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Vous venez de télécharger la première Partie des mémoires de guerre de Edmond tondelier


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19 avril - Ma permission se passe. Lundi après-midi, j’ai vu Madame Seydoux qui ne m’a rien appris. Hier, j’ai vu Madame Taisne qui attache beaucoup d’importance, selon moi, aux racontars. Je suis revenu au lycée en passant à proximité de Saint-Thomas-d’Aquin à l’heure de la sortie du collège. Vu Fournier qui m’apprend qu’on va peut-être partir pour une destination inconnue. L’A.L.G.P. s’en va et l’A.L.V.F. suivrait, et ce départ serait imminent. Qu’y a-t-il de vrai ? Cela ferait une complication imprévue au moment où je viens de m’installer à Montaigne. Madame Garraud m’écrit qu’elle vient vendredi à Paris et me donne rendez-vous rue de Varenne où elle va au Ministère.

Aujourd’hui, je suis allé à Maisons-Laffitte et, avec Démaretz, je pars à pied à Saint-Germain-en-Laye déjeuner avec Vulstecke (?). Nous refaisons en sens inverse la promenade de la Toussaint par la terrasse. Je rentre à Paris vers six heures, et je trouve une dépêche de Mouger qui me prévient qu’il n’est plus à Ozoir. La dépêche vient de Feucherolles ! Que faire demain ? Je n’ai de goût à rien et ne sais plus où aller. Démaretz a reçu une lettre de l’officier des familles dispersées. Par le Ministère des Affaires Étrangères, il a des nouvelles de sa femme. Amante est en bonne santé au 23 mars. Pour moi, les renseignements se bornent à cela. C’est peu et c’est beaucoup. Rien des enfants, rien des parents. J’espérais trouver quelque chose au lycée en rentrant, mais il est écrit que je n’aurai jamais rien et cependant, j’avais envoyé bien avant Démaretz une demande au Ministère des Affaires Étrangères. C’est désespérant.


21 avril - Ma journée d’hier est une journée perdue si je veux évaluer ce que j’en ai tiré en tant que permissionnaire.
Je suis allé à Clichy où je n’ai trouvé personne. Le soir, j’ai battu le boulevard et ai rencontré Henri Cardon de Saint-Python et Vignol. Ni l’un ni l’autre ne m’ont rien appris. En rentrant au lycée, je rencontre Fournier qui m’apporte trois lettres dont une de Poiret. Rien à noter. Je passe la soirée avec Léonard.

Aujourd’hui, après bien des allées et venues je vois Madame Garraud. Pendant qu’elle va au Ministère, je fais une visite à Dérou (?) puis je retourne pour déjeuner avec Madame Garraud qui me donne des détails sur la vie dans le Nord et à Mouvaux. J’ai enfin des certitudes, mais que d’épreuves, que d’émotions pour Amante et tous les miens. Malheureusement, je perds Madame Garraud au moment d’entrer dans le Bon Marché. Après avoir attendu une heure et demi, je m’en vais, désolé de n’en avoir appris davantage.


De la guerre : on annonce le débarquement russe à Marseille, le quasi ultimatum des États-Unis à l’Allemagne, mais tout cela ne paraît pas avoir une répercussion sur les hostilités. On m’a dit (Derou(?)) que l’Allemagne avait offert l’Alsace-Lorraine, moins Strasbourg, à la France pour une paix séparée, mais je n’y crois pas.
23 avril - Jour de Pâques - J’ai passé la soirée d’hier avec Démaretz, Louis Baudouin ; Labaeye, directeur d’école du Blanc Seau et son fils sont venus à Paris et on va au cinéma. Aujourd’hui, le temps, plus beau que ces derniers jours, me fait sentir plus durement mon absence de la maison. Je suis venu au bureau, il n’y a personne. Les chefs sont absents et je suis seul, triste et désespéré. Les journaux publient une note officielle sur les moyens de correspondre avec les régions envahies. Une carte tous les deux mois, avec vingt mots. Je ne sais comment les militaires s’y prendront car les explications données jusqu’à présent sont obscures à leur endroit.

Mon collègue a des aventures mouvementées. L.I. (?) est malade, délivrée, mais gravement atteinte. (?)


