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Buridan le héros de la Tour de Nesle Beq michel Zévaco Buridan le héros de la Tour de Nesle


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L’élixir d’amour


Mabel, vers les dix heures du matin, quitta le logis hanté du cimetière des Innocents, après avoir soigneusement enfermé sa prisonnière. Elle portait sous son manteau le flacon contenant le liquide dont elle avait achevé la fabrication pendant la nuit, en même temps que les horreurs de la danse macabre se déroulaient dans le cimetière.

Elle gagna le Louvre et, par les détours qu’elle connaissait, par les couloirs qui lui étaient familiers, parvint à l’appartement de la reine.

Le premier mot de Marguerite de Bourgogne, mot de soupçon et d’impatience, fut :

« Où est-elle ? Pourquoi ne t’ai-je pas vue hier ?

– Je réponds d’abord à la dernière question, ma reine : vous ne m’avez pas vue hier, parce que, toute la journée et toute la nuit, je me suis occupée de vous. La fabrication de certain élixir, que je vous apporte enfin, réclamait ma présence assidue. Les divinités du mystérieux au-delà qui président à la transmutation de l’amour veulent être servies avec patience, obstination et fidélité, ma reine !...

– Où est-elle ? répéta Marguerite, frémissante.

– Dans un logis où elle est mieux gardée, je vous jure, qu’à la Tourelle-aux-Diables. Je vous y conduirai quand vous voudrez. Aujourd’hui, si cela vous plaît.

– Où est-ce ?

– Au cimetière des Innocents !... »

Marguerite frissonna, et Mabel songea :

« Il n’y aura pas loin pour porter à sa dernière demeure la fille de Marguerite de Bourgogne !... »

« Non, reprit la reine en hésitant, pas aujourd’hui. Il faut que je me reprenne, que je voie clair en moi-même. Et puisqu’elle est en sûreté...

– Comme vous au fond de votre Louvre !

– Eh bien, je l’irai voir d’ici deux ou trois jours. Rien ne presse. Mais tu m’en réponds sur ta tête, Mabel.

– Sur ma tête ? fit Mabel avec un sourire qui eût épouvanté Marguerite si elle eût pu en comprendre le sens. Ce n’est rien. J’en réponds sur le salut de mon âme, qui est engagée dans cette affaire... »

La reine, quelques minutes, demeura pensive. Mabel la regardait aller et venir de son pas souple et harmonieux, ses splendides cheveux épars sur ses épaules, secouant parfois la tête comme pour en chasser des pensées qui la tourmentaient.

« Mabel ! fit tout à coup la reine, j’ai une heureuse nouvelle à t’annoncer.

– Une heureuse nouvelle ? Dites vite, ma reine !

– Bigorne... ton Lancelot Bigorne est pris. Il est au Châtelet. Fais-en ce que tu voudras, je te le donne, selon ma promesse. »

Mabel ne dit rien, mais, Marguerite l’ayant regardée à ce moment, murmura :

« Je ne voudrais pas m’appeler Lancelot Bigorne !... Tiens, reprit-elle, prends ce parchemin, Mabel. Je l’ai gardé à ton intention. Il t’appartient. »

Mabel prit le papier que la reine venait de sortir d’un tiroir, et lut :



« Commandons et ordonnons, par les présentes, à notre trésorier, de payer à messire Jean de Précy deux cents écus d’or à la couronne.

« L’an de grâce 1314.

« Marguerite de Bourgogne,

« Reine de France. »

« Plaise à Votre Majesté de m’expliquer ce que signifie cet écrit, fit Mabel, étonnée.

– Cet écrit signifie que, pour te donner Lancelot Bigorne, j’ai dû l’acheter, et que je le paie deux cents écus d’or. Lorsqu’il n’y aura plus d’or dans nos coffres, Marigny est là pour les remplir... Cela veut donc dire que, grâce à ce papier, Bigorne ne sera pas conduit devant les juges. Car un procès, cela peut être une porte par où l’on s’évade. Cela dépend des juges. Or, il fallait que ce Bigorne ne dépendît que d’un juge, toi ! Tu n’as donc qu’à remettre ce parchemin au prévôt. Et Jean de Précy, contre ce papier, a l’ordre de t’obéir exactement en tout ce qui concerne le prisonnier. Comprends-tu ?

– Je comprends, ma belle reine, et vous remercie », dit Mabel qui, en elle-même, ajouta :

« Et d’un ! Reste ensuite Charles de Valois, plus coupable que dix Bigorne ! Reste ensuite Marguerite de Bourgogne, plus coupable que dix Bigorne et dix Valois réunis ! Et alors, je pourrai mourir à mon tour ! »

La reine avait repris sa promenade lente et pensive. Elle décapitait distraitement des fleurs qui étaient placées en gerbes dans des vases somptueux. De nouveau, elle s’arrêta devant Mabel qui songea :

« Nous y voici enfin ! Avoue donc, Marguerite, que, depuis mon arrivée ici, ce qui te tourmente, ce n’est ni ta fille, ni Lancelot Bigorne ! Ce qui te tourmente, c’est la passion diabolique qui ronge ton cœur ulcéré ! Ce qui te tourmente, c’est de savoir si l’élixir d’amour agira sur Buridan. Ne crains rien, Marguerite, l’élixir agira !... Une heure après que Buridan l’aura absorbé, tu pourras serrer dans tes bras le cadavre de l’homme que tu aimes ! »

« Cet élixir ? gronda Marguerite d’une voix rauque.

