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Lettre sur la manière de faire des statistiques De l’importance dont Paris est à la France


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Voilà les différences plus remarquables de la noblesse. Pour la contenir et l’empêcher de se mésallier et faire qu’elle soit toujours utile à l’État et jamais inutile, il serait à désirer, en premier lieu, qu’elle fût exempte de l’arrière-ban, supposant les revenus du Roi établis comme nous le pourrons un jour dire ailleurs ; en deuxième lieu, augmenter ses justices, et faire qu’elle pût juger en dernier ressort, savoir : les simples justices jusqu’à 6 livres, les châtellenies jusqu’à 10 livres, les baronnies à 15 livres, les comtés à 20 livres, les marquisats à 25 livres et les duchés et pairies à 50 livres ; en troisième lieu, qu’elle fût privilégiée pour l’exemption de ses maisons et jardins jusqu’à la quantité de quatre arpents de terre aux environs du principal manoir ; en quatrième lieu, par la distinction des habits, en sorte qu’à eux fût seulement permis de porter le rouge, comme les gens de guerre, la dorure sur les habits limitée par de certaines règles, les carrosses, livrées et des plumes ; en cinquième lieu, que les filles d’ancienne noblesse pussent la communiquer aux anoblis qui les épouseraient, de la manière qui suit : par exemple, supposant qu’un anobli épousât fille noble de la neuvième génération, joignant le degré du mari au neuvième de la femme, la moitié de la somme, 5, serait les degrés de noblesse attribués aux enfants provenant de ce mariage, qui par ce moyen gagneraient quatre degrés tout d’un coup, et si un noble de la troisième génération épousait une fille de la quinzième, la moitié du total des degrés ferait ceux de la noblesse des enfants qui en proviendraient.

Nota. Qu’il faudrait donner à ces degrés entés toute la force de la noblesse directe de cet âge, afin que celle-ci fût reçue sans difficulté dans tous les collèges et preuves de noblesse ; sixièmement, qu’il fût permis aux pauvres gentilshommes ruinés de laisser dormir leur noblesse pendant un certain temps pour commercer jusqu’à ce qu’ils eussent acquis du bien pour la pouvoir soutenir, et après de la reprendre, faisant déclaration de l’un et de l’autre dans les justices supérieures de son pays, comme on fait en quelque province de ce royaume ; septièmement, que tous domestiques du Roi, de quelque qualité que ce pût être, fussent tous nobles ou gentilshommes bien prouvés ; huitièmement, que tous les grands domestiques des enfants de France, à commencer depuis les valets de chambre en haut, le fussent aussi ; neuvièmement, que ceux des princes du sang, à commencer depuis les maîtres d’hôtel en haut, le fussent de même ; dixièmement, que tous les chevaliers du royaume avec leurs revenus leur fussent affectés par préférence en faisant les preuves ordinaires ; onzièmement, tous les bénéfices au-dessus de 10.000 livres de rente ; douzièmement, que tous les officiers des gardes du Roi, gendarmes et chevau-légers fussent de très bonne noblesse et bien prouvée, et tous les cavaliers des gardes du corps, gendarmes et chevau-légers, des anoblis ou fils d’anoblis, nobles et simples gentilshommes, de la première, deuxième, troisième et quatrième génération, etc. ; treiziè-mement, tous les officiers des troupes par préférence aux roturiers, soit de terre ou de mer, pourvu qu’ils eussent les qualités requises ; quatorzièmement, tous les gens du Roi des parlements ; quinzième-ment, tous les officiers de la couronne généralement quelconques.

De plus fonder en France trois ou quatre maisons de chanoinesses pour les pauvres filles de qualité, distinguées, à l’imitation de celles de Mons, Maubeuge et Nivelles, de 50 ou 60 filles chacune, à raison de 1 000 à 1 200 livres de rente chacune, par prébende, dont une douzaine seulement pourraient faire des vœux, et les autres se marier quand elles en trouveraient l’occasion. Faire un revenu considérable pour les abbesses et prieures, et leur donner le titre de comtesse avec un rang honorable, et à toutes les chanoinesses titre de dame, et affecter de leur faire épouser des seigneurs et gens de qualité très accommodés.

