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1939-) Au fil de sa biographie s’inscrivent ses œuvres qui sont résumées et commentées


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présente
Marie-Claire BLAIS
(Québec)
(1939-)

Au fil de sa biographie s’inscrivent ses œuvres

qui sont résumées et commentées

(surtout ‘’Une saison dans la vie d’Emmanuel’’ et ‘’Vision d’Anna’’

étudiés dans des dossiers à part).

Bonne lecture !

Fille de Fernando Blais et de Véronique Nolin, elle est née à Québec dans une famille ouvrière de la paroisse Saint-Fidèle, dans le quartier de Limoilou. Aînée de cinq enfants, elle commença pourtant à écrire dès l'âge de onze ans. L’année suivante, grâce à une bourse, elle entra au collège de la Congrégation de Notre-Dame, un milieu «très snob» mais qui lui permit d'avoir accès à tous les livres, même ceux à l'Index. Faute d'argent pour continuer ses études classiques, elle dut, à l’âge de quinze ans, quitter l'école pour aller travailler, d'abord dans une fabrique de biscuits, puis, après une année en formation commerciale, comme secrétaire, caissière dans une banque, commise de bureau, vendeuse. Mais, encouragée par le père Georges-Henri Lévesque et par Jeanne Lapointe, elle déménagea en 1958 dans le Quartier Latin, assista à des cours du soir sur la littérature française à la faculté des lettres de l’université Laval et décida, envers et contre tout, d'entreprendre une carrière d'écrivaine : «J'ai commencé à publier quelques années après Françoise Sagan. C'est elle qui m'a donné le courage de le faire. Elle avait pourtant des critiques sévères. On disait qu'elle était amorale. On n'aimait pas beaucoup à l'époque que les jeunes filles écrivent.»

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1959


La belle bête”
Roman de 140 pages
Première partie
Louise, une riche veuve, vit avec ses deux enfants, Patrice, qu'elle idolâtre, et Isabelle-Marie qu'elle a toujours dédaignée à cause de sa laideur. À bord d'un train, Isabelle-Marie (treize ans) devient malade de jalousie à voir sa mère admirer et faire admirer son frère, Patrice, superbe enfant de dix ans, mais idiot qui est «la belle bête». À quinze ans, Patrice, dont Louise a gâté l'éducation, reste d'une beauté sans conscience. C'est l'été ; pendant que la jeune fille travaille la terre, sa mère et son frère se prélassent ; l'adolescent admire son reflet dans l'eau au grand désespoir jaloux de sa soeur. Louise aime Patrice et Isabelle-Marie en souffre. Louise annonce un voyage prochain qui laisse Patrice indifférent ; elle le confie à sa fille tremblante de rage. Sa mère (comparée à une prostituée) partie, Isabelle-Marie affame Patrice qui tombe malade, et se laisse soigner par son bourreau inquiet. De retour avec le dandy Lanz, Louise dorlote son fils, négligeant sa fille. Les deux enfants observent les évolutions du couple, et Isabelle-Marie attise la jalousie de son frère à l'égard de Lanz. Un soir, trouvant la chambre maternelle vide, il est perturbé par les traces de l'homme, qui lui annonce ensuite son mariage avec Louise. Isabelle-Marie s'étant jointe à eux, tous quatre boivent à la nouvelle, trop. Cette nuit-là, Isabelle-Marie, au bal des voisins, laisse croire à Michael l'aveugle qu'elle est belle. Patrice, jaloux de Lanz, s'en ouvre à sa soeur qui le torture et le plaint. Face aux deux couples, Patrice est de plus en plus désemparé. Une nuit, Louise et Lanz se querellent à propos de Patrice, qui survient, fouette Lanz et est fouetté par lui
Deuxième partie
Patrice erre pendant que se fréquentent Isabelle-Marie et Michael. Malade, Louise rejette son mari, Lanz, et ramène Patrice à elle. L'aveugle, devenu pressant, demande Isabelle-Marie en mariage. Ce sont les noces. Patrice traîne chez sa soeur. À cheval, il finit par renverser et blesser Lanz, qui en meurt. Mère et fils se réconcilient. Avec son «frère-époux», Michael, Isabelle-Marie connaît le bonheur. Elle lui apprend qu'elle sera mère. Hélas, leur fille est laide comme Isabelle-Marie. Michael recouvre la vue, gifle sa femme, et part. Isabelle-Marie retourne chez sa mère, avec laquelle Patrice, qui a vingt ans, file de nouveau le parfait bonheur, tandis que sa sœur travaille et rage.

