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Lettre sur la manière de faire des statistiques De l’importance dont Paris est à la France


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     Pendant toute la guerre que la Paix de Nimègue termina, sa vie fut une action continuelle, et très vive ; former des desseins de Sièges, conduire tous ceux qui furent faits, du moins dès qu’ils étaient de quelque importance, réparer les Places qu’il avait prises, et les rendre plus fortes, visiter toutes les Frontières, fortifier tout ce qui pouvait être exposé aux Ennemis, se transporter dans toutes les Armées, et souvent d’une extrémité du Royaume à l’autre.

     Il fut fait Brigadier d’Infanterie en 1674, Maréchal de Camp en 1676, et en 1678 Commissaire General des Fortifications de France, Charge qui vaquait par la mort de M. le Chevalier de Clerville. Il se défendit d’abord de l’accepter, il en craignait ce qui l’aurait fait désirer à tout autre, les grandes relations qu’elle lui donnait avec le Ministère. Cependant le Roi l’obligea d’autorité à prendre la Charge, et il faut avouer que malgré toute sa droiture il n’eut pas lieu de s’en repentir. La Vertu ne laisse pas de réussir quelquefois, mais ce n’est qu’à force de temps et de preuves redoublées.

     La Paix de Nimègue lui ôta le pénible emploi de prendre des Places, mais elle lui en donna un plus grand nombre à fortifier. Il fit le fameux Port de Dunkerque, son chef d’œuvre, et par conséquent celui de son Art. Strasbourg et Casal, qui passèrent en 1681 sous le pouvoir du Roi furent ensuite ses travaux les plus considérables. Outre les grandes et magnifiques Fortifications de Strasbourg, il y fit faire pour la navigation de la Bruche des Écluses, dont l’exécution était si difficile qu’il n’osa la confier à personne, et la dirigea toujours par lui-même.

     La guerre recommença en 1683, et lui valut l’année suivante la gloire de prendre Luxembourg, qu’on avait cru jusque-là imprenable, et de la prendre avec fort peu de perte. Mais la guerre naissante ayant été étouffée par la Trêve de 1684, il reprit ses fonctions de Paix, dont les plus brillantes furent l’Aqueduc de Maintenon, de nouveaux Travaux qui perfectionnent le Canal de la communication des Mers, Mont-royal, et Landau.

     Il semble qu’il aurait dû trahir les secrets de son Art par la grande quantité d’Ouvrages qui sont sortis de ses mains. Aussi a-t-il paru des Livres dont le titre promettait la véritable manière de fortifier selon M.de Vauban, mais il a toujours dit, et il a fait voir par la pratique qu’il n’avait point de manière. Chaque place différente lui en fournissait une nouvelle selon les différentes circonstances de sa grandeur, de sa situation, de son terrain. Les plus difficiles de tous les Arts sont ceux dont les objets sont changeants, qui ne permettent point aux Esprits bornés l’application commode de certaines Règles fixes, et qui demandent à chaque moment les ressources naturelles et imprévues d’un génie heureux.

     En 1688, la Guerre s’étant rallumée, il fit sous les ordres de Monseigneur les Sièges de Philisbourg, de Manheim, et de Frankendal. Ce grand Prince fut si content de ses services, qu’il lui donna 4 Pièces de canon à son Château de Bazoche, récompense vraiment militaire, privilège unique, et qui plus que tout autre convenait au Père de tant de Places fortes. La même année il fut fait Lieutenant General.

L’année suivante il commanda à Dunkerque, Bergues, et Ypres, avec ordre de s’enfermer dans celle de ces Places qui serait assiégée, mais son nom les en préserva.

     L’année 1690 fut singulière entre toutes celles de sa vie ; il n’y fit presque rien parce qu’il avait pris une grande et dangereuse maladie à faire travailler aux Fortifications d’Ypres, qui étaient fort en désordre, et à être toujours présent sur les travaux. Mais cette oisiveté qu’il se serait presque reprochée finit en 1691 par la prise de Mons, dont le Roi commanda le Siège en personne. Il commanda aussi l’année d’après celui de Namur, et M.de Vauban le conduisit de sorte qu’il prit la Place en trente jours de tranchée ouverte, et n’y perdit que huit cents Hommes, quoiqu’il s’y fût fait cinq actions de vigueur très considérable.

