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Les amants de Venise Beq michel Zévaco Les amants de Venise


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Le père et la fille


Lorsque l’Arétin et Dandolo furent sortis, Léonore demeura quelques minutes encore immobile ; puis, lentement, sa tête se tourna vers le portrait posé sur un grand fauteuil.

Entre la double retombée des lourds rideaux de brocart, passait un rayon un peu pâle et comme attendri.

Et ce rayon s’en venait frapper en plein le portrait, tandis que le reste de la pièce demeurait dans une demi-obscurité mystérieuse.

Léonore s’avança. Et elle-même apparut en pleine lumière.

Léonore Dandolo était, à cette époque, en plein épanouissement de sa beauté, si toutefois le mot épanouissement n’éveille pas l’idée d’un développement trop paisible. Elle était grande, avec une taille flexible ; son visage, auquel on aurait pu reprocher sa perfection même, si cette perfection n’eût été comme adoucie et tempérée par les attitudes de la physionomie, ce visage eût fait le désespoir des peintres – si Léonore eût jamais consenti à poser. Mais jamais, même à Titien, elle n’avait accordé cette faveur. On rapporte même que Titien l’ayant suppliée à genoux, elle avait répondu que seul son fiancé la posséderait en corps et en image. Ce qui rendait surtout cette figure admirable, au point qu’il était impossible de l’oublier quand une fois on l’avait vue, c’était le regard, mélangé de fermeté, de grâce, de force et de timidité, regard qui bouleversait, regard qui jadis avait fait dire à un ambassadeur étranger :

« J’emporte de Venise trois souvenirs que rien ne pourra effacer de ma mémoire : l’intérieur de Saint-Marc, le ciel étoilé des nuits d’ici, et le regard de Léonore Dandolo. »

De la race dont elle descendait, elle avait gardé la fierté hautaine, le courage et la noblesse de sentiment qui avaient si singulièrement faibli chez son père. Il en résultait que son genre de beauté eût pu paraître un peu grave et sévère si de toutes ses attitudes, de ses gestes, de sa voix, ne se fût exhalée une grâce timide, et, eût-on dit, un peu sauvage. Elle avait la démarche onduleuse, le geste rare et presque hiératique.

Quant à son cœur, il était tout pitié, tout amour. À Venise, on l’avait autrefois surnommée la Madone des pauvres.

Remise de la fièvre qui avait failli l’enlever, Léonore apparaissait un peu amincie, un peu plus féminisée, plus douce et plus douloureuse : peut-être un travail d’apaisement s’était-il fait dans son esprit. Ou du moins peut-être le pensait-elle, mais il semblait qu’elle eût peur de regarder ce portrait, peur de réveiller tout ce qui dormait en elle.

Ce portrait que l’Arétin avait apporté, ce portrait vers lequel elle s’avançait en tremblant, remettait tout en question dans son âme. L’oubli qu’elle espérait sans le chercher devenait impossible.

... Pourtant, qui eût vu Léonore à ce moment, n’eût pu se douter des sentiments qui venaient l’assaillir de toutes parts comme les vagues échevelées par la tempête assaillent quelque roche solitaire au milieu de l’océan. Elle regardait avidement ce portrait qui semblait vivre et palpiter sous ses yeux.

Elle lui parlait doucement, non pas qu’un délire passager se fût emparé d’elle, mais par ce sentiment si naturel, si vrai, si humain, qui nous pousse à croire que quelque souffle de l’être aimé palpite peut-être dans son image.

Elle disait :

« Te voilà donc près de moi encore... Roland, ô mon cher amant, si tu pouvais réellement m’entendre, si tu pouvais écouter tout ce que mon cœur t’a dit depuis l’affreuse journée de notre séparation !... Et si je pouvais, moi, pénétrer un instant dans ton cœur et connaître le jugement que tu as porté sur moi !... J’ai bien souffert, ô mon Roland... j’ai souffert comme je ne pensais pas qu’on pût souffrir sans en mourir... Et pourtant, il suffit que ton image soit devant moi pour que je souhaite de souffrir plus encore... pour toi... par toi... »

Elle ne pleurait pas. Elle parlait doucement et lentement.

Elle s’était assise dans un fauteuil, en face du portrait, et le coude sur le bras du fauteuil, la tête appuyée à sa main, elle plongeait son regard dans les yeux qui la regardaient.

Dandolo rentra.

Il vit sa fille assise devant le tableau et s’approcha d’elle.

« Qui sait, dit-il, si tu n’as pas eu tort, Léonore... à quoi bon ce portrait ici ?... »

Elle secoua la tête.

« Ton intention est donc de le garder ?

– Oui, mon père... je n’avais rien de lui...

– Au moins, qu’il soit placé de façon à ne pas être constamment sous tes yeux...

