Ana səhifə

Buridan le héros de la Tour de Nesle Beq michel Zévaco Buridan le héros de la Tour de Nesle


Yüklə 1.34 Mb.
səhifə24/39
tarix24.06.2016
ölçüsü1.34 Mb.
1   ...   20   21   22   23   24   25   26   27   ...   39

Lancelot Bigorne à la recherche d’une position sociale


Nous avons dit que Lancelot Bigorne avait disparu au moment de la capture de Buridan et de ses deux compagnons masqués.

Avant de nous préoccuper du sort réservé aux prisonniers de Marguerite, il est intéressant, pour la suite du récit, de nous attacher aux pas de Bigorne.

Lorsqu’il vit que la bataille était perdue, Bigorne se retira de la bagarre.

Nous disons bataille, car cette journée d’émeute fut appelée la bataille de la Basoche.

Bigorne donc, tant bien que mal, s’échappa du logis du jardinier Martin au moment même où il vit succomber Buridan sous le nombre des assaillants. Mais ce ne fut pas sans avoir rendu coup pour coup et sans avoir distribué force horions d’estoc et de taille ; ce ne fut pas aussi sans y laisser quelques gouttes de sang, quelques lambeaux d’habit et de chair, quelques touffes de cheveux, sans compter son chaperon, sans compter le lobe de son oreille droite, plus trois dents, item une forte touffée des poils du menton qui se trouva être à demi rasé, en sorte que, comme le masque antique, Bigorne possédait maintenant deux moitiés de figure qui ne se ressemblaient pas.

D’ailleurs, nous rendrions un mauvais et faux témoignage envers ce digne personnage en insinuant qu’il abandonna Buridan. Non, il ne l’abandonna pas. Mais fort judicieusement, il se dit que, prisonnier, il n’avait aucune chance d’être utile à celui qu’il avait choisi pour maître, tandis que s’il gardait la liberté, il pourrait peut-être aviser au moyen de le sauver. S’il n’arrivait pas à le sauver du supplice qui, indubitablement, lui était réservé, il pourrait tout au moins tâcher d’adoucir ses derniers moments.

Quant au roi de la Basoche et à l’empereur de Galilée, Riquet Haudryot et Guillaume Bourrasque, ils avaient été repoussés hors du logis par les archers de Trencavel ; après deux ou trois tentatives désespérées pour délivrer Buridan, ils avaient dû lâcher pied.

Une fois rentré dans Paris, Lancelot Bigorne commença par se rendre rue Saint-Denis, dans le logis de Buridan, c’est-à-dire dans la maison appartenant à dame Clopinel.

Celle-ci, comme nous croyons l’avoir dit, s’occupait dans la journée à tenir magasin d’épices et fruits de toutes sortes.

Elle se trouvait donc dans sa boutique et servait du gingembre à un client, lorsque Bigorne entra.

Le client racontait à dame Clopinel qu’il y avait eu sédition dans l’Université de la Cité, que les clercs et les écoliers s’étaient rendus dans la matinée, fanions déployés, sur le Pré-aux-Clercs pour chercher noise à Mgr Enguerrand de Marigny, mais que les archers du roi et ceux de la prévôté avaient bellement chargé les mutins et en avaient fait une vraie marmelade, ce qui était pain bénit.

D’après ce client, on ne comptait plus les morts et les blessés.

Hâtons-nous d’ajouter qu’il exagérait, vu qu’il tenait le récit de la bataille d’un compère qui le tenait d’un autre, et chacun sait qu’en ces occasions les chiffres vont grossissant de bouche en bouche.

Bref, ce client annonçait qu’il y avait au moins deux cents écoliers étendus sur le pré.

Dame Clopinel fit des signes de croix qui s’élevèrent au moins à deux cents : un pour chaque mort.

Bigorne entra dans la boutique au moment où le client terminait son dramatique récit et s’en allait.

« Dame Clopinel, dit-il, j’ai du nouveau à vous annoncer : mon maître, votre locataire, charmant jeune homme s’il s’en fût, par saint Babolin ! et brave avec cela...

– Certes, appuya la matrone. Brave et charmant, c’est tout le portrait de messire Jean Buridan.

– Et il n’a pas son pareil pour défendre un logis contre une invasion de truands !

