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Buridan le héros de la Tour de Nesle Beq michel Zévaco Buridan le héros de la Tour de Nesle


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Les spectres de la Tour de Nesle


Au bout de quelques minutes, ranimée par la fraîcheur de la nuit et les secousses de Lancelot Bigorne, Mabel revint à elle.

« Par le sang du Christ ! grogna Lancelot Bigorne, je ne vous aurais pas dit que votre fils s’appelait Jean Buridan si j’avais su que ce nom devait vous tuer à moitié. De par le diable ! c’est pourtant le nom d’un hardi compère qui vous fera honneur !...

– Es-tu sûr ? râla Mabel. Es-tu bien sûr ? Oh ! si tu as un cœur d’homme, ne me mens pas, ne me trompe pas !...

– De quoi voulez-vous que je sois sûr ? Quant à vous mentir, puissé-je être étripé, bouilli sur la place du Marché-aux-Pourceaux, comme si j’étais un pourceau moi-même...

– Es-tu sûr que c’est lui ?... que c’est Buridan... mon fils ? Oui !... Oui !... tu en es sûr ! ajouta-t-elle sans attendre la réponse. Je l’avais deviné moi-même ! Cette sympathie que j’éprouvais pour lui à l’heure même où je préparais sa mort...

– Sa mort !... gronda Bigorne, hébété de stupeur.

– Et ce qu’il m’a dit ! qu’il s’appelait Jehan !... Né de parents inconnus... Oh ! pourquoi m’a-t-il dit qu’il était né à Béthune !... »

Elle se tordait les mains.

« Minuit ! reprit-elle. Minuit est sonné !... Le veilleur a-t-il crié minuit ?... Qui sait ! Viens, viens, viens ! Au bac !... Peut-être est-il temps encore !... »

Elle avait saisi Bigorne par le bras et l’entraînait violemment.

Mais, au bout de quelques pas, elle s’arrêta, suffoquée.

Elle bégaya :

« Je vais mourir... je sens que je meurs... Mourir sans pouvoir le sauver !... Il n’y a donc pas de Dieu au Ciel !... Porte-moi ! Si tu as connu ta mère, si tu as eu un amour au monde, au nom de ta mère ou de cet amour, porte-moi, puisque mes jambes se dérobent sous moi ! »

Lancelot Bigorne prit Mabel dans ses bras et la souleva.

« De quel côté faut-il aller ? demanda-t-il. Par le Ciel ! expliquez-vous clairement, ou je serai aussi peu capable de vous aider que Guillaume Bourrasque lorsqu’il a bu ce qu’il appelle son content, c’est-à-dire six flacons de...

– Porte-moi vers le fleuve ! vite, oh ! vite.

– Vers le fleuve, bon ! » fit Bigorne, qui s’élança.

Sur les bords de la Seine, Bigorne s’arrêta, haletant :

« Où faut-il aller ? » demanda-t-il.

Mabel se laissa glisser à terre et se mit à marcher.

Elle reprenait ses forces.

Sa marche s’accéléra bientôt au point que Bigorne la suivait en courant.

Puis, brusquement, elle s’arrêta, les mains serrées convulsivement sur le front :

« Je ne vois plus ! murmura-t-elle. Je ne sais plus !... Lancelot ! Lancelot !

– Je suis là !...

– Conduis-moi ! Prends-moi par la main ! Oh ! si tu as vraiment pitié de moi, conduis-moi vite !... »

Et sans attendre cette aide qu’elle venait d’implorer, elle reprit sa marche.

« Mais au nom des saints ! gronda Bigorne, où voulez-vous aller ?

– Où je veux aller ? Tu ne le sais donc pas ? Là où mon fils a été enfermé ! Là où la maudite femme va lui faire prendre le poison ! Là où il va mourir si sa mère ne le sauve ! À la Tour de Nesle !

– À la Tour de Nesle !... murmura Bigorne en frémissant. Je lui avais dit que la tour maudite lui porterait malheur, et il n’a pas voulu m’entendre. S’il m’eût écouté, il serait maintenant à l’abri de la truanderie, gagnant autant d’or qu’il en voudrait et se moquant du guet, de son chevalier et de ses archers. Mais voilà, la jeunesse est, de nos jours, bien peu respectueuse pour les gens de bon conseil... »

Tout en se livrant à ses réflexions prolixes, Lancelot Bigorne avait entraîné Mabel vers un endroit de la berge qu’il connaissait, l’avait poussée dans une barque, y avait sauté lui-même et s’était mis à ramer avec fureur.

Quelques minutes plus tard, la barque touchait au pied de la Tour de Nesle.

