté du Nord.


5 novembre - Hier dimanche, à la gare du Nord, j'ai rencontré F. Dumeaux et Lévêque, deux vieux camarades de Valenciennes. Lévêque est à Villejuif, il attend comme nous tous. Plus favorisé, il a en Suisse un correspondant qui peut faire passer des nouvelles à sa famille. Nous causons longuement du passé, de la guerre, de nos campagnes ?!

Je raconte à Démaretz ce que je sais de Mata Hari, l'espionne fusillée récemment et qui achève de l'exaspérer.


René est malade. Il n'est pas très résistant (glandes, migraines).
Ce matin, dans toutes les classes, on a lu la citation de Guynemer. J'ai opéré dans la première classe (Cinquième A1) du lycée Montaigne en faisant un topo !

J'ai ensuite passé l'après-midi à marcher dans la rue. Besoin d'activité qui me condamne à marcher pour m'étourdir.


La guerre apparaît de plus en plus sombre. Que nous réserve le désastre italien où l'on annonce cent soixante mille prisonniers. Le pauvre soldat français a repêché successivement tous ses alliés et il faut y ajouter maintenant l'Italie qui ne peut tenir un front et qui perd en quatre jours ce qu'elle a mis deux ans à conquérir laborieusement. Pauvres poilus qui vont maintenant verser leur sang pour des fantoches et des matamores.
Colson m'écrit, il est encore navré. La même chose à dire d'Adelina.
7 novembre - Il y avait aujourd'hui une matinée au lycée. Séance de prestidigitation au profit de je ne sais quelle œuvre. L'intérêt était dans la présence d'Inaudi (?) le calculateur. Le proviseur avait insisté vivement pour que j'y aille proposer quelques calculs. C'est toujours prodigieux : il jongle avec des les milliards et les trillions. Je constate une fois de plus la sottise des élèves à l'égard de leurs professeurs. Mademoiselle Mignon est presque conspuée parce qu'elle a proposé un calcul non vérifié.

J'ai causé à Inaudi, à qui je rappelais une séance qu'il donnât dans un petit collège du Nord, à Solesmes, il y a trente-quatre ou trente-cinq ans !!! Il s'en rappelle fort bien et souhaite de me revoir après une nouvelle interruption de même durée …


Le proviseur m'a fait part de la décision ministérielle concernant Jehan qui obtient pour l'année l'exonération totale. Je suis allé le remercier et, en même temps, le prier de parler à Jehan qui, en classe, rêve et ne se montre pas attentif.
Je suis dans la période de composition. Quel abrutissoir. Je corrige des copies tous les soirs jusque dix heures et demi. Il est vrai d'ajouter que cela m'empêche de penser et c'est presque un avantage.
René Démaretz est guéri, mais le père, à qui j'ai dit les prescriptions du médecin (huile de foie de morue et sirop iodotannique (?)) ne veut rien savoir de tout cela. Il a donné probablement à ses enfants l'ordre de se bien porter et cela doit suffire.

Je lui avais demandé de me céder un peu de sucre. Il touche indûment deux kilos par mois pour quatre personnes, alors qu'il n'a droit, en fait, qu'à un kilo. Il a refusé, avec beaucoup de circonlocutions !!!


9 novembre - J'ai passé ma journée hier à corriger des compos. Visité une modeste exposition d'apports de chrysanthèmes à la société d'horticulture rue de Grenelle : quelques magnifiques fleurs avec l'exposition de Vilmorin.
Le soir, je sors pour aller chercher mon journal et je rencontre Gorisse, professeur à l'école de Pharmacie. je cause longuement avec lui dans la rue Vavin. conversation empreinte de pessimisme puis, après dîner, je vais chez Weill où notre conversation n'a guère d'autres couleurs. Il m'apprend que Humbert du Journal a été exécuté moralement au Sénat. Triste !

Aujourd'hui, les journaux donnent les plus mauvaises nouvelles de la Russie. Les Maximalistes ont pris le pouvoir à Petrograd et déposé Kerenski. C'est la paix séparée à brève échéance. Les alliés sont dans une impasse dangereuse. Nous sommes dans de jolis draps avec les russes d'un côté, les italiens de l'autre.


