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Buridan le héros de la Tour de Nesle Beq michel Zévaco Buridan le héros de la Tour de Nesle


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Mabel


Nous avons laissé Mabel au moment où, après avoir passé la nuit à guetter Buridan et ses compagnons, après avoir constaté que Myrtille avait été laissée à la garde du jardinier de l’abbaye, elle rentrait au Louvre et se rendait auprès de la reine.

Marguerite l’attendait dans sa chambre à coucher, magnifique pièce ornée avec un luxe vraiment royal – mais un luxe d’une sévérité scrupuleuse.

Statues et tableaux profanes en étaient proscrits.

En revanche, les images de la Vierge et des saints s’alignaient dans leurs cadres d’or. Tout ici respirait l’honnêteté d’une grande et noble dame, et il semblait qu’au fronton de la porte, on eût pu écrire : Ici habite la plus vertueuse des reines.

Hypocrisie ?... Non.

Marguerite, sincèrement, dans l’intérieur du Louvre, voulait n’être que la reine de France – la reine par la puissance, par la beauté, mais aussi par la vertu.

Après son entretien avec Marigny et Valois, elle s’était réfugiée là, en tête-à-tête avec le sentiment qui devenait la pensée directrice de sa vie :

Son amour pour Buridan.

Cet amour l’étonnait et l’épouvantait.

Comme d’autres peuvent éprouver une terreur à surprendre au fond de leur âme une pensée de crime qu’ils essaieront d’étouffer jusqu’à ce qu’elle devienne plus forte que leur volonté, Marguerite s’épouvantait à trouver dans ce cœur farouche qui battait en elle une pensée de fraîcheur et de tendresse féminine.

Elle allait donc et venait dans cette chambre, repassant dans son esprit les incidents de la scène qui venait de se dérouler à la Tour de Nesle, elle s’excitait à la haine, elle s’excitait à l’humiliation... et elle ne trouvait en elle qu’un amour exaspéré par ces humiliations... par cette défaite qu’elle avait subie.

À d’autres moments, sa pensée se reportait sur Myrtille !...

Sa fille !

Sa rivale !

Et alors, chose étrange, elle se rassérénait, elle se retrouvait tout entière dans la fureur, elle trouvait une raison de haïr Buridan et de le condamner...

Comme le jour commençait à poindre, elle appela la fille de service qui, toute la nuit, se tenait en permanence dans une pièce voisine, et donna l’ordre qu’on lui amenât le capitaine des gardes.

Dix minutes plus tard, Hugues de Trencavel entrait dans l’oratoire dont Marguerite faisait volontiers sa salle d’audience.

Le capitaine des gardes ne s’était pas couché, ayant passé la nuit à prendre des mesures pour la journée du lendemain.

« Capitaine, demanda Marguerite, j’ai entendu parler d’une émotion parmi les écoliers. Que se passe-t-il ?

– Madame, dit Trencavel, il se passe que les écoliers, les clercs de la Basoche et les clercs de Galilée ont résolu d’accompagner ce Buridan qui a osé adresser un défi au premier ministre.

– Quoi ! ce Buridan aurait l’audace de se rendre sur le Pré-aux-Clercs ?

– On dit qu’il aura cette audace, Majesté.

– N’eût-on pas mieux fait de l’arrêter, en ce cas, et d’éviter ainsi pareil scandale ?

– C’est aussi ce qui a été essayé, madame, mais il a été impossible de mettre la main sur lui. En vain, les gens du guet ont fouillé Paris pour le trouver. Mais c’est en cherchant que les espions du prévôt ont pu savoir ce qui se prépare pour ce matin. Sous prétexte d’une monstre, basochiens et écoliers veulent tenter une mutinerie sur le Pré-aux-Clercs. »

La reine demeura quelques minutes pensive.

Le capitaine, immobile et raide, gigantesque dans son armure, attendait qu’elle lui ordonnât de se retirer. Mais, tout à coup, Marguerite reprit :

« Trencavel, il faut vous emparer de cet homme.

– De qui, madame, de Buridan ? Ce sera fait. Le roi déjà en a donné l’ordre. Dans quelques heures, ce ribaud aura cessé de vivre, Votre Majesté peut se rassurer.

– Trencavel, je ne vous demande pas de tuer Buridan, mais de vous emparer de lui. Je le veux vivant. Mais ce n’est pas tout. Je veux assister à cette émotion populaire.

