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Lettre sur la manière de faire des statistiques De l’importance dont Paris est à la France


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ANNEXE 1
VAUBAN VU PAR SAINT-SIMON

Mémoires complets et authentiques du duc de Saint-Simon sur le siècle de Louis XIV et la régence, Volume 5, Paris, 1829, pp.284-292
     Patriote comme il l’était, il avait toute sa vie été touché de la misère du peuple et de toutes les vexations qu’il souffrait. La connaissance que ses emplois lui donnaient de la nécessité des dépenses, et du peu d’espérance que le roi fût pour retrancher celles de splendeur et d’amusements, le faisait gémir de ne voir point de remède à un accablement qui augmentait son poids de jour en jour.

     Dans cet esprit, il ne fit point de voyage, et il traversait souvent le royaume de tous les biais, qu’il ne prit partout des informations exactes sur la valeur et le produit des terres, sur la sorte de commerce et d’industrie des provinces et des villes, sur la nature et l’imposition des levées, sur la manière de les percevoir. Non content de ce qu’il pouvait voir et faire par lui-même il envoya secrètement partout où il ne pouvait aller, et même où il avait été et où il devait aller, pour être instruit de tout, et comparer les rapports avec ce qu’il aurait connu par lui-même. Les vingt dernières années de sa vie au moins furent employées à ces recherches auxquelles il dépensa beaucoup. Il les vérifia souvent avec toute l’exactitude et la justesse qu’il y put apporter, et il excellait en ces deux qualités. Enfin il se convainquit que les terres étaient le seul bien solide, et il se mit à travailler à un nouveau système.

     Il était bien avancé lorsqu’il parut divers petits livres du sieur de Boisguilbert, lieutenant-général au siège de Rouen, homme de beau-coup d’esprit, de détail et de travail, frère d’un conseiller au parlement de Normandie, qui, de longue main, touché des mêmes vues que Vauban , y travaillait aussi depuis longtemps. Il y avait déjà fait des pro-grès avant que le chancelier eût quitté les finances. Il vint exprès le trouver, et, comme son esprit vif avait du singulier, il lui demanda de l’écouter avec patience, et tout de suite lui dit que d’abord il le prendrait pour un fou, qu’ensuite il verrait qu’il méritait attention, et qu’à la fin il demeurerait content de son système. Pontchartrain, rebuté de tant de donneurs d’avis qui lui avaient passé par les mains, et qui était tout salpêtre, se mit à rire, lui répondit brusquement qu’il s’en tenait au premier et lui tourna le dos. Boisguilbert, revenu à Rouen, ne se rebuta point du mauvais succès de son voyage. Il n’en travailla que plus infatigablement à son projet, qui était à peu près le même que celui de Vauban, sans se connaître l’un l’autre. De ce travail naquit un livre savant et profond sur la matière, dont le système allait à une répartition exacte, à soulager le peuple de tous les frais qu’il supportait et de beaucoup d’impôts, qui faisait entrer les levées directement dans la bourse du roi, et conséquemment ruineux à l’existence des traitants, à la puissance des intendants, au souverain domaine des ministres des finances. Aussi déplut-il à tous ceux-là, autant qu’il fut applaudi de tous ceux qui n’avaient pas les mêmes intérêts. Chamillart, qui avait succédé à Pontchartrain, examina ce livre. Il en conçut de l’estime, il manda Boisguilbert deux ou trois fois à l’Etang, et y travailla avec lui à plu-sieurs reprises, en ministre dont la probité ne cherche que le bien.

     En même temps, Vauban, toujours appliqué à son ouvrage, vit celui-ci avec attention, et quelques autres du même auteur qui le sui-virent ; de là il voulut entretenir Boisguilbert. Peu attaché aux siens, mais ardent pour le soulagement des peuples, et pour le bien de l’État, il les retoucha et les perfectionna sur ceux-ci, et y mit la dernière main. Ils convenaient sur les choses principales ; mais non en tout.

