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Vous venez de télécharger la première Partie des mémoires de guerre de Edmond tondelier


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26 avril - Le matin, je vais à la visite médicale en vue d’une vaccination antityphoïdique. Je me borne à dire que j’ai fait la typhoïde à douze ans. Un homme qui est là me raconte son histoire. Elle vaut d’être notée. Envoyé de Pontault à l’hôpital Beghin à Vincennes le 11 octobre pour une fluxion dentaire, il subit l’extraction de huit dents en deux fois ; après quelques jours de séjour, il se remet de cette opération, quand arrive l’ordre d’évacuer de l’hôpital les blessés qui peuvent marcher. Sans se rendre compte de son cas, ni de sa demande (il demandait à passer quelques jours chez lui à Paris et à repartir à Pontault), on l’expédie en taxi avec les autres blessés à la gare Montparnasse, on les fait monter dans un train qui part à Cherbourg ; là, après discussions entre les autorités médicales et militaires, le manque de place les fait évacuer vers Guingamp. Nouveau conciliabule et on décide de le réexpédier avec les blessés à Lorient ; mais la bourse de notre homme étant assez plate, il réclame plus bruyamment, et on décide enfin de le renvoyer à Vincennes.

Le voyage avait duré dix-sept jours.


Un autre me dit avoir vu un ordre de mobilisation qui prescrivait à un homme de Savigny (Loir-et-Cher) de se rendre à Nancy à pied. Ce n’était pas une erreur de scribe car le dit ordre prévoyait un voyage de vingt-sept jours avec étape de vingt-quatre à trente kilomètres, avec repos tous les cinq jours, indemnités de vivres,
etc. Que penser d’une telle énormité ?
Je change de chambre, du numéro 13 au 19 sur le devant, où le point de vue sera plus joli.

27 avril - J’expédie ma nouvelle adresse à mes correspondants de guerre et je fais quelques lettres. Je fais connaissance avec les collègues et convives du mess. Le séjour ne sera pas gai, je suis condamné à prendre l’apéritif avant le repas.
La conversation est pauvre. Je suis ensablé ; si je pouvais ne pas penser !
Le communiqué d’aujourd’hui annonce une offensive allemande vigoureuse sur tous les points, et particulièrement dans la région d’Ypres. Que nous réserve l’avenir et les jours qui vont suivre ? Va-t-on encore perdre un mois ou plus ?

28 avril - J’ai reçu différentes lettres, dont une d’André. Il s’attend à partir d’un jour à l’autre au front. Très résolu, il n’a rien fait pour partir, se conformant en cela aux conseils que je lui avais donnés, mais il est enchanté de quitter Lamballe où il est actuellement. Je souhaite, pour ses parents, qu’il reste à Lamballe chargé de l’instruction de la classe 16. Pierre Lemaire, qui est à Troyes, m’écrit sa réception à Paul Hubert et me conseille lui aussi de ne rien faire pour partir, il s’en va prochainement dans le midi se remettre de sa fatigue. De mon côté, je passe des après-midi entières à flâner dans la salle à manger du château transformée en bureau : quelques lettres, un communiqué à recopier pendant que les autres scribes et le planton jouent au sou dans le jardin ; je m’ennuie ! Il y aurait beaucoup à dire et à écrire sur mon entourage ! A quoi bon ?
Des aviateurs anglais ont bombardé la gare de Roubaix Tourcoing le 26. Je tremble pour les miens. Que deviennent-ils ? Que font-ils ? On annonce dans Le Temps l’évacuation de trois cent mille habitants. Que décideront-ils ? Si je pouvais vieillir plus vite.

29 avril - Je demande un permission pour aller demain à Paris toucher mon mois. Si je pouvais le faire parvenir à Mouvaux. Cette offensive me préoccupe beaucoup. Aboutira-t-elle à un résultat appréciable ? La résistance des miens doit être à bout. Que deviennent, que font les enfants ? Edmond va-t-il en classe ? Travaille-t-il ? Suzanne avance-t-elle dans sa préparation ? Et Jehan, a-t-il encore des maîtres ? Rien, pas un mot qui viendra m’apporter l’espérance, pas un mot qui me dira si tous sont encore en vie.