Troisième partie


Patrice, qui a vingt-deux ans, est toujours idiot. La maladie de sa mère empire. Sa sœur continue être furieuse. C'est l'automne. Patrice tue le meilleur chien d'Isabelle-Marie, qui aime-hait sa fille, et jalouse son frère. À l'hiver, Louise apprend la gravité de son «mal honteux», et se distrait avec son fils. Le printemps révèle en Patrice une sorte de saint ; Louise souffre ; Isabelle-Marie séduit-détruit son frère, en le brûlant gravement au visage. La mère rejette son fils désormais hideux.
Quatrième partie
Louise repousse toujours Patrice, qu'Isabelle-Marie «aime à sa façon». Sa fille, Anne, révèle à sa grand-mère le crime contre la beauté de Patrice. Isabelle-Marie se justifie avec hargne ; Louise la chasse. La souffrance fait accéder Patrice à la conscience ; il se confie à sa mère qui décide de le faire enfermer dans un asile d'aliénés, où ils se rendent en train, Patrice est remarqué de tous à cause de sa laideur comme il l'avait été jadis à cause de sa beauté. À l'asile, le jeune homme végète, rêve d'évasion et, effrayé de son visage, joue au fou. Son ami, Faust, l'ancien comédien, et lui se livrent à deux jeux évoquant bonheur et malheur. Faust meurt ; Patrice se retrouve seul. Il pleure son ami perdu, et décide de retourner chez Louise, comme Isabelle-Marie qui, avec Anne, contemple la déchéance physique de sa mère. Isabelle-Marie brûle terres et récoltes maternelles, et Louise aussi, puis se jette sous un train. Ne trouvant que ruines, Patrice va se noyer dans le lac, qui est son miroir.
Commentaire
Ce premier roman, rêve obsessif et tourmenté se déroulant dans un décor impossible à localiser avec précision, tient à la fois du conte de fée tragique et de la poésie. Dans cette fable étrange et terrible, univers de violence et de passions exclusives, enfer de l’adoration d’une mère pour son fils qui est comprimé par cet amour, enfer de la jalousie de la sœur, où, comme chez Cocteau, chacun s’abandonne à sa férocité, les trois personnages sont fous : la mère, qui a fait de sa propre beauté le centre de l'univers, qui n'aime que son visage et le visage de Patrice, miroir du sien ; Patrice, qui est simple d’esprit ; Isabelle-Marie, qui, folle de jalousie, lui voue une haine si forte qu’au dénouement, elle le défigure. Cette histoire commence pourtant comme un jeu d’enfants ; mais elle se termine en une pure et déchirante tragédie, les êtres s'entredéchirant jusqu'à l'anéantissement physique et moral.
Marie-Claire Blais conduit du charme au malaise, et du malaise à l’effroi. Dans cette oeuvre prodigieusement riche, elle analysait avec une âpre lucidité les ressorts psychologiques d'une haine maladive, certains passages révélant une extraordinaire sauvagerie, les pulsions, les désirs les plus primaires, étant rendus tels quels, presque à l'état brut, la haine ne faisant pas l'ombre d'une concession à l'amour. Elle réussissait par endroits à transmuer, par le rythme, l'image et le ton, le romanesque d'une littérature de grande consommation en poésie cousine de celle de Lautréamont, effleurant par la voix donnée à Isabelle-Marie la technique du monologue intérieur propice au surgissement du rêve éveillé et à l'exploration des divers états de la conscience. Une étude inspirée de la psychocritique montrerait, grâce au fil conducteur du point de vue narratif qui polarise les différents niveaux d'expression, comment, à travers ses pulsions agressives contre Lanz et Patrice, contre Michael même, et contre son père mort, le personnage d'Isabelle-Marie marque une fixation à celui de la mère, «mauvaise» et néanmoins objet du désir.
Ce premier roman publié de Marie-Claire Blais (à l’âge de dix-neuf ans), tant par sa nouveauté que par sa puissance d'évocation, suscita l'intérêt et l'admiration, et reçut un accueil enthousiaste. Mais il causa des remous propices à un début de carrière littéraire, témoins les réimpressions successives. Dans le Québec ultraconservateur de l'époque, l'ouvrage, on s'en doute, ne fit guère l'unanimité et fut aussi fustigé pour son aspect amoral par la critique québécoise paternaliste, cléricale, conservatrice et répressive. Le critique Jean-Marie Éthier fulmina : «Or, comme on l'a dit pour Françoise Sagan, si pour ma part j'avais une grande fille, impatiente de créer de telles fadaises malsaines (ce qui supposerait chez elle un féminisme particulièrement défraîchi...), je m’inquièterais sérieusement et je m'interrogerais devant le Seigneur sur le meilleur parti à prendre : celui de la fessée ou du jeûne médicinal.» Georges Dufresne, pratiquant une critique laïque, libérale et réformiste, fut plus clairvoyant : «Car Marie-Claire Blais aime ses monstres, nos monstres. Elle nous apprend à les voir sans masque, monstrueux mais quand même animés, tourmentés par l'amour et par conséquent dignes d'amour. Elle nous apprend à nous accepter un peu plus comme nous sommes. Elle nous donne notre mythe.» Moins sociologique, Gilles Marcotte nota «la sûreté d'expression, la fidélité à un rêve intérieur étrangement cruel et tendre, qui font de “La belle bête” l'une des œuvres les plus saisissantes parues ces dernières années au Canada français, et peut-être même au Canada. Ce livre [...] accomplit son dessein avec la rigueur de la maturité, et demande à être reçu comme une oeuvre de plein droit [...]. Ce serait trop demander qu'une œuvre aussi exigeante, aussi profondément troublante, fût sans défauts. Marie-Claire Biais décrit maladroitement les comportements extérieurs, et ses personnages adultes, la mère et son nouvel époux, Lanz, sont réduits souvent à des rôles de fantoches. Même dans l'ordre des images et des symboles, où elle se meut d'ordinaire avec une si prodigieuse agilité, il lui arrive de suppléer à une expérience défaillante par des souvenirs littéraires. Mais la logique interne, les articulations essentielles, et aussi l'écriture du roman manifestent dans l'ensemble une étonnante solidité.»

