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Buridan le héros de la Tour de Nesle Beq michel Zévaco Buridan le héros de la Tour de Nesle


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Le cachot mystérieux


Nous devons maintenant revenir à Buridan, que nous avons laissé prisonnier dans l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés. Le jeune homme et ses deux compagnons mystérieux, toujours masqués et toujours silencieux, avaient été enfermés dans une pièce de l’abbaye attenante au parloir, pièce bien close, bien munie d’une porte solide et sans fenêtre. De plus, ils étaient étroitement liés et ne pouvaient remuer ni bras ni jambes.

Deux heures après qu’ils eurent été renfermés là, les prisonniers reçurent la brève visite d’un homme qui entra en disant :

« Bonjour, messeigneurs. Vous vous ennuyez, hein, chez ces frocards du diable ? Je comprends. Mais patience. Tout à l’heure, nous aurons l’honneur de vous offrir un logis digne de vous. »

« Stragildo », gronda Buridan en lui-même.

« Bien, bon, très bon, continuait Stragildo, qui déjà ne s’occupait plus des prisonniers. Tout est bien clos. Pas d’évasion possible. Charmant. À vous revoir, mes dignes seigneurs. »

La journée s’écoula avec la terrible lenteur que connaissent ceux qui, brusquement, pour un motif ou pour un autre, viennent d’être privés de la liberté.

Et encore, la privation de liberté elle-même est-elle supportable pour une âme fière. Mais lorsque, réduit à l’impuissance, on se ronge à se demander ce que deviennent des êtres chers, lorsque la pensée emporte le prisonnier sur ses ailes brûlantes vers ceux qui souffrent de son absence, lorsqu’il prévoit des malheurs qui vont les atteindre, lorsqu’il se dit qu’il est aussi impuissant qu’une pierre à les défendre, c’est alors que l’esprit commence à endurer un supplice d’autant plus terrible qu’il n’est pas possible d’en prévoir le terme.

C’est ce supplice qu’endura Buridan pendant cette longue journée. Mais c’était une âme vaillante et quelque peu fataliste. Les yeux fixes et mauvais, le front barré d’un pli dur, il demeura étendu dans son coin sans une plainte, sans un murmure, et ce silence fut respecté par ses deux amis qui, sans doute, avaient eux-mêmes trop à penser pour avoir le loisir de s’épancher en palabres et en condoléances.

Le soir vint, puis les ténèbres se firent opaques.

Les prisonniers n’entendaient d’autre bruit que celui des cloches appelant les moines, soit au travail des champs, soit à la prière, soit au réfectoire.

Il pouvait être dix heures du soir lorsque la porte s’ouvrit et que cette pièce – cette prison – s’éclaira de la faible lueur d’un falot.

Buridan souleva la tête et vit entrer Stragildo.

« L’exécuteur des œuvres de Marguerite, songea-t-il, est chargé de notre sort. Où ce démon va-t-il nous conduire ? Bon ! Nous verrons bien. Est-ce chez son patron, messire Satanas en personne ? Ce misérable ne doit voir sur mon visage ni crainte, ni abattement... Et quoi qu’il dise, quoi qu’il fasse, lui et les siens, je les regarderai en face. »

Comme pour répondre à cette pensée, Stragildo s’approcha de Buridan, les lèvres tordues par une grimace de sinistre ironie, et exhiba un large bandeau de soie qu’il appliqua aussitôt sur les yeux du jeune homme.

« Voilà pour vous aider à y voir clair, mon digne gentilhomme ! ricana le bravo.

– Les yeux fermés ou non, dit Buridan, j’y verrai toujours clair dans ton âme.

– Bah ! Et qu’y voyez-vous, mon maître ?

– J’y vois en ce moment même, tout enchaîné que je suis, que tu as peur de moi, coquin ! Rassure-toi, je ne te mordrai pas, crainte d’être empoisonné.

– En route, vous autres ! » fit Stragildo d’un ton rauque.

