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Buridan le héros de la Tour de Nesle Beq michel Zévaco Buridan le héros de la Tour de Nesle


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La marche royale


Ces cloches, ces fanfares, ces bruits qui montaient de Paris en puissantes rafales, c’étaient les rumeurs de l’immense joie populaire saluant le nouveau roi de France.

Pour la première fois, Louis – dixième du nom – se montrait aux Parisiens.

Le cortège triomphal venait de sortir du Louvre, dans l’étincellement des armures, dans le piaffement des chevaux couverts de splendides caparaçons, dans la clameur énorme des applaudissements du peuple.

À l’encoignure de la rue Saint-Denis, une foule plus épaisse était massée, acclamant au passage les grands dignitaires de la couronne qui escortaient le monarque.

Là, trois hommes, pourtant, demeuraient silencieux, trois jeunes hommes serrés l’un contre l’autre, guettant d’un regard ardent ces mêmes dignitaires que le peuple saluait de ses vivats.

« Le voici ! fit sourdement l’un d’eux en désignant un cavalier placé à gauche du roi. Gautier, regarde ! Philippe ! Philippe d’Aulnay, regarde ! Voici l’homme qui a tué ta mère ! Voici Enguerrand de Marigny !...

– Oui ! répondit plus sourdement encore Philippe d’Aulnay. Oui ! c’est lui !... Mais puissé-je être foudroyé si je commets un sacrilège. Buridan, oh ! Buridan, ce n’est pas à Marigny que vont mes regards insensés !...

– Philippe ! tu pâlis ! Tu trembles !

– Je tremble, Buridan, et mon cœur défaille... car... la voici !... elle !... »

Les acclamations retentissaient plus ardentes, plus enivrées, plus idolâtres.

En effet, dans un carrosse, ou plutôt dans un char découvert traîné par quatre chevaux blancs caparaçonnés de blanc, souriantes, enfiévrées de plaisir, envoyant des baisers, vêtues de somptueux costumes de soie et de velours, apparaissaient la reine et ses deux sœurs : Jeanne, femme du comte de Poitiers ; Blanche, femme du comte de La Marche.

Un délire, alors, soulevait la foule.

Car elles étaient puissamment belles, oh ! belles d’une capiteuse et violente beauté, capables de figurer le groupe des trois déesses du mont Ida, avec en plus on ne savait quoi d’orgueilleux et de fatal dans la volupté de leurs sourires... elle surtout !

Elle ! avec sa taille sculpturale, ses lourds cheveux du même blond lumineux que ceux d’Aphrodite sortant des ondes, ses yeux voilés de longs cils entre lesquels passait parfois un fulgurant jet de flamme, son sein qui se soulevait en tumulte, comme si, dans cette inoubliable minute, son amour eût rêvé d’enlacer ce peuple tout entier !

Elle ! dont on ne prononçait le nom qu’avec une admiration passionnée !

Elle !... La reine !

Marguerite de Bourgogne !...

*

C’était elle... c’était Marguerite que, d’un regard éperdu de passion, contemplait Philippe d’Aulnay, tandis que son frère Gautier et Buridan attachaient leurs yeux sur le premier ministre Enguerrand de Marigny.



Et là, à cette encoignure de la rue Saint-Denis, il y eut dans le cortège une seconde d’arrêt.

La reine, à ce moment, se penchait comme pour mieux saluer le peuple. Et dans ce mouvement, ses yeux, à elle, tombèrent sur le jeune homme placé à côté de Philippe d’Aulnay, sur le fiancé de Myrtille, sur Buridan !...

Marguerite eut comme un rapide frisson à fleur de chair. Elle pâlit comme avait pâli Philippe. Son sein palpita. Un soupir d’amour... un soupir de passion brûlante... une de ces passions qui dévorent, ravagent et tuent !

Déjà le cortège se remettait en route.

Philippe d’Aulnay, les mains jointes dans un geste d’adoration, balbutia :

« Marguerite !... »

Et Marguerite de Bourgogne, reine de France, dans ce soupir qui râlait sur ses lèvres, murmurait :

« Buridan !... »

Et, à cet instant, Buridan saisissait Philippe d’Aulnay et son frère par la main, et grondait :

« À Montfaucon !... »

C’était vers Montfaucon, en effet, que se dirigeait l’escorte royale.

Par les rues où les deux cent mille habitants de Paris s’écrasaient, oscillaient en vaste flux et reflux, le cortège se développait, précédé par le prévôt qui, du haut de son grand cheval à housse bleue fleurdelisée d’or, criait à tue-tête :

« Place au roi ! Place à la reine ! Place au très-puissant comte de Valois ! Place à monseigneur de Marigny ! Archers du guet, refoulez le populaire ! »

Escorté de chevaliers à bannières flottantes, d’évêques ruisselants de pierreries sur leurs chevaux caparaçonnés d’or, de capitaines empanachés, de seigneurs étincelants – duc de Nivernais, comte d’Eu, Robert de Clermont, duc de Charolais, Geoffroy de Malestroit, sire de Coucy, Gaucher de Châtillon, cent autres, somptueux, brodés, chatoyants –, rutilantes armures, casques à cimiers, manteaux d’hermine, d’azur, de pourpre, gens d’armes bardés de fer, gardes hérissés d’acier, prestigieuse cavalcade où éclataient le luxe et la force guerrière de la féodalité, c’est dans cette mise en scène de puissance et de gloire, c’est dans la rumeur des acclamations qu’apparaissait le roi !