     Il faut passer par-dessus un grand nombre d’autres exploits, tels que le Siège de Charleroi en 1693, la défense de la basse-Bretagne contre les Descentes des Ennemis en 1694 et 1695, le Siège D’Ath en 1697, et nous hâter de venir à ce qui touche de plus près cette Académie. Lorsqu’elle se renouvela en 1699, elle demanda au Roi M. de Vauban pour être un de ses Honoraires, et si la bienséance nous permet de dire qu’une place dans cette Compagnie soit la récompense du mérite, après toutes celles qu’il avait reçues du Roi en qualité d’Homme de guerre, il fallait qu’il en reçût une d’une société de Gens de Lettres en qualité de Mathématicien. Personne n’avait mieux que lui rappelé du Ciel les Mathématiques, pour les occuper aux besoins des Hommes, et elles avoient pris entre ses mains une utilité aussi glorieuse peut-être que leur plus grande Sublimité. De plus l’Académie lui devait une reconnaissance particulière de l’estime qu’il avait toujours eue pour elle ; les avantages solides que le Public peut tirer de cet établissement avoient touché l’endroit le plus sensible de son âme.

     Comme après la Paix de Riswic il ne fut plus employé qu’à visiter les Frontières, à faire le tour du Royaume, et à former de nouveaux Projets, il eut besoin d’avoir encore quelque autre occupation, et il se la donna selon son cœur. Il commença à mettre par écrit un prodigieux nombre d’idées qu’il avait sur différents sujets qui regardaient le bien de l’État, non seulement sur ceux qui lui étaient les plus familiers, tels que les Fortifications, le détail des Places, la Discipline militaire, les Campements, mais encore sur une infinité d’autres matières qu’on aurait crues plus éloignées de son usage, sur la Marine, sur la Course par mer en temps de guerre, sur les Finances même, sur la Culture des Forêts, sur le Commerce, et sur les Colonies Françaises en Amérique. Une grande passion songe à tout. De toutes ces différentes vues il a composé 12 gros Volumes Manuscrits, qu’il a intitulé Ses ‘‘Oisivetés’’. S’il était possible que les idées qu’il y propose s’exécutassent, les Oisivetés seraient plus utiles que tous ses travaux.

     La succession d’Espagne ayant fait renaître la guerre, il était à Namur au commencement de l’année 1703 et il y donnait ordre à des réparations nécessaires lorsqu’il apprit que le Roi l’avait honoré du Bâton de Maréchal de France. Il s’était opposé lui-même quelque temps auparavant à cette suprême élévation que le Roi lui avait annoncée, il avait représenté qu’elle empêcherait qu’on ne l’employât avec des Généraux du même rang, et ferait naître des embarras contraire au bien du service. Il aimait mieux être plus utile, et moins récompensé, et pour suivre son goût, il n’aurait fallu payer ses premiers travaux que par d’autres encore plus nécessaires.

     Vers la fin de la même année il servit sous Monseigneur le Duc de Bourgogne au Siège du vieux Brisach, Place très considérable, qui fut réduite à capituler au bout de 13 jours et demi de tranchée ouverte, et qui ne coûta pas 300 Hommes. C’est par ce Siège qu’il a fini, et il y fit voir tout ce que pouvait son Art, comme s’il eût voulu résigner alors tout entier entre les mains du Prince qu’il avait pour Spectateur et pour Chef.

     Le titre de Maréchal de France produisit les inconvénients qu’il avait prévus ; il demeura deux ans inutile. Je l’ai entendu souvent s’en plaindre ; il protestait que pour l’intérêt du Roi et de l’Etat il aurait foulé aux pieds la dignité avec joie. Il l’aurait fait, et jamais il ne l’eût si bien méritée, jamais même il n’en n’eût si bien soutenu le véritable éclat.

