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Vous venez de télécharger la première Partie des mémoires de guerre de Edmond tondelier


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Le soir, je passe deux heures dans le bureau de Madame Oberlin avec Buffart qui est toujours aussi vantard et aussi jésuite. Pacifiste parce que froussard, il approuve Lénine dont il magnifie la logique (??) Je ne réponds qu'un mot, c'est un traître.
Ce matin, j'ai passé quelques heures à Malakoff où nous prenons des dispositions pour la culture du terrain.
Les journaux donnent un important communiqué anglais. sans préparations d'artillerie, les anglais ont déclenché une offensive inopinée qui les a mené aux portes de Cambrai. Les lignes sont enfoncées sur un front de quinze à vingt kilomètres. Va-t-on reprendre Cambrai ? Cela me rend fiévreux et nerveux.
Dimanche 25 novembre - Cambrai est toujours aux boches. On se bat à Fontaine Notre Dame, Annerix (?), etc. Les journaux de ce soir annoncent que l'ennemi fait évacuer les civils vers l'est. Le Cateau, Neuvilly; Cambrai va-t-elle subir le sort d'Arsan et de Reims ?

En Russie, c'est toujours la même déliquescence. Pour le moment, c'est un aspirant qui est généralissime. Ceci donne la mesure. Il ne faut plus compter sur ce peuple. Malheureusement, il veut la paix à tout prix et on peut craindre qu'il ne rende aux boches ses prisonniers.


Je suis allé voir Démaretz jeudi soir et, aujourd'hui, j'ai passé une partie de l'après-midi avec lui. Il est malade d'une grippe rhumatismale qui le tient aux jambes, lui donne la fièvre et l'empêche de dormir depuis huit jours. Il est très amaigri. On cause et je tripote un peu. A six heures, je rentre au lycée avec les enfants.

Encore un dimanche passé comme tous les autres à remâcher mes peines.


Hier, les midinettes fêtaient Sainte Catherine. J'ai envoyé par la pensée mes vœux à Suzanne, c'est malheureusement tout ce que je peux faire.
Vendredi, j'ai écris à Amante. J'avais commencé une lettre pour Faldony et Virginie mais je n'ai pas eu le courage de la continuer. Il me paraît impossible de lui annoncer moi-même le mort d'André.
Vu jeudi Madame Colle avec Mis. Elle est toujours très confiante et optimiste. Je la douche sérieusement avec le chiffre de la lettre de Virginie et je lui sers les phrases qu'on n'invente pas. C'est un peu agaçant de l'entendre raisonner. Nous ne voyons pas la guerre et les événements par le même bout de lorgnette. Cette dame, très aimable d'ailleurs, ne souffre pas de la guerre, son mari non plus. Sa mondanité change simplement de milieu.
Pierre et sa femme m'ont écrit hier, chacun de son côté. Virginie n'arrive pas à obtenir son évacuation sur Bordeaux où elle a des belles-sœurs qui vont l'héberger. On la nourrit comme on nourrit les bestiaux (betteraves cuites) et elle me demande de faire quelque chose. Comment ? Je suis à neuf cent kilomètres. J'écris et je lui dis de s'adresser à Colson.
Hier, rue Cadet, j'ai entendu une conférence d'Accambray sur la situation politique. Nous sommes là encore dans une fameuse pétaudière et je doute que Clémenceau, avec son incohérence coutumière, puisse nous en tirer.
27 novembre - Mardi - Les opérations anglaises dans le Cambrésis paraissent arrêtées. Les boches en nombre font des contre-attaques mais il semble bien qu'on n'avancera plus pour le moment.

J'ai envoyé aujourd'hui deux cartes messages : l'une à Amante où je dis "Bonne nouvelle de tous sauf André", l'autre à François, à Neuvilly, où je donne des nouvelles de Rémy. Il a dû se demander ces jours derniers si l'ennemi allait enfin partir.