Le roman obtint le Prix de la langue française.

En 1960, il parut au Canada anglais sous le titre de “Mad shadows”, et la critique canadienne-anglaise ne fut pas très différente de la critique canadienne-française. On put lire d'une part : «”Mad Shadows” is simply drivel, putrefaction of the scummiest kind» ; d'autre part : «Her novel simply states that where love exists there is a monstrous deformity in human nature. It is, however, a deformity that can be spiritually rectified. Which of her purest critics would disagree? There is scarcely cause for surprise when Miss Blais affirms, “I am not happy here and will have to leave to develop my talent. I want to go to Paris where the atmosphere is free !” Perhaps before the young lady expatriates herself, a metamorphosis in the ethical “ozone” of Quebec will lead the clergy to own a really Christian masterpiece.» Et à l'enthousiasme de Gilles Marcotte devait répondre celui d'Edmund Wilson, célèbre critique américain d'origine canadienne.

En 1961, le roman parut aussi en France, mais la critique française n'a que peu réagi, et on serait en droit de se demander si la diffusion n'en a pas été presque exclusivement canadienne. Cependant, après le succès d’“Une saison dans la vie d'Emmanuel” et la gloire du prix Médicis, le roman connut, avec des variantes par rapport aux deux premières, une troisième édition en français en 1968. Il fut aussi traduit en espagnol et en italien.

On en a fait des adaptations théâtrales : une à New York sous le titre ‘’Mad shadows’’, une à Montréal par le Théâtre de l’Eskabel. On en a fait aussi un ballet.

En 2006, le roman a été adapté à l'écran par Karim Hussein, avec Carole Laure, Mathieu Grondin, Caroline Dhavernas, Davis La Haye. Marie-Claire Blais a collaboré à la production.

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1960

Tête Blanche


Roman
Dans la première partie, Evans, dit «Tête blanche», enfant de dix ans, séjourne à la pension de M. Brenner. Il est sournois, méchant envers ses camarades et froid lorsque sa mère, qui l’a négligé de si nombreux dimanches, vient enfin le voir. Il a souffert et souffre encore.