Et, pour conclusion, ne jamais donner la noblesse ni aucun moyen d’anoblissement que pour des services considérables rendus à l’État, tels à peu près que les suivants :

1° Pour un avis véritable donné au Roi touchant quelque entreprise importante sur sa personne ou sur l’État par ses ennemis, ou pour avoir découvert une conspiration ou quelque entreprise considérable sur une place ;

2° Pour de longs services militaires bien marqués, sans fraude et sans tache ;

3° Pour des ambassades ou des négociations importantes bien conduites qui auraient heureusement réussi ;

4° Pour avoir exercé de grandes magistratures un long temps avec habileté et une conduite irréprochable ;

5° Un don fait à l’Etat comme de 100 ou 200 000 écus dans un pressant besoin ;

6° Une adoption de l’État pour héritier, auquel on laisserait de grands biens ;

7° Pour avoir trouvé quelque excellente mine d’or ou d’argent dans le royaume, auparavant inconnue, ou quelque chose équivalent ;

8° Inventé quelque art ou manufacture très utile à l’État, entrepris et achevé quelque ouvrage de grande utilité et réputation, ou découvert quelque terre auparavant inconnue dont la possession peut être utile à l’État ;

9° Pour avoir surpris une place ennemie ou battu un gros corps d’iceux avec un nombre fort inférieur, défendu extraordinairement une place, forcé un poste ou quelque détroit bien gardé, enfin pour quelque action de valeur extraordinaire plusieurs fois réitérée qui fît honneur à la nation ;

10° Un marchand qui, en commerce légitime, aurait gagné 200 000 écus, bien prouvé, à condition de continuer le même commerce sa vie durant ;

11° Une action de générosité extraordinaire et bien prouvée qui peut être de quelque utilité à l’État et glorieuse a la nation ;

12° Un homme qui aurait la hardiesse d’enlever un traître à l’État au milieu des ennemis ;

13° Un homme qui excellerait dans les belles-lettres et qui se serait rendu fameux par quelques excellents ouvrages.

Et, afin que les gens de guerre roturiers, mais d’un grand mérite, puissent parvenir à tous les degrés de noblesse marqués dans ce traité, et participer par conséquent à tous les honneurs et privilèges y attribués, voici l’ordre qu’on pourrait observer en faveur de ceux qui commettent si souvent leur vie, leur honneur, voire leur salut pour le soutien de l’État, qui est tout ce que les hommes ont de cher et de plus précieux en ce monde

Tout homme de guerre, de vie irréprochable qui aurait été vingt ans ingénieur militaire, ou capitaine d’infanterie, ou de dragons ou de cavalerie, ou commissaire d’artillerie, grades que nous considérons tous comme équivalents, et qui pendant ce temps-là aurait donné plusieurs marques de valeur et fait quantité de bonnes actions bien prouvées, la qualité d’anobli ; et quand il serait parvenu à être lieutenant-colonel, celle de fils d’anobli, bien entendu qu’il ne pourrait jouir de cette qualité qu’après les vingt années de capitaine ou équivalent expirées ; colonel, celle de noble ; brigadier, celle de gentilhomme ; maréchal de camp, celle de noblesse établie ; lieutenant-général, celle de noblesse à chevalerie. Mais si ce même homme devient maréchal de France, attribuer à sa noblesse toute la dignité de la dixième génération, en considération de ce que la dignité de maréchal de France est une charge de la couronne qui le fait général d’armée, né conseiller d’État et juge de la noblesse dans les affaires d’honneur. Que si ce même homme parvenait à la dignité de connétable, il faudrait par la même raison lui donner toute la noblesse de la vingtième génération, et voilà de quelle manière les roturiers pourraient, par le mérite, égaler leur condition à celle des plus anciennes maisons ; privilège qui ne doit être attribué qu’aux gens de guerre seulement, et ce pour le prix de leur sang tant de fois exposé et si souvent répandu.