– Rien de plus facile, madame. Trois compagnies vont se rendre sur le Pré-aux-Clercs. Moi-même, avec une compagnie plus forte, je m’enfermerai dans l’enceinte de l’abbaye. Si Votre Majesté daigne accepter mes services en cette occasion, je me fais fort de la conduire à une place de l’abbaye où elle pourra tout voir sans danger.

– Quel est cet endroit ?

– La maison du jardinier de l’abbaye. Votre Majesté prendra-t-elle place au milieu de l’escorte d’archers ?

– Non, non. Je me rendrai directement à l’abbaye. Je désire qu’on ne sache pas que la reine fait cette démarche. Allez donc. Je vous retrouverai dans l’abbaye, et là, je vous donnerai mes ordres. »

Trencavel se retira, et Marguerite rentra dans sa chambre en se posant la question que quelques heures plus tard Enguerrand de Marigny devait se poser à son tour :

« Buridan aura-t-il l’audace de se rendre sur le Pré-aux-Clercs ? »

Le jour vint.

La fille de service entra à son heure habituelle.

« Défais le lit » lui commanda Marguerite.

La fille eut un pâle sourire et se mit à improviser une sorte de désordre factice dans la chambre, afin que si le roi, comme cela lui arrivait, faisait à la reine une matinale visite, il n’y eût rien qui pût lui indiquer que Marguerite avait veillé toute la nuit.

C’est à ce moment que parut Mabel.

« Eh bien ? interrogea ardemment la reine, dès qu’elle fut entrée.

– Trop tard, répondit froidement Mabel, je suis arrivée trop tard. La maison de la Tourelle aux Diables était vide.

– Malédiction !... Mais les gens que j’avais mis à la Tourelle aux Diables ?

– Tués, blessés ou en fuite. J’ai passé le reste de la nuit à essayer de retrouver une trace du damné Buridan, mais toutes mes recherches ont été inutiles, je n’ai pu savoir ce qu’ils sont devenus... Buridan... ou Myrtille. »

En prononçant ce nom, Mabel jeta un avide regard sur la reine.

Mais, sur ce visage, elle ne put surprendre la trace d’aucune émotion.

Après la scène de la Tour de Nesle, après la nuit passée à veiller, à combiner, après enfin la nouvelle qu’elle venait de recevoir et qui eût dû la bouleverser, Marguerite semblait aussi calme, aussi reposée et sereine que si elle eût paisiblement dormi.

« Ce philtre dont tu m’as parlé ? reprit-elle.

– Il est prêt, ma reine !

– Et tu dis que celui qui l’aura bu éprouvera tous les tourments de l’amour ?

– Des tourments d’enfer, madame. Des tourments de l’âme, du cœur et du corps près desquels le supplice de la roue et le supplice des chiens1 ne sont que peu de chose, car ils font souffrir le corps seulement. Celui qui aura bu ce philtre, madame, aura le cœur déchiré de morsures, l’âme étreinte d’une inapaisable angoisse, le corps brûlé d’un feu que rien n’éteindra.

« Le baiser de celle qu’il aimera pourra peut-être rafraîchir un instant sa fièvre, mais non l’abattre. Cet homme aimera celle qui lui aura versé ce philtre. Il l’aimera, qu’il le veuille ou non. Il l’aimera avec fureur, avec folie, même s’il la hait. Et sa volonté détruite ne pourra rien contre cet amour. Il l’aimera éperdument, sans pouvoir espérer la fin de cette passion dévorante, même si la femme qu’il aime vient à mourir avant lui. Sa frénésie, loin de s’apaiser sous les caresses de la femme aimée, ne fera que s’exaspérer. Bientôt la fièvre ardente gagnera de proche en proche tous les organismes de la vie ; bientôt le sang ne sera plus dans son corps qu’un torrent de laves, bientôt sa pensée ne sera plus qu’un incendie, et dans cette combustion lente de son cœur, de son corps et de son cerveau, il se sentira mourir, il mourra avec les mêmes hurlements, les mêmes blasphèmes, les mêmes imprécations du juif qu’on met sur un bûcher. Seulement la flamme du bûcher tue en quelques minutes, et cette flamme d’amour tue en plusieurs mois, en un an peut-être... un an qui vaut un siècle d’enfer ! »

La reine avait avidement écouté ces paroles, et Mabel s’étonnait qu’elle ne lui parlât pas de Myrtille.

« C’est bien, dit enfin Marguerite ; dans deux heures, Buridan sera en mon pouvoir. »

Mabel tressaillit.