2 mai - J’ai obtenu ma permission et ai passé la journée de vendredi et de samedi à Paris. Démaretz me donne quelques nouvelles. Les canadiens ont reculé entre Ypres et la mer et les allemands, ayant amené de grosses pièces, bombardent Dunkerque qu’on évacue. C’est inquiétant.
Je vais toucher mon mois au lycée Montaigne et passe la soirée avec Démaretz passage Bertoux, puis je vais me coucher au Nouvel Hôtel, rue Myrha. Monsieur Dewez, qui s’est chargé de me faire parvenir une lettre à Lille vers le 10 mars, n’a encore rien reçu pour moi.

Je fais quelques emplettes. Le journal m’apprend la mort de Bianconi, tué dans l’Argonne. Le Bulletin de l’Enseignement est douloureux à lire, et tous les tués et blessés du Nord manquent. Quelle effroyable hécatombe !

Au retour, je passe par Nogent où je vois quelques anciens de la Maternelle. Je n’apprends rien de bien intéressant, sauf le prochain départ d’un détachement de trente cinq hommes et deux sous-officiers pour Pontault. Je vais faire une visite à mes anciens propriétaires qui me reçoivent fort aimablement.
Le soir, je rentre à Pontault et je profite au retour de l’auto de Coinont. Rien de bien intéressant ne s’est passé en mon absence. Je reprends mon service par la manille du soir.
Aujourd'hui dimanche, je travaille la matinée au bureau à l’expédition des affaires courantes et l’après-midi, on cause de la guerre, naturellement. Puis, les autres jouent au rami sous les yeux du commandant, pendant que j’écris une note.

J’ai reçu une lettre de Weill qui me donne un moyen d’écrire à Lille, de Colson, d’André, d’Evelina qui voudrait que je lui prédise la fin de la guerre. André m’annonce qu’il est désigné pour un bataillon de marche et s’attend à partir dans une dizaine de jours au camp de Mailly. Je vais essayer, une fois de plus, de faire parvenir une lettre à Mouvaux.


Une réminiscence du passé : il y a trente-cinq ans, je faisais ma première communion à Solesnes.

4 mai - Journée de travail au bureau, choses peu intéressantes. Dossiers d’entretien réclamant C.G.T. dédit. Le soir, parties de cartes et conversations. Prouesses des militaires dans la région (two yards and commandant). Comment on se débarrasse of a husband. Un commandant d’Emérainville est venu dans la journée ; il pense que tous les travaux autour de Paris seront abandonnés prochainement, et on irait en recommencer d’autres beaucoup plus loin, toujours pour la défense de Paris. Belle perspective !

J’écris à Madame Taisne, pour lui demander si elle ne connaît pas un moyen de correspondre avec le Nord. Je lui explique mon long silence car j’étais allé chez elle au commencement de janvier et n’avait plus donné de mes nouvelles. Un collègue attrape un lièvre au collet. Ce sera le dîner du commandant demain !



5 mai - Je reçois une carte de Lemaire, en même temps qu’une autre que je lui avais écrite en mars et qui ne l’a pas atteint sur le front. Je lui écris à Biarritz.

Au déjeuner, je vais visiter les tranchées creusées au château de Pontillaud et les abris près de la route. C’est très curieux et fort bien fait. Le travail ne sera pas utilisé heureusement. La journée entière se passera à ne rien faire car le commandant est absent. Je lis et tue le temps comme je peux. Ma vie est ici tellement vide que je n’arrive pas à détacher ma pensée de ma famille. De ce qui se dégage des journaux anglais, malgré la brièveté des communiqués, je crois qu’il y a actuellement une bataille à Armentières, Houpline. Ou bien on nous prépare à la destruction de ces deux villes.

Un collègue ici m’avait dit qu’il me procurerait des adresses pour écrire en Hollande. Il me les a données aujourd’hui, je les ai utilisées il y a trois mois sans succès.

Nous voici au 5 mai. J’ai reçu le 5 octobre la dernière et unique lettre de Mouvaux. Sept mois de privations ou, plus exactement, de souffrances morales ; et rien ne permet de supposer que ces souffrances prendront fin prochainement. Aurai-je la force de résister encore longtemps à ce supplice ?