25 avril - Le lundi de Pâques s’est passé comme le dimanche. Bureau le matin, et après-midi libre. J’ai dîné le dimanche chez des amis de Démaretz après avoir passé quelques heures avec Labaeye et son fils. Le lundi a été un peu plus monotone. J’ai vu Lenne du Cateau, instructeur adjudant à Tourcoing. Il a lui aussi sa femme là-bas. Versé dans le service auxiliaire pour affection cardiaque, il est au quarante et unième d’Artillerie de la Braconne. Il m’a dit cette phrase : “Où sont nos rêves d’autrefois ?” Hélas !

Aujourd’hui, rien à faire au bureau, on se rase.


carnet IV
Mercredi 26 avril - Je commence mon quatrième carnet de guerre et ce n’est probablement pas le dernier. En vacances à Montaigne, rien à faire. Depuis que je suis rentré de permission, au bureau, je perds mon temps et ne ressent que plus durement mon isolement. Il y a un an à pareille date, j’arrivais à Pontault et on m’aurait bien déçu si on m’avait dit que douze mois plus tard, je serais toujours soldat à Paris et séparé des miens, que le front dans le Nord serait au même point. Mais peut-être valait-il mieux que je n’en sache rien.

Sandras m’écrit une longue lettre, il m’invite à l’aller voir avec Léonard. C’est fini, en voilà pour trois mois au moins. Il compte lui aussi sur l’offensive prochaine!!

Weill m’envoie un mot m’annonçant qu’il est à Paris. J’irai le voir ce soir.
28 avril - J’ai passé la soirée de vendredi chez Weill qui me raconte sa vie militaire au parc d’Artillerie de Toul où, avec sa haute conscience et sa probité accoutumée, il travaille avec zèle à des besognes rebutantes et peu intéressantes.

Léonard a été chercher une carte pour écrire dans les régions envahies. Il en a même obtenue une seconde en s’adressant à la mairie d’un arrondissement voisin. Cela me donne envie d’essayer, bien que militaire. Je vais à la mairie de Saint-Sulpice où l’on m’en donne une sans difficultés. J’écris les vingt mots suivants : “Suis bonne santé comme André, Louis, Juvénal, Lucien, tante Marie. Écris bientôt. Bon courage et affectueux baisers à toi, parents, enfants.”


Ce soir, j’essaierai d’en obtenir une autre à la mairie du septième, et j’écrirai dans quelques jours. Dans deux mois, on recommencera, car ce n’est pas dans deux mois que l’on pourra écrire librement quoiqu’en pense les optimistes et les stratèges en chambre.

Des complications surgissent en Angleterre où il y a, en Irlande, une tentative de soulèvement qu’il faut réprimer et dont le premier résultat sera d’immobiliser des troupes qui seraient beaucoup mieux au front au moment de l’offensive.

André m’a écrit hier. Il a compris la petite leçon que je lui ai donnée et sa lettre en témoigne. Il est toujours là-bas, aux abords de Verdun, et subit un bombardement effroyable. Combien de temps encore durera cette débauche infernale de munitions ?
30 avril - Dimanche - Hier nous avons procédé à un déménagement. Nous reprenons les locaux occupés jusqu’à ces jours derniers par l’A.L.G.P., partie aux armées G.Q.G. Cela fera un changement sérieux car nous allons être réunis tous dans la même chambre et, si la combinaison évite le renouvellement des incongruités et des propos malsonnants de l’ancien local, nous serons sous la surveillance constante des manitous. Par contre, vue sur la cour où il y a toujours du matériel varié.

Hier soir, je suis allé avec Démaretz à une réunion des évacués, rue Cadet. Detienne nous a fait des déclarations très sombres et tristes à pleurer sur la situation, la trahison en Russie, l’inertie et les difficultés intestines en Angleterre. Chez nous, c’est autre chose : absence de volonté dans le gouvernement, abdication du parlementarisme. Je ne puis rien dire du monde militaire. L’offensive semble se reculer encore et le public y compte cependant beaucoup. On s’accoutume à l’état de guerre, les malins font des fabriques d’obus et monnayent la situation ; seuls le pauvre bougre, le soldat, me paraissent admirables. Je crains la révolution quand le peuple connaîtra les responsabilités et pourra se rendre compte de tout ce que l’on a pas fait en temps opportun. “On est sûrs de la victoire” et cette seule vision suffit à endormir la nation, qu’une censure rigoureuse empêche de se renseigner. La presse ne présente tous les événements militaires que vus par des vainqueurs présumés. Quel réveil nous attend !