Barker m'écrivait hier une lettre plutôt sombre où il prévoit un ciel chargé pour quelque temps encore. L'euphémisme est rassurant !
10 novembre - Dernier jour d'une semaine triste entre toutes. J'aurai besoin d'activité et je n'ai aucune initiative en dehors de ma classe, des préparations et des corrections de copies. Quelle vie !
Aujourd'hui, je passe ma soirée à feuilleter mes précédents carnets de Pontault, Ozoir, etc. Quelle monotonie ! Toujours la même plainte : si Amante les lit un jour, elle ne la trouvera guère intéressante, mais elle aura la preuve que son cher souvenir ne me quitta jamais et que notre séparation fut cause d'une longue lamentation.
12 novembre - Lundi - Je suis allé voir hier Démaretz qui est malade, grippé et plus acariâtre que jamais. Je passe avec lui deux heures à causer puis, avec Jehan, je vais à la gare du Nord où je ne vois personne.
A six heures, je rentre au lycée, quel triste dimanche. Je suis obligé de réagir car Jehan ne veut pas sortir, il préférerait aller en promenade avec ses camarades.
Aujourd'hui, après ma classe, je vais me promener à la campagne. Je vais à Champigny et La Varenne où l'idée me vient d'entrer dans mon café où j'allais étant militaire. On me donne des nouvelles de cette famille dont les filles avaient fait si bon marché de leur vertu. L'aînée, qui avait quatre enfants, est en instance de divorce. Son mari, qu'elle trompait même pendant ses permissions, a repris ses enfants et on les nourrit dans une pension avec l'allocation.

Les deux veuves continuent !

La quatrième, qui avait eu de si fâcheuses histoires avec mon ex-collègue Sayour (?) épousa un jeune soldat, mais on me dit qu'elle est contaminée et demande le divorce. Une amie à elle continue la vie !

Quel joli monde ! Mais aussi, quelle école de morale que la guerre !!


Je continue ma promenade et, au pont de Bonneuil, je vois les travaux considérables que l'on a fait : baraquements immenses, port sur la Marne, raccordement avec la ligne de ceinture à Sucy. Il y a là deux cent prisonniers autrichiens qui font semblant de travailler à ne rien faire.
Je rentre harassé par Créteil, Joinville et Vincennes.
Au lycée, on me dit que Madame Taisne est venue me voir et sur ma table, je trouve un mot de Madame Vignol qui est également venue.
15 novembre - Mardi - Visite de Madame Vignol. Elle vient me mettre au courant de son installation à Condorcet. J'irai la voir jeudi.

Madame Taisne, revenue mardi, m'a demandé de faire travailler son fils. Elle voudrait qu'il fît un peu de maths pour entrer dans l'artillerie, mais je préfère passer la main à un surveillant plus au courant de la classe d'élémentaire. Elle m'écrira quand elle aura pris une décision.

Aujourd'hui, j'ai passé ma matinée à faire écosser des haricots et, l'après-midi, je suis allé chez Madame Vignol rue des Batignolles. Je conduis nos enfants au ciné. Je n'ai pas pu emmener Jehan qui s'est fait coller par le nouveau surveillant. Deux fois on m'a fait des observations à son sujet et je suis obligé de le gronder. Il a voulu probablement crâner devant le nouveau métèque.

Il y a actuellement au lycée, comme surveillant, un guadeloupéen, un réunionnais, un serbe, un polonais, un arménien, un suisse, un tunisien (qui vient de quitter), deux mutilés et un réformé.


La situation politique se trouble. Le ministère Painlevé a été culbuté mardi soir (deux mois, vingt séances, dix-sept interpellations !). Les socialistes et les radicaux socialistes se préparent à mettre en échec une combinaison Clémenceau car la paix est faite entre le tigre et l'Élysée.
Les journaux sont visiblement inquiets, on voit se reformer le bloc contre le fondateur de l'ancien bloc. La guerre est arrêtée sur le front franco-anglais. En Italie, cela va mal. Venise est maintenant à vingt-sept kilomètres du front. Les Austro-boches triomphent naturellement. Nous avons là-bas cent cinquante mille hommes qui vont marcher avec les italiens. Où va-t-on ?
La conférence de Rapallo a décidé la création d'un comité militaire permanent des alliés. Discours très caractéristique de Lloyd George à Paris. La guerre, de ce train, durera encore deux ans au moins. C'est à se suicider.
Lettre de Colson. Pessimisme masque par les plaisanteries habituelles. Il a reçu par la Croix-Rouge des nouvelles de Lille. Moi, rien, comme toujours.
16 novembre - C'est aujourd'hui Saint Edmond, et pour la quatrième fois, je n'aurai que par télépathie les souhaits que les miens peuvent former pour moi et qu'ils n'ont pas manqué de former là-haut, de l'autre côté du front.