7 mai - Démaretz m’a écrit et il a su par un correspondant que sa famille était en bonne santé. Weill m’écrit pour me donner une adresse à Paris d’un monsieur de Lille qui a pu recevoir des nouvelles. J’ai écrit à l’adresse indiquée et j’ai appris par lui que des renseignements obtenus auprès de trois personnes de Mouvaux, qu'il n’y avait aucun dégâts, que la vie y était presque normale pour les personnes ayant des ressources. Mais tout cela ne me donne pas un mot de précisions concernant la famille. Je dois être à peu près seul dans mon cas car tous ceux que je connais savent quelque chose des leurs. Que faut-il faire et à quel saint faut-il se vouer pour obtenir ce que d’autres ont obtenu ? Il ne me paraît pas possible qu’aucune de mes lettres ne soit point parvenue. Enfin, le proviseur a sûrement été avisé de mon séjour au lycée Montaigne. J’ai écris en Hollande, en Angleterre, en Suisse, et toujours rien. Ma journée du 6 a été bien remplie. J’ai eu à peine le temps de faire une promenade de quarante minutes le soir.

J’ai un nouveau partner à la manille, le lieutenant Nourrit, ingénieur à la Compagnie du Nord.


Les communiqués sont toujours aussi vides. Aujourd’hui, Rien à signaler le matin, Violents combats le soir. D’après le commandant, il faudrait s’attendre à partir pour le 15 juin, date à laquelle les travaux doivent être terminés. On s’attend ici à une guerre interminable dont on ne peut prévoir à six mois près la conclusion. Où irai-je le 15 juin ? Encore un saut dans l’inconnu.

9 mai - Dimanche - La journée d’hier s’est passée sans incident notable, c’était samedi. Les heureux permissionnaires ont passé leur dimanche en famille à Paris. Un collègue brigadier, instituteur à Paris, fait venir sa femme qui dîne avec nous. On parle beaucoup du Lusitania torpillé malgré ses neuf cents passagers et chacun renchérit à table sur les dires du voisin. Je fais une promenade à la Garenne en Brie, petit village de Seine-et-Oise, à deux kilomètres de Pontault, avec Schwab, dessinateur au bureau. J’apprécie beaucoup la campagne qui verdit, les bois qui prennent des couleurs variées. Tout cela serait très beau pendant la paix.
Aujourd’hui, nous avons eu revue en tenue de draps. A l’issue de la revue, on se fait photographier individuellement. Le capitaine nous offre l’apéritif, et on nous annonce au café l’arrivée du détachement de trente cinq hommes, annoncé depuis plusieurs jours. Ce sont deux sous-officiers de la Maternelle de Nogent qui le commandent, Mauduit et Dumont.
Je retrouve dans ce détachement deux roubaisiens et un cultivateur de Mouvaux qui me reconnaît très bien, Liervard, qui habite dans la rue Mirabeau, je crois ; tous trois sont bien heureux de trouver un compatriote. Et je fais des constatations intéressantes sur le caractère des hommes. Les parisiens arrivent en guignant, en récriminant, les gars du Nord ne disent rien mais se mettent en quête pour se débrouiller, disent ce qu’ils peuvent faire, le cas échéant, conduire la voiture, les autos, faire un service d’ordonnance, etc … ils cherchent, en un mot, à s’adapter aux circonstances et au mieux de leurs intérêts.

Sergiez du Mongy m’écrit, il me donne de Dunkerque quelques précisions sur Mouvaux. Quand aurai-je des nouvelles de la maison ?


On me raconte un fait qui s’est passé ici et dont je vois le héros (?).
Un sous-officier, Meunier, fait une chute et se fracture le péroné. Il est couché chez son logeur. Le major vient à Pontault. Sur ces entrefaites, on lui dit qu’un sous-officier a une entorse et on lui demande d’aller visiter le blessé qui ne peut se déplacer. Le major répond par une grossièreté et refuse de se déplacer. S’il ne peut pas venir à la visite, qu’il se gratte le …

Un autre major vient quelques jours plus tard. On insiste auprès de lui pour le décider à aller voir le blessé qui ne peut marcher. Plus humain, il y consent, voit le malade, constate la fracture et fait un pansement sommaire, puis s’en va prévenir le premier major qu’il informe de la gravité de la fracture. En même temps, il lui dit qu’on prépare un rapport au général sur son premier refus. Le dit major accourt, formule son diagnostic et fait évacuer le blessé sur un hôpital (Saint-Maurice), d’où il vient de sortir après un stage de soixante deux jours. Moralité! Je me garderai de la formuler ici, le moment n’est pas encore venu.