RÉFLEXION
Cette manière de faire des nobles serait bien différente de celle qui se pratique aujourd’hui. Dans les siècles un peu reculés, la noblesse était le prix d’une longue suite de services importants et la récompense de la valeur et du sang répandu pour le service de l’État, Il fallait avec cela avoir mené une vie irréprochable, être né d’honnêtes parents qui ne fussent ni de condition servile ni de profession basse et abjecte. Aujourd’hui on n’y fait pas tant de façon, et la noblesse s’acquiert bien plus facilement. Ce n’est plus ou du moins c’est fort peu cette valeur si dangereuse, et ce mérite qui coûte tant à acquérir, qui font les nobles ; ce n’est point la longueur des services rendus à l’État, ni les blessures reçues pour sa défense et encore moins la vertu, ni cette probité si recommandable, ni une vie sans reproches, qui mènent à la véritable noblesse. Il n’est plus question de tout cela. Ce qui ferait la juste récompense des grandes actions et du sang versé pendant plusieurs années de services se donne présentement pour de l’argent. Il suffit d’en avoir pour tout mérite. C’est pourquoi les secrétaires des intendants, les trésoriers, commissaires des guerres, receveurs des tailles, élus, gens d’affaires de toute espèce, commis, sous-commis de ministres et secrétaires d’État, même leurs domestiques et autres gens de pareille étoffe obtiendront plus facilement la noblesse que le plus brave et honnête homme du monde qui n’aura pas de quoi la payer ; car il ne faut que de l’argent, et ces gens-là n’en manquent pas ; les charges de secrétaires du Roi, qui sont encore d’ordinaire au plus offrant et dernier enchérisseur, sont des moyens sûrs pour y parvenir ; il n’y a qu’à en acheter une pour être noble comme le Roi, et quiconque a de l’argent en peut acheter : il ne faut que s’y présenter. J’ai vu des hommes travailler de leurs bras pour gagner leur vie qui sont parvenus à être secrétaires du Roi ; et tout homme qui par son industrie aura trouvé moyen d’amasser du bien, n’importe comment, trouvera à coup sûr celui d’anoblir ses larcins par l’achat d’une de ces charges, ou par obtenir des lettres de noblesse, de façon ou d’autre, s’il s’en veut donner la peine, en les payant. Il y a même je ne sais combien de charges de robe et de finance dans le royaume qui anoblissent ; mais, comment le dirai-je, pas une seule de guerre, pas même, je crois, celle de maréchal de France : chose étonnante, s’il en fut jamais, vu les fins pour lesquelles la noblesse a été créée, qui sont toutes militaires, et pour cause de services rendus à la guerre, qu’il faut prouver pour en obtenir les lettres !

Nos premiers rois, qu’on peut dire les auteurs de la noblesse française, allemande et italienne, je dis de cette noblesse militaire si recommandable par sa valeur, qui est celle dont j’entends parler, ne l’ont établie que pour intéresser par ces marques d’honneur et de distinction ce qu’il y avait de plus braves et de plus vaillants hommes parmi leurs sujets à la conservation de leur personne et de leur État. Ce sont là les fondements de la noblesse de tout pays, d’autant plus raisonnable qu’elle a été de tout temps considérée comme l’épée et le bouclier des Etats.

Il est d’ailleurs très certain que les biens seuls, sans autre dis- tinction, ne satisfont point les courages élevés qui se sentent du mérite et de grandes actions par devers eux. Il leur faut de l’élévation et quelque chose qui les distingue du commun des autres hommes ; et c’est pourquoi nos premiers rois, ayant d’une part reconnu la justice et de l’autre l’utilité qui leur en revenait, se firent un mérite de l’établir, et, après l’avoir établie, de la perpétuer et de l’approcher d’eux par préférence aux autres conditions de l’État. Ils leur firent part de leur fortune et de leur gouvernement ; ils leur commirent la garde de leur personne et la défense du royaume, et continuèrent à les honorer jusqu’à les qualifier d’amis et de cousins, prendre des alliances avec eux, et en faire leurs compagnons d’armes, les considérant comme les vrais supports de l’État ; et, en effet, c’est une chose admirable que, pendant sept à huit cents ans, le royaume, qui a tant essuyé de si longues et cruelles guerres contre ses voisins, n’ait employé que sa noblesse à sa défense, et qu’il s’en soit toujours si bien trouvé.