Un échange de lettres entre Tête Blanche et sa mère constitue la deuxième partie. Le fils, qui manque de tendresse, demande à rentrer, fait des reproches et du chantage, pose des questions sur sa mère et sur son père, qui boit. Elle ne le prend pas au sérieux et répond à peine, en promettant d’aller le voir. Tête Blanche lui reproche de n’avoir pas encore tenu promesse. Il prétend aimer l’arithmétique et s’interroge sur Dieu. La mère qui croit qu’il fabule, entretient sa jalousie et son angoisse en ne répondant pas toujours à ses lettres. Tête Blanche se demande si ses parents ne vont pas divorcer, comprend que sa mère est malade, se retourne contre son père, cherche à peiner sa mère pour l'attirer auprès de lui. Il raconte ses amitiés, ses haines, ses mauvais coups, sa découverte de la maladie et de la mort des autres. La mère prend du mieux et se rapproche du père qui boit moins, se montre plus gentil. La revoyant enfin, Tête Blanche passe un week-end avec elle dans la maison de campagne du père absent : bonheur. Mais la mère est loin d'être rétablie, elle ne peut plus faire son métier de comédienne ; le père «est parti définitivement pour un autre pays». Vers l'âge de onze ans, Tête Blanche s'intéresse à «la jeune fille Émilie». Lorsque sa mère est hospitalisée, il craint de la perdre et bascule dans une métaphysique angoissée.

La troisième partie prend la forme d'un journal. Tête Blanche a eu douze ans. Sa mère est morte depuis peu. Il tâche de se blinder. Monsieur Brenner lui accorde un surcroît d'attention. Comme la solitude lui pèse, il pense à Émilie, mais se défend contre l'attrait qu'elle exerce sur lui. Il se croit amoureux, commence à écrire un roman, n'ose pas lui parler, lit beaucoup. Il a sa première conversation effarouchée avec elle. Il se pose des questions sur tout. Il rêve de partir en compagnie d'Émilie, de passer l'été auprès d'elle, mais connaît des accès de tristesse, de doute, de désespoir. Il passe pour un ange, mais il est encore méchant, sournois et révolté. Monsieur Brenner veut l'envoyer «dans un vrai collège pour jeunes garçons». Tête Blanche ose avoir un véritable entretien avec Émilie ; leurs rapports se nouent.

La quatrième partie, qui coïncide avec le printemps, est constituée de la correspondance entre Émilie et Tête Blanche. À quatorze ans, la jeune fille a charge de famille à cause de la négligence de sa mère volage. Elle aime son père, qui ne lui rend toutefois visite qu'une fois l'an. Tête Blanche lui déclare son amour, mais l'aimée lui parle d'autre chose, gravement, tendrement, le traite en ami. Il raconte l'agonie, la mort et l'enterrement de son camarade, Pierre. Émilie projette de faire inviter Tête Blanche à passer les vacances d'été à la mer avec elle, de même que Claude, son frère, élève chez Monsieur Brenner lui aussi, et le reste de sa famille. Elle lui déclare expressément son amour et lui confie ses problèmes familiaux. Le projet de vacances à la mer est accepté. Il ressent les premières inquiétudes du désir : «Oh ! Émilie, nous ne sommes plus des enfants», écrit-il, lui envoyant également des poèmes.

La cinquième partie, récit à la troisième personne, se passe à la mer. C'est le bonheur de la vie quotidienne malgré les fausses notes de la mère. Tête Blanche et Émilie s'observent, font une promenade heureuse sur la plage. Plus faible, l'adolescente se rapproche de sa mère, se lasse «de la constante attention étonnée de Tête Blanche» qui se tourne vers Claude, d'un an plus jeune que lui. Elle se sent devenir femme. La mère annonce à sa fille qu'elle est enceinte et, pour le cacher à ses autres enfants, elle a décidé de fermer la maison de la mer. La séparation au début d'août donne lieu à de tristes adieux : Tête Blanche et Claude s'en retournent à la pension. Les deux amoureux décident de ne pas s'écrire.