     Boisguilbert voulait laisser quelques impôts sur le commerce étran-ger et sur les denrées, à la manière de Hollande, et s’attachait principa-lement à ôter les plus odieux, et surtout les frais immenses, qui, sans entrer dans les coffres du roi, ruinaient les peuples à la discrétion des traitants et de leurs employés, qui s’y enrichissaient sans mesure, com-me cela est encore aujourd’hui et n’a fait qu’augmenter, sans avoir jamais cessé depuis.

     Vauban, d’accord sur ces suppressions, passait jusqu’à celle des impôts mêmes. Il prétendait n’en laisser qu’une unique, et avec cette simplification remplir également leurs vues Communes sans tomber en aucun inconvénient. Il avait l’avantage sur Boisguilbert de tout ce qu’il avait examiné, pesé, comparé, et calculé lui-même en ses divers voyages depuis vingt ans ; de ce qu’il avait tiré du travail de ceux que dans le même esprit il avait envoyés depuis plusieurs années en diverses provinces ; toutes choses que Boisguilbert, sédentaire à Rouen, n’avait pu se proposer, et l’avantage encore de se rectifier par les lumières et les ouvrages de celui-ci, par quoi il avait raison de se flatter de le surpasser en exactitude et en justesse, base fondamentale de pareille besogne. Vauban donc abolissait toutes sortes d’impôts, auxquels il en substituait un unique, divisé en deux branches, auxquelles il donnait le nom de dîme royale, l’une sur les terres par un dixième de leur produit, l’autre léger par estimation sur le commerce et l’industrie, qu’il estimait devoir être encouragés l’un et l’autre, bien loin d’être accablés. Il pres-crivait des règles très simples, très sages et très faciles pour la levée et la perception de ces deux droits, suivant la valeur de chaque terre, et par rapport au nombre d’hommes sur lequel on peut compter avec le plus d’exactitude dans l’étendue du royaume. Il ajouta la comparaison de la répartition en usage avec celle qu’il proposait, les inconvénients de l’une et de l’autre, et réciproquement leurs avantages, et conclut par des preuves en faveur de la sienne , d’une netteté et d’une évidence à ne s’y pouvoir refuser ; aussi cet ouvrage reçut-il les applaudissements publics et l’approbation des personnes les plus capables de ces calculs et de ces comparaisons, et les plus versées en toutes ces matières qui en admi-rèrent la profondeur, la justesse, l’exactitude et la clarté.

     Mais ce livre avait un grand défaut. Il donnait à la vérité au roi plus qu’il ne tirait par les voies jusqu’alors pratiquées ; il sauvait aussi les peuples de mines et de vexations, et les enrichissait en leur laissant tout ce qui n’entrait point dans les coffres du roi à peu de chose près, mais il ruinait une armée de financiers, de commis, d’employés de toute espèce ; il les réduisait à chercher à vivre à leurs dépens, et non plus à ceux du public, et il sapait par les fondements ces fortunes immenses qu’on voit naître en si peu de temps. C’était déjà de quoi échouer.

     Mais le crime fut qu’avec cette nouvelle pratique, tombait l’autorité du contrôleur général, sa faveur, sa fortune, sa toute-puissance, et par proportion celle des intendants des provinces, de leurs secrétaires, de leurs commis, de leurs protégés qui ne pouvaient plus faire valoir leur capacité et leur industrie, leurs lumières et leur crédit, et qui de plus tombaient du même coup dans l’impuissance de faire du bien ou du mal à personne. Il n’est donc pas surprenant que tant de gens si puis-sants en tout genre à qui ce livre arrachait tout des mains ne cons-pirassent contre un système si utile à l’État, si heureux pour le roi, si avantageux aux peuples du royaume, mais si ruineux pour eux. La robe entière en rugit pour son intérêt. Elle est la modératrice des impôts par les places qui en regardent toutes les sortes d’administration, et qui lui sont affectées privativement à tous autres, et elle se le croit en corps avec plus d’éclat par la nécessité de l’enregistrement des édits bursaux.

