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Vous venez de télécharger la première Partie des mémoires de guerre de Edmond tondelier


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29 juin - J’ai une permission et je pars à Paris tout à l’heure. Je vais porter à Monsieur Boucher une lettre pour Amante et mes valeurs, avec un petit paquet de lettres et papiers. C’est lui qui serait, le cas échéant, et dans une certaine mesure, mon exécuteur testamentaire.

L’ordre de partir à Ozoir est arrivé ; ce n’est plus qu’une question de jours. Un ouvrier de Mouvaux que j’avais réussi à faire embaucher se voit refusé parce qu’il arrive une autre équipe de cent cinquante hommes, venant de la Ferté-sous-Jouarre. Il me quitte tout marri.


1er juillet - Nous commençons notre seconde moitié de calendrier. J’ai porté hier chez Boucher mes valeurs, lettres et papiers. Je lui ai porté une lettre pour Amante, en cas d’accident. Chez ma tante, j’apprends la mort de Julie, de Lewarde. On est toujours sans nouvelles de Maurice Théry. J’envoie une provision à André qui m’a télégraphié à nouveau son départ du Legné. J’achète deux bouquins, et je fais une petite course avec Démaretz, mon hôte de cette nuit. Le soir, je rentre à Pontault à onze heures ; voyage lugubre dans cette région qui paraît morte. Le retour me laisse tout seul avec mes pensées, et je voudrais pouvoir écrire tout ce qui s’est passé dans ma tête pendant cette nuit de guerre, après toutes mes conversations à Paris, conversations dans des milieux divers où percent la lassitude, le souci du présent et de l’avenir.

Ce matin, nouveau changement. Le commandant a reçu hier soir une dépêche l’avisant qu’il était nommé à Saint-Dizier.


Et à dix heures est arrivé le nouveau commandant. C’est un officier du service forestier qui va commander la position. Achèvera-t-il les travaux ? Je ne sais de quoi sera fait demain.

En attendant, aujourd’hui doivent arriver les sapeurs bûcherons. Les cent cinquante ouvriers civils qui devaient arriver hier sont réduits à soixante-dix, et encore !


3 juillet - Hier, on a pris contact avec le nouveau commandant. Différence notable sur laquelle je ne veux pas m’étendre : l’initiative de chacun grandit. J’ai passé aujourd’hui la journée à prendre des renseignements sur chacun des ouvriers civils de la position. Les équipes qu’on vient de recevoir de la Ferté-sous-Jouarre sont des individus de quatorze nationalités, et il faut se documenter sur chacun d’eux. Je retrouve des Roubaisiens, des tisserands des environs de Bohain, etc, etc … russes, roumains, levantins, serbes, suisses, etc etc. Cela me procure une randonnée en auto sur toute la position Roissy, Beaurose, les Agneaux, Monthély, etc …
Je vais deux fois à Ozoir où j’étais venu hier soir pour retenir un chambre chez Monsieur Parisy, près de l’école. Notre déménagement est fixé à lundi. Je rentre le soir, fourbu mais content car j’ai visité tous les chantiers. Je trouve deux cartes d’André, une de Rennes, une d’Orléans, mises à la poste à la gare des Aubrais. Je ne sais pas encore s’il a reçu mon mandat, car il ne m’en dit pas un mot.
4 juillet - Je vais retourner à Ozoir et m’assurer de l’état du cantonnement, du bureau. Il y a un peu de fièvre dans tout ce déménagement, et cela m’oblige à abandonner par instants mes souvenirs, mais la nuit je me rattrape. Cette nuit, j’étais éveillé à trois heures et, en songeant que j’allais abandonner ma petite chambre du château, je me demandais si cela me rapprochait vraiment du jour où je verrai tous les miens.

Des mouvements de troupes ennemies en Belgique font que l’autorité allemande a complètement fermé la frontière hollandaise. J’ai tout lieu de craindre que mes deux lettres ne soient arrêtées comme celles qu’Amante pourrait m’écrire. Rien ne permet d’espérer en l’avenir.