Aujourd'hui je suis allé en visite chez une collègue, Madame Régnier, où j'ai rencontré Mademoiselle Mignon. On a surtout parlé de politique et de la guerre.
Jeudi 29 novembre - Hier, soirée dans ma chambre, conversations insignifiantes sur la guerre et la politique.
Ce matin je pars à Malakoff où je comptais trouver des élèves pour travailler aux champs. N'ayant vu personne, je pars à Châtillon et l'envie me vient d'aller chez Nouin (?). C'est un horticulteur avec qui papa faisait jadis des affaires, [un] chrysanthémistes marchand, il se plaint de la guerre et je trouve un monsieur très infatué de sa personne s'écoutant beaucoup parler. Je laisse aller et je visite son installation qui n'a rien de bien extraordinaire. Il a abandonné les chrysanthèmes à grosses fleurs et préconise le dahlia carter (?). Je suis même invité à faire de la réclame pour lui et pour cette culture nouvelle dans le Nord quand ………
Je rentre à midi. Vu Legrand qui vient me demander un service pour un de ses étudiant égyptien. Après midi, je vais au Matin chercher un exemplaire de l'annonce publiée dans le numéro d'hier. Encore un message parti. Puisse-t-il arriver à destination. Je dis ceci "Jehan et moi bonne santé. Attendons Suzanne. Baisers à tous." J'envoie également des messages pour Madame Vignol.
Madame Seydoux, que j'avais tenue au courant de la lettre de Virginie et des renseignements appris sur papa et maman, m'a écrit une très aimable réponse et m'invite à l'aller voir pour causer. J'ai envoyé à Alfred Lantoine la lettre de Virginie pour qu'il en prenne connaissance et je lui demande de me la retourner.
Samedi 1er décembre - Encore un anniversaire ! Celui de Suzanne. Elle a aujourd'hui vingt-deux ans. Je songe avec émotion à sa naissance qui me reporte aux premières années de mon mariage, au Cateau, quand j'avais des ambitions, quand je faisais des rêves d'avenir, et, en pensant à mon bonheur d'antan, je me dis qu'il n'est plus possible et je me désole à l'idée des années perdues pendant cette séparation. Si j'avais la certitude de les revoir bientôt, de les retrouver vivants … ? … mais qui a la certitude du lendemain ou même de l'heure qui va venir ? L'espoir est une nourriture morale creuse et peu consistante.
Lundi 3 décembre - J'ai passé la soirée de samedi chez Monsieur Valette. Son beau-frère, Monsieur Capelle, qui a sa famille à Saint-Maurice, n'était pas là. J'en ai profité pour donner les nouvelles que j'ai apprises par Virginie. Il est tellement déprimé qu'on évite de lui parler de Lille.
En sortant, j'ai appris qu'on jouait le lendemain La Damnation au Trocadéro et j'ai pris deux places pour Clavier et moi. J'ai donc passé mon après-midi à entendre cette admirable pièce que je connais si bien et dont je ne me lasse jamais. L'exécution est meilleure que l'an dernier et je sort de là tout bouleversé par la voix d'or de Madame Demongeot (?).
Après souper, je vais passer la soirée chez Démaretz qui a été malade toute la semaine. Il se plaint amèrement de Montaigne où René ne fait rien et où il est malade. Jehan lui-même ne fait pas grand chose. L'internat est déplorablement organisé. Les élèves peuvent trop facilement ne rien faire malgré toute la paperasserie qui donne l'illusion d'une organisation parfaite.