Depuis qu’on a commencé à se servir de troupes réglées, c’est elle qui, comme une pépinière inépuisable de vaillants hommes, en a fourni les officiers, grands et petits ; de terre et de mer. Combien de connétables, d’amiraux, de maréchaux de France et généraux d’armée, de grands maîtres, gouverneurs de provinces, lieutenants-généraux sont sortis de cet illustre corps ! Qui pourrait nombrer tout ce qu’elle a fourni d’officiers d’un caractère au-dessous de ceux-là ? Combien d’excellents hommes de toute espèce en sont sortis, et à quelles actions de valeur ne se sont-ils pas portés, et, dans ces derniers temps, avec quelle ardeur n’ont-ils pas rempli les troupes du Roi ! Qui pourrait nombrer toutes les belles actions que tant de milliers de gentilshommes ont faites ? Y a-t-il quelques lieux dans le monde où on ait fait la guerre où cette illustre noblesse ne se soit pas signalée avec une valeur toujours distinguée ? Ce nombreux corps d’officiers de terre et de mer n’a-t-il pas toujours surpassé celui des ennemis en courage, en valeur et en fidélité ? Toute la terre est remplie du bruit de leur renommée, et les ennemis mêmes en sont témoins, et savent que c’est par eux qu’ils ont tant de fois été vaincus.

C’est donc avec beaucoup de raison que les rois l’ont établie, qu’ils l’ont considérée comme leur bras droit, qu’ils en ont fait leurs amis et compagnons, et qu’ils se les sont apparentés, tant ils en ont fait de cas ! Mais il faudrait continuer à les soutenir, les mieux conserver, avoir plus de soin de leur éducation et ne point les laisser avilir comme il paraît qu’on fait depuis quelque temps, même avec dessein, et surtout ne pas introduire dans ce corps tant de gens si peu dignes d’y entrer, tant de gens qui, pour tout mérite, ont bien pillé le public et le particulier, sans avoir jamais hasardé un rhume pour le service de l’État, loin de s’être portés à aucune action de guerre, ni à rien d’important qui ait pu mettre leur vie en danger, ou les exposer à quelques périls, qui est cependant la seule voie légitime pour y parvenir.






Mémoire sur le rappel


des Huguenots
     Cette lettre fut écrite le 9 mars 1698 à l’attention d’Hercule Hüe de Caligny (1665-1725), ingénieur militaire alors directeur des fortifications de Dunkerque, Furnes, Bergue, Ypres, Graveline, La Kénoque et Calais. Elle concerne d’une manière tout à fait générale, quoique parfois assez précise, la méthode que Vauban affectionnait et qu’il souhaitait voir appliquer par ses collaborateurs, pour l’étude des différentes régions de France.

     Il n’y a pas lieu de douter que le projet des conversions n’eût eu tout le succès que le roi en avait espéré, et sa majesté la satisfaction de conduire ce grand ouvrage à une heureuse perfection , si la trêve68, qui paraissait établie sur des fondements si solides, eût subsisté tout le temps convenu entre les puissances intéressées ; et on y serait infailliblement parvenu en douze ou quinze années, attendu que les plus anciens et plus opiniâtres huguenots seraient morts ou fort diminués dans cet espace de temps ; que la plus grande partie de ceux de moyen âge, pressés par la nécessité de leurs affaires, par le désir du repos ou par leur propre ambition, s’y seraient accommodés, et que les jeunes se seraient à la fin laissés persuader. Jamais chose n’eût mieux convenu au royaume que cette uniformité de sentiments, tant désirée, s’il avait plu à Dieu d’en bénir le projet. On sait bien que cela ne pouvait s’exécuter d’autorité sans qu’il en coûtât au royaume ; mais cette perte, quoique considérable, n’eût pas été comparable au bien qui en aurait réussi, si on eût pu parvenir à l’exécution totale de ce dessein, car ils ne se seraient pas obstinés à beaucoup près, comme ils ont fait, s’ils n’avaient été flattés de l’espoir des protections étrangères et d’une guerre prochaine qui, étant enfin arrivée plus tôt qu’on ne l’avait prévue, a fait que ce qui était très bon de soi dans les commencements, est devenu très mauvais par les suites.

De sorte que ce projet si pieux, si saint et si juste, dont l’exécution paraissait si possible, loin de produire l’effet qu’on en devait attendre, a causé et peut encore causer une infinité de maux très dommageables à l’État.