Je rentre d’Ozoir où je suis allé en auto pour voir les logements possibles pour les plantons dans l’immeuble loué. Je déjeune seul chez un bistro, pendant que le commandant va à l’hôtel. Le capitaine et Léger vont dans une auberge où ils reçoivent depuis longtemps une hospitalité écossaise. Ils ne m’engagent d’ailleurs pas à les accompagner. J’aime autant cela. Nous rentrons vers trois heures et je retombe dans le marasme des dimanche. Je range mes affaires pour demain et j’emballe le fourniment en excédent.

Je reçois de Monsieur Ogden un morceau de journal illustré, qui donne des vues de Lille, et un journal de Barker ; tout cela me montre la lenteur des opérations et le peu de résultats obtenus.


5 juillet - Je suis installé à Ozoir-la-Ferrière depuis deux heures et demi. Ce matin, j’ai achevé mon déménagement du château de Pontault. J’abandonne avec regret ma petite chambrette si propre, si nette, si bien entretenue par mon brosseur, Offlard.
Tout est prêt pour le transport en auto. Arrive un bataillon du Deux cent quatre-vingt-deuxième qui vient de Nantes. Le commandant, qui loge au château, passe en me regardant, je le regarde sans le reconnaître ; l’ordonnance m’apprend que c’est Monsieur Deguenou de Valenciennes. Je vais le retrouver dans sa chambre et voilà deux hommes heureux de rafraîchir des souvenirs communs. Il m’apprend la mort de Mademoiselle Barou, du colonel Laffargue, etc. Je le quitte et, dans un café de Pontault, je rencontre Dehauny fils, du Cateau, qui habite Lille. Nouvelles effusions banales, car on se fait à tout, même aux rencontres extravagantes. Nous partons, en auto avec le commandant et l’emménagement commence. Je serai dans le bureau du commandant avec l’officier d’administration. Je dîne seul dans un café et je vais me promener mélancoliquement sur la route de Gretz, tout seul. On est si bien pour penser à son aise. Ozoir est plein de soldats de bataillon du Deux cent quatre-vingt-deuxième breton et picard. Tous boivent, selon la mode anglaise importée depuis la guerre, une atroce mixture de vin et d’eau-de-vie, de marc ou de rhum !!
Je suis logé chez un Monsieur Parisy chez qui je suis bien accueilli. Mes hôtes ont leur fils à la guerre et souhaitent qu’il reçoive le même accueil où il se trouve. Je m’installe dans ma chambre et j’écris longuement pour donner partout ma nouvelle adresse à mes correspondants.
7 juillet - Deux journées de dur travail au bureau où j’ai beaucoup à faire. Le commandant me charge de l’établissement de nombreux rapports, et comme il y a des mutations, des changements de compagnies nourricières et des états à fournir, j’ai un travail fou. Cela me fait oublier mon isolement. Je mange chez un bistro et après le repas, je déambule dans le pays qui est assez joli. Ozoir est entouré de bois qui ont été en partie défrichés pour la mise en état de défense de Paris. Le village lui-même est fortifié, les abords sont garnis de fil de fer, les murs sont crénelés et des tranchées creusées un peu partout.
Les habitations sont surtout sur la grande route de Paris à Gretz ; la gare est à deux kilomètres au milieu de la forêt d’Armainvilliers, à égale distance d’Ozoir et de Ferrière, où se trouve le château des Rothschild. Aujourd’hui, l’après-midi, est arrivé le détachement de Pontault. Nous avons trouvé une popote et, tant bien que mal, on s’installe.

Je reçois une lettre de Paul, il va partir au front. Que restera-t-il en hommes après cette guerre ? Mon tour de marche viendra-t-il bientôt ? André ne m’écrit plus, je voudrais savoir où il est, et dans quelle région il va se battre. J’ai maintenant une cause d’anxiété ajoutée à toutes les autres. J’essaie de lire Les souvenirs d’enfance et de jeunesse de Renan. Il est très difficile de suivre les magnifiques raisonnements de l’auteur et j’ai toutes les peines du monde à lire la Prière sur l’Acropole quand mon esprit est tant appelé ailleurs.