     Il se consolait avec ses savantes Oisivetés. Il n’épargnait aucune dépense pour amasser la quantité infinie d’instruction et de Mémoires dont il avait besoin, et il occupait sans cesse un grand nombre de Secrétaires, de Dessinateurs, de Calculateurs, et de Copistes. Il donna au Roi en 1704 un gros manuscrit qui contenait tout ce qu’il y a de plus fin et de plus secret dans la conduite de l’attaque des Places, présent le plus noble qu’un Sujet puisse faire à son Maître, et que le Maître ne pouvait recevoir que de ce seul Sujet.

     En 1706, après la Bataille de Ramilli M. le Maréchal de Vauban fut envoyé pour commander à Dunkerque et sur la Côte de Flandre. Il rassura par sa présence les esprits étonnés, il empêcha la perte d’un pays qu’on voulait noyer pour prévenir le Siège de Dunkerque et le prévint d’ailleurs par un camp retranché qu’il fit entre cette ville et Bergues, de sorte que les Ennemis eussent été obligés de faire en même temps l’investiture de Dunkerque, de Bergues, et de ce camp, ce qui était absolument impraticable.

     Dans cette même Campagne, plusieurs de nos places ne s’étant pas défendues comme il aurait souhaité, il voulut défendre par ses conseils toutes celles qui seraient attaquées à l’avenir, et commença sur cette matière un Ouvrage qu’il destinait au roi, et qu’il n’a pu finir entièrement. Il mourut le 30 Mars 1707 d’une fluxion de poitrine accompagnée d’une grosse fièvre qui l’emporta en 8 jours, quoiqu’il fût d’un tempérament très robuste, et qui semblait lui promettre encore plusieurs années de vie. Il avait 74 ans, moins un mois.

     Il avait épousé Jeanne d’Aunoi de la Famille des Barons d’Espiri en Nivernois, morte avant lui. Il en a laissé deux filles, Me la Comtesse de Villebertin, et Me la Marquise d’Ussé.

     Si l’on veut voir toute sa Vie militaire en abrégé, il a fait travailler à 300 Places anciennes, et en a fait 33 neuves ; il a conduit 53 Sièges, dont 30 ont été faits sous les Ordres du Roi en personne, ou de Monseigneur, ou de Monseigneur le Duc de Bourgogne, et les 23 autres sous différents Généraux ; il s’est trouvé à 140 actions de vigueur.

     Jamais les traits de la simple Nature n’ont été mieux marqués qu’en lui, ni plus exempts de tout mélange étranger. Un sens droit et étendu, qui s’attachait au Vrai par une espèce de Sympathie, et sentait le Faux sans le discuter, lui épargnait les longs circuits par où les autres marchent, et d’ailleurs sa Vertu était en quelque sorte un instinct heureux, si prompt qu’il prévenait sa raison. Il méprisait cette politesse superficielle dont tout le monde se contente, et qui couvre souvent tant de barbarie, mais sa bonté, son humanité, sa libéralité lui composaient une politesse plus rare, qui était toute dans son cœur. Il seyait bien à tant de vertu de négliger des dehors, qui, à la vérité lui appartiennent naturellement, mais que le vice emprunte avec trop de facilité. Souvent M. le Maréchal de Vauban a secouru de sommes assez considérables des Officiers qui n’étaient pas en état de soutenir le service, et quand on venait à le savoir, il disait qu’il prétendait leur restituer ce qu’il recevoir en trop des bienfaits du Roi. Il en a été comblé pendant tout le cours d’une longue vie, et il a eu la gloire de ne laisser en mourant qu’une fortune médiocre. Il était passionnément attaché au Roi, Sujet plein d’une fidélité ardente et zélée, et nullement Courtisan ; il aurait infiniment mieux aimé servir que plaire. Personne n’a été si souvent que lui, ni avec tant de courage, l’introducteur de la Vérité ; il avait pour elle une passion presque imprudente, et incapable de ménagement. Ses mœurs ont tenu bon contre les Dignités les plus brillantes, et n’ont pas même combattu. En un mot, c’était un Romain qu’il semblait que nôtre Siècle eût dérobé aux plus heureux temps de la République.


