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Buridan le héros de la Tour de Nesle Beq michel Zévaco Buridan le héros de la Tour de Nesle


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La Tourelle aux Diables


Buridan descendit, la sueur au front, l’interminable escalier tournant. À chaque étage, il s’était attendu à voir tomber sur lui une nuée de spadassins. Mais, soit que Marguerite fût assez terrorisée pour le laisser partir, soit qu’elle ne fût pas revenue au sentiment assez tôt pour donner l’ordre de lui courir sus, il atteignit le rez-de-chaussée sans qu’il eût vu une ombre, sans qu’il eût entendu d’autre bruit que la plainte du vent qui battait des ailes dans la longue spirale.

Arrivé dans cette salle éclairée qui formait comme le vestibule de la tour, il frappa du poing sur la porte.

« C’est fait ! », dit la voix de Bigorne.

Buridan poussa alors les verrous intérieurs. Un instant plus tard, il se trouvait dehors. Alors, il chancela. La réaction des violentes émotions qu’il venait d’éprouver le terrassait.

Quatre hommes masqués, cachés au bord du fleuve parmi les saules, accoururent à l’appel de Bigorne, et bientôt, grâce à leurs soins, Buridan recouvrait son énergie.

D’un geste, il arrêta les mille questions qui se pressaient sur leurs lèvres.

« Vite ! fit-il, dans quelques minutes, il sera peut-être trop tard... La barque ?

– Elle est là, attachée à ce poteau, dit l’un des hommes masqués.

– Embarquons ! »

Tous cinq se précipitèrent sur la berge et entrèrent dans une barque attachée là, en effet, les avirons armés, toute prête à s’élancer sur les flots.

« Bigorne ? » fit Buridan au moment où la corde allait être dénouée.

Bigorne n’était pas là.

La corde était dénouée, il n’y avait plus qu’à pousser la barque d’un coup d’aviron.

« Partons ! fit l’un des hommes. Qui sait si de là-haut il ne va pas grêler des flèches !

– Bigorne ! appela Buridan. Un instant ! Je n’abandonnerai pas mon digne écuyer. Bigorne !...

– Me voici ! » répondit d’une voix rauque de terreur Lancelot qui accourait et qui, d’un bond, sauta dans la barque.

En même temps, ses genoux fléchirent et il se laissa tomber sur le banc, tandis que l’esquif, enlevé par deux vigoureux avirons, volait sur la surface du fleuve.

« Par la sang dieu ! grommela l’un de ceux qui ramaient, Lancelot se trouve mal !

– Il y a de quoi ! dit Bigorne en claquant des dents. Il y a de quoi, maître Guillaume Bourrasque.

– Tête et ventre ! fit l’autre rameur, aurais-tu bu de travers, Lancelot ?

– Non, messire Gautier !... J’ai vu un spectre, tout simplement... Ouf ! Je ne savais pas que de voir des êtres de l’autre monde, cela pût produire un tel effet sur un vivant ! J’en ai encore les cheveux hérissés !... »

Un silence passa sur la barque. Car Lancelot semblait, en effet, frappé d’épouvante, et parmi ces cinq hommes braves, résolus, capables de braver la mort, passa un frisson.

Riquet Haudryot – l’un de ceux qui ne ramaient pas – se signa.

Gautier d’Aulnay murmura une prière.

Cependant Philippe d’Aulnay, d’une voix d’angoisse, interrogeait Buridan sur ce qui s’était passé dans la tour...

Qu’avait vu Lancelot Bigorne ? Voici :

Au moment où il achevait de démolir la fortification de poutres qu’il avait élevée pour barrer la porte, au moment où Buridan sortait de la tour, une ombre avait surgi du fond des ténèbres, une femme, qui, d’un pas tranquille, était entrée dans la salle du rez-de-chaussée.

Bigorne entrevit-il son visage ? Ou bien la curiosité seule le poussa-t-elle ? Cette femme qui entrait là si paisiblement en un tel moment et en de si étranges circonstances, lui produisit-elle quelque mystérieuse impression ?

Lancelot Bigorne s’élança sur ses traces et la rejoignit au moment où elle allait mettre le pied sur la première marche de l’escalier. Il la saisit rudement par le bras.

La femme était masquée de noir...

« Tripes du diable ! gronda Lancelot, je saurai qui tu es !

– Tu veux savoir qui je suis ? » dit la femme d’une voix qui fit reculer Bigorne.

La femme, d’un pas ferme, s’approcha de la lanterne accrochée au mur, de façon que la lumière tombât sur son visage. Puis elle continua :

« Valet damné d’un maître maudit, tu veux savoir qui je suis ? Eh bien, regarde, Lancelot Bigorne !... »

En même temps, elle retira son masque. Un instant, Bigorne la considéra avec étonnement. Puis tout à coup ses souvenirs se levèrent. Un éclair illumina sa mémoire. Alors il devint livide de terreur, et chancelant, l’épouvante au ventre, il s’enfuit en murmurant :

« La mère du petit Jehan !... La dame de Dramans... La morte de Dijon ! »

Cette femme, c’était celle que Marguerite de Bourgogne appelait Mabel.