9 juillet - Toujours beaucoup de travail à cause des mutations, changements d’unités nourricières, états de nouveaux ouvriers, permissions agricoles. Nous sommes à peu près installés. Popote, bureaux, etc. Boucher m’écrit un reçu des objets que j’ai déposé chez lui.

De la guerre. Une offensive allemande qui s’accentue. Pression énorme en Lorraine qui va probablement s’effectuer en Flandre, car les journaux hollandais semblent l’annoncer. De notre côté, on semble tout subir. Qui est prêt ? Les italiens perdent un croiseur.

Des généraux sont venus aujourd’hui visiter les travaux. Rien n’a encore transpiré de leurs remarques. Verra-t-on les travaux de quatrième phase ou bien sommes-nous ici pour achever la troisième et les réseaux ?

Rien du Nord dans les journaux. Que fait-on à Mouvaux. Il y a un an à pareil jour, nous faisions nos préparatifs de vacances. Je n’avais plus qu’un jour de classe devant moi. Qui aurait prévu qu’un an plus tard je serais à Ozoir-la-Ferrière, et que je n’aurais plus fait de classe, sauf un mois, désolé dans un lycée de Paris. Il me restait alors quinze jours avant d’aller à Blankenberghe, d’où je revins le soir avec la prévision de la guerre imminente. Un an ! Que de deuils et de larmes pour les uns, d’inquiétudes et d’angoisses pour les autres. Si j’avais su ! Les règlements scolaires aurait pesé bien peu de choses à côté de mon désir de mettre la maison à l’abri. Pas encore de lettre d’André, et cependant, il est arrivé à destination.


12 juillet - J’ai enfin reçu une carte d’André, il est dans le Trente-deuxième secteur ; où ? Je lui ai répondu le jour même, le 10, de Paris où je suis allé en permission samedi soir. Le nouveau commandant nous laisse partir à une heure et je suis allé prendre le train à Ozoir. C’est une gare au milieu de la forêt d’Armainvilliers. Les Rothschild, qui l’ont fait créer pour leur château de Ferrière situé à deux kilomètres de là, n’ont toléré aucun café. Il n’y a pas une maison où s’abriter, la route qui y arrive est superbe, quoique le déboisement qu’on y a pratiqué pour la guerre lui ai beaucoup nui. Je vais faire une visite habituelle à ma tante Marie, à Louis, et je passe la soirée et la journée du lendemain avec Démaretz. Nous allons stationner comme de coutume devant la gare du Nord, où je vois relativement peu de connaissances et, le soir, je reviens tristement à Ozoir, n’ayant rien appris.

Les journaux ne disent rien. Victoire russe !? Réponse de l’Allemagne à la note des États-Unis. Dans six mois, nous serons encore au même point.


13 juillet - Le travail des jours d’installation commence à se déblayer un peu et je puis souffler un peu. Je suis installé seul dans la chambre où est le bureau des officiers. C’est plutôt triste car je n’ai plus la conversation variée et permanente qu’il y avait dans le bureau de Pontault, mais je suis aussi plus tranquille dans mon coin, et je peux lire. Il y a une bibliothèque, assez bien pourvue de bons livres, dont je ne vois que le dos, car elle est fermée à clef. Pour le moment, je ne me plains pas, car j’ai un Renan et Rabelais. Cela me fait des provisions car je ne puis lire vite. Nous sommes ici en subsistance chez les forestiers, c’est-à-dire que les forestiers nous délivrent nos vivres de la forêt. Naturellement, il y a des causes de froissement. Ainsi, comme viande, on reçoit les bas morceaux, ce qui amène des protestations. Aujourd’hui, il y a eu un rapport des plaignants artilleurs, et une défense exprimée par le chef des forestiers. C’est l’incident du jour et il n’y en a pas toujours autant.
Je repense à l’an dernier, j’étais en vacances, je me préparais à travailler, j’étais heureux à la pensée de rester à la maison, près d’Amante et de toute la famille, et j’étais loin de supposer qu’une année de misère, de chagrin et d’inquiétude s’ouvrait, année dont maintenant j'atteinds le terme sans même entrevoir la fin de ma peine. Je revois cette course lente par Armentières, Calais, Rouen, Le Mans, Tours, Poitiers, Limoges, Brive, Vierzon, Paris, Le Tréport, Boulogne, Mouvaux, Boulogne, Paris, Nogent, Pontault, Ozoir, avec un voyage à Troyes entre temps, pendant que les miens restaient rivés à Mouvaux, rongés d’inquiétude au milieu de l’ennemi, sans rien savoir de ce qui se passe de ce côté du pont.