Et, à ce sujet, permettez-moi de vous montrer en

peu de mots l'histoire de l'arbitraire dans l'impôt sous

l'ancien régime, et de vous indiquer ce que, proba-

blement, l'arbitraire serait clans l'impôt nouveau en

France. Cela m'amène à remonter un peu vers le

passé et à vous dire, ce dont on vous parlait l'autre

jour, quel était, dans l'ancien régime, l'impôt qui re-

présentait celui que vous seriez prêts à créer.
MM. Raudot et Teisserenc de Bort vous ont dit

avec raison, l'un que c'était l'impôt du dixième, l'autre

que c'était la taille.
C'est, en effet, l'un et l'autre. Et ceci est curieux,

bien curieux! Car vous allez voir ce que l'arbitraire

dans l'impôt peut faire dans une société, je ne dirai

pas parfaitement heureuse, mais très grande, pas tou-

jours heureuse, mais toujours grande, et qui vivait

dans un repos profond sous une autorité non con-

testée; vous allez voir ce qu'était devenu l'arbitraire

dans l'impôt, ce qu'était la taille. Je vais vous le

prouver avec la dernière évidence et un admirable

monument à la main. C'est la taille, la taille qui a

inspiré ce livre admirable : la Bime royale, de Vau-

ban. (Mouvement.) L'impôt du dixième, dont a parlé

l'honorable M. Teisserenc dans son excellent discours,

618 IMPOT SUR LE REVENU.


n'est qu'une réminiscence du travail de Vauban. Vau-

ban avait montré tous les inconvénients de la taille.


On s'est souvenu quelquefois de son livre dans le

xviip siècle; on lui a fait des emprunts, et l'on a ima-

giné l'impôt du dixième qui devait frapper la pro-

priété. C'était la taille, dont vous allez voir l'utilité

pratique en ce moment.
Il y avait les aides, qui portaient sur la consom-

mation et qu'on percevait dans les populations agglo-

mérées. C'était une des tyrannies de ce temps-là;

mais vous verrez que tout le monde invoquait cette

tyrannie, tant celle de la taille était plus grave. Les

populations non agglomérées qui n'arrivaient pas

jusqu'à la banlieue des villes, mais qui s'étendaient

sur tout le territoire, supportaient la taille; elles

étaient, comme on Fa dit dans le temps, « taillables et

corvéables à merci et miséricorde. » La taille portait

indistinctement sur toute espèce de revenu; elle sui-

vait le propriétaire et toutes les apparences de l'ai-

sance. Et vous allez voir quel usage on faisait des

apparences de l'aisance. Elle portait sur tous; et l'ar-

bitraire l'avait rendue intolérable, à ce point qu'on

ambitionnait de passer sous le régime des aides.


Il y avait ensuite les douanes intérieures, et puis

l'impôt du sel qui constituait une charge considé-

rable.
Les tailles, à elles seules, représentaient, d'après

Vauban, environ la moitié de la totalité de l'impôt,

soit 60 millions.

26 DÉCEMBRE 1871. 619


Il est difficile de donner aujourd'hui l'équivalent

de 60 millions de ce temps-là. Je ne veux pas apporter

ici des calculs que j'ai faits bien des fois à un point

de vue historique; mais je crois que l'on serait dans

le vrai en multipliant par dix. Je pourrais en donner

une quantité de preuves. A cette occasion, je dirai

que cette échelle qu'on veut établir d'après le prix du

blé est une fausse échelle, parce qu'elle est exclusive.

Il faut, pour se faire une idée des valeurs, voir ce

qu'on peut se procurer, à chaque époque, non d'une

seule chose, mais de toutes choses avec une somme

d'argent donnée. (Assentiment .)


En prenant cette base, que j'ai employée pour des

époques différentes de l'histoire, on peut dire que

(50 millions d'alors représenteraient aujourd'hui à peu

près 600 millions.