Aujourd'hui, je suis aller faire modifier ma carte de sucre insuffisante et je fais état de la présence de Jehan. On cède sans difficulté, j'aurai maintenant un kilo par mois.
De la situation, rien à noter sauf la décomposition russe qui s'accentue tous les jours. Les négociations y vont commencer avec les boches et nous allons avoir sur le dos toutes les armées allemandes. On s'attend à une recrudescence des attaques. Comment va se passer l'hiver ? Les américains ne seront jamais prêts avant le mois d'avril. C'est à désespérer de l'avenir. Et pendant ce temps, la misère va s'accroître dans les régions envahies, le pillage va s'y propager un peu plus. C'est affreux ! et qu'y faire ??
Samedi 8 décembre - Toute cette semaine a été occupée, entre les heures de classe, à l'établissement de mes notes trimestrielles. Travail fastidieux qui prend beaucoup de temps. J'ai pu néanmoins aller, mercredi à cinq heures, à une conférence que donnait Monsieur Boucher à la Ligue de l'Enseignement sur son séjour en Alsace au Printemps dernier. Je n'ai pu lui parler, car, à la sortie, il était très entouré.
Le lendemain, jeudi, j'ai fait sortir Jehan et l'ai conduit au cinéma.
Reçu une lettre de Madame Lecoq qui m'écrit avoir reçu des nouvelles de Mouvaux. Une phrase assez vague de son mari lui fait croire que tout va bien à la maison. Je ne suis pas aussi rassuré. Madame Taisne, venue me voir deux fois, m'a trouvé aujourd'hui. Je lui ai promis de voir Madame Seydoux.
La guerre va de plus en plus mal. Un armistice est signé entre la Russie et les austro-boches. Naturellement, on ne parle pas de paix chez nous, mais si on nous expédie toute l'artillerie du front russe, que vont devenir nos troupes ? L'Amérique se prépare. Elle en a encore, comme l'Angleterre, pour plusieurs années. Quelle perspective ! Que vont devenir les miens ? Les restrictions deviennent plus serrées, on va supprimer la bière des cafés mais cela n'atteint pas à beaucoup près (?) les prix en Autriche si j'en juge d'après les journaux : vêtement d'homme, cinq cent cinquante francs, chemise, cent francs, caleçon, idem, thé de feuilles de mûriers sauvages séchées, cent cinquante francs le kilo. Verrons-nous ces prix chez nous ?
De la situation politique, je ne dirais rien et c'est peut-être prudent. D'ailleurs à quoi bon s'indigner ou récriminer, je n'ai aucune action sur quiconque et ne chercherai pas à en avoir une.
Mardi 12 décembre - Reçu ce matin une carte message de Mouvaux datée du 17 août 1917 ainsi conçue : "Toute la famille est en bonne santé." La lettre de Virginie, postérieure de deux mois, est heureusement beaucoup plus explicite. Impossible de savoir à quelle carte ce message répond.
J'ai eu beaucoup à faire toute cette semaine avec la feuille de notes et n'ai guère pu prendre mon journal pour noter les événements et, cependant, cela ne manque pas. Je ne les rapporte tous qu'à un seul objectif : la fin de la guerre comportant le retour des miens. Et je ne vois rien de décisif malgré la gravité de l'heure.