Je n'ai pas le courage d'en écrire davantage.


17 novembre - Clémenceau a été chargé de former le ministère. En vingt-quatre heures, la chose a été bâclée et ce matin, les journaux donnaient la liste ébauchée hier à trois heures. Le tigre réussira-t-il ? ou apportera-t-il à la conduite de la guerre ses méthodes de polémiste ? Le parti lui sera nettement hostile car il sait son histoire.

Pour moi, je n'ai plus aucune confiance et je me demande même si la République survivra.


Démaretz est furieux naturellement. Il a de nouveaux projets en vue et je crois bien qu'il ne restera plus longtemps à la maison Paix.
18 novembre - J'ai trouvé ce matin, au moment où je sortais pour aller à une réunion de professeurs qui s'occupent des jardins des lycées, une lettre dont le cachet me fit bondir. L'enveloppe me permet de reconnaître l'écriture de Virginie. Les premiers mots me disent qu'elle ne sait pas encore au 15 octobre le malheur qui l'a frappée car la lettre s'adresse à André. Je la lis avidement néanmoins et, dans toute la tendresse d'une mère à l'enfant qu'elle croit toujours vivant, je recherche, le cœur serré, tout ce que je puis personnellement retenir de renseignements sur la famille.

A cette date, tous se portent bien, sauf Faldony qui est tout à fait impotent. Papa et maman étaient allés à Lille la veille (dimanche 14). Papa est rétabli "mais très maigri, comme à peu près tout le monde". Tous souffrent de l'alimentation, "plus de viande, de beurre, de lait, de bière, de vin depuis très longtemps. Quatre, cinq et six mois sans manger de pommes de terre, des prix effroyables, sucre vingt-six francs, café cinquante, viande vingt-huit, trente, trente-cinq francs, beurre quarante francs, pommes de terre quatre francs cinquante et quatre francs soixante quinze le kilo, quant on peut en trouver". Comment peut-on faire à la maison si les prix sont les mêmes à Mouvaux ? Ces lettres que j'attends avec anxiété me font un mal atroce. Et j'en ai pour un mois à la lire et la relire toujours avec l'espoir que je trouverai quelque chose passé inaperçu.


Hier, j'étais allé passer la soirée chez Valette. Son beau-frère, dont la famille est restée à Lille, était dans une période de désespoir et, nous avons eu toutes les peines du monde à le remonter.

Aujourd'hui, je voudrais avoir quelqu'un qui puisse me rendre le même service.

Je suis allé lire ma lettre à Démaretz et nous avons fait une promenade courte après laquelle je suis rentré à Montaigne avec les enfants. Je n'ai plus même le courage d'aller jusqu'à la gare du Nord.
En Russie, c'est la révolution, guerre intestine entre maximalistes qui triomphent et Kerenski en fuite. Les boches retirent toutes leurs troupes du front russe et préparent une offensive sur Salonique et la Grèce. Sommes-nous condamnés à voir le boche triompher sur nos ruines et nos deuils.
19 novembre - Madame Taisne vient me voir avec son fils qui ne peut se décider à l'artillerie malgré toutes les objurgations (?).

Je n'ai pas eu le courage de sortir malgré un temps relativement beau. Jehan travaille davantage et je l'aide le plus possible. S'il pouvait aller seul et donner cette satisfaction à sa mère.


22 novembre - Sainte Cécile. Encore une fête dont je ne puis évoquer que le souvenir. C'était généralement à cette date que maman, continuant la vieille tradition de mon enfance, quand mon frère et moi apprenions la musique, nous offrait le petit cadeau habituel. On y pense sûrement là-bas, et maman offre à Suzanne les vœux qu'elle ne peut m'offrir.

Hier soir, j'ai vu Émile Macarez et son oncle, Monsieur Herbecq, à la Bourse. Impossible d'avoir du sucre, toute sa production étant réquisitionnée par l'État.

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