Cet impôt était devenu, pour cette société si tran-

quille, car, certes, sous Louis XIV elle a été, pendant

soixante ans, profondément tranquille, cet impôt, dis-

je, était devenu quelque chose d'insupportable.


Je vais vous lire une ou deux pages dont la lecture

ne vous fera pas de peine, parce qu'elles sont le langage

d'un honnête homme, s'il y en a eu sur la terre. Le

pauvre Vauban, cet homme admirable, la gloire de

notre nation, je dirai la gloire de l'homme vertueux,

cet homme dont ce médisant de génie qu'on appelle

Saint-Simon n'a pas osé médire... (Sourires.), Vauban,

le seul devant lequel il s'est arrêté, car il avait médit

même de Fénelon, qui cependant dominait la société

620 IMPOT SUR LE REVENU.


élevée de son temps ; « cet homme, disait-il, qui avait

un air de guerre qui lui donnait presque quelque chose

de féroce, quand on l'approchait on était touché de

sa douceur, de sa bonté ; » cet homme dont la bra-

voure prenait tous les dangers pour elle, car on l'avait

vu dans un siège monter la nuit sur les épaulements,

et aller lui-même faire des reconnaissances pour

épargner cette peine et ces dangers à ses lieutenants,

cet homme admirable qui, lorsqu'il ne faisait pas la

guerre, faisait nos routes, nos canaux, très aimé de

son roi et l'aimant profondément, voulut lui donner

des conseils ; il en donna au roi, qui ne les reçut pas,

et il fut disgracié. (Mouvement.) Mais il ne mourut pas,

comme Racine, de chagrin d'avoir déplu au roi; il

mourut de son grand âge et de ses longs services,

faisant des vœux pour que le gouvernement de son

roi s'éclairât, et, si ce roi avait voulu s'éclairer, ce

jour-là il eût produit la première des œuvres de la

Révolution française, un siècle et demi avant elle.

(Très bien! Très bien!)


Voici ce que cet homme admirable proposa. Il

parcourait sans cesse le pays, souvent à pied, et per-

sonne n'avait fait une statistique plus exacte de l'état

de la France.


Il avait remarqué que la dîme ecclésiastique se

percevait avec une facilité extrême. Le clergé avait

des fermiers habiles, de grands magasins ; on plaçait

la dixième gerbe dans ces magasins, ces gerbes étaient

vendues, et le revenu était perçu sans difficulté, sans

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révolte, avec très peu de frais de perception. Savez-

vous pourquoi? Parce que la base de la perception

était simple: on allait sur les meules une fois formées

et l'on disait : « Il y a tant de gerbes, il nous faut la

dixième! »
Eh bien, Vauban disait (vous allez voir que je suis

dans mon sujet) : « Pour éviter l'arbitraire, pourquoi

ne pas adopter une dîme, qu'on appellerait la dîme

royale ? »


Alors dans ce livre si touchant, cet honnête homme

sans ambition, môme sans l'ambition de la gloire, et

il aurait eu tort d'avoir cette ambition, car sa gloire

était immense, chercha le bien ; il fit le travail le plus

détaillé pour apprécier avec une exacte justice, non

seulement les produits de la terre, afin d'en prendre

le dixième, mais le revenu de chaque classe et enfin

les revenus provenant des émoluments qu'on rece-

vait, et il dit au roi : « Tout le monde payera la dîme,

vos plus grands serviteurs, » ce que nous appelons au-

jourd'hui les plus grands fonctionnaires, « les-princes,

les maréchaux, tout le monde la payera. » Et il prou-

vait qu'en diminuant ou supprimant l'arbitraire, on

doublerait les revenus de l'Etat.