Hier, le gouvernement a décidé de faire lever l'immunité parlementaire de Caillaux et d'un autre député (des Landes), Loustalot (?). A l'un, on reproche une campagne pacifiste, défaitiste pouvant provoquer la rupture des alliances. Vieille querelle politique dans laquelle on exploitera des relations et une correspondance compromettante. A l'autre, des compromissions avec une personnalité défaitiste d'Italie. Je me demande toujours s'il n'y a pas là un dérivatif aux préoccupations militaires. La situation est de nouveau très grave : l'armistice, qu'on discute toujours entre russes et boches, permet à ceux-ci de lancer leurs troupes sur le front français et ils n'y manqueront pas. C'est annoncé de tous côté et je m'attends à voir recommencer le coup de Verdun en 1916 sur un point bien choisi. J'espère que l'on va s'y préparer un peu mieux, mais quelle hécatombe en perspective.


Que dire et que faire, si ce n'est comme le poilu dans la tranchée, attendre en pliant le dos. En tous cas, je crois que Caillaux se défendra et soutiendra une politique (la sienne), politique de paix probablement. Est-on bien sûr que ce n'est pas celle que souhaite secrètement la majorité du peuple français. Je ne sais pas, voyant trop de monde et ayant tant de peine à faire taire mon sentiment personnel. Au moment où j'écris, la chose se décide au Palais Bourbon.
Hier, je suis allé voir Madame Seydoux comme elle m'y avait invité. Elle m'a de nouveau offert de l'argent. A quoi bon ? Je préfère qu'elle conserve ce qu'elle doit à papa pour qu'au jour du retour, j'ai de l'argent liquide dont on aura certes un pressant besoin à la maison. J'ai profité de ma visite pour parler d'une demande en faveur du fils de Madame Taisne. Cette demande a reçu le meilleur accueil, je la renouvellerai en temps opportun pour la suite à donner.
Les journaux ont annoncé hier la prise de Jérusalem par les anglais. J'aimerai mieux la prise de Tournai.
Vu Madame Vignol dimanche. Elle est toujours dans sa pension de famille, rue des Batignolles, où elle paie une somme considérable pour être très mal. Lundi, je suis allé la voir à Condorcet. Je lui ai racheté une robe de chambre pour me chauffer dans ma glacière.
Samedi 15 décembre - Rien de nouveau. Au point de vue militaire, je crois qu'on se prépare chez les boches à attaquer, chez nous, à les recevoir. Quelle boucherie en perspective !
On est toujours très préoccupé par l'affaire Caillaux, encore que les journaux soient moins affirmatif sur la question de la trahison. Je crois que si la discussion vient à la Chambre, on sera fatalement appelés à se prononcer bien plus sur la politique de paix que sur les individus en cause et il y aura sûrement des surprises. Pour moi, j'attends, en me demandant si l'on fera un pas vers la paix et si cela aura pour résultat de rapprocher le jour où je reverrai les miens.
En Russie, c'est de plus en plus le gâchis. Les Lénine et Trotsky sont visiblement d'accord avec l'Allemagne et flattent les pires instincts démagogiques d'une populace ignorante pour mieux faire le jeu des boches. Ah ! Ils vont bien, les bolcheviks.
Lundi 17 - La neige est tombée hier abondamment. Il fait froid et je pense à la maison. Ont-ils du charbon ? Peuvent-ils se chauffer ? Hier, je suis allé voir Démaretz et, en rentrant à six heures avec Jehan qui n'a aucun goût de sortir dans ces conditions, je me suis calfeutré dans ma chambre et j'ai écrit à Amante une lettre qu'elle trouvera plus tard.
Ce matin, au courrier, il y avait une carte-message du 12 avril, envoyée le jour de la fête de Suzanne : peu de choses, on m'annonce le prochain départ de Suzanne. Il y a plus de quatre mois de cela. La carte m'avait été envoyée à mon adresse militaire.
19 décembre - Mercredi - Rien d'intéressant me concernant. J'ai écrit aujourd'hui à Poisel (?) qui doit se demander ce que je deviens.
Le trimestre se termine, encore deux jours de classe et nous serons en vacances. Et là-bas ? Que seront les vacances ? Des anniversaires de jours regrettés.
De la guerre, il y aurait beaucoup à dire si l'on s'arrêtait aux pronostics. L'armistice est signé par les Russes et on commence à négocier. On annonce que les boches vont publier leur butin de guerre à la Noël. En viendrait-on à la période des explications franches de part et d'autres ? Je ne puis y croire et il faudra encore des millions de victimes pour arriver à la paix.
La Chambre discutera aujourd'hui ou demain la question de l'immunité de Caillaux, puis l'affaire sera instruite soit pour le Conseil de guerre, soit pour la Haute Cour. Au Sénat, on a discuté hier du ravitaillement et des restrictions. La situation est grave. Nous nous acheminons vers la famine et la crise sera mondiale. il serait grand temps de signer la paix mais il faudra faire tuer auparavant quelques millions de soldats et laisser mourir de faim les habitants des régions envahies.