*

Au dernier étage de la tour, Marguerite de Bourgogne, palpitante, enivrée, achevait de se parer.



Mille fois, elle avait entendu parler de l’élixir d’amour.

Elle savait la puissance démoniaque de cette liqueur qu’en vain elle avait souvent essayé de se procurer chez des sorciers, des nécromans ou des vendeurs de simples.

Elle était parfaitement sûre de l’effet qu’allait produire le flacon que lui avait remis Mabel, puisqu’à cette heure même où le valet portait l’élixir à Buridan, Mabel psalmodiait les incantations nécessaires.

Sûre d’être aimée par Buridan, elle en arrivait à l’aimer elle-même avec une sorte de sincérité passionnée que son cœur n’avait jamais connue. Elle s’attendrissait sur son sort. Elle pleurait de le savoir enfermé dans les caveaux de la tour.

« Quant à ses deux amis, songeait-elle, je leur donnerai la liberté par amour pour lui. Qui sont-ils ? Peu importe ! Peut-être ce roi de la Basoche et cet empereur de Galilée qui, dit-on, lui sont si fidèlement attachés. Oh ! je les récompenserai, moi ! Et quant à lui, ce que je lui ai offert : puissance et honneurs, il les acceptera maintenant, puisqu’il va m’aimer !...

« Il partagera ma vie. Et moi, je connaîtrai enfin le bonheur d’être aimée, moi qui n’ai connu jusqu’ici que la douleur d’aimer. »

Le valet était parti s’assurer que Buridan avait absorbé l’élixir enchanteur.

C’est à ce moment que Mabel, grâce aux mots de passe qu’elle connaissait parfaitement, entra dans la tour, suivie de Bigorne, et, pantelante se rua dans l’escalier.

« Voici l’homme qui remonte ! songea Marguerite. Que m’apporte-t-il ? La joie ? Ou encore une amère déception ? Buridan aura-t-il bu l’élixir charmeur ?... Je vais le savoir ! »

Elle courut ouvrir la porte et se trouva en présence de Mabel.

« Toi !... Comment ? Pourquoi ?... Pourquoi es-tu pâle comme la mort ?...

– Reine, bégaya Mabel avec effort, aimes-tu vraiment Buridan ?

– Tu le sais ! fit ardemment Marguerite.

– Reine, le flacon que je t’ai donné ne contient pas un élixir d’amour. Il contient un poison violent... un poison qui tue en quelques heures... Buridan ne l’a pas pris ? Dites ! oh ! dites, ma reine ! Dites-moi cela, et je vous tiens quitte du reste !... »

Marguerite ne pouvait saisir le sens de ces derniers mots.

Sans y prêter aucune attention, elle écarta Mabel d’un geste violent et fit un pas vers l’escalier.

Elle était anéantie et il y avait en elle plus de rage peut-être que de douleur à voir ainsi toutes ses spéculations déjouées.

Comme elle allait descendre, elle entendit l’homme qui montait. Elle s’arrêta et saisit Mabel par une main qu’elle étreignit convulsivement.

« Tu vas savoir ! » fit-elle dans un souffle.

Le valet parut.

Rapidement, elle lui arracha le flacon qu’il apportait.

« Vide ! rugit-elle dans un éclat de rire strident.

– Il a bu, affirma le valet.

– Courons ! râla Mabel. Il n’y a pas longtemps. On peut le sauver encore !...

– Stragildo ! hurla Marguerite d’une voix démente. Puisque Buridan a bu le poison, eh bien, qu’il meure donc !... »

Stragildo parut, souple, ondoyant, l’échine courbée, souriant.

« Stragildo, empare-toi de cette femme et garde-la à vue. »

Une clameur terrible s’échappa de la gorge de Mabel, qui s’abattit à genoux et enlaça de ses bras les genoux de la reine en bégayant :

« Grâce, madame ! Grâce pour lui !... C’est mon fils !... Laissez-moi le sauver !... »

Mais déjà Stragildo et cinq ou six de ses aides s’étaient précipités sur elle, l’arrachaient à l’étreinte dont elle enlaçait la reine, et l’emportaient.

On entendit comme un cri d’agonie qui descendit du haut en bas de la Tour de Nesle et se perdit dans ses profondeurs.

La reine s’était élancée dans l’escalier. Un désespoir comme elle n’en avait jamais éprouvé la poussait. »

Et ce n’était pas le désespoir de la prochaine mort de Buridan.

C’était le désespoir de savoir que le flacon de Mabel n’avait pas contenu l’élixir d’amour ! Ce qu’elle regrettait, ce n’était pas Buridan, c’était l’amour que Buridan aurait pu lui donner. Écumante de fureur et de douleur tout à la fois, elle parvint au caveau où elle avait fait enfermer les trois amis.