*

La barque, remontant le fleuve de biais, avait accosté au-dessus de la grosse tour du Louvre. Gautier l’attacha à l’un des pieux plantés dans le sable, et les six hommes s’élancèrent, Buridan en tête.



Quelques minutes plus tard, ils débouchaient sur la place de Grève et bientôt, ayant contourné la maison aux piliers (emplacement de l’Hôtel de Ville actuel), passèrent sous une sorte d’arche appuyée aux deux côtés de la rue du Mouton, et qu’on appelait l’arcade Saint-Jean.

À cent pas de cette arcade, se dressait une vieille tour abandonnée, qui avait peut-être fait partie des premières fortifications du Paris primitif vers ces époques lointaines où ce qui devait devenir la ville monstrueuse commençait à sortir de son berceau, l’île de la Cité.

C’était une tour carrée, dont la superstructure s’arrêtait au deuxième étage ; ses murs étaient disjoints, sa plate-forme effondrée, sa porte éventrée, ses fenêtres béantes. On l’appelait la Tourelle aux Diables, parce qu’on la supposait hantée d’êtres plus ou moins infernaux avec lesquels nous aurons sans doute l’occasion de faire connaissance, si toutefois cette perspective n’effraie pas le lecteur. Quant à nous, elle ne nous déplaît pas, ayant pu maintes fois constater qu’il n’est pires démons que ceux qui ne viennent pas de l’enfer.

On l’appelait aussi la Tour aux Diables, ce qui simplifiait.

D’autres enfin, qui avaient eu sans aucun doute l’occasion de dîner avec Satan et de constater ses digestions tonitruantes, l’appelaient – révérences parler – la Tour du Pet du Diable. Ce n’est pas notre faute, lecteur, si le langage populaire de cette époque ignorait les synonymes fleuris et musqués.

Contre le flanc gauche de cette Tourelle aux Diables et un peu en retrait, s’adossait un logis qui présentait son pignon sans fenêtre à la rue et dont la façade s’ouvrait sur une petite cour. Un mur séparait la cour de la rue.

« C’est là ! dit Buridan, en s’arrêtant au pied du mur.

– La question est de savoir si la ribaude n’a pas menti », fit Gautier.

Philippe étouffa un soupir, et Buridan tressaillit.

« Frère, murmura sourdement le premier, il est impossible que devant moi je laisse insulter la reine... »

Gautier haussa les épaules.

Mais déjà Buridan, aidé de Lancelot qui lui faisait la courte échelle, avait escaladé le mur et sautait dans la cour. Le roi de la Basoche et l’empereur de Galilée se hissèrent à leur tour. Les deux d’Aulnay demeurèrent dans la rue en surveillance, tandis que Bigorne, à califourchon sur la crête, s’apprêtait à sauter soit à l’intérieur, soit à l’extérieur, selon les circonstances.

« Qui va là ? » gronda tout à coup une voix.

En même temps, une fenêtre du rez-de-chaussée s’ouvrit violemment ; Buridan, qui s’avançait, vit une salle éclairée par des torches, et, dans cette salle, cinq ou six hommes armés.

« Arrière, truands ! vociféra la même voix, il n’y a rien de bon pour vous ici. »

Guillaume Bourrasque et Riquet Haudryot allaient s’élancer.

Buridan les contint, fit deux pas et prononça :

« Au nom de la reine ! »

L’homme qui parlait à la fenêtre se découvrit. Les autres abaissèrent leurs rapières.

« Que voulez-vous ? demanda le chef.

– Prendre la jeune fille qui vous est confiée et la transférer au Louvre. »

Buridan tremblait ; la réponse allait lui apprendre si Myrtille était là... Et l’homme répondit :

« Bien. Le mot d’ordre ?

– Marigny !... » cria Buridan d’une voix vibrante et enivrée sans la moindre hésitation.

Pourquoi cria-t-il ce nom plutôt qu’un autre ? Fut-ce rapide et instinctif raisonnement ? Fut-ce inspiration ? Le prononça-t-il au hasard ?

Le chef salua profondément et fit signe à ses hommes de rengainer :

Marigny était le mot de passe ! Le hasard est souvent plus près de la vérité que le calcul...

« Je vais vous ouvrir, dit l’homme avec respect. Prenez patience, messire. »

À ce moment, une fenêtre s’ouvrait au premier étage de la maison.

« C’est bien, dit Buridan, hâtez-vous, car nous sommes déjà en retard. »

Dans cette seconde, une voix enfiévrée de joie et d’espérance tombait de la fenêtre du haut :

« Buridan !...

– Myrtille !

– Enfer ! vociféra le chef de poste. C’est Jean Buridan ! Ho ! Ho ! Sus ! Aux épées !... »

Aussitôt, les gardes sautant par la fenêtre se ruèrent dans la cour vaguement éclairée par les torches qui, de la salle, envoyaient au-dehors leurs lueurs rougeâtres.