La sixième partie est constituée de la correspondance entre monsieur Brenner et Tête Blanche, qui a maintenant quinze ans et qui fréquente le collège depuis deux ans. Ils évoquent les souvenirs de la pension, d'Émilie, discutent passionnément. Monsieur Brenner, souhaitant l'émancipation de son élève et ami, espace ses visites et lui conseille de devenir externe pour éprouver sa liberté. Tête Blanche ne veut pas : il travaille bien, lit, écrit un conte, des poèmes dédiés à une Émilie qui le laisse sans nouvelles. Sa mère lui manque aussi. Il vit dans le passé avec l'Émilie de l'été de ses treize ans, avec la mère d'Émilie, même. Monsieur Brenner force néanmoins Tête Blanche à devenir externe et à prendre ses distances par rapport à lui. Il s'habitue peu à peu mais regrette les deux femmes de sa vie.

L’épilogue est le récit, à la troisième personne, de la rencontre fortuite dans une foule, de loin, entre Tête Blanche «jeune homme» et Émilie «à qui un homme [...] pos[e] la main sur l'épaule». Tête Blanche pleure, «la nuit glacée» emporte Émilie.
Commentaire
Ce roman, qui prolonge en partie la thématique du premier, qui se rapproche quelque peu d’un univers reconnaissable mais sans établir de véritable lien avec les comportements vraisemblables dans un tel univers, tient encore à la fois du conte et de la poésie, explore les relations parfois cruelles des adultes et des enfants. Les relations entre la mère et son enfant sont pour le moins complexes : souffrance par manque de tendresse, incapacité de communiquer, jalousie. Mais la douce et affectueuse Émilie fait oublier à Tête Blanche sa mère lointaine et indifférente, qui rêve avant tout d'une carrière d'actrice.

Le roman traite aussi du bien, du mal, de la fatalité et des crises de l'adolescence sur un mode moins purement tragique que “La belle bête”, et gagne en subtilité, en doigté et en variété ce qu'il perd en violence et en énergie cinétique. Les personnages d'adultes, surtout celui du professeur Brenner, s'y trouvent moins sacrifiés et la «vision» du narrateur omnipuissant y cède un peu la place à celles des protagonistes Tête Blanche, sa mère, Émilie et, bien sûr, Monsieur Brenner. Cette différence s'appuie sur une exploration technique attentive aux nuances du sentiment, aux changements d'atmosphère, et soucieuse de mettre à profit différents moyens classiques d'expression de la «réalité» intérieure : lettre et journal. Malgré cette délégation de points de vue, le personnage de Tête Blanche n'a aucun mal à s'imposer puisqu'il est constamment question de lui et que son langage dans ses lettres ou son journal partage au plus près les investissements affectifs et esthétiques du narrateur directement à l'œuvre dans les première et cinquième parties et dans l'épilogue.

La critique s'est montrée à la fois attirée et repoussée par le roman. Le frère Clément Lockquell ressentit un «plaisir trop souvent mêlé d'agacement». Il apprécia la «création d'une atmosphère poétique qui rappelle celle du “Grand Meaulnes”», «l'innocence foncière et l'isolement de Tête Blanche qui nous attendrissent au point qu'on veut oublier qu'il parle comme un adulte» ; mais, après un coup de chapeau à la morale, il dénonça le «sadisme trop littéraire», la «fausseté du ton», le style «successivement recherché et négligé», la «volonté trop appliquée d'originalité», la «vibration sentimentale».

Jean Paré déclara lui aussi “Tête Blanche” inégal. «Le malaise vient de ce que ces bambins de douze ans exposent la douleur humaine, le malheur de vivre et les autres morceaux multicolores d'une petite philosophie de plastique avec la sérénité radotante d'un père de l'Église qui serait devenu gâteux.» Il suggérait d'émonder une «abondance qui se détruit elle-même» car il voyait dans le roman «les éléments de plusieurs œuvres» et concéda à peine que «l’emploi de correspondances pour étudier l'enfance solitaire d’Évans aurait pu être habile».

Le jésuite Joseph D'Anjou fulmina : «Mieux écrit que “La belle bête”, ce court journal à plusieurs voix contient aussi quelques idées. L'une, implicite, est fort juste : le foyer disloqué traumatise les enfants. Les autres explicitent des bobards que l'auteur paraît prendre à son compte : inutilité de la prière, mythe du péché, donc de l'expiation après la mort. Quelle notion de la liberté insinuent de telles sornettes, on le devine aisément. Dommage. Purgé de son goût de l'insolite et de la confusion, facilités chères aux débutants et aux adolescents morbides, le talent de l'auteur pourrait un jour produire de vrais romans.»