3 mai - Mercredi - Les deux jours passés n’ont été marqués d’aucun incident. Les classes sont recommencées à Montaigne. C’est le dernier trimestre mais ce n’est certes pas le dernier trimestre de guerre. Qui sait si dans ce trimestre aura lieu une offensive sérieuse.

Je suis allé ce matin à la mairie du septième, rue de Grenelle, pour tâcher d’obtenir une nouvelle carte à envoyer. Mais une circulaire nouvelle est venue, interdisant de délivrer des cartes aux militaires de la zone de l’intérieur, de sorte que j’en suis réduit à écrire au capitaine de ma Batterie - Quatre-vingt cinquième du Troisième à pied - pour en demander une ; c’est navrant. Je n’ai pu m’empêcher de dire son fait à un jeune employé qui, d’un air détaché et excédé, me refusait la carte demandée.


Madame Taisne m’écrit pour m’inviter à dîner jeudi à sept heures. Aujourd’hui, le capitaine Gérardville, qui vient au bureau l’après-midi quand il n’a pas autre chose à faire, a dit que nous devions être présents au bureau jusque sept heures. C’est de plus en plus joli. Il y aurait matière à discuter longuement sur ce zèle qui se manifeste soudain après une période de trois semaines pendant laquelle on n’a pas fourni une heure de travail suivi et soutenu.

Lundi, mon collègue Four est venu passer la soirée dans ma chambre au lycée. Hier, j’étais sorti après le dîner pour prendre un peu l’air quand, en passant devant un cinéma, près de la gare Montparnasse, j’eus l’envie d’entrer. J’y passais la soirée sans enthousiasme.


Aujourd’hui, Démaretz vient de m’écrire, il va très probablement quitter son emploi. On sent depuis longtemps qu’il en a assez. Il m’envoie une adresse en Hollande où l’on peut écrire. Je vais encore essayer, mais je n’ai guère confiance. Si l’on pouvait s’endormir et ne se réveiller qu’à la fin des hostilités, quelle somme de souffrances et d’inquiétudes on éviterait. Ce ne serait guère courageux, mais ai-je encore du courage ?

Une lettre d’André arrivée lundi me donne des détails intéressants. Il est en repos pour quatre ou cinq jours à Charny ou Chattancourt, à deux kilomètres des lignes, dans une cave de garde-barrière exposée à un bombardement qui ne cesse pas.

J’ai oublié de noter que, dimanche soir, j’avais passé la soirée avec Démaretz qui, à cause du 1er mai, ne travaillait pas le lendemain.
4 mai - Reçu une lettre d’Evelina, toujours aussi déprimée.

Colson m’écrit longuement, il me donne quelques vagues renseignements sur les lettres de prisonniers. Il paraîtrait que c’est la misère et la famine. Les soldats du front eux-mêmes n’ont plus le nécessaire et se plaignent amèrement. Il a des ennuis avec son chef de dépôt, un capitaine qui sabre à tort et à travers et nourrit une haine féroce contre les universitaires. Il est sous le coup d’une punition de huit jours de prison. Motif : “a demandé inopportunément une permission”. C’est une véritable gageure de l’esprit militaire contre la raison.


Combien de temps encore durera cette stupide manière de vivre pour des hommes de quarante cinq à quarante huit ans !
7 mai - Dimanche, quatre heures - Je suis au bureau où je passerai toute la journée à copier une table de tir. Travail fastidieux et qui me paraît d’une utilité contestable.

Démaretz, que j’ai prévenu hier soir, est allé à Chaville. Je ne sais pas si je pourrai sortir assez tôt pour aller à la gare du Nord. Le capitaine de ma batterie m’a raconté qu’il n’avait pas reçu d’instruction concernant la correspondance des militaires avec les régions envahies, et quand on sait que la question est réglée administrativement depuis plus de quinze jours, on est en droit de se demander ce que les ronds de cuir ont à la place du cœur.


Il faudra attendre que tout le monde ait écrit pour que les militaires, qui ne sont pas les moins intéressants individus actuellement, puissent envoyer un mot à leur famille. Nouvelle carte d’André qui est toujours sous les bombardements. Il attend impatiemment la relève. Louis Baudouin me disait hier que les nôtres étaient avisés par affiche de la possibilité de correspondre. Est-ce vrai ?