     Les liens du sang fascinèrent les yeux aux deux gendres de M. Colbert, de l’esprit et du gouvernement duquel ce livre s’écartait fort, et ils furent trompés par les raisonnements vifs et captieux de Desmarets, dans la capacité duquel ils avaient toute confiance, comme au disciple unique de Colbert son oncle qui l’avait élevé et instruit. Chamillart si doux, si amoureux du bien, et qui n’avait pas, comme on l’a vu, négligé de travailler avec Boisguilbert, tomba sous la même séduction de Desmarets. Le chancelier, qui se sentait toujours d’avoir été, quoique malgré lui, contrôleur général des finances, s’emporta ; en un mot, il n’y élit que les impuissants et les désintéressés pour Vauban et Bois-guilbert, je veux dire l’église et la noblesse ; car pour les peuples qui y gagnaient tout, ils ignorèrent qu’ils avaient touché à leur salut que les bons bourgeois seuls déplorèrent.

     Ce ne fut donc pas merveille si le roi prévenu et investi de la sorte reçut très mal le maréchal de Vauban lorsqu’il lui présenta son livre, qui s’adressait à lui dans tout le contenu de l’ouvrage. On peut juger si les ministres à qui il le présenta lui firent un meilleur accueil. De ce moment, ses services, sa capacité militaire unique en son genre, ses vertus , l’affection que le roi y avait mise, jusqu’à croire se couronner de lauriers en l’élevant, tout disparut à l’instant à ses yeux. Il ne vit plus en lui qu’un insensé pour l’amour du public, et qu’un criminel qui attentait à l’autorité de ses ministres, par conséquent à la sienne. Il s’en expliqua de la sorte sans ménagement.

     L’écho en retentit plus aigrement encore dans toute la nation of-fensée, qui abusa sans aucun ménagement de sa victoire ; et le malheu-reux maréchal, porté dans tous les cœurs français, ne put survivre aux bonnes grâces de son maître pour qui il avait tout fait. Il mourut peu de mois après, ne voyant plus personne, consumé de douleur et d’une affliction que rien ne put adoucir, et à la quelle le roi fut insensible, jusqu’à ne pas faire semblant de s’apercevoir qu’il eût perdu un serviteur si utile et si illustre. Il n’en fut pas moins célébré par toute l’Europe, et par les ennemis mêmes, ni moins regretté en France de tout ce qui n’était pas financier ou suppôt de financier.
     Boisguilbert, que cet évènement aurait dû rendre sage, ne put se contenir. Une des choses que Chamillart lui avait le plus fortement objectées était la difficulté de faire des changements au milieu d’une forte guerre. Il publia donc un livre fort court, par lequel il démontra que M. de Sully, convaincu du désordre des finances que Henri IV lui avait commises, en avait changé tout l’ordre au milieu d’une guerre, autant ou plus fâcheuse que celle dans laquelle on se trouvait engagé, et en était venu à bout avec un grand succès ; puis, s’échappant sur la fausseté de cette excuse par une tirade de : Faut-il attendre la paix pour..., il étala avec tant de feu et d’évidence un si grand nombre d’abus, sous lesquels il était impossible de ne succomber pas, qu’il acheva d’entrer les ministres déjà si piqués de la comparaison du duc de Sully et si impatiens d’entendre renouveler le nom d’un grand seigneur.qui en a plus su en finances que toute la robe et la plume.

     La vengeance ne tarda pas. Boisguilbert fut exilé au fond de l’Auvergne. Tout son petit bien consistait en sa charge ; cessant de la faire, il tarissait. La Vrillière, qui avait la Normandie dans son départe-ment, avait expédié la lettre de cachet. Il l’en fit avertir, et la suspendit quelques jours comme il put. Boisguilbert en fut peu ému, plus sensible peut-être à l’honneur de l’exil pour avoir travaillé sans crainte au bien et au bonheur public qu’à ce qu’il lui en allait coûter. Sa famille en fut plus alarmée et s’empressa à parer le coup. La Vrillière, de lui-même, s’em-ploya avec générosité. Il obtint qu’il fit le voyage ; seulement pour obéir à un ordre émané qui ne se pouvait plus retenir, et qu’aussitôt après qu’on serait informé de son arrivée au lieu prescrit, il serait rappelé. ll fallut donc partir ; la Vrillière, averti de son arrivée, ne douta pas que le roi ne fût content, et voulut en prendre l’ordre pour son retour, mais la réponse fut que Chamillart ne l’était pas encore.