Un incident termine ma journée : une lettre à refaire pour une expression qui n’est pas assez plate, et qui avait été acceptée dans la minute. C’est presque amusant. Et on parle de la psychologie des foules.


14 juillet - Fête nationale à Ozoir et ailleurs. Ce n’est ni un dimanche, ni un jour de travail. Il y a un an, c’était la fête à Mouvaux, nous allions voir Jehan faire de la gymnastique à la nouvelle place et, le soir, nous partions à Tourcoing avec les familles Démaretz et Debuyne. Les hommes de cette équipe sont l’un, aux Dardanelles, l’autre sur l’Yser, l’autre à Paris et moi à Ozoir. Les femmes sont toujours chez elles, en proie aux inquiétudes les plus noires. Aucun de nous ne voit l’issue libératrice.
15 juillet - La journée d’hier s’est terminée dans la pluie et, pour moi, dans la tristesse la plus grande. Je suis allé faire une visite à un réfugié, journaliste à Laon et nous avons parlé de Monsieur Torfer, de la politique dans l’Aisne, mais tout me paraît creux et vide de sens quand je ne parle pas des miens.

Le propriétaire de notre bureau m’a prêté quelques livres, aurai-je le courage de les lire ? Au bureau, je constate que les travaux sont repris et poussés avec une nouvelle vigueur. Il n’y a aujourd’hui que deux cent soixante-douze ouvriers civils, à sept francs cinquante et huit francs par jour, et quatre cent trente-quatre travailleurs militaires à un sou, et ce doit être insuffisant car on va recevoir cent cinquante autres civils. Il y a déjà treize nationalités, c’est la tour de Babel. Quant aux travaux eux-mêmes, on en découvre chaque jour qui sont urgents et indispensables. On ne dit pas si c’est nécessaire au maintien des sinécures militaires, à l’éviction des boches, ou au gaspillage plus intensifs de ressources financières de la France. J’ai reçu, sur le travail des ouvriers civils, les confidences les plus suggestives des surveillants militaires, mais à quoi bon et pour qui en ferai-je état ? D’ailleurs, ces errements font la joie de certains qui ne dissimulent plus l’assurance qu’ils ont de rester encore quelques mois à l’abri derrière les pelles des terrassiers du camp retranché, ou derrière les haches des bûcherons et des sapeurs forestiers.