Un homme était là qui veillait continuellement à la porte.

« Ouvre ! » dit-elle d’une voix rauque.

L’homme obéit, tira les verrous. La porte s’ouvrit. Marguerite vit Buridan debout au milieu de la salle, près des deux hommes masqués.

Ces hommes masqués, c’est à peine si elle les distingua. Elle ne vit que Buridan. Son sein palpita. Elle éprouva à cette minute une des émotions les plus violentes de sa vie si féconde en émotions tragiques. Elle avança de quelques pas, ne songeant même pas à fermer la porte.

« Buridan, dit-elle, c’est un poison que tu viens de boire. »

Sa voix tremblait un peu. Elle avait des inflexions caressantes. Et en même temps, elle était âpre, comme amère. Buridan répondit :

« Je le sais, madame. Ou du moins je m’en suis douté lorsque j’ai vidé le flacon. Mais j’en ai été tout à fait sûr lorsque, il y a un instant, j’ai deviné que je me trouvais dans un logis royal appartenant à la reine Marguerite de Bourgogne, dans la Tour de Nesle. »

Elle demeura un instant silencieuse.

On entendait son souffle rauque et précipité, et on n’entendait que cela. Les deux hommes masqués étaient comme deux statues.

« Buridan, reprit Marguerite, ce poison ne produit son effet mortel qu’au bout d’une heure ou deux. Tu peux être sauvé. Celle qui connaît le contre-poison est là. Buridan, veux-tu de ce contre-poison ?

– Certes, madame, dit Buridan, de sa même voix calme. À condition pourtant que vous rendiez la liberté à celle que j’aime, à Myrtille... »

Marguerite porta la main à son cœur. Et son regard devint dur.

« Que vous donniez ensuite l’ordre à messire Enguerrand de Marigny de ne pas s’opposer à mon union avec sa fille... »

Les lèvres de Marguerite s’ouvrirent comme dans un rire silencieux.

« Enfin, ajouta Buridan, que vous rendiez justice à la mémoire de mes amis Philippe et Gautier d’Aulnay, assassinés par vous. Justice qui sera complète lorsque vous aurez ordonné de rendre à cette famille les biens que lui a volés votre ministre. À ces conditions, madame, je consens à vivre. Autrement, à quoi me servirait la vie ?

– C’est bien, gronda Marguerite, dont les yeux flamboyaient. Méprisée, bafouée par toi, offensée à cette heure suprême par ton dernier dédain de l’amour et de la grandeur que je t’offrais ensemble, j’eusse voulu une vengeance plus complète et plus digne de moi. Tu m’échappes dans la mort. Soit ! Meurs donc, et adieu ! à tout jamais, adieu ! »

Marguerite jeta un dernier regard sur Buridan impassible. Et ce regard fut peut-être l’expression d’une sincère admiration.

Puis, avec un soupir elle se retourna et se dirigea vers la porte.

Cette porte qu’elle avait laissée ouverte, elle s’aperçut alors avec une vague inquiétude qu’elle était fermée. Cette inquiétude se changea en un commencement de terreur lorsqu’elle vit sur son chemin les deux hommes immobiles et silencieux.

« Qui êtes-vous ? » demanda-t-elle avec cet accent hautain qui traduisait son orgueil.

Et comme elle ne recevait pas de réponse :

« À moi ! cria-t-elle. À moi, mes braves !... »

La porte demeura fermée. Nul ne vint. Que se passait-il dans la tour ?... Pourquoi entendait-elle derrière cette porte quelque chose comme un rire ?... Cette fois, une sueur froide ruissela sur son front. Ce silence dans ce caveau, cet homme empoisonné qui allait peut-être tomber là dans un instant, foudroyé ; ces deux hommes masqués qui ne faisaient pas un geste... Marguerite sentit l’épouvante se glisser jusqu’à son cœur.

« Qui êtes-vous ? répéta-t-elle d’une voix qui demeurait ferme. Quand la reine ordonne, il faut obéir ! Parlez ! »

D’un même geste alors, les deux hommes arrachèrent les masques qui couvraient leurs visages.

Un instant, Marguerite demeura comme hébétée de stupeur.

Puis son visage se décomposa.

Elle se mit à reculer, livide, ses yeux exorbités fixés sur ces deux visages, dont l’un d’une tristesse mortelle, l’autre flamboyant de haine, tous deux semblables à deux figures pétrifiées.

Puis, brusquement, elle se couvrit les paupières à deux mains et, dans un hoquet d’épouvante insensée, râla :

« Philippe et Gautier d’Aulnay ! Les spectres de la Tour de Nesle ! »

*

Buridan n’avait pas bougé. Un silence funèbre pesa sur cette scène.