J'écris à Barker pour lui offrir mes vœux de Noël.
24 décembre - C'est aujourd'hui le jour, ou plutôt le soir, du réveillon. Je suis seul dans ma petite chambre, il fait un froid glacial. Il a gelé ferme hier et aujourd'hui, - 9°. Ce soir, il pleut. Dehors, un verglas rend la circulation difficile. Bien qu'il y ait eu du feu toute la journée dans ma chambre, je n'ai pas encore dépassé 4° au thermomètre qui était à 0° ce matin. Malgré le peu d'agrément qu'offre ma chambre glacée, je n'ai pas le courage de sortir ce soir. Je préfère rester seul et songer. La veillée de Noël est de celle qu'on veut vivre en famille. Ne pouvant le faire, je la passerai quand même en pensée avec les miens dont le souvenir ne me quitte pas.
En fermant les yeux, je revois tous les Noël passés, quand nos enfants mettaient leurs souliers dans la cheminée, Suzanne et Edmond au Cateau, Jehan à Valenciennes, à La Brignette. Les arbres de Noël du Cateau, de La Brignette. Je songe aux réveillons en famille, à ceux de chez Grésillons au Cateau. Temps heureux ! Pour la quatrième fois, je le passerai seul, avec la même pensée angoissante, la même inquiétude, en me demandant comment vivent ceux que je ne vois plus, et même s'ils vivent toujours.
En vacances depuis deux jours, je m'ennuie malgré des distractions que je m'impose à cause de Jehan. Jeudi, j'ai passé quelques heures avec Mis après avoir été faire une visite à madame Oberlin qui vient de se faire opérer de l'appendicite à l'Hôpital des Enfants assistés. Vendredi, je suis allé passer la soirée chez Weill. Nous avons philosophé sur la guerre et la politique, sans grandes visées, mais l'un et l'autre, désabusés et écœurés par la politique. Samedi, j'ai rencontré Louis Baudouin chez Laure qui est encore une fois en révolution pour sa cantine. J'essaie d'y remettre les choses au point et promets de lui faire des lettres assez importantes. Je lui éviterai probablement quelque sottise.
Hier dimanche, j'ai conduit Jehan au Trocadéro où une vague matinée au profit d'orphelins offrait un programme pour enfants.
J'ai oublié de noter qu'il y avait eu samedi une alerte de zeppelins pendant que j'étais avec Jehan chez Démaretz à huit heures et demi du soir.
Aujourd'hui, je suis retourné le matin voir Madame Oberlin qui m'apprend que son ex-mari est déjà remarié depuis un mois et qu'elle l'a rencontré se rendant à l'école de pharmacie.
Je suis allé l'après-midi à Clichy avec Jehan m'inviter à déjeuner pour le 1er janvier. En rentrant en ville, je passe par la pension Pigame (?) où je trouve Madame Vignol malade et aux prises avec une dame en visite qui ne la lâche pas et ne me permet pas de placer un mot. J'y retournerai mercredi matin car demain, je dois voir Démaretz.
Madame Taisne est venue m'inviter à déjeuner le 2 janvier avec Jehan. Elle est toute troublée, pour ne pas dire folie (?), à l'idée que son fils va être incorporé dans quelques mois et ne sait plus à quel saint se vouer. Elle voudrait le voir à la fois dans la cavalerie, l'artillerie, le service de santé, au P.C.N. à Fontainebleau, dans le génie T.S.F. Je n'ai pas tous ces soucis pour Edmond mais j'en ai d'autres.
Louis Baudouin a reçu une carte d'un cousin prisonnier qui lui dit que son fils est à Hasnon (?) "chez sa grand-mère" - probablement déporté par les boches comme travailleur. Qui sait si Edmond n'a pas subi le même sort à l'heure présente.
Il n'y a toujours pas de train venant de Lille-Roubaix. Les rapatriés français proviennent des provinces de Liège, Charleroi, Bruxelles.
Reçu une lettre de Sandras qui m'invite à l'aller voir avec Jehan. Je n'en ai ni le courage ni l'intention. Colson m'écrit. Il veut visiblement me remonter, mais il n'y a rien à faire en ce moment.
26 décembre - Hier, jour de Noël, j'ai passé la matinée à grelotter dans ma chambre. Démaretz est venu nous chercher et nous avons fait à pied, aller et retour, le voyage à la gare du Nord où nous avons rencontré Labaeye qui est maintenant directeur (?) à Puteaux. Le soir, je suis resté un peu avec deux surveillants d'internat.
Aujourd'hui, je suis allé voir Mis à Janson et j'ai passé quelques heures avec lui au cercle.
Je m'ennuie et ne reçois rien. Cependant, ce soir, on m'a remis une lettre de Poisel. Lettre très intéressante. Il voit la guerre de près et me dit que les anglais se battent remarquablement bien. Les boches sont toujours en pourparlers avec les russes qu'ils vont rouler de la belle façon.
Jehan ne se conduit pas bien. Il finira par avoir tout le monde contre lui, tant surveillants que professeurs. Je me désole et ne sait comment faire.
Un évacué de Saint-Amand m'a appris hier que Madame Lucie (?) Decarpenterie (?) est morte depuis un an.