     J’avais fort connu les deux frères Boisguilbert, lors de ce procès qui me fit aller à Rouen et que j’y gagnai, comme je l’ai dit en son temps. Je parlai donc à Chamillart ; ce fut inutilement : on le tint là deux mois, au bout desquels enfin j’obtins son retour. Mais ce ne fut pas tout. Bois-guilbert mandé, en revenant, essuya une dure mercuriale, et pour le mortifier de tous points fut renvoyé à Rouen suspendu de ses fonc-tions, ce qui toutefois ne dura guère. Il en fut amplement dédommagé par la foule de peuple et les acclamations avec lesquelles il fut reçu.

     Disons tout, et rendons justice à la droiture et aux bonnes in-tentions de Chamillart. Malgré sa colère, il voulut faire un essai de ces nouveaux moyens. Il choisit pour cela une élection près de Chartres, dans l’intendance d’Orléans qu’avait Bouville. Ce Bouville, qui est mort conseiller d’état, avait épousé la sœur de Desmarets. Bullion avait là une terre où sa femme fit soulager ses fermiers. Cela fit échouer toute l’opé-ration si entièrement dépendante d’une répartition également et exacte-ment proportionnelle. Il en résulta de plus que ce que Chamillart avait fait à bon dessein se tourna en poison, et donna de nouvelles forces aux ennemis du système.

     Il fut donc abandonné, mais on n’oublia pas l’éveil qu’il donna de la dîme; et quelque temps après, au lieu de s’en contenter pour tout impôt suivant le système du maréchal de Vauban, on l’imposa sur tous les biens de tout genre en sus de tous les autres impôts ; on l’a renouvelée en toute occasion de guerre ; et même en paix le roi l’a toujours retenue sur tous les appointements, les gages et les pensions. Voilà comment il se faut garder en France des plus justes et des plus utiles intentions, et comment on tarit toute source de bien. Qui aurait dit au maréchal de Vauban que tous ses travaux pour le soulagement de tout ce qui habite la France auraient uniquement servi et abouti à un nouvel impôt de surcroît, plus dur, plus permanent et plus cher que tous les autres ? C’est une terrible leçon pour arrêter les meilleures propositions en fait d’impôts et de finances.










Éloge de M. de Vauban

par Fontenelle

     Sébastien Le Prestre, chevalier, seigneur de Vauban, Basoches, Pierre-pertuis, Poüilly, Cervon, la Chaume, Epyry, le Creuset et autres lieux, Maréchal de France, Chevalier des Ordres du Roi, Commissaire général des Fortifications, Grand-Croix de l’Ordre de S. Louis et Gouverneur de la Citadelle de Lille, naquit le 1er jour de Mai 1633 d’Urbain le Prêtre et d’Aimée de Carmagnol. Sa famille est d’une bonne noblesse du Nivernais et elle possède la Seigneurie de Vauban depuis plus de 250 ans.

     Son père, qui n’était qu’un Cadet, et qui de plus s’était ruiné dans le service, ne lui laissa qu’une bonne éducation, et un Mousquet. À l’âge de 17 ans, c’est à dire en 1651, il entra dans le Régiment de Condé, Compagnie d’Arcenai. Alors feu M. le Prince était dans le parti des Espagnols. Les premières places fortifiées qu’il vit le firent Ingénieur, par l’envie qu’elles lui donnèrent de le devenir. Il se mit à étudier avec ardeur la Géométrie et principalement la Trigonométrie et le Toisé, et dès l’an 1632 il fut employé aux fortifications de Clermont en Lorraine. La même année il servit au premier Siège de Sainte Menehout, où il fit quelques logements, et passa une Rivière à la nage sous le feu des Ennemis pendant l’assaut, action qui lui attira de ses supérieurs beaucoup de louanges et de caresses.