Ceux qu’il a causés sont : 1° la désertion de 80 ou 100 000 personnes de toutes conditions, sorties du royaume, qui ont emporté avec elles plus de 30 000 000 de livres de l’argent le plus comptant ;

2° Nos arts et manufactures particulières, la plupart inconnus aux étrangers, qui attiraient en France un argent très considérable de toutes les contrées de l’Europe ;

3° La ruine de la plus considérable partie du commerce ;

4° Il a grossi les flottes ennemies de 8 à 9 000 matelots des meilleurs du royaume ;

Et 5° leurs armées de 5 à 600 officiers et de 40 à 42 000 soldats beaucoup plus aguerris que les leurs, comme ils ne l’ont que trop fait voir dans les occasions qui se sont présentées de s’employer contre nous.

À l’égard des restés dans le royaume, on ne saurait dire s’il y en a un seul de véritablement converti, puisque très souvent ceux qu’on a cru l’être le mieux, ont déserté et s’en sont allés. Ce qu’il y a de bien certain est que de tous ceux qui l’ont été par les contraintes, on en voit fort peu qui avouent de l‘être, ni qui soient contents de leur conversion, bien au contraire, la plupart affectent de paraître plus huguenots qu’ils ne l’étaient avant leur abjuration, et si on regarde la chose de près, on trouvera qu’au lieu d’augmenter le nombre des fidèles dans ce royaume, la contrainte des conversions n’a produit que des relaps, des impies, des sacrilèges et profanateurs de ce que nous avons de plus saint, et même une très mauvaise édification aux catholiques ; des ecclésiastiques qui ont obligé les nouveaux convertis à l’usage des sacrements pour les-quels ils n’avaient nulle créance, d’autant que cet usage mal appliqué a fait croire à plusieurs que, puisqu’ils les exposaient si légèrement, ils n’y avaient pas eux-mêmes beaucoup de foi, pensées qui ne valent rien dans un pays où l’on n’est déjà que trop libre à raisonner sur la religion.

Pour conclusion, toutes les rigueurs qu’on a exercées contre eux n’ont fait que les obstiner davantage, et les plaintes des exécutions qu’on leur a fait souffrir se sont fait entendre chez tous nos voisins de cette religion, même chez ceux que nous avons le plus intérêt de ménager, où Dieu sait si leurs ministres ont su grossir les objets, et si leurs sermons ont été bien remplis de tous les supplices que l’imagi-nation a pu fournir ; Dieu sait, dis-je, le martyrologe qu’ils en ont historié, et comme ils le font valoir pour toujours les échauffer de plus contre nous, ce qui pourrait même aller jusqu’à nous les faire perdre tout à fait dans le temps que nous en avons le plus besoin. Il est du moins certain que cela sert plus que toute autre chose à maintenir l’union entre les puissances confédérées contre nous.

Ce n’est pas là tout le mal qu’ils ont fait, puisque la quantité de bonnes plumes qui ont déserté le royaume, à l’occasion des conversions, se sont cruellement déchaînées contre la France et la personne du roi même, contre laquelle elles ont eu l’impudence de faire une infinité de libelles diffamatoires qui courent le monde et toutes les cours des princes de l’Europe, huguenots ou catholiques, qui n’ont rien tant à cœur que de rendre sa personne odieuse dans tous les pays de leur confédération ; tout cela n’est que le mal qui a réussi jusqu’à présent des conversions forcées.

Mais celui qu’il y a lieu d’en craindre ci-après me paraît bien plus considérable, puisqu’il est évident : 1° que plus on les pressera sur la religion, plus ils s’obstineront à ne vouloir rien faire de tout ce qu’on désirera d’eux à cet égard, auquel cas voilà des gens qu’il faudra exterminer comme des rebelles et des relaps, ou garder comme des fous et des furieux ;

2° Que, continuant de leur tenir rigueur, il en sortira tous les jours du royaume qui seront autant de sujets perdus et d’ennemis ajoutés à ceux que le roi a déjà ;

3° Que d’envoyer aux galères ou faire supplicier les délinquants, de quelque façon que ce puisse être, ne servira qu’à grossir leur martyro-loge, ce qui est d’autant plus à craindre que le sang des martyrs de toutes religions a toujours été très fécond et un moyen infaillible pour augmenter celles qui ont été persécutées. 69 On doit se souvenir sur cela du massacre de la Saint-Bathélemy en 1572, ou, fort peu de temps après l’exécution, il se trouva 440 000 huguenots de plus qu’il n’y en avait auparavant ;