Georges Dufresne, dont l’idéologie réformiste était généralement favorable à Marie-Claire Blais et défavorable à l'”establishment” clérical ou traditionaliste qui la critique, se demanda néanmoins si elle «n'a pas cédé [...] à une tentation de faiblesse, à un besoin de communiquer» ; il eut «l'impression que pour le moment la forme du roman est une contrainte où son génie réussit à passer mais avec une certaine maladresse». Il lui conseillait plutôt la poésie. «On lui reproche de nombreuses naïvetés et de graves fautes de psychologie et de technique. Certaines de ces critiques sont fondées, mais on oublie trop que Marie-Claire Blais a créé des personnages parmi les plus forts et les plus attachants de la littérature québécoise. Quant à son style, les faiblesses flagrantes en sont compensées par l'audace et la somptuosité des images, par l'originalité et la puissance du monde mythique dont il est le langage. Marie-Claire Blais est notre premier visionnaire presque pur, notre premier écorché vif qui se soit délivré de sa peau assez tôt, avant que les poisons ne la débilitent.»

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En 1961, Marie-Claire Blais passa quelques mois maussades à Paris où elle écrivit :

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1962

Le jour est noir


Roman de 110 pages
Les couples formés de Josué et de Yance, de Raphaël et de Marie-Christine, se font et se défont aussi au gré des caprices et des humeurs de chacun et, surtout, au fur et à mesure que la vie toujours aussi impitoyable et noire, parvient à drainer les énergies et les espoirs des uns et des autres. Josué qui fait un enfant à Yance la quitte en lui disant placidement cette phrase étrange : «Ce qu’il me faut, c’est l’illusion obéissante comme un paysage qui invente ses formes chaque jour ; ce qu’il me faut, c’est le compagnon voyageur de mon âme.» L’amour a l’odeur de la mort et les amants se quittent. Les héros masculins meurent effectivement, ainsi que les enfants des couples désunis. Les femmes, elles, collées à une angoisse et à un mal de vivre incurables, deviennent la proie d’une mélancolie sans nom.
Commentaire
La substance romanesque est mince dans ce très bref roman qui ne serait qu’histoires d’amour ratées s’il n’y avait un frémissement poétique, flou et immatériel, qui tient de l'incantation verbale. C’est un long fantasme, parfois dément, parfois vrai. Si le passage de l’enfance à l’adolescence est difficile, celui de l’adolescence à l’âge adulte paraît impossible. Les personnages tentent désespérément de devenir adultes sans trahir leur innocence et leurs désirs. Il en résulte des souffrances et une lente dévastation car la tendance est nette au sadomasochisme, à l’idée que souffrir devient un devoir de l’élite dans un monde insensible. Mais il en résulte surtout un cri de révolte qui est peut-être ce que la vie peut donner de plus précieux. Le roman creuse en profondeur le sens de l'amour et de la jeunesse, de la mort et de la vie, avec la plus subtile des analyses. Comment la passion, dès la prime jeunesse, s'insinue aux cœurs et aux corps des êtres et les possède, comment la vie lie et délie, l'enfantement et la mort, Marie-Claire Blais le dit avec une sensibilité ouverte aux plus petits mouvements de l'âme et de la chair. Certaines pages sur l'amour et la maternité sont émouvantes de vérité. Bien que très jeune, elle sut éviter l'eau de rose et le noir mélodrame.

Le style est d’une complexité aussi grande que celle qui habite l’âme des personnages. De multiples voix narratives virent sans cesse de la narration extérieure au monologue intérieur le plus pur. À la façon des symbolistes, de Maeterlinck en particulier, Marie-Claire Blais évoqua un univers où se mêlent inextricablement le rêve et la réalité, les bruits de la nature et le murmure de l'âme. De vives lumières éclairent parfois les songes affreux qu'elle évoque. Ses personnages fantomatiques se débattent maladroitement dans une atmosphère de cauchemar.

Après le succès de ses deux premiers romans, Marie-Claire Blais dut, à l’occasion de celui-ci, affronter une critique plus sévère, plus sceptique aussi devant son sens véritable. On lui reprocha l’incohérence des sentiments, son trop grand pessimisme.

Le roman fut traduit en anglais sous le titre “The day is dark” (1967).

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De retour à Montréal, Marie-Claire Blais rencontra le critique américain Edmund Wilson, qui la fit connaître au public américain.

Elle publia :

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1962


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