– Je désire au contraire l’avoir toujours près de moi... »

Dandolo se mit à se promener lentement dans la pièce, la tête penchée, évitant de regarder le portrait de Candiano et sa fille, comme si la conjonction de ce portrait et de son enfant eût éveillé en lui d’insupportables pensées.

Depuis quelque temps, Dandolo se flattait de l’espoir que le souvenir de Roland Candiano s’était évanoui, du moins très affaibli dans l’esprit de sa fille. Un événement étranger était venu confirmer en lui cette croyance. Léonore, en effet, depuis son rétablissement, avait pris l’habitude de sortir deux fois par semaine, et aux mêmes jours, presque aux mêmes heures.

La première fois qu’elle était sortie du palais, le capitaine général l’avait suivie de loin, avec la sombre curiosité de savoir où elle allait, ce qu’elle faisait. Mais à son retour au palais, comme il voyait Léonore rentrer dans ses appartements sans l’avoir même remarqué, il se plaça résolument devant elle.

Léonore s’arrêta comme surprise.

« Que voulez-vous ? » demanda-t-elle.

Toute la résolution d’Altieri s’évanouit devant cette glaciale froideur.

« Vous dire..., balbutia-t-il, qu’il est imprudent... pour vous, de sortir le soir... je vous donnerai une escorte.

– Je ne sortirai donc plus », dit-elle.

Il eut un geste de rage.

« Au moins, reprit-il, choisissez un autre but de promenade...

– Ce but me plaît... il n’éveille en moi aucun remords. »

Altieri se retira, et dès lors cessa de la suivre.

Quant à Dandolo, il accompagnait sa fille toujours ; et souvent même, c’était lui qui faisait office de gondolier. Ce but de promenade qui avait fait rêver Altieri, c’était le pont des Soupirs. Léonore allait jusque-là, à la tombée de la nuit, puis revenait au palais.

Or, un soir, quelques jours avant la scène que nous venons de retracer, en arrivant près du pont des Soupirs, la gondole de Dandolo s’était presque heurtée à une barque.

Dans cette barque, il y avait un homme.

Et cet homme, Dandolo l’avait reconnu !

C’était Roland Candiano !

Il avait parlé à Léonore ! On se rappelle l’avis suprême que Roland était venu jeter à la fille de Dandolo.

Celui-ci avait aussitôt viré de bord et avait fui vers le palais Altieri, en proie à un trouble extraordinaire.

Roland Candiano surveillait donc sa fille !

Que pensait-il ? Que voulait-il ?

Il étudia Léonore et la vit très calme en apparence.

En rentrant au palais, il lui demanda :

« Tu l’as reconnu ?

– Oui, mon père !... »

Dandolo n’avait pas insisté ; mais il avait tressailli de joie à voir sa fille aussi peu émue.

Oui, il était probable qu’elle n’aimait plus Roland, sinon par une sorte d’affection invétérée.

Le projet qu’il mûrissait depuis le jour où il s’était battu avec Altieri et où il s’était installé près de sa fille pour la surveiller, la protéger encore au besoin, ce projet allait donc pouvoir se réaliser...

Mais ce matin-là, à voir sa fille si contemplative devant le portrait de Roland, il recommença à douter...

« Ainsi, reprit-il après un long silence, tu tiens à conserver près de toi ce tableau ?

– Oui, mon père, répondit-elle avec cette brièveté dont elle avait pris l’habitude depuis qu’elle vivait concentrée en elle-même.

– Tu ne crains donc pas, continua-t-il, que cette vue ne t’attriste en réveillant peut-être en toi des souvenirs...

– Quels souvenirs ? »

Et son regard clair et ferme se posait sur Dandolo.

Il y eut un nouveau silence.

Léonore se leva pour se retirer dans sa chambre.

« Écoute-moi, mon enfant », dit alors Dandolo.

Léonore se rassit.

« Sais-tu bien, dit alors Dandolo, que de graves événements se préparent à Venise... Ces secrets que je dois garder, mais qui sont parvenus jusqu’à toi, te prouvent qu’une révolution est imminente...

– Eh bien, mon père ?

– N’as-tu jamais songé que Venise, c’est la ville où nous avons souffert, où tout nous rappelle des douleurs qu’un mot, un incident comme celui de ce portrait qui nous est tout à coup apporté, peut réveiller ?

– J’y ai souvent songé, en effet...

– Sais-tu ce que j’ai fait ? dit-il alors à voix basse.

– J’attends que vous me le disiez, mon père.