10 mai - Un petit fait me reporte invinciblement à Mouvaux. Un essaim d’abeilles est venu se poser sur une des fenêtres du château, je vais le voir se former peu à peu. Moi aussi j’avais des abeilles. Ont-elles survécu ? Que fera-t-on s’il y a un essaim ?

Le commandant dit qu’une action énergique se prépare ou serait même tentée actuellement contre Lille. Est-ce vrai ? Et si c’est vrai, aboutira-t-elle ? Le communiqué de ce matin était assez bon. Prise de Neuville, Saint-Waast et de la Targette. La châtelaine est venue visiter son château. Va-t-elle nous faire déguerpir ?



12 mai - Hier, après une journée passée à gratter du papier, Schwab me propose d’aller à Ozoir-la-Ferrière en bicyclette. J’accepte et nous partons vers cinq heures et quart. Nous allons d’abord dans la forêt cueillir un gros bouquet de muguet des bois qu’on trouve en quantité considérable dans la région, puis, nous partons à Ozoir. Promenade très jolie au cours de laquelle j’entrevois des travaux dont j’entends parler chaque jour au bureau. Fort sud et nord, batterie, tranchée, Maison Blanche, Bois de l'Érable, Château des Agneaux, etc, etc … Au retour, pendant le souper, on vient nous préciser qu’un Zeppelin est signalé. Je rentre au château et, on joue à la manille jusqu’à onze heures. J’écris aujourd’hui à Barker pour lui demander d’envoyer la lettre que je lui avais expédiée il y a quinze jours, en Hollande à Génétello ; encore un essai qui aura probablement le sort des autres.
Le communiqué d’hier et celui de ce soir indiquent un action très vive du côté de Mont Saint-Eloi, Neuville, Saint-Waast, gare! Oeleung et Bois Bernard. L’action est aussi très vive vers Ypres. Est-ce l’aurore de la libération ?

13 mai - Jour de l’Ascension - Je reçois enfin par Monsieur Dewez une lettre de Virginie destinée à André, mais rédigée pour nous deux. Enfin! j’ai des nouvelles précises (du 11 avril). Toute la famille est en bonne santé. Quelle joie! Pourvu que cela continue. Papa et maman ont passé un bon hiver.
D’autre part, Démaretz m’écrit pour me dire qu’il a reçu une lettre de sa femme ; elle confirme ce que je sais de la famille et me fait espérer prochainement une lettre d’Amante. Je crois que maintenant je saurai attendre avec un peu plus de patience car je n’aurai plus ces sept mois et demi d’inconnu.
Deux nouveaux sous-officiers arrivent au détachement. Je passe ma journée au bureau à écrire des lettres pour annoncer la bonne nouvelle que j’ai reçu. A cinq heures arrive le communiqué qui donne des détails importants sur une grande bataille qui vient d’être livrée à Carency-Souchy. C’est une victoire.

Va-t-elle faire reculer sensiblement les boches ?



17 mai - Je rentre d’une permission de quarante-huit heures à Paris, où je suis allé annoncer à ma tante et aux amis les bonnes nouvelles que j’avais reçues. Je vais chez Boucher, et le lendemain dimanche je passe la journée avec Démaretz et Marotin. Nous allons ensemble au Trocadéro où j’entends une conférence de Monsieur Henri Robert et de Demblon, député de Liège. Noté chante la Marseillaise et la garde Républicaine joue quelques morceaux.
Puis, je vais à la gare du Nord où j’ai donné rendez-vous à Lemaire. Il va repartir au dépôt, puis au front. Il nous raconte sa vie aux tranchées de Mesnil-les-Hurlus. C’est effroyable. Je vois toujours là des gens du Nord. Troupeau moutonnier en quête de nouvelles où fréquemment circulent des renseignements sûrs que les journaux infirment deux jours après.

L’Italie semble enfin se décider, et je crois bien que pour la fin du mois, elle entrera dans la danse.