– Le voici ! » fit Mabel en sortant le flacon de dessous son manteau, qu’elle laissa alors retomber sur un siège.

La reine saisit avidement le flacon, et, avec une ardente curiosité, l’examina en le faisant miroiter au jour.

Le liquide qu’il contenait était parfaitement limpide. Pas une ombre, pas une de ces buées qui se forment parfois dans l’eau n’en troublait la diaphanéité.

Marguerite déboucha le flacon et le porta à ses narines.

Mabel ne broncha pas.

Si Marguerite, à ce moment, avait eu l’idée de goûter au terrible poison dont quelques gouttes suffisaient pour tuer, Mabel n’eût pas bougé, peut-être !

Seulement, elle eût regretté que la mort de la reine interrompît son rêve de vengeance au plus beau moment.

Heureusement pour elle, Marguerite replaça sur le flacon le bouchon de cristal qui le fermait hermétiquement, et alors seulement Mabel respira. Elle prononça tranquillement :

« Je dois vous prévenir, ma reine, que cet élixir est destiné seulement à l’homme.

– Ah ! fit simplement la reine.

– Sur vous, il produirait des effets désastreux, peut-être vous tuerait-il...

– Ah ! répéta Marguerite, pensive. Et tu es sûre de l’effet qu’il produira sur... lui ?

– Je vous l’ai dit, ma belle reine. L’homme, quel qu’il soit, qui absorbera ne fût-ce que quelques gouttes de cet élixir, soit pures, soit mêlées à une boisson quelconque, eau, vin, ou cervoise, cet homme vous aimera. Il vous aimera, vous, et non une autre ; car les prières d’incantation aux esprits supérieurs ont été prononcées en votre nom : au nom de Marguerite de Bourgogne, reine de France. Si cet homme aimait une autre femme, il l’oubliera. Ou, s’il ne l’oublie pas, il la détestera. Vous, vous seule serez la maîtresse absolue de sa pensée, de son cœur, de son âme et de ses sens. Il ne pourra pas ne pas penser à vous. Il lui sera impossible de ne pas vous désirer ardemment, follement. Votre absence exaspérera sa passion. Vos baisers seront comme l’huile sur le feu. Cet homme, donc, vous le ferez mourir peu à peu, au gré de vos désirs à vous, ou bien vous le ferez vivre encore si cela vous plaît, vivre pour vous aimer d’un amour inextinguible, et si vous le tuez d’amour, ce sera dans un suprême baiser, dans un dernier cri d’amour qu’il s’éteindra dans vos bras. »

À cette brûlante peinture des effets que devait produire l’élixir, Marguerite vibrait, palpitait, frissonnait de tout son cœur orageux.

Elle haïssait Buridan.

Et elle l’adorait.

Elle allait pouvoir le tuer... le tuer d’amour !

Le rêve de vengeance était sublime. Voir l’homme qui l’avait méprisée se traîner à ses pieds, pantelant de passion, et le faire mourir dans un baiser ! Elle ne pouvait pas rêver de vengeance plus complète et plus raffinée.

Sa nature aventureuse, son esprit perverti, ses sens exaspérés, tout en elle se complaisait à ces hardies spéculations d’amour et de mystère, où intervenaient des forces supérieures aux forces humaines.

Mabel, debout dans un coin, contemplait la reine comme le génie du mal, et d’un regard sombre étudiait les ravages que le poison de ses paroles portait dans cet être, qui n’eut peut-être que le malheur de posséder une vitalité trop violente. La vie, en effet, le pouvoir de vivre pleinement, de sentir la vie, de recevoir et d’emmagasiner toutes les sensations de la vie, ce pouvoir, disons-nous, qui est dans tous les êtres vivants, mais que l’homme seul, probablement, analyse, ce pouvoir ne peut ni rester en deçà ni aller au-delà des limites naturelles. En deçà, la créature est incomplète et rumine, alors qu’elle paraît vivre. L’homme alors n’est pas beaucoup plus qu’un champignon qui végète son obscure existence, aux sensations restreintes. Au-delà, la créature s’exorbite, ses sensations deviennent trop aiguës pour la quantité de pensée possible. Alors l’homme devient un phénomène, un monstre, c’est-à-dire un individu anormal : c’est Locuste, c’est Agrippine, c’est Néron, c’est Marguerite de Bourgogne.

« Quand comptez-vous donner l’élixir ? demanda Mabel d’une voix indifférente.

– Que t’importe ! gronda la reine.

– Il m’importe peu, à moi, bien qu’enfin je puisse m’intéresser à mon œuvre. Mais il vous importe beaucoup à vous. Car dans l’heure même où celui que vous aurez choisi boira l’élixir, il est nécessaire que des incantations soient prononcées. Et seule, je puis, je dois connaître la formule de ces prières aux esprits supérieurs...

– Soit ! Je laisserai donc s’écouler ce jour et cette nuit. Demain soir à minuit, il sera temps que tu prononces tes invocations. »

Et la reine, de son pas souple et harmonieux de déesse, se retira dans son oratoire, où elle tomba à genoux devant l’image du Christ.

« Demain soir à minuit, Buridan sera mort ! » murmura Mabel.


XXX



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