4° Qu’il est à craindre que la continuation des contraintes n’excite à la fin quelque grand trouble dans le royaume qui pourrait faire de la peine au roi par les suites en plusieurs manières, et causer de grands maux à la France, notamment si le prince d’Orange venait à réussir à quelque grande descente, et qu’il y pût prendre pied ; car il est bien certain que la plus grande partie de ce qu’il y a de huguenots cachés iraient à lui, grossiraient son armée en peu de temps, et l’assisteraient de tout ce qui pourrait dépendre d’eux, qui est bien le plus grand péril, le plus prochain, le plus à craindre, où la guerre présente puisse exposer cet État ; tous les autres me paraissent jeux d’enfants ou très éloignés en comparaison de celui-ci.

La continuation des contraintes ne produira jamais un seul vrai catholique, et ne fera qu’aigrir de plus en plus l’esprit des cantons protestants alliés de cette couronne, qui, à ce que j’apprends, sont à tout moment prêts à nous abandonner à cause des rigueurs qu’ils apprennent qu’on exerce contre leurs frères. D’ailleurs, il est vrai de dire qu’elles n’ont édifié personne, pas même ceux qui ont été commis à leur exécution, à qui souvent elles ont donné de l’horreur et de la compassion. On peut donc s’assurer de plus que leur continuation ne saurait apporter aucun bien à ce royaume, mais bien un obstacle très considérable à la paix, attendu que si elle est générale, tous les protestants s’obstineront à vouloir la réhabilitation de l’édit de Nantes, et ne manqueront pas de demander des places de sûreté, de gros dé-dommagements, et d’appuyer fortement sur cet article, dont on ne se pourra sauver que par quelque gros équivalent. Que si, par le mauvais état des affaires, ou était obligé d’y acquiescer, les véritables ennemis de cette couronne (c’est-à-dire la maison d’Autriche et le prince d’Orange) seraient enfin parvenus à jeter les fondements d’une seconde domi-nation ou d’une nouvelle division dans ce royaume, qui est ce à quoi la politique des premiers a tendu de tout temps, et ce qu’ils ont désiré avec tant de passion qu’il n’y a rien eu de bon et de mauvais qu’ils n’aient employé pour y parvenir sous les règnes de Charles-Quint, Philippe II et Philippe III.

Il est de plus très certain qu’ils obligeraient, s’ils pouvaient, le roi à désarmer et à n’entretenir qu’un certain nombre de troupes si médiocre, qu’il ne pût plus leur donner d’inquiétude, et il est à présumer que, si les choses étaient réduites à ce point, la maison d’Autriche n’en demeu-rerait pas là, et que ses prétentions n’iraient pas moins qu'à réduire le roi au traité des Pyrénées ou a celui de Münster, comme ils ont osé s’en vanter depuis peu. On ne doit pas douter que ce ne soit là leur intention, et qu’ils ne l’exécutent autant qu’il pourra dépendre d’eux, à quoi je ne vois rien qui y puisse tant contribuer que de continuer à violenter les huguenots.

L’obstination au soutien des conversions ne peut être que très avantageuse au prince d’Orange, en ce que cela lui fait un grand nombre d’amis fidèles dans le royaume, au moyen desquels il est non seulement informé de tout ce qui s’y fait, mais de plus très désiré et très assuré (s’il y peut mettre le pied) d'y trouver des secours très consi-dérables d’hommes et d’argent. Que sait-on même, ce malheur arrivant, si une infinité de catholiques ruinés et appauvris, qui ne disent mot, et qui n’approuvant ni la contrainte des conversions ni peut-être le gou-vernement présent, par les misères qu’ils en souffrent, leurrés d’ailleurs de ses promesses, ne seraient pas bien aises de le voir réussir ! Car il ne faut pas flatter, le dedans du royaume est ruiné, tout souffre, tout pâtit et tout gémit : il n’y a qu’à voir et examiner le fond des provinces, on trouvera encore pis que je ne dis. Que si on observe le silence, et si personne ne crie, c’est que le roi est craint et révéré, et que tout est parfaitement soumis, qui est au fond tout ce que cela veut dire.

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