– Eh bien, j’ai fait vendre ce que je possède à Venise. Oui, le palais Dandolo lui-même n’est plus à nous. Les objets d’art que nous possédions, je les ai secrètement fait vendre aussi, un à un... J’ai ainsi réalisé en or notre fortune sans avoir essuyé de trop grosses pertes... Un homme à moi, fidèle et sûr, a transporté cet or à Milan et nous y attend... Tu ne comprends pas ?...

– Vous voulez fuir ?

– Oui, ensemble. Écoute : une gondole rapide et légère stationne depuis huit jours devant le palais. Elle est montée par trois habiles matelots qui me sont dévoués. Quand tu le voudras, dès cette nuit, si cela te convient, nous pouvons fuir. J’ai pris toutes mes précautions... Nous n’aurons pas besoin de nous faire ouvrir la porte. Je me suis procuré une excellente échelle de corde. À onze heures, quand le palais est fermé et que tout dort, nous pouvons descendre facilement sans que personne ait rien soupçonné. Acceptes-tu de fuir cette nuit ?

– Non, mon père. Jamais !

– Jamais ! répéta Dandolo atterré. Mais tu ne comprends donc pas ?...

– Mon père, interrompit Léonore en se levant, si vous croyez devoir fuir pour votre sûreté personnelle, faites-le sans remords : je vous jure que je me défendrai ici toute seule. Qu’ai-je à craindre, d’ailleurs ? Qu’Altieri triomphe ou non, il n’y aura rien de changé dans ma vie...

– Mais moi ! Mais moi que guettent les conjurés ! Moi qui serai frappé par Foscari ou par Altieri !...

– Vous avez raison, mon père... vous devez fuir...

– Sans toi !... Oh !...

– Ne craignez rien pour moi, mon père. Et tenez... laissez-moi vous parler franchement. Je songeais moi-même à vous parler de ces choses. Je voulais vous engager à quitter Venise... je prévoyais que vous me demanderiez de vous accompagner... Mais cela, mon père, est au-dessus de mes forces. Jamais, jamais je ne me résoudrai à m’éloigner d’ici... C’est déjà trop que je vive loin d’Olivolo. Mais vous, au contraire, je crois que vous serez délivré de bien des pensées lorsque vous serez loin de Venise... »

Elle parlait avec une sorte d’indulgente pitié.

On ne peut dire qu’il y avait du mépris dans sa pensée.

Mais il est certain que, depuis longtemps, Léonore était entièrement détachée de son père... Cela remontait au jour où elle avait appris que Roland était vivant.

Elle supportait donc Dandolo près d’elle, s’efforçait même de lui laisser croire qu’elle avait tout oublié !

Peut-être si un danger eût menacé son père loin de Venise, peut-être eût-elle consenti à fuir avec lui.

Mais loin de là : Dandolo, en s’éloignant, s’écartait de tout péril, tandis que le séjour de Venise ne tarderait pas à lui devenir mortel. En effet, comme l’avait fort bien expliqué Dandolo lui-même, il était perdu – que Foscari ou Altieri triomphât à la fin. Rendons en passant cette justice à Dandolo que pas un instant sa faiblesse naturelle ne lui suggéra d’aller se faire auprès de Foscari une arme des secrets qui lui avaient été confiés quand il était entré dans la conjuration.

Il avait attentivement écouté sa fille.

« Jamais je ne consentirai à m’éloigner de toi, dit-il.

– J’espère que vous réfléchirez », dit simplement Léonore.

Dandolo rentra dans sa chambre tandis que Léonore regagnait la sienne. Ces deux chambres n’étaient séparées que par un cabinet.

Avec la pièce où était entré l’Arétin, et qui servait de salon, avec une autre qui servait de salle à manger, c’était l’appartement réservé dans le palais Altieri à Dandolo et à sa fille, – appartement isolé du reste du palais grâce aux multiples précautions de l’ancien inquisiteur.

Léonore avait complètement renoncé à l’appartement qu’elle avait occupé jadis.

Depuis la scène violente qui avait eu lieu entre son père et Altieri, elle vivait confinée dans ce coin d’où elle ne sortait que deux fois par semaine et où elle n’avait d’autre compagnie que celle de Dandolo et de deux femmes dont elle se défiait.

Pourquoi avait-elle refusé de suivre son père loin de Venise ?

Était-ce quelque espoir secret qui la retenait ?

Non... Elle était simplement attachée à Venise par un double sentiment : d’abord par cette sorte d’affection maladive qu’on a pour les paysages où l’on a aimé, – même en souffrant.

Et ensuite, sentiment affreux, par la conviction que bientôt elle aurait cessé de vivre...

Quant à Dandolo, une fois qu’il se fut retiré chez lui, il songea :

« Non, certes, je ne puis fuir sans elle... je ne le ferai pas... Et pourtant !... Si les événements se précipitaient... ne pourrais-je m’éloigner... au moins pour quelques jours ? »

XXI



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