Vendredi soir, après ma classe, je me suis mis en civil et suis allé me promener au pont de Bonneuil. Revu Sucy et les confins de la Brie. Promenade solitaire, la seule façon de me promener qui me convienne maintenant car l’esprit peut s’arrêter ou errer où il veut.


8 mai - Rien de nouveau. Hier dimanche, je suis resté au bureau jusque six heures quarante et n’ai pu aller à la gare du Nord, faute de temps. Reçu aujourd’hui une lettre de Colson. Il me donne carte blanche pour agir en sa faveur. Réussirai-je ?

Léonard a reçu deux cartes de sa famille. Moi, j’attends toujours et n’ai encore rien reçu des nombreux correspondants qu’on m’a signalé un peu partout en Hollande et en Suisse.



Hier, j’ai reçu la visite de Debuyne qui arrive de Mytilène en permission après un voyage en bateau extrêmement mouvementé, qui a failli être coulé par une torpille en Méditerranée. Son bataillon est à Fréjus (Tirailleurs Sénégalais) et ne tardera pas à être envoyé sur le front où, de différents côtés, j’apprends que se fait une concentration importante. Je suis allé déjeuner avec lui et Démaretz, puis dîner. Le soir, en civil, je vais avec eux passer la soirée à l’Olympia. Nous avons évoqué le passé et parlé de nos femmes. Lui a reçu une photo de sa petite fille qu’il ne connaît pas encore. Il est parti ce matin à Dunkerque.
André m’a écrit ce matin, il est enfin au repos pour quelques jours. Ce n’est pas trop tôt après les bombardements qu’il a subi sans interruption. La compagnie revient avec quatre-vingt hommes probablement sur deux cent cinquante.
Accambray m’écrit de lui envoyer une note au sujet de Colson. Je vais la préparer. J’ai appris hier une bien fâcheuse nouvelle. Rigaumont, commis de perception à Jeumont, qui avait quitté Lille avec Maurice Passaye et était resté à Paris avec moi en octobre 1914, incorporé au Quatre-vingt quatrième, puis envoyé au front, blessé légèrement avait été, à la suite de démarches, démobilisé et affecté à une usine des Charentes où on fabrique l’acide piérique (?) et les explosifs. Il se croyait à l’abri. Sa femme était venue le rejoindre de Jeumont après mille péripéties, par la Belgique, la Hollande et l’Angleterre…, était restée à Saint-Germain-en-Laye avec son beau-frère. Elle était rassurée au sujet de son mari. Une explosion résultant d’un accident, d’une négligence, a détruit l’usine en faisant trois cent victimes, dont le pauvre Rigaumont. Où est-on en sécurité ? L’Europe n’est plus qu’un volcan aux multiples cratères. Le pauvre garçon s’en serait peut-être tiré sans accident aux tranchées du front !
16 mai - Mardi - Vendredi matin, j’ai eu l’agréable surprise de voir arriver André. Il avait obtenu une permission de faveur. Sa division est au repos du côté de Bar le Duc, après un séjour de deux mois à Cumières (?) et au Mont Homme. Je l’ai fait beaucoup causer. Heureusement, j’avais classe à Montaigne l’après-midi. J’ai pu lui donner une grande partie de mon temps et, le soir, il est reparti à Freinville. Nous avons pris rendez-vous pour le samedi soir. J’avais prévenu Démaretz et Louis Baudouin et nous avons dîné tous quatre au restaurant. Puis nous avons achevé la soirée au cinéma. Au lycée, j’ai fait coucher André dans une chambre voisine et, le dimanche matin, nous sommes allés voir ma tante Marie qui était prévenue. Après le déjeuner, j’ai reconduit André à son oncle et j’ai ensuite passé l’après-midi avec Démaretz et Louis. Démaretz a encore reçu des nouvelles de sa mère. Moi je n’ai jamais rien. Une note parue dans Les Débats annonce que les militaires vont pouvoir écrire, mais rien n’est encore venu confirmer cette note et j’attends toujours. J’achète d’occasion une magnifique montre. Ce sera pour Jehan, plus tard. L’occasion était trop belle, je n’ai pas cru devoir la laisser passer malgré la dépense pour le moins inutile.

Léonard repasse devant une commission médicale demain. Il vient de passer une crise d’angine et sera certainement dans des conditions favorables à son maintien.