Le roi ! Un mot, aujourd’hui. Alors, une chose effrayante, un être exceptionnel plus près du ciel que de la terre.

Élégant, hardi, robuste en la fleur de ses vingt-cinq ans, Louis X riait au peuple, faisait exécuter des courbettes à sa monture, échangeait des plaisanteries avec les bourgeois, saluait les femmes, criait bonjour aux hommes.

Et Paris, qui sortait de ce cauchemar sanglant qu’avait été le siège de Philippe le Bel, Paris, qui depuis des années ne respirait plus, s’émerveillait, applaudissait et croyait ses misères finies du coup, car, pour le peuple, un changement de maître, c’est toujours un espoir qui naît, quitte à bientôt s’éteindre.

« Ah ! le bon sire ! comme il rit à sa bonne ville !

– Un hutin ! c’est un vrai hutin !

– Hutin, soit ! criait le roi, ramassant le mot au bond. Car hutin veut dire aussi batailleur ! Gare à mes ennemis, qui sont les vôtres !

– Noël ! Vive Louis Hutin ! »

Le peuple rugissait de joie, enthousiasmé par cette bonne grâce, et par la splendeur du cortège qui, sous ses yeux, déroulait sa pompe éblouissante. Et pourtant...

Dans ce cortège même, aussitôt après les gens du roi, un malheureux, pieds nus, la tête basse, les yeux hagards, un cierge à la main, s’avançait entre deux moines et deux aides du bourreau : c’était son escorte, à lui.

La première sortie du roi, c’était une partie de plaisir.

La partie de plaisir, c’était ce que de nos jours on nomme une inauguration.

Ce qu’on devait inaugurer, ce matin-là, c’était un monument qu’à grand travail et grands frais, le ministre Enguerrand de Marigny avait fait bâtir pour le service de son roi Philippe le Bel. Louis X héritait le ministre et le monument.

Et ce monument, c’était le gibet de Montfaucon !

*

Nul dans la foule ne s’occupait du condamné qui, le premier, devait être accroché aux nouvelles fourches patibulaires, honneur dont le pauvre diable se fût bien passé. Son nom ? On le savait à peine. Son crime ? On l’ignorait.



Nul ne s’occupait de lui, nul, si ce n’est un homme de haute taille, de forte envergure, de mine glaciale et hautaine, de costume splendide, qui chevauchait aux côtés de Louis X.

Et cet homme qui seul se préoccupait du condamné, c’était Charles, comte de Valois, l’oncle du roi !

Le patient, parfois, se retournait brusquement et levait sur le comte un regard désespéré où flamboyait une suprême menace. Alors le comte, alors le puissant seigneur, frissonnait, pâlissait et faisait hâter la marche.

Quelle mystérieuse accointance pouvait donc exister entre ce superbe personnage, placé sur les degrés du trône presque aussi haut que le roi, et ce misérable condamné qu’on allait pendre à Montfaucon ?

Pourquoi le regard de l’homme livré au bourreau faisait-il trembler l’homme qui, dans le cortège, tenait la droite du roi ?

Dès que la cavalcade était passée, la foule se dispersait, les uns courant à la fontaine qui, tout ce jour, devait verser du vin ; d’autres, s’arrêtant autour des jongleurs ou des ménétriers – ancêtres de nos camelots – qui, aux carrefours, chantaient un lai de circonstance ; d’autres, en plus grand nombre, se dirigeant vers la porte aux Peintres (plus tard porte Saint-Denis), pour prendre place autour du gibet de Montfaucon.

Et dans toutes les rues où passait Louis X, c’était le même spectacle de joie, c’étaient les mêmes acclamations frénétiques saluant l’un après l’autre tous les personnages qui figuraient dans la merveilleuse cavalcade.

Tous ?... Non ! Car des murmures, de sourdes imprécations couraient comme des frissons de terreur et d’angoisse lorsque les yeux de la multitude se portaient sur la sombre physionomie que nous venons d’entrevoir : Valois, l’oncle du roi ! sur la physionomie plus sombre encore et plus tourmentée d’Enguerrand de Marigny – le premier ministre du roi !

Valois et Marigny, l’un à droite, l’autre à gauche de Louis X, croisaient leurs regards mortels. L’incurable haine qui divisait ces deux hommes éclatait maintenant au grand jour. Écrasé, dévoré de rage et d’envie, réduit à l’impuissance par Marigny triomphant sous Philippe le Bel, Charles de Valois avait, pendant des années, fait provision de fiel.

Quelle effroyable vengeance préparait-il depuis que son neveu était roi ?

Quoi qu’il en soit, dans la foule, c’étaient les mêmes blasphèmes sourdement grondés, lorsque passaient ces deux hommes également redoutés, également haïs.

Mais bientôt, comme si un rayon magique eût dissipé ce nuage d’épouvante et de haine, les acclamations s’élevaient délirantes, pour saluer celle pour qui seule semblaient mugir les cloches, éclater les fanfares, rutiler le soleil de printemps, onduler les bannières et rugir la clameur d’amour de deux cent mille Parisiens :

« La reine !... Marguerite de Bourgogne !... »

III



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