– À telle enseigne que, depuis qu’il habite chez moi, je dors tranquille.

– Et surtout, continua Bigorne, pour défendre, protéger, au péril de sa vie, les personnes vertueuses, sages et vieilles comme vous, dame Clopinel.

– Pour sage et vertueuse, dit dame Clopinel, d’un air pincé, je m’en vante, mais pour vieille, il me semble que je ne suis pas aussi...

– C’est une façon de parler, se hâta d’interrompre Bigorne, qui vit qu’il s’était fourvoyé. Je veux dire mûre...

– Il en est de plus mûres que moi ! grogna la vieille, hérissée et revêche.

– La peste soit de la vieille guenon ! grommela Bigorne. Enfin, bref, je viens vous annoncer que messire Buridan est parti pour un long voyage.

– Parti ! gémit la Clopinel. Qui va donc me défendre, à cette heure !... »

Bigorne attendait ce cri du cœur. Il mit la main sur sa poitrine et répondit : « Moi, dame Clopinel ! Moi-même ! Sachez, en effet, que messire Buridan m’a dit, en propres termes : « Bigorne, je te confie ce que j’ai de plus précieux au monde, c’est-à-dire dame Clopinel. Veille sur elle en mon absence. Ne dors que d’un œil. Aie la main sur la dague. Si on la veut piller, fais-toi plutôt tuer... »

– Digne jeune homme ! murmura la dame Clopinel, en essuyant ou en feignant d’essuyer une larme... Et alors, il est parti ? Il va donc bien loin ?

– Loin ! C’est-à-dire que je ne sais pas s’il arrivera jamais, tant il va loin ! C’est-à-dire que vous seriez exposée à toutes les attaques...

– Jésus !...

– Au vol, à la pillerie, au feu...

– Marie ! Sainte Vierge !...

– Au truand, au moine, à l’écolier, à toutes les catastrophes...

– Assez, Bigorne, ou je meurs !

– Si je n’étais là, ajouta Lancelot, mais je suis là !...

– Oui, vous êtes là ! dit complaisamment la vieille.

– Voici donc ce que je ferai, dame Clopinel. Je m’installerai dans la chambre même qu’occupait mon maître, jusqu’au jour où il sera de retour.

– C’est fort bien vu.

– Bien entendu, insinua Bigorne, je paierai le même prix que lui...

– Ah ! ah !... vous voulez payer ?

– Le même prix, c’est-à-dire rien.

– Soit ! fit la vieille avec un soupir, en voyant déjà s’évanouir le rêve d’une excellente affaire.

– Mais je veux, reprit Bigorne, je veux faire bien mieux et bien plus que mon maître. Entre nous, messire Buridan manquait quelque peu d’égards pour la respectable personne qui le logeait gratis. En effet, que faisait-il ? Dès l’aube, il partait et ne rentrait qu’à la nuit. En somme, il ne vous défendait que la nuit.

– C’est exact, dit dame Clopinel.

– Eh bien, moi, je prétends vous défendre la nuit et le jour. Je ne bougerai plus d’ici. Seulement, si je ne bouge plus de chez vous, je risque d’y mourir de faim et de soif. Si je meurs de soif ou seulement de faim, vous n’aurez plus de défenseur, la première bande de truands qui passera, sachant que vous êtes riche et que nul ne vous défend, vous exterminera...

– Et alors, fit dame Clopinel, à demi terrorisée par cette logique, mais à demi défiante devant la proposition qu’elle voyait poindre.

– Alors, voilà ! Vous me fournirez les victuailles et les boissons nécessaires pour le bon état de ce corps prêt à se faire percer pour vous ! »

Dame Clopinel eut un moment d’hésitation bien naturelle chez une personne qui était pour le moins aussi avare que peureuse.

La peur, toutefois, allait l’emporter sur l’avarice...

Et dans une héroïque résolution, elle allait se résigner à nourrir gratuitement Lancelot Bigorne. Et d’ailleurs, elle se disait qu’en utilisant certains restes, elle s’en tirerait à bon compte.

Mais à ce moment, Bigorne eut un mouvement malencontreux.

Il faut dire que dame Clopinel était assise derrière une table, et que Bigorne, pour lui parler, s’était à demi assis sur le bord de cette table.

Dame Clopinel ne le voyait donc que de profil.