Au point de vue militaire, rien de nouveau. Les bruits les plus contradictoires circulent. Tandis que les uns annoncent des préparatifs d’offensive prochaine, d’autres disent qu’il n’y en aura pas cette année. On n’en sait rien et je pense qu’on attend des circonstances favorables, qu’un incident peut révéler ou hâter. En général, on croit chez les réfugiés que, pour le mois de septembre, beaucoup pourront rentrer chez eux !! Si c’est en septembre 1917, on verra. En attendant, on taxe le sucre, on ne fait plus que du pain uniforme et la vie est horriblement chère. Si c’est la misère en Allemagne, c’est la gêne générale en France - malgré la bombance et la vie déréglée qui se manifestent à Paris dans les lieux de plaisir.
19 mai - Travail assez actif au bureau où on établit les tables de tir d’un obusier de 200, dont il n’existerait que deux ou trois pièces en action sur le front. Tir d’un obus de cent kilogs. Portée, onze kilomètres. Charge 6 kg 50, Vo 428, T = 42’. Après cela, on fera les tables du 19 et du 32.

Au lycée, on fait les préparatifs variés qui annoncent les prix, composition finale, etc. Je redoute les vacances qui vont me priver des trois demi-journées par semaine qui me rattachaient encore à mon métier. Si encore il y avait un changement dans la situation militaire d’ici là, mais je n’y compte plus. Les Débats ont bien annoncé que les militaires des régions envahies allaient enfin pouvoir écrire chez eux, mais rien encore n’est paru et j’attends toujours que mon capitaine m’envoie des cartes.

Barker m’écrit que son fils Allan est reçu à l’école militaire mais aucune appréciation sur les faits de guerre. Il a peur de la censure.

J’irai voir Boucher ce soir. Je n’ai plus guère de temps et, depuis plus d’un mois, je n’ai pas eu de ses nouvelles.

Nous voilà au moment de l’année où mes abeilles me donnaient beaucoup de travail. C’était la période de l'essaimage. Que tous ces souvenirs sont loin ! En passant près du rucher du Luxembourg, j’ai toujours le cœur serré, car cela me rappelle la maison, les souvenirs, la cour de l’école, le jardin, la famille …
22 mai - Lundi - Toujours la même vie, les mêmes préoccupations et soucis. Samedi, soirée passée avec Démaretz et Louis Baudouin. Dimanche, je travaille au bureau jusque quatre heures. Puis, je vais à la gare du Nord où je n’apprends rien de nouveau. Le Bulletin des réfugiés donne le texte de la circulaire pour la correspondance des militaires avec les régions envahies. J’écris au capitaine pour avoir des cartes. Comme je n’avais pas grand chose à faire au bureau, j’écris longuement à Amante par une voie que m’a signalée Démaretz et qui a fait passer différentes lettres à Lemaire. Si seulement ma lettre pouvait parvenir. Moi, je ne compte plus que sur la correspondance officielle car là-bas, si on peut se faire payer une lettre qu’on remet ici, les hollandais sauront très bien qu’une fois la lettre affranchie remise, ils n’ont rien à attendre du destinataire généralement inconnu.

Aujourd’hui, Louis Ball, adjudant arrive me voir à Montaigne. Il est en permission. Nous causons longuement dans ma chambre et prenons rendez-vous pour mercredi. Il est comme moi sans nouvelles ; confidence plutôt pessimiste.


25 mai - Jeudi - J’ai passé hier une partie de la matinée à faire des courses. Gare du Nord pour Madame Garrand. A dix heures trois quart, Louis Ball vient me chercher au lycée et nous allons déjeuner. L’après-midi, je fais mon travail au bureau. Trajectoire d’un canon de 32 dont nous préparons les tables.

Ce matin, je vais au sous-secrétariat de l’artillerie et des munitions aux Champs Élysées pour porter un renseignement. C’est somptueux et on y entre plus difficilement qu’au paradis. Fiche, contre fiche, appel. L’après-midi, je vais à La Varenne voir enfin si je pourrais obtenir des cartes pour correspondre avec ma famille. Mais là, on me dit qu’on n’a pas encore de cartes ; il faut les demander. Je montre les pièces d’identité établissant que j’habite le Nord et que j’y ai de la famille, et le capitaine Guérin, très aimable d’ailleurs, me dit qu’il les fera envoyer. Je profite de mon passage au bureau pour me faire habiller et demander du linge et je rentre avec un ballot. Me voilà en bleu horizon comme les jeunes soldats. Toutes ces libéralités n’annoncent pas la fin.