     En 1653 il fut pris par un parti Français. M. le Cardinal Mazarin le crut digne dès lors qu’il tâchât de l’engager au service du Roi, et il n’eut pas de peine à réussir avec un Homme, né le plus fidèle sujet du monde. En cette même année, M. de Vauban servit d’Ingénieur en second sous le Chevalier de Clerville au second Siège de Sainte Menehout, qui fut reprise par le Roi, et ensuite il fut chargé du soin de faire réparer les Fortification de la Place. Dans les années suivantes il fit les fonctions d’Ingénieur aux Sièges de Stenai, de Clermont, de Landrecy, de Condé, de S. Guilain, de Valenciennes. Il fut dangereuse-ment blessé à Stenai, et à Valencienne, et n’en servit presque pas moins. Il reçût encore trois blessures au Siège de Montmedi en 1657, et comme la Gazette en parla, on apprit dans son Pays ce qu’il était devenu, car depuis 6 ans qu’il en était parti, il n’y était point retourné, et n’y avait écrit à personne, et ce fut là la seule manière dont il donna de ses nouvelles.

     M. le Maréchal de la Ferté, sous qui il servait alors, et qui l’année précédente lui avait fait présent d’une Compagnie dans son Régiment, lui en donna encore dans un autre Régiment, pour lui tenir lieu de pension, et lui prédit hautement que si la Guerre pouvait l’épargner, il parviendrait aux premières dignités.

     En 1658 il conduisit en chef les attaques des Sièges de Gravelines, d’Ypres, et d’Oudenarde. M. le Cardinal Mazarin qui n’accordait pas les gratifications sans sujet, lui en donna une assez honnête, et l’accom-pagna de louanges qui selon le caractère de M. de Vauban, le payèrent beaucoup mieux.

     Il nous suffit d’avoir représenté avec quelque détail ces premiers commencements, plus remarquable que le reste dans une Vie illustre, quand la Vertu dénuée de tout secours étranger a eu besoin de se faire jour à elle-même. Désormais M. de Vauban est connu et son Histoire devient une partie de l’Histoire de France.

     Après la paix des Pyrénées, il fut occupé ou à démolir des Places, ou à en construire. Il avait déjà quantité d’idées nouvelles sur l’Art de fortifier, peu connu jusque-là. Ceux qui l’avaient pratiqué, ou qui en avaient écrit s’étaient attachés servilement à certaines règles établies quoique peu fondées, et à des espèces de superstitions, qui dominent toujours longtemps en chaque genre, et ne disparaissent qu’à l’arrivée de quelque Génie supérieur. D’ailleurs ils n’avaient point vu de Sièges, ou n’en avoient pas assez vu, leur Méthodes de fortifier n’étaient tournées que par rapport à certains cas particuliers qu’ils connaissaient, et ne s’étendaient point à tout le reste. M. de Vauban avait déjà beau-coup vu et avec de bon yeux, il augmentait sans cesse son expérience par la lecture de tout ce qui avait été écrit sur la Guerre, il sentait en lui ce qui produit les heureuses nouveautés, ou plutôt ce qui force à les produire, et enfin il osa se déclarer Inventeur dans une matière si périlleuse, et le fut toujours jusqu’à la fin. Nous n’entrerons point dans le détail de ce qu’il inventa, il serait trop long et toutes les Places fortes du Royaume doivent nous l’épargner.

     Quand la guerre recommença en 1667, il eut la principale conduite des Sièges que le Roi fit en personne. Sa Majesté voulut bien faire voir qu’il était de sa prudence de s’en assurer ainsi le succès. Il reçut au Siège de Douai un coup de mousquet à la joue, dont il a toujours porté la marque. Après le Siège de Lille qu’il prit sous les Ordres du Roi en neuf jours de tranchée ouverte, il eut une gratification considérable, beau-coup plus nécessaire pour contenter l’inclination du Maître que celle du Sujet. Il en a reçu encore en différentes occasions un grand nombre, et toujours plus fortes, mais pour mieux entrer dans son caractère nous ne parlerons plus de ces sortes de récompenses, qui n’en étaient presque pas pour lui.