Marguerite de Bourgogne continua à reculer jusqu’au moment où elle se trouva acculée à un angle. Sur son passage, elle avait heurté la table qui avait vacillé : le tintement des brocs d’étain et des gobelets fut le seul bruit qu’on entendit dans le silence, mais aucun des personnages présents n’y prit garde.

Ils vivaient une inoubliable minute d’angoisse.

Marguerite, dans la terreur aiguë de cette vision que les superstitions du temps rendaient possible, vraisemblable, conforme à des vérités maintenant abolies...

Buridan, sans aucun doute empoisonné, attendant la seconde où il allait s’abattre dans le néant...

Philippe, le cœur étreint par l’amour qui, en lui, triomphait de tout : mépris, colère, terreur de la mort toute proche de son ami...

Gautier, grondant de sourdes imprécations et se demandant comment il allait tuer cette femme : d’un coup de couteau... ou en l’étranglant...

Cela dura une minute.

Et alors, dans ce silence funèbre, Marguerite fut prise de l’irrésistible curiosité que donnent les pensées d’abîme. Elle voulut revoir les spectres ! Elle laissa tomber ses mains et elle vit...

Elle vit Gautier qui s’avançait sur elle.

Et Gautier, avec un rire terrible, disait :

« Tu manquais à la fête, Marguerite ! Écoute ! Il est impossible que Buridan s’en aille tout seul de ce monde ! Tu l’accompagneras ! Hé ! Buridan ! Quel honneur pour toi ! Tu vas avoir l’escorte d’une reine pour entrer dans la mort, et quelle reine ! »

D’un bond, Gautier fut sur Marguerite.

Philippe, pâle comme si vraiment il eut été un spectre, ne bougea pas.

Seulement, il ferma les yeux pour ne pas voir ce qui allait se passer.

Alors la reine, de la terreur superstitieuse, passa à une terreur plus réelle. Elle comprit que Philippe et Gautier – par quel prodige ? elle n’eût su le dire ! – avaient échappé à la mort, au sac de Stragildo ! Elle comprit qu’ils étaient bien vivants ! Elle comprit que Gautier allait la tuer !

« Buridan ! Buridan ! hurla-t-elle. Défends-moi ! Ne me laisse pas mourir !...

– Vite ! Vite ! mes gentilshommes ! » rugit à ce moment une voix rauque et haletante.

Tous, jusqu’à Philippe, jusqu’à Gautier, se retournèrent.

« Lancelot ! cria Buridan.

– Vite ! répéta Bigorne. Dans une seconde, il sera trop tard !...

– Pas avant de l’avoir punie, tête et ventre ! vociféra Gautier, dont la main s’abattit sur la gorge de la reine.

– Gautier !

– Quoi ?... »

Philippe était tout près de Gautier.

Les deux frères se regardèrent. Ou du moins Philippe regarda Gautier. Et sans doute, il y avait dans ses yeux une de ces supplications ou de ces menaces suprêmes qui semblent jaillir du fond de l’âme dans des minutes exceptionnelles où tout le problème d’une situation se réduit à ces deux termes : vivre ou mourir, et où le reste ne compte plus.

Oui, ce dut être effrayant, ce qu’il y avait dans ce regard d’un frère à son frère, car Gautier, lentement, lâcha prise, recula en grondant comme un fauve et, tenant à deux poignées sa rude crinière, se sauva en hurlant une malédiction.

« En avant ! » cria Bigorne.

Marguerite s’était affaissée, évanouie, terrassée soit par la terreur, soit par le commencement de la pression puissante exercée par les doigts de Gautier.

Philippe s’agenouilla près d’elle. Il se baissa, se pencha, et ses lèvres glacées touchèrent les lèvres de Marguerite.

« En route, par saint Barnabé ! » tonna Bigorne.

Buridan saisit Philippe à bras-le-corps, le souleva, l’arracha à l’étreinte de ce baiser mortel et l’emporta... Quelques instants plus tard, tous se retrouvaient dans la salle du rez-de-chaussée de la tour, et Bigorne, avec un rire silencieux, leur montrait trois cadavres étendus sur les dalles. Puis, d’un geste narquois, il leur désigna la porte du fond qu’il avait fermée, et derrière laquelle les serviteurs de la reine faisaient rage.

La porte, attaquée à coups de masse, était sur le point de céder.

« Vous voyez, dit Bigorne, il était temps ! »

Il était temps, en effet. Car à peine étaient-ils dehors que la porte du fond cédait enfin et qu’une douzaine d’hommes, conduits par Stragildo, faisaient irruption dans la salle.


XXXIII



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