André m’écrit aujourd’hui pour me remettre une lettre à l’adresse des siens. Espérons qu’elle mette autant de jours que les précédentes, que les anglais nous ouvriront avant les portes de Lille. Je vais en envoyer une également.
Le soir, je vois un originaire du Nord qui me parle longuement de la région. Au mess, nous buvons une bouteille pour fêter les nouvelles que j’ai reçues de ma famille.

18 mai - Les nouvelles, communiqués et dépêches de journaux, annoncent toujours une offensive énergique, mais toujours rien vers Lille.
carnet II
19 mai 1915 - Pontault est une petite commune située à neuf kilomètres de Champigny, à six kilomètres d’Ozoir-la-Ferrière et à trois kilomètres deux cent de la gare d’Emérainville-Pontault, sur la ligne de Belfort. La commune comprend deux agglomérations, Pontault et Combault, distantes de dix-huit cent mètres. La première est traversée par un petit ruisseau, le Morbras, dans le genre de ruisseau de Richemont, où les moulins sont remplacés par des lavoirs.
Le nain vert Oberon jouant au bord des flots sauterait par-dessus sans mouiller ses grelots. Les habitations sont groupées autour de la place, adossée elle-même à des prairies et des bois qui entourent un château appartenant à Madame Coppeau.
A deux kilomètres, se trouve la Queue-en-Brie, village de Seine-et-Oise, où l’on trouve quelques châteaux, dont un appartenant à G. Obnet et une vieille église bien endommagée par un curé qui a voulu l’embellir. Le château de Pontault est une belle propriété avec points de vue assez jolis entre des bouquets de bois peuplés de gibier, faisans, lièvres, lapins, perdrix, etc …dont les artilleurs ont apprécié depuis longtemps la qualité.
Le bureau du Génie est installé dans la salle à manger, d’où l’on a une vue superbe sur le parc. Sont logés dans le château le Commandant du Génie, un lieutenant d’Artillerie du Quatrième, ingénieur de la Compagnie du Nord, un sergent du Génie et moi-même. Dans les communs, les soldats, ordonnances et les plantons cyclistes. La surveillance de la propriété reste confiée à la femme du jardinier - concierge, qui est lui-même mobilisé à Orléans. La propriétaire habite Paris. Nous nous demandons quelquefois si elle nous laissera dans son château jusqu’à la fin de la guerre où même jusqu’à la fin de notre séjour à Pontault.
Le village est mort. On rencontre de temps en temps un militaire, quelques femmes ou enfants, les hommes sont aux armées. Deux fois par jour, à dix heures et demi et à dix-neuf heures, la diligence qui va d’Emérainville à Lésigny, traverse l’agglomération et s’arrête sur la place. C’est le seul fait qui nous rattache à la vie extérieure.
La plaine est assez jolie l’été, car elle est coupée de nombreux bosquets, bois, fermes et châteaux. A six kilomètres se trouve Ozoir, à deux kilomètres et demi, Roissy, château Pathé, à Combault, un château délabré qui a appartenu à la Maréchale Lefebvre (Madame Sans Gêne). Une vue de Pontault sur le petit chemin de La-Queue-en-Brie est particulièrement jolie.

Je prends pension avec les autres sous-officiers chez un particulier qui loue son matériel et sa salle à manger. Il est extrêmement difficile d’y causer de sujets sérieux pour différentes raisons. La contradiction prend une forme agressive ou bien la conversation dévie et dégénère en querelle d’ordre politique.

Le soir, nous prenons avant le dîner l’apéritif dans l’arrière-boutique d’un bistro épicier et on joue une partie de manille. Le dîner se prolonge souvent jusque huit heures et demi en conversation peu intéressantes et sur des sujets peu élevés.
21 mai - Depuis quatre jours, les communiqués sont muets ; le mauvais temps serait cause du ralentissement dans les opérations ; en fait, je crois qu’on s’organise et qu’on se repose après le gros effort de Careney-Souchy. Les russes reculent et l’ennemi bombarde Prozenysl. Les journaux de ce matin donnent la déclaration de Monsieur Salandra à l’ouverture du Parlement italien, et le Livre vert publié. Il apparaît que l’Italie ne peut manquer d’entrer dans la danse dans quelques jours. Que feront la Roumanie et la Grèce ?
J’attends toujours des nouvelles que me faisaient espérer la lettre de Madame Démaretz. Par quelle voie m’arriveront ces lettres, si elles m’arrivent ?