Je note pour mémoire l’histoire d’une auto qu’on doit rendre au propriétaire et qui reste à la disposition des officiers, aux frais d’un sergent. Celle-là maintiendra celui-ci.
17 juillet - Journée triste. Je ne puis arriver à chasser mes idées noires. André m’a écrit une carte ce matin. Il n’a pas encore reçu ma lettre, depuis le 1er juillet. Je lui écris à nouveau. Il me dit qu’il va monter là-haut, vraisemblablement aux tranchées, et cela me fait supposer que c’est en Argonne. Je lui donne des conseils et lui recommande la prudence. La journée me paraît si longue que j’écris à Amante, par Monsieur Dewez. Je trouve un dérivatif, car j’ai l’impression de causer aux miens. Certainement je traverse une crise. Que faut-il faire pour ne pas y laisser la raison ? Je sais que je suis injuste et acariâtre. Personne ne m’écrit, tout conspire contre moi en ce moment.
18 juillet - Dimanche - Rien à faire au bureau où je passe cependant la journée qui me paraît mortellement longue. Tous s’en vont. Le commandant à Paris, les autres en permission ou dans les cafés. Je lis distraitement, la pensée ailleurs. Fréquemment l’on m’interroge. Pas de nouvelles ? Non. Et on passe. L’intérêt qu’on me témoigne s’est manifesté machinalement par une question. Et on s’en va, sans se douter qu’on a agrandi le déchirement intime que je porte en moi.
J’ai maintenant fait le tour d’Ozoir. C’est une véritable place forte, avec toutes ses tranchées, ses murs crénelés, ses réseaux de fil de fer et toute cette étendue déboisée du bois Prieur, qui va jusqu’à la gare. C’est ma promenade favorite, le soir, en attendant le dîner, d’aller voir tous ces travaux jugés insuffisants, quoiqu’on sache fort qu’ils sont parfaitement inutiles maintenant. Hier, je visitais le cimetière, qui est d’ailleurs moderne, et tout à fait sans intérêt, l’église sans chaire, dont tous les sièges sont des bancs fermés comme dans les églises normandes ou anglaises.
20 juillet - J’avais écrit samedi à Amante par Monsieur Dewez, avec l’espoir que ma lettre parviendrait. Il m’écrit aujourd’hui pour me dire qu’il n’a rien reçu de Lille depuis un mois. C’est bien ce que je pensais, la voie est fermée et la frontière hollandaise est infranchissable. Combien de temps encore durera cette situation intolérable ? Monsieur Dewez me renvoie ma lettre que je conserverai pour des jours meilleurs.

Dimanche soir, le chauffeur de la voiture, maintenue par le sergent Harmand au service du bureau, était allé vers huit heures du soir à Nogent, mais des libations avaient probablement modifié la fermeté de sa main et étendre un brouillard devant ses yeux, car en descendant la côte de Champigny, une manœuvre malheureuse effectuée à toute vitesse mit la voiture en miettes. Pas d’accident de personne, le chauffeur s’en tire indemne mais la voiture est comme du tabac à priser. Lundi matin, Léger attendait la voiture à Vincennes, un cycliste également, le chauffeur attendait encore près des débris, qu’on vint le relever. Je note pour mémoire le tollé général quand on vint faire connaître l’accident. Le pauvre Harmand, qui avait rendu tant de services, qui avait tant de qualités, devenait tout à coup un ivrogne, un cachottier, etc.


22 juillet - J’ai reçu hier matin une lettre d’André. Quelques mots seulement. Le pauvre garçon est au plus fort de la tourmente en Argonne, au Four de Paris, à l’un des points du front où nous avons perdu le plus de monde. Je lui écrit quelques mots pour le réconforter et lui demande s’il désire quelque chose. Une lettre de Monsieur Roux m’apprend qu’il a reçu des nouvelles de sa fille datées du 10 juin. Elle sait que son mari est disparu et elle se serait même adressée à la Kommandantur, à Tourcoing, pour tâcher d’obtenir des renseignements plus précis.
C’est le jour aux lettres. Poiriel m’écrit, il ne m’apprend guère de nouvelles. Evelina réclame une lettre, elle a une confiance exagérée dans ce que j’écris. A quoi bon des pronostics et des prévisions dans le cauchemar que nous vivons. Aujourd’hui, on nous annonce l’offensive pour octobre, soit dans deux mois et demi.

J’en viens à ne plus m’arrêter à toutes ces billevesées. Tant que ma famille ne sera pas dégagée de ce cercle de fer, je ne ferai état d’aucun fait. Elle est à quatorze kilomètres du front depuis neuf mois et rien n’a été obtenu dans cette direction. Voilà le fait brutal. Les boches tiennent bon et je crains qu’ils ne tiennent aussi longtemps que nous. On aura autant de peine à les repousser qu’on en a eu à les maintenir.