En effet, avant d’être ainsi aveuglé, Buridan avait eu le temps de voir qu’on faisait subir la même opération à ses deux compagnons.

« Faut-il les démasquer ? avait demandé l’un des sbires qui bandaient les yeux des deux autres.

– Bah ! avait répondu Stragildo. À quoi bon ? Pour voir des visages de truands, ce n’est pas la peine. Celui de maître Jean Buridan peut suffire, et à la rigueur nous répond des deux autres. »

Alors Buridan entendit des pas nombreux dans la pièce ; puis il sentit qu’on le soulevait, qu’on le transportait, qu’on le déposait enfin dans quelque chose qui devait être un chariot, lequel véhicule, en effet, se mit bientôt en route.

Où allait-on ? C’est à peine si Buridan pouvait l’imaginer.

Il avait d’abord essayé, par les marches droites ou obliques de la voiture, de deviner la route suivie, de reconstituer le chemin parcouru.

Mais peut-être s’était-on défié de lui, car les zigzags du véhicule furent nombreux, et même il parut à Buridan qu’il tournait deux ou trois fois dans un cercle.

Bientôt il dut renoncer à cette tentative. À quoi bon, d’ailleurs, reconnaître la route ? Elle aboutissait fatalement à une prison, et il n’y a rien qui ressemble à une prison comme une autre prison.

Après une marche que Buridan estima à près de deux heures, ce qui aurait donné le temps à un chariot marchant au pas de rentrer dans Paris et de traverser la ville dans toute sa largeur, on s’arrêta enfin.

Buridan se sentit de nouveau soulevé et emporté. Puis il entendit une lourde porte se fermer, puis il comprit qu’on le descendait dans quelque souterrain, à l’air plus dense qu’il respirait, puis il devina, toujours d’après les sensations produites par l’atmosphère ambiante, qu’on entrait dans un cachot.

On le déposa sur quelque chose qui devait être une dalle. Tout à coup, il sentit qu’on coupait les liens qui attachaient ses poignets. Il attendit un instant.

Et alors, brusquement, il entendit une porte se refermer ; celui qui lui avait détaché les mains n’avait pas osé lui détacher en même temps les jambes et lui débander les yeux ; Stragildo s’était mis en sûreté avant que le jeune homme ne pût sauter sur lui.

Libre de ses mains, Buridan commença par arracher le bandeau qui lui couvrait les yeux, puis il dénoua les cordes qui serraient ses chevilles, puis il se mit debout et respira un bon coup.

Il se vit alors dans une sorte de salle assez vaste, mais sans autre fenêtre qu’un soupirail pratiqué au-dessus de la porte et permettant à l’air du corridor de pénétrer dans ce cachot.

L’endroit était éclairé par un de ces énormes cierges de cire qu’on employait alors dans les maisons bien tenues ; la chandelle de suif était l’apanage des maisons de fortune ordinaire et, quant au peuple, il s’éclairait au moyen de torches fabriquées avec de la résine ; pour les paysans, c’était encore plus simple : une branche arrachée à un sapin ou même plus simplement encore, les lumières du foyer servaient d’éclairage. Il y avait bien aussi la lampe, c’est-à-dire le lumignon, le récipient quelconque dont le bec laissait pendre une mèche qui trempait dans l’huile, mais l’huile coûtait cher.

« Oh ! oh ! se dit Buridan, on me traite comme un grand seigneur. C’est la première fois de ma vie. Il a fallu que je connaisse la prison pour connaître aussi la richesse. »

Le cachot, qu’il examina d’un œil curieux, n’avait d’ailleurs rien de trop rébarbatif. C’était une pièce de sous-sol au plafond cintré en forme de voûte soutenu par d’élégantes colonnettes, mais, au bout du compte, c’était un cachot.

Seulement, Buridan remarqua avec stupeur que ce cachot contenait trois couchettes, au lieu de la botte de paille qu’il s’était attendu à apercevoir.