30 décembre - Les vacances passent tristement. Il fait d'ailleurs un mauvais temps qui empêchent les promenades.
Jeudi, je suis allé voir Madame Vignol. Elle avait reçu, du père d'un élève, régisseur au grand Opéra deux fauteuils de balcon et m'offre d'aller avec elle voir jouer Henry VIII. J'accepte et, le soir, je vais l'attendre au métro Place de l'Opéra. Spectacle toujours intéressant. Puis, après la pièce, je vais la reconduire rue des Batignolles et je reviens au galop à Montaigne pour rentrer à minuit.
Vendredi, je vais prendre le thé chez Mademoiselle Mignon où nous causons de la guerre. Elle forme un peu trop son opinion sur les seuls articles pacifistes et Edwin Scheidamann (?). Je ne puis la suivre jusque là. Jehan a passé l'après-midi chez Laure.
Le samedi (?), nous partons à Maine par un froid de loup, moins quinze degrés à sept heures vingt, pour déjeuner chez Edmond Macary. Excellent accueil. Nous rentrons à cinq heures à Paris et Jehan, qui couche à l'infirmerie, passe la soirée dans ma chambre autour de Nini, Aug. This (?), Madame Weill, qui invite Jehan à passer l'après-midi de demain chez elle.
Aujourd'hui dimanche. J'irai ce soir dîner chez Laure. Je m'ennuie mortellement dans ma chambre que je n'arrive pas à chauffer au-delà de 5° et je ne tiens pas à sortir seul. J'écris quelques lettres de nouvel an, toutes empreintes de mon état d'âme, c'est dire qu'elles ne sont pas gaies.
On ne voit rien se dessiner aux pourparlers russo-boches de Brestlitovsk. Cependant, chez nous, on semble attendre une offensive boche et Clémenceau rappelle les vieilles classes licenciées, pour deux mois. On commence à faire courir des bruits divers sur les objectifs allemands annoncés. Calais, Dunkerque. Je doute qu'ils puissent (…) mais quelle hécatombe se prépare encore.
Démaretz a écrit une lettre au proviseur au sujet des chaussures de René. Le proviseur, vexé, m'a fait appeler pour me dire tout ce qu'il avait fait pour lui et me faire part de son mécontentement. Je préférerais qu'il choisît un autre intermédiaire car cela me condamne à entendre des récriminations des deux côtés sans pouvoir y porter remède.
31 décembre - Terminons cette année. Nous voici au terme d'une période sur laquelle on a fondé les plus grandes espérances. L'Angleterre était prête, les États-Unis sont entrés en lice depuis neuf mois. Quels changements sont survenus ? C'est simple à énumérer : la Roumanie hors de cause, l'Italie a subi un désastre sans précédent, la Russie, après une révolution qui n'a fait que parachever sa décomposition, trahit la cause des alliés et traite avec l'ennemi, les alliés ne sont pas encore bien d'accord sur le but de la guerre, on a pris … Jérusalem.
Comment se présente la nouvelle année qui commence dans quelques heures. Le front occidental est sous la menace d'un coup de bélier pour lequel les boches rassemblent toutes leurs forces. Les américains ne sont pas prêts. On rappellent les vieilles classes partiellement licenciées pour construire des deuxièmes lignes. Le régime des restrictions est commencé, la vie devient hors de prix. Le front n'a pas changé de place sauf en quelques points chèrement payés par des offensives coûteuses.
Du côte allemand, on peut dire que l'ennemi cherche toutes les occasions de traiter mais il ne paraît pas disposé à céder sur la question de l'Alsace Lorraine. Il souffre de la faim, des privations, probablement un peu plus que le reste du monde, plus davantage que les habitants des régions envahies, moins sans doute.
Il est donc impossible de formuler un pronostic. La paix paraît très lointaine, d'autres disent très proche. Je n'y crois pas et je désespère. Si on me disait "Nous serons encore au même point au 1er janvier 1919", je ne manifesterais aucune surprise et je serais simplement beaucoup plus découragé.
Jehan est allé aujourd'hui passer l'après-midi chez Weill. J'ai fait des courses avec la famille Démaretz pendant ce temps. Je passe ma soirée dans ma chambre, transformée en glacière, où il m'est impossible de faire monter le thermomètre au-dessus de +3°. J'écris quelques lignes à Amante pour préciser mes vœux et je réussis à me décourager un peu plus.
2 janvier 1918 - Ma journée du 1er janvier a été triste au-delà de toute expression. Mal commencée d'abord par une grosse déception. Jehan est arrivé dans ma chambre et ne m'a pas offert ses souhaits que j'attendais avec anxiété et que je me faisais une joie d'accueillir. Il n'appréciera probablement jamais le mal qu'il m'a fait ce jour là inconsciemment.

J'avais passé la soirée devant des photos de ceux que je ne puis voir, mais, me disais-je, demain matin, j'aurai au moins les souhaits de l'un de mes enfants, il me dira un mot qui exprime la pensée des autres ……… je n'ai pas eu cette consolation.

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