Au bureau, rien de nouveau, sauf des explications aigres-douces avec le colonel (!), gâchis dans les chantiers dont il est impossible d’avoir la composition exacte. Nouvelle tournée des généraux planqués sur les chantiers.
23 juillet - Hier soir, j’ai causé, en rentrant chez moi, avec mon propriétaire qui est un homme de cœur. Sa femme, très sensible, s’apitoie chaque soir sur mon sort et me parle de ma famille.
J’en viens à montrer des photos. Je lis quelques phrases de la seule lettre que j’ai reçue. Cela réagit, et après le départ de mon hôte, j’ai une crise longue à dissiper. Je n’ai qu’un remède, la lecture, et encore faut-il que cette lecture n’ait rien d’émouvant ni de passionnel. Aujourd’hui, je relisais au bureau la Scène de la vie de Bohème et quelques pages du Manchon de Francine ont évoqué devant moi toute ma jeunesse, mes premières années de mariage, mon bonheur passé. Impossible de mettre de l’ordre dans tous ces souvenirs heureux …
Les journaux annoncent ce matin que les boches ont emmenés en captivité cent trente industriels et notables de Roubaix-Tourcoing, qui n’ont pas voulu se conformer aux ordres allemands et faire travailler leurs ouvriers pour l’armée allemande. Je relève quelques noms connus.

Démaretz m’a écrit. Il part s’installer dans une succursale du magasin de gros de coopérative comme chef comptable à Maisons Laffitte. Il voyait tout en noir et sa lettre me montre un sérieux changement. Il entrevoit déjà une situation d’avenir. Très juste au fond, mais quel amour du changement !



26 juillet - Je suis rentré à Paris hier soir malade de coliques. J’ai dû avancer mon retour pour prendre la voiture, de la gare à Ozoir. Permission très remplie comme toujours. Chez ma tante Marie, je n’ai pas vu Louis. Il paraîtrait que Maurice Théry a bien été tué par un éclat d’obus. Un de ses amis de Denain l’a vu tomber, puis enterrer, et l’a dit à Louis. Pauvre garçon ! Pauvre Laure ! Qui lui portera la terrible nouvelle ?

Le soir, je vais me coucher à l’hôtel rue Myrha. J’entre dans un cinéma où on projette des vues d’Arras, c’est effroyable, la ville n’est plus que ruine, la gare est méconnaissable. L’Hôtel de Ville est un monceau de décombres. Je revois les rues Saint Géry, (…), Gambetta, le clocher des Ursulines, le quartier de la gare, la porte Baudémont, les rues où je circulais l’an dernier avec Suzanne. Pour mémoire, rue Saint-Omer. Dimanche matin, je vais retrouver Démaretz et, après le déjeuner, nous allons à la gare du Nord qui est le carrefour des évacués, où l’on est certain de rencontrer des amis et connaissances. Je vois Vignol, Bernnyn de Lille, puis des catésiens Wuillaume, les trois Vasseur, Émile Degrémont. Ils reviennent d’Allemagne (brancardiers) après onze mois de captivité. Ils ne se plaignent pas. Ils avaient d’ailleurs des nouvelles assez facilement de leur famille. Je vois un homme de Mouvaux, ancien habitué de l'Étoile. Au restaurant, je rencontre Monsieur Tirlemont, ancien censeur de Lille, qui va voir son frère à Boulogne. Vu également Hubbard du Cateau et d’autres figures de connaissance. Les permissions que je désire tant me laissent chaque fois la même impression pénible : je déteste la foule et maintenant je la recherche toujours en quête d’un renseignement.

Démaretz m’a donné une adresse à Dordretch pour écrire dans le Nord. J’envoie immédiatement la lettre que j’avais préparé pour Amante il y a huit jours. Je n’ai hélas, rien de plus à dire, ni rien de moins.
Sur les événements, c’est toujours la même chose et rien ne fait prévoir de grands changements avant plusieurs mois. La solution se complique même car je prévois des difficultés d’ordre politique, on parle à mots couverts de débarquement de généraux (Sarrail). Aujourd’hui, il y a une réunion du groupe de gauche où le mien, de la (…) y prendra certainement la pipe.