Hier, après avoir expédié quelques broutilles, nous avons bavardé, joué aux cartes, conté des histoires. Reçu une carte de Lefebvre. Il s’ennuie à Dunkerque et ne trouve rien à lire. Il me donne quelques détails sur le bombardement.


22 mai - Un ingénieur, dessinateur au bureau, m’invite à déjeuner avec lui ; il a sa femme et loue deux chambres où il fait son ménage et habite. Je reviens au bureau à une heure et quart et, vers deux heures, nous voyons passer au-dessus du château un dirigeable français à quatre hélices, le Commandant Coutelle. C’est très impressionnant de voir évoluer dans l’air cette masse énorme à belle vitesse. J’apprends d’autre part, de source privée, qu’il y a sous roche quelques anguilles peu comestibles. Nous pourrions bien quitter Pontault dans un délai assez rapproché. Si seulement on avait sur notre future destination quelque indication précise. Mais non ! c’est un nouveau saut dans l’inconnu. Monsieur Dewez me retourne la lettre d’André trop volumineuse. Je la renvoie à André et lui expédie un petit mandat pour arroser les galons de caporal qu’on vient de coudre sur sa manche. Un banquier, scribe au bureau, me rapporte une conversation intéressante. Sa femme tient d’un sénateur qui a eu une conversation avec le généralissime le renseignement suivant : “La guerre se terminera prochainement à la faveur d’événements et de fait imprévus jusqu’ici” !!!
Au cours d’une promenade solitaire dans la campagne, je m’assieds sur les bords du Morbras dans une prairie toute fleurie de sainfoin, de trèfle incarnat et j’ai autour de moi des milliers de musiciens : grillons, bourdons, abeilles, sans compter les innombrables oiseaux qui chantent leurs derniers couplets pendant que le soleil descend lentement sur Champigny. Toutes ces abeilles semblent me demander des nouvelles de leurs sœurs de Mouvaux, si privées de fleurs mellifères, qu’on trouve ici en abondance. Le canon de Vincennes me rappelle que l’heure n’est pas aux bucoliques et si je pense aux abeilles, c’est pour arriver quand même et toujours à ceux qui sont restés près d’elles. Pauvres prisonniers qui, depuis huit mois, entendent le canon, n’ont pas encore vu les libérateurs et se demandent comme moi combien durera cette séparation inhumaine.
23 mai - Dimanche, jour de la Pentecôte - Nous sommes quatre au mess ; tous les autres se sont envolés vers Paris pour passer la journée en famille. Je reste au château. L’après-midi, je vais à La-Queue-en-Brie en auto faire une partie de billard avec Léger, le sergent du Génie, et nous revenons vers cinq heures, car le commandant doit partir avec Léger dîner à Ozoir. Je vais me promener dans les champs et, assis sur une borne de la route Combault, j’écris ces lignes où, malgré tout, perce la tristesse qui m’étreint en songeant aux jours de Pentecôte des années passées.
Le communiqué est bon, il rapporte une action très vive à La Bassée, où nous aurions remporté un succès très marqué. Cette opération nous rapprochera-t-elle de Lille ? Rien ne l’indique. On tue beaucoup d’allemands qui nous tuent beaucoup de monde, puis on y gagne quelques centaines de mètres. Cela s’appelle la guerre d’usure, mais l’usure n’est pas préjudiciable aux seuls allemands. Et nous ? Et nos civils des régions envahies ne s’usent-ils pas d’entendre le canon sans jamais voir de résultat appréciable ? Malheur sur ceux qui ont déchaîné ce fléau ! J’entends les trains qui roulent sur la ligne de Belfort des troupes fraîches vers le front. Encore des soldats, toujours des soldats.
24 mai - Je me lève avec un rhume carabiné après une mauvaise nuit où, si fiévreux, je n’ai pas cessé de m’agiter dans mon lit.
Je me mets au lait chaud. Le temps reste superbe, les avions circulent dans un air très pur. Aujourd’hui, les journaux apportent la nouvelle si attendue depuis des mois : l’Italie a enfin déclaré la guerre à l’Autriche. Sommes-nous à la veille de grands événements ? Les boches, pour restreindre leur front, vont-ils rentrer chez eux ? Si seulement le Nord était évacué !
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