Dans son livre, et c'est ce qui fait que je suis dans

la question, il ne s'occupait que d'une chose : non pas

de diminuer le poids de l'impôt, il le trouve indiffé-

rent, mais de repousser l'arbitraire, et il cite de nom-

breux exemples, dont un des plus curieux et des plus

instructifs est celui-ci. Autour de Rouen, il y avait


622 IMPOT SUR LE REVENU.


trente-cinq communes qui composaient la banlieue de

cette ville, et qu'on avait fait passer du régime de la

taille au régime des aides. Il était allé voir ces com-

munes, il vit qu'elles respiraient l'aisance, le bien-être,

et que tout, le monde dans les environs demandait

comme une faveur du ciel de passer sous le régime

des aides (et cependant le régime des aides était des

plus durs, nous ne le supporterions pas aujour-

d'hui), échappant ainsi à l'arbitraire, au régime des

collecteurs de taille. Savez-vous ce qu'on avait ima-

giné pour rendre moins tyrannique ce régime des

tailles? Chacun était taxateur à son tour, et chacun

rendait à son voisin ce qu'il en avait subi auparavant.

(On rit.) Eh bien, même avec cette peine du talion in-

fligée à tous les taxateurs présents et futurs, la taille

était si révoltante qu'on regardait comme un bienfait

du ciel de passer sous le régime des aides.
Vous direz peut-être : C'est que l'impôt était réduit !

D'après ce que dit Vauban, ces communes qui payaient

25,000 livres du temps, transportées au régime des

aides, en payaient 45,000. Elles se regardaient comme

heureuses, et tout le monde enviait leur sort.
Il en cite un autre exemple. La petite ville de Hon-

fleur, qui payait 25,000 livres sous le régime de la

taille, avait consenti, pour passer sous le régime des

aides, à payer 100,000 livres, qui devaient être consa-

crées à tous les travaux du port, et uniquement parce

qu'à cette condition, au lieu de la persécution, de l'ar-

bitraire, on était dans un repos relatif.

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Permettez-moi de vous citer une page de Vauban,

pour que vous voyiez que je n'exagère rien, et vous

apprécierez comme moi le langage expressif et frap-

pant de l'honnête homme.


« On se plaint partout et avec raison, de la super-

cherie et de l'infidélité avec laquelle les commis des

aides font leurs exercices ; on est forcé de leur ouvrir

les portes autant de fois qu'ils le souhaitent... (c'est

l'exercice que nous avons aujourd'hui), et, si un mal-

heureux, pour la subsistance de sa famille, d'un muids

de cidre ou de poiré en fait trois, en ajoutant deux

tiers d'eau, comme cela se pratique souvent, il est en

risque, non seulement de tout perdre, mais encore de

payer une grosse amende; il est bien heureux quand

il en est quitte pour payer l'eau qu'il boit. » (On rit.)
« Tout cela, néanmoins, continue Vauban, n'est

compté pour rien, quand on considère que, dans les

paroisses taillables, ce n'est ni la bonne ou mauvaise

chère, ni la bonne ou mauvaise fortune qui règle la

proportion de l'imposition, mais l'envie, le support,

la faveur et l'animosité, et que la véritable pauvreté

ou la feinte y sont presque toujours également acca-

blées; que si quelqu'un s'en tire, il faut qu'il cache si

bien le peu d'aisance où il se trouve que ses voisins

n'en puissent pas avoir la moindre connaissance ; il

faut même qu'il prenne ses précautions jusqu'au point

de se priver du nécessaire pour ne pas paraître accom-

modé... » Cela veut dire dans l'aisance.
Et il ajoute :

624 IMPOT SUR LE REVENU.


« Enfin les habitants des paroisses de la banlieue

se pourvoient d'un habit contre les injures de l'air,

sans craindre qu'on tire de cette précaution des con-

séquences contre leur fortune, pendant qu'à un quart

de lieue de leurs maisons, ils voient leurs voisins, qui

ont souvent bien plus de terres qu'eux, exposés au

vent ou à la pluie avec un habit qui n'est que de lam-

beaux, persuadés qu'ils sont qu'un bon habit serait

un prétexte infaillible pour les surcharger l'année sui-

vante. » (On rit.)


Eh bien, si vous lisiez tout cet admirable livre,

vous verriez les exemples innombrables qu'il cite de

la tyrannie qui vient de l'arbitraire dans la réparti-

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