Et elle le voyait du côté du visage demeuré intact et barbu. Or, au moment où Bigorne vit que la vieille allait accepter la proposition qui lui assurait une position sociale, le gîte, le couvert, enfin la tranquillité, il voulut achever de la décider par un geste conquérant.

Il se mit donc sur ses deux jambes, plaça la main sur son cœur et s’inclina.

Malheureusement, dans cette évolution, il exécuta un demi à gauche, et alors ce fut la portion de son visage ravagé, sanglant, l’oreille déchirée, dépouillé de l’ornement barbu, ce fut ce demi-visage qui apparut à dame Clopinel.

Elle jeta un cri de terreur.

« D’où vient cela ? murmura-t-elle en allongeant le doigt vers les blessures.

– Cela ? fit Bigorne, décontenancé...

– Oh ! mais vous êtes en lambeaux... Vous vous êtes battu !

– Moi ! Jamais !... Je ne me bats jamais que pour protéger la sagesse, la vertu et la vieillesse, c’est-à-dire non, la jeunesse.

– Vous vous êtes battu contre les gens du roi !

– Mais...

– Vous étiez avec les maudits clercs et damnés écoliers ! et vous êtes sans doute poursuivi par le guet ! vociféra la vieille devenue enragée. Voilà donc pourquoi vous ne voulez plus bouger de céans ! Et si on vous trouve, je serai accusée d’avoir donné asile à un mutin que la hart attend dès ce soir !

– Dame Clopinel, vous errez, je vous le jure par saint Barnabé.

– Et je serai saisie, exposée au pilori, pendue peut-être ! Hors d’ici, truand ! je suis fidèle sujette de Sa Majesté et ne reçois pas les mutins ! Hors d’ici ! » continua-t-elle en saisissant un balai.

Devant cette arme et surtout devant les cris qui menaçaient d’attirer une foule près de la boutique, Lancelot Bigorne battit promptement en retraite, gagna la rue et s’enfuit, tâchant de cacher sous son manteau les blessures de ses vêtements déchirés, et sous les bords de son chapeau rabattu les blessures de son visage tout sanglant.

« Que la peste t’étouffe, mégère, sorcière, ladre, avare, épicière de Satan ! que la fièvre quarte puisse te clouer au lit ! et pendant que tu y seras, qu’une bonne bande de tire-laine envahisse ton logis d’enfer ! Attends un peu ! Je vais t’en envoyer quelques-uns, moi, de ces bons garçons qui te donneront la leçon que tu mérites ! En attendant, que vais-je devenir, moi ? Il ne me reste pour toute richesse que cette poignée de figues ! »

En effet, tout en se repliant en bon ordre devant le balai de dame Clopinel, Bigorne avait plongé une main rapide et subtile dans un sac de figues sèches qu’il se mit à dévorer avec mélancolie tout en détalant vers des rivages plus propices.

Ces rivages propices, ou que du moins Lancelot Bigorne espérait tels, portaient le nom peu harmonieux, mais expressif, trop expressif peut-être, de rue Tirevache.

C’était, en effet, vers la rue Tirevache que se dirigeait le pauvre Bigorne qui, battu, blessé, à demi boiteux, le visage dépouillé de barbe, les vêtements en lambeaux, véritablement hideux, semblait, comme dit La Fontaine en parlant de son pigeon, un forçat évadé. Seulement, Bigorne n’avait pas la consolation de se dire qu’il rentrait au logis.

Il n’en n’avait pas, de logis, et il en cherchait un.

La rue Tirevache, étroit boyau fréquenté par les filles de mauvaises mœurs et les détrousseurs de mœurs encore plus mauvaises, n’était guère qu’une succession de cabarets infâmes où les truands se réunissaient, soit avant une expédition pour la préparer, soit après l’expédition pour se partager les dépouilles de leurs victimes.

Ce fut dans l’un de ces cabarets que Lancelot pénétra.

Cette maison borgne était tenue par une sorte d’homme bizarre et de répugnante apparence. C’était un nain par la taille, mais un nain avec des bras d’une longueur ordinaire, c’est-à-dire que sur ses jambes très courtes, il avait un buste d’homme et des bras qui touchaient presque à terre. Au bout de chacun de ses bras, il y avait un poing formidable : le nain était doué d’une force herculéenne.