Je pense retourner à Paris dans la semaine pour toucher mon traitement à Montaigne.


28 juillet - J’ai passé hier une mauvaise journée : la maladie du jour me prend à mon tour (coliques). Il n’y a pas de pharmacien. On est obligé d’aller, comme à Neuvilly, chez le médecin de l’endroit chercher le médicament convenable. Quant au médecin militaire, il vaut mieux ne pas compter sur lui, il est à Boissy-Saint-Léger. Je me suis procuré de l’élixir parégorique. Aujourd’hui, je suis mieux, j’écris à André et je lui commande de m'écrire plus longuement ; cela n’est pas interdit et je dois convenir que ses lettres depuis un mois sont vides. A un an d’intervalle, je revis les journées qui s’écoulèrent entre mon voyage à Blankenberghe et la déclaration de guerre. Un an ! Que d’événements depuis ! Si j’avais su !!

J’écris à Boutry dont Vignol m’a donné l’adresse. Il est dans l’Argonne, probablement à proximité d’André. Je lui envoie un extrait du Bulletin des Réfugiés du Nord. Je ne sais comment m’y prendre pour avoir des nouvelles de Vilain.

Ici, au bureau, ma vie est toujours très calme, trop. Je reste seul des journées entières à lire, quand j’ai expédié en une heure mon travail du jour.
31 juillet - Je suis allé hier à Paris toucher mon traitement au lycée Montaigne. Après cette formalité, qui viendrait si bien à point là-bas, je vais déjeuner avec ma tante Marie. Louis me confirme la mort de Maurice, tué à Beauséjour, le 8 mars. Je pars avec Louis. Sur le boulevard, je rencontre Léon Bésin. Il cause, je réponds froidement. Pas un mot de ma famille, de papa, maman, Faldony etc. Il raconte ses ennuis, son linge est resté à Polesme !! Il parle de Solesmes. Je le quitte pour Delauwereyn (?) avec qui je passe deux heures. Il me raconte sa campagne et me fait un récit vivant de la retraite de Charleroi, de la débâcle effroyable de la f… éperdue de certains. E. Monsieur (…) donne une idée de ces jours atroces, Dinan, Guise, etc. Il me raconte l’épisode de Berry-au-Bac, sa rencontre avec Millot, amené dans son ambulance. Les quatre mille blessés, en dix jours, à opérer, panser, soigner. Le capitaine Gardet me donne lui aussi des nouvelles de Favières, du cent vingt septième, d’amis communs. Que de morts ! Housquaine vient nous rejoindre, nous nous étions rencontrés jadis en septembre 1914 à la gare de Saint-Sulpice Laurière. Évocations de nombreux souvenirs. Je retourne vers la gare de l’Est et j’emmène Louis pour dîner avec moi. Il me raconte sa vie chez ma tante Marie, et ce n’est pas toujours drôle. J’aime mieux la caserne et ne suis pas surpris de la réflexion du cousin Paul qui en avait assez. Je rentre à Ozoir avec une migraine carabinée, mais content de ma journée car j’ai pu causer du Nord. J’en ai même trop causé pour ma tête.

Aujourd’hui samedi, il est trois heures et demi, et je pense que c’est l’anniversaire de la mobilisation. Il y a un an, j’entendais les cloches sonner à Mouvaux, nous étions à la porte de la maison, tous le cœur serré, on assistait à la mise en route de la formidable machine. J’allais lire à la mairie le décret. Puis, le soir, le journal de Roubaix publiait les paroles de Poincaré “La mobilisation n’est pas la guerre”. Un an s’est écoulé. Une centaine de milliers de soldats sont couchés dans la tombe, des millions de familles sont dans le deuil parce qu’il a plu à une famille de faire la guerre.

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