Les journaux sont stupides, les communiqués n’annoncent que de mauvaises nouvelles.
Les boches nous ont repris le front de Douaumont que nous avions repris il y a trois jours. Il ont pris Cumières (?). Il tiennent maintenant trois côtés du Mont Homme. Les italiens ont reculés de douze kilomètres dans le Trentin. Les Alliés vont-ils encore longtemps laisser l’initiative des opérations à l’ennemi ?

C’est navrant. A La Varenne, parc de l’A.L.V.F., il y a une quinzaine de locomotives pour les trains blindés mais pas un canon. Nous ne serons donc jamais prêts !


28 mai - Dimanche - Bureau. Je suis allé cherché mon paquet et les papiers déposés chez Monsieur Boucher. Il me parle de sa santé qui est meilleure. Je lui demande de reprendre en dépôt une lettre pour Amante en cas d’accident. Je la lui porterai quand j’aurai ajouté quelques lignes à ce que j’avais écrit l’année dernière. Je vais, après ma visite, me promener dans la campagne du côté de Créteil.
Hier, samedi, j’ai passé la soirée comme de coutume avec Démaretz et Louis Baudouin. Toujours pas de cartes pour écrire dans le Nord. Ce matin, je reçois une courte lettre d’André ; il est cité à l’ordre du régiment et va porter la Croix de guerre. Sa citation est très élogieuse, je la conserverai. Tondelier André, Matricule 10098, sergent à la 4º compagnie du 155º régiment d’infanterie, sergent digne de tout éloge, s’est distingué comme grenadier, puis comme sergent grenadier en Argonne et en Champagne. A conduit plusieurs patrouilles extrêmement périlleuses.

Ordre du régiment nº 28, 22 mai 1916. Le lieutenant-colonel commandant le 155º. Signé Letellier.

Je suis bien heureux et j’espère qu’il n’en restera pas là. Je vais lui écrire pour le féliciter.

Il y a un commencement de campagne de presse pour renvoyer les R.A.T. et les auxiliaires de l’enseignement à leurs écoles. Des vœux ont été émis dans ce sens par des conseils généraux.
29 mai - Aujourd’hui, le proviseur de Montaigne me demande si je suis de l’auxiliaire et je crois bien que c’est pour cela. Si on se limite à l’auxiliaire il n’y aura rien pour moi et j’aurai quarante-sept ans en octobre.
Hier, j’ai vu Verplacke, capitaine au Deux cent quatre-vingt cinquième. Il est maintenant au Bourget avec une compagnie pour le camp d’aviation. Il me signale le désordre coûteux qui règne là et parle de cent mille francs par jour. De la noce qu’y font les aviateurs avec les femmes. Une qui a eu deux amants tués est obligée de partir car elle porte la guigne.
2 juin - Vendredi - La situation militaire est toujours la même. La bataille fait rage et les allemands gagnent par-ci par-là un bout de tranchée, mais ils gagnent pourtant du terrain. Les italiens cèdent devant l’offensive autrichienne et leurs lignes arrivent à la plaine. Les anglais ne bougent pas. De ci, de là, ils perdent une tranchée. Et l’opinion, dans laquelle se fait jour de plus en plus un mouvement pour la paix, attend l’offensive des Alliés avec une impatience qui se change peu à peu en désespoir.

Hier, avec Louis Baudouin et Démaretz, nous sommes allés faire une promenade à la campagne. Descendus à Joinville-le-Pont, nous avons longé la Marne jusqu’à Champigny puis La Varenne, Chenevières. Il faisait un temps magnifique et je rappelais à Démaretz une autre année, il y a dix-sept ou dix-huit ans, où, à pareil jour, nous nous étions rencontré à Ors et nous avions passés l’après-midi au bois. Rencontré le Docteur Labbe de Roubaix avec sa femme. Ils sont venus voir le député. Du bled, il n’en sait pas plus que nous. Pendant notre promenade, Paris fait au général Galliéni des funérailles magnifiques. Toute la population s’est portée sur le parcours du cortège.



André m’écrit une courte lettre ce matin. Retourné au front, il me dit que c’est plus terrible que jamais et, au moment où il m’écrit, il n’a bu ni mangé depuis deux jours4.
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