Quand il avait affaire à un client qui lui déplaisait ou qui refusait de payer l’écot, il le prenait simplement par la ceinture et à toute volée l’envoyait dans la rue. Ces procédés avaient inspiré aux truands une vive admiration et un respect sincère pour Noël-Jambes-Tortes : c’était le nom du nain.

« Bonjour, cher ami, dit mielleusement Bigorne en entrant. Toujours gaillard, toujours solide. Ah ! on peut dire que Noël-Jambes-Tortes est l’honneur de la rue Tirevache. Il y a du temps qu’on ne s’est vu, hein ? Vrai, je languissais, je desséchais de ne plus te voir. Aussi, ce matin, n’y tenant plus, je me suis dit : « Il faut absolument que j’aille revoir ce digne ami, ou Dieu me damne ! »

– Que veux-tu ? grogna le nain.

– Mais te voir, te serrer dans mes bras, cher ami, l’assurer que loin de notre bonne vieille rue Tirevache, plus d’une fois, j’ai versé un pleur en songeant...

– Que veux-tu ? répéta le nain dans un nouveau grognement.

– À manger ! dit Bigorne, qui prit son courage à deux mains et s’assit à une table.

– C’est facile ! dit Noël-Jambes-Tortes. Que veux-tu manger ?

– Mais la moindre des choses, excellent ami ! Une tranche de pâté, par exemple, quelque omelette aux lardillons, comme on n’en mange que chez toi, du pain...

– Et à boire ? Que veux-tu ?

– Un simple pot de vin blanc, mon bon camarade, mon digne compagnon...

– Holà ! Madelon ! rugit Noël-Jambes-Tortes.

– Hi ! Han ! » riposta Bigorne (c’était un cri, un signe de reconnaissance et nous espérons avoir le plaisir d’expliquer au lecteur comment le braiement de l’âne pouvait servir de clairon de ralliement à des truands).

Une grosse fille, les bras nus, les mains graisseuses, la tignasse ébouriffée, apparut du fond d’un réduit décoré du nom de cuisine.

« Toujours jolie, hi ! han ! Toujours de plus en plus belle ! » s’écria Bigorne, décidé à se vautrer dans la plus basse flagornerie pour obtenir à dîner.

La grosse fille riposta par une grimace qui voulait être un sourire.

« Madelon ! fit le nain. Une omelette aux lardillons, du pain et une tranche de pâté pour Bigorne, plus un pot de vin blanc.

– Tout de suite ! » fit Madelon.

Lancelot Bigorne était aux anges.

« Ça fait neuf sols, quatre deniers et six mailles, dit Noël-Jambes-Tortes.

– Hein ! sursauta Bigorne en pâlissant.

– Je dis, reprit le nain en tendant la main, que ça fait neuf sols, quatre deniers et six mailles. Donne !

– Te donner... quoi ?... Noël, cher ami, me ferais-tu l’injure d’exiger que je paye d’avance ? Moi ! un vieux compagnon. Moi qui n’ai jamais manqué de venir boire ici alors que je pouvais aller au Muids de Cervoise, à la Ceinture dorée, à...

– Paie ! gronda le nain.

– Quoi, c’est donc vrai ! Il faut payer !

– Paie, ou va-t’en !

– Noël, mon cher Noël, fais-moi crédit jusqu’à demain !

– Crédit est mort. Paie, ou va-t’en... »

Lancelot Bigorne poussa un soupir qui eût attendri un tigre. Il reboucla sa rapière, remit son manteau sur ses épaules, s’essuya les yeux, et se dirigea vers la porte d’un pas hésitant, avec l’espoir que le terrible nain se laisserait émouvoir.

Mais il parvint jusqu’à la porte sans que cette émotion se fût manifestée chez Noël-Jambes-Tortes autrement que par des grognements de menaces.

Déjà Lancelot Bigorne allait franchir cette porte. Déjà il se redressait et s’apprêtait à déverser sur la tête de l’impitoyable nain un flot de jurons et de malédictions, lorsqu’une voix prononça :

« Je paie !... »


XXV



1   ...   20   21   22   23   24   25   26   27   ...   39


Verilənlər bazası müəlliflik hüququ ilə müdafiə olunur ©atelim.com 2016
rəhbərliyinə müraciət