Et il ne put retenir une exclamation, lorsqu’au lieu de la cruche surmontée d’un morceau de pain noir, il vit au milieu du cachot une table toute servie.

Cette table était préparée pour trois convives, que trois escabeaux attendaient. Buridan, alors, d’un rapide regard, fit le tour du cachot et, dans un angle, aperçut ses deux compagnons, toujours ligotés et toujours les yeux bandés. Il se hâta de les délivrer de leurs liens et de leurs bandeaux.

Alors les deux prisonniers enlevèrent leurs masques, et le visage mélancolique de Philippe d’Aulnay apparut en même temps que la figure effarée et rubiconde de son frère Gautier d’Aulnay.

« Mort du diable ! s’écria Gautier en s’étirant, où sommes-nous ?

– Qui le sait ? fit Buridan.

– Sur le chemin de la mort », dit Philippe.

Les trois hommes frissonnèrent. Il était certain, quel que fût l’endroit où ils se trouvaient, qu’ils n’en sortiraient que pour marcher au supplice. Il y avait eu sédition, ce qui était peu ; il y avait eu rébellion contre les armes du roi, ce qui était mieux ; il y avait eu insulte, menace et attaque à main armée contre Enguerrand de Marigny, ce qui devenait grave, et enfin il y avait surtout qu’ils étaient au pouvoir de la reine.

« Pour la sédition, la pendaison, dit Philippe.

– Pour la rébellion, la décollation par la hache du bourreau, dit Buridan.

– Pour les menaces au premier ministre, les poignets tranchés, dit Gautier.

– En sorte qu’il ne reste plus rien pour la reine ! » reprit Buridan dans un éclat de rire.

Philippe devint pâle. Toutes les fois qu’on parlait de Marguerite, il éprouvait au cœur une contraction douloureuse.

« Eh ! continua Gautier, si nous sommes sur le chemin de la mort, comme tu le prétends, Philippe, il faut avouer qu’on nous y conduit à travers des festins un peu convenables. Nous ne mourrons toujours pas de faim... ni de soif, ajouta-t-il en soupesant un panier. Tête et ventre ! soupons toujours. Demain, comme le disait un certain Léonidas, dont on m’a conté l’histoire, nous déjeunerons peut-être chez Pluton. »

Là-dessus, les trois amis se mirent à table.

Buridan qui, malgré la tristesse de ses pensées, avait grand appétit, ayant jeûné toute la journée, mangea comme deux et but comme trois.

Gautier, qui avait jeûné toute la journée comme lui et qui n’avait aucune tristesse au cœur, mangea comme trois et but comme quatre.

Il n’y eut que Philippe qui ne mangea que du bout des dents et ne but que du bout des lèvres. Pendant le repas, l’entretien roula naturellement sur les événements de la journée, sur la victoire définitive de Marigny, sur cet étrange événement si imprévu : Enguerrand de Marigny était le père de Myrtille !...

Et enfin il y eut force conjectures émises inter pocula pour deviner en quelle noble prison Marguerite les faisait ainsi traiter comme des princes.

Puis, Philippe ayant proclamé que toutes les conjectures sur ce sujet ne pouvaient aboutir à aucune certitude, Buridan ayant avoué que tout ce qu’il pourrait dire au sujet de Myrtille et de Marigny ne servirait à rien en de telles circonstances, Gautier ayant affirmé qu’un bon sommeil de quelques heures serait le digne couronnement de ce festin par lequel ils venaient de célébrer leur prochain supplice, chacun gagna sa couchette et, dix minutes plus tard, tous trois dormaient de bon cœur !

Du moins, Buridan dormait bien.

Philippe faisait semblant de dormir.

Quant à Gautier, il ronflait à faire trembler les colonnettes qui soutenaient la voûte du cachot, ce qui est sinon la preuve, du moins l’apparence la plus probante du sommeil.

XXIX



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