« Mais Myrtille ? murmura-t-elle.

– Dès l’instant où Buridan sera pris, il faudra bien qu’il dise où il la cache. »

Mabel l’approuva d’un signe de tête machinal. Elle voyait s’écrouler son plan de vengeance.

« Mais comment, reprit-elle, Votre Majesté va-t-elle pouvoir s’emparer de Buridan ?

– N’a-t-il pas donné rendez-vous, pour aujourd’hui, à Marigny, dans le Pré-aux-Clercs ?

– Eh bien ?

– Eh bien, Marigny sera au rendez-vous. Mais il y sera avec quatre compagnies d’archers. Avec Trencavel, j’ai organisé le plan de bataille, et le piège sera bien tendu. D’ailleurs, je serai là-bas moi-même.

– Votre Majesté ira sur le Pré-aux-Clercs ?

– Non, mais je serai dans l’abbaye.

– Dans l’abbaye ! » murmura sourdement Mabel.

Et avec une rage froide, elle songea que la maison où elle avait vu entrer Myrtille faisait partie de Saint-Germain-des-Prés.

« Tu seras avec moi, continua la reine. Nous nous tiendrons dans une cabane, une façon de chaumière qui appartient à l’abbé et où il loge son jardinier. »

Mabel pâlit. Quelque chose comme une imprécation gronda sur ses lèvres.

« Dieu ! » murmura-t-elle au fond d’elle-même.

On disait alors Dieu. On avait dit avant : Fatalité. On dit aujourd’hui : Hasard.

Trois termes qui, au fond, signifient la même chose.

Tous trois expriment des vérités subjectives, c’est-à-dire des vérités qui sont en nous, mais non hors de nous. Tous trois veulent dire simplement l’étonnement de l’homme en présence de phénomènes qu’il ne peut expliquer.

Alors, comme il se sent impuissant, il fait intervenir dans l’explication une force étrangère, et comme l’homme est incapable de concevoir quoi que ce soit qui n’ait pas de nom, il nomme cette force, il donne une étiquette, il la met dans un bocal, et la range soigneusement dans un tiroir de son cerveau où il la retrouvera toutes les fois qu’il en aura besoin.

Et alors, à tort et à travers, à tout propos, parce que cette explication arrange tout, supprime tout travail de recherche des causes immédiates ou lointaines, on entend des gens qui disent que c’est le hasard ! D’autres disent : « C’est la fatalité qui l’a voulu ! »

Mabel ne pouvant comprendre comment cet enchaînement de faits très naturels allait amener Marguerite de Bourgogne dans le logis où s’était réfugiée Myrtille, s’écriait : « Dieu ! »

C’était Dieu qui avait arrangé l’affaire.

Et en cette même circonstance, Dieu se montrait méchant pour elle.

« Est-ce que Dieu ne veut pas que je me venge ? songea-t-elle. Ou bien est-ce qu’il veut me signifier que l’heure n’est pas venue ?... Pourtant, j’ai beaucoup souffert. J’ai souffert dans mon âme autant que ces damnés d’amour dont je dépeignais la souffrance à cette femme. Pourtant aussi, j’ai attendu bien longtemps. J’ai attendu avec une effroyable patience. Depuis des années que je suis près de cette femme, pas une de mes paroles, pas un de mes gestes, pas un de mes regards n’a pu lui révéler la haine que je lui porte... Elle n’a vu que mes sourires, et pas une de mes larmes... Elle n’a pas entendu un seul de mes sanglots... Seigneur ! Mon Seigneur Dieu, pourquoi voulez-vous que j’attende encore ?... Pourquoi décrétez-vous que je n’ai pas assez souffert ?... Dieu ! Seigneur Dieu ! Je t’objurgue à la fin ! Je me révolte à la fin ! Je t’adjure de m’éviter ce supplice, que Marguerite soit réunie à sa fille ! Je te demande, je t’implore, et si mon imploration ne suffit pas, je te somme, au nom de tes propres lois de justice, de laisser en mes mains l’instrument de ma vengeance, la fille de celle qui tua mon fils !... »

Ainsi rugit Mabel dans le fond de sa conscience.

Sa menaçante apostrophe au Seigneur Dieu la calma.

Elle imagina, elle fut à peu près certaine qu’un ange avait dû recueillir cette adjuration et l’emporter là-haut jusqu’au trône flamboyant où l’Éternel reçoit les prières, les plaintes et les menaces des hommes.

XXIII



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