     Il fut occupé en 1668 à faire des projets de Fortifications pour les Places de la Franche-Comté, de Flandre, et d’Artois. Le Roi lui donna le Gouvernement de la citadelle de Lille qu’il venait de construire, et ce fut le premier Gouvernement de cette nature en France. Il ne l’avait point demandé et il importe et à la gloire du Roi et à la sienne que l’on sache que de toutes les grâces qu’il a jamais reçues, il n’en a demandé aucune, à la réserve de celles qui n’étaient pas pour lui. Il est vrai que le nombre en a été si grand qu’elles épuisaient le droit qu’il avait de demander.

     La paix d’Aix la Chapelle étant faite, il n’en fut pas moins occupé. Il fortifia des Places en Flandre, en Artois, en Provence, en Roussillon, ou du moins fit des desseins qui ont été depuis exécutés. Il alla même en Piémont avec M. de Louvois, et donna à M. le Duc de Savoie des desseins pour Verue, Verceil, et Turin. À son départ, Son Altesse Royale lui fit présent de son portrait enrichi de diamants. Il est le seul Homme de guerre pour qui la Paix ait toujours été aussi laborieuse que la Guerre même.

     Quoique son emploi ne l’engageât qu’à travailler à la sûreté des Frontières, son amour pour le bien public lui faisait porter ses vues sur les moyens d’augmenter le bonheur du dedans du Royaume. Dans tous ses voyages il avait une curiosité, dont ceux qui sont en place ne sont communément que trop exempts. Il s’informait avec soin de la valeur des Terres, de ce qu’elles rapportaient, de la manière de les cultiver, des facultés des Paysans, de leur nombre, de ce qui faisait leur nourriture ordinaire, de ce que leur pouvait valoir en un jour le travail de leurs mains, détails méprisables et abjects en apparence, et qui appartiennent cependant au grand Art de gouverner. Il s’occupait ensuite à imaginer ce qui aurait pu rendre le Pays meilleurs, de grands Chemins, des Ponts, des Navigations nouvelles, Projets dont il n’était pas possible qu’il espérât une entière exécution, espèce de songes, si l’on veut, mais qui du moins, comme la plupart des véritables songes, marquaient l’incli-nation dominante. Je sais tel Intendant de Province qu’il ne connaissait point, et à qui il a écrit pour le remercier d’un nouvel établissement qu’il avait vu en voyageant dans son département. Il devenait le débiteur particulier de quiconque avait obligé le Public.

     La guerre qui commença en 1672 lui fournit une infinité d’occasions glorieuses, surtout dans ce grand nombre de Sièges que le Roi en personne, et que M. de Vauban conduisit tous. Ce fut à celui de Maastricht en 1673 qu’il commença à se servir d’une Méthode sin-gulière pour l’attaque des Places, qu’il avait imaginée par une longue suite de réflexions et qu’il a depuis toujours pratiqué. Jusque-là il n’avait fait que suivre avec plus d’adresse et de conduite les règles déjà établies, mais alors il en suivit d’inconnues et fit changer de face à cette importante partie de la Guerre. Les fameuses Parallèles et les Places d’Armes parurent au jour, depuis ce temps, il a toujours inventé sur ce sujet, tantôt les Cavaliers de tranchée, tantôt un nouvel usage des Sapes et des demi Sapes, tantôt les Batteries en ricochet, et par-là il avait porté son art à une telle perfection, que le plus souvent, ce qu’on aurait ja-mais osé espérer, devant les places les mieux défendues, il ne perdait pas plus de monde que les Assiégés.

     C’était là son but principal, la conservation des Hommes. Non seulement l’intérêt de la guerre, mais aussi son humanité naturelle les lui rendait chers. Il leurs sacrifiait toujours l’éclat d’une conquête plus prompte, et une gloire assez capable de séduire, et, ce qui est encore plus difficile, quelquefois il résistait en leur faveur à l’impatience des Généraux, et s’exposait aux redoutables discours du Courtisan oisif. Aussi les Soldats lui obéissaient-ils avec un entier dévouement, moins animés encore par l’extrême confiance qu’ils avaient à sa capacité, que par la certitude et la reconnaissance d’être ménagés autant qu’il était possible.

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