Myrtille jeta un cri déchirant.

« Ne crains rien, Myrtille ! » cria Buridan.

À cet instant, il se vit acculé au mur, tandis que Guillaume Bourrasque et Riquet Haudryot, hurlant, sacrant, jetant force blasphèmes, ferraillaient chacun contre deux assaillants.

Buridan n’avait pas d’armes !...

Rapidement, il avait enroulé son manteau autour de son bras gauche, et de son bras il cherchait à parer les coups, tandis que de la main droite, il essayait de saisir l’une des rapières qu’il voyait flamboyer à quelques pouces de sa poitrine.

« Rends-toi ! cria le chef, ou je te cloue à ce mur !

– Adieu, Myrtille ! » cria Buridan, qui envoya là-haut un suprême baiser.

Le chef se fendit à fond.

*

Dans la seconde qui suivit, Myrtille, éperdue, vit ceci :



L’homme qui venait de se fendre sur Buridan désarmé roulait sur le sol en grognant des imprécations furieuses ! Et Buridan, une épée à la main, s’élançait vers la maison avec un cri de joie délirante !...

La rapière du chef ne l’avait pas atteint ! Au moment où elle allait toucher la poitrine du jeune homme, elle avait dévié et l’assaillant lui-même s’était affaissé, assommé, écrasé par quelque chose d’énorme qui venait de tomber sur lui.

Ce quelque chose, c’était Lancelot Bigorne qui, sautant du haut du mur, s’abattait de tout son poids sur les épaules de l’homme et avait roulé avec lui sur le sol.

« Prenez ceci ! dit Bigorne en se relevant lestement et tendant sa rapière à Buridan. Je vous avais bien dit de ne pas sortir sans armes ! »

En même temps, il plantait sa dague dans les épaules du chef qui s’affaissa, cette fois, pour ne plus se relever, et il courut ouvrir la porte de la cour à Philippe et à Gautier qui firent irruption.

Par cette porte ouverte, les gardes survivants s’enfuirent en hurlant :

« Au meurtre ! Au truand ! Au guet ! »

Ce qui, d’ailleurs, n’eût servi qu’à mettre en fuite la patrouille du guet qui par hasard eût passé par là.

Guillaume et Riquet n’avaient pas une égratignure. Buridan avait deux éraflures aux mains.

Quelques minutes plus tard, Myrtille était dans les bras de Buridan.

On accorda aux amants dix minutes d’effusions après lesquelles Gautier d’Aulnay commanda :

« En route ! Il s’agit maintenant d’échapper à la diablesse de la Tour de Nesle, maintenant que nous avons exterminé les suppôts de la Tourelle aux Diables. »

On partit : Gautier en avant-garde, l’épée au poing, Bigorne à l’arrière-garde, la dague nue.

Le gros, composé de Philippe, de Guillaume et de Riquet, escortait Buridan au bras duquel se suspendait Myrtille.

La troupe ainsi disposée avait un aspect formidable qui eût intimidé une patrouille du guet et imposé une respectueuse prudence aux compagnies de truands qui eussent été tentées de l’attaquer.

Comme ils passaient sous l’arcade Saint-Jean, Buridan vit une sorte d’ombre noire immobile dans l’angle du pilier de gauche. Mais il supposa que c’était quelque truand et il n’y fit pas autrement attention. On arriva donc sans encombre à la rue Froidmantel. Mais chemin faisant, Myrtille, avec des larmes plein les yeux, avait eu le temps de dire à Buridan qu’elle avait un grand malheur à lui annoncer... Et elle lui avait raconté que son père, maître Claude Lescot, ne voulait pas entendre parler de Buridan...

Le jeune homme ne s’émut pas autrement de cette nouvelle, se chargeant, prétendit-il, de faire revenir le digne commerçant sur ses préventions.

Mais pour Myrtille, le refus de son père, cette haine étrange qu’il avait témoignée contre Buridan, c’était un plus grand malheur que l’accusation de sorcellerie elle-même.

Cependant Buridan l’avait à demi consolée en faisant valoir avec juste raison qu’au bout du compte, il était plus facile d’obtenir la miséricorde d’un père que celle de l’officiel chargé d’instruire le procès en maléfice.

« Quand maître Claude Lescot saura que j’ai sauvé sa fille, ajoutait à part lui le jeune homme, il faudra qu’il ait le cœur bien dur pour me refuser la récompense qui m’est due. »

Cette pensée constituait ce que de nos jours on appellerait presque un chantage. Mais pour atteindre au bonheur, tous les moyens semblaient bons à Buridan.

Dans le vieux logis d’Aulnay, il y eut conseil de guerre.

Myrtille raconta en détail son arrestation, et comment elle avait été jetée dans un cachot du Temple ; puis la visite qu’elle y avait reçue d’une dame fort belle et fort pitoyable, puis comment à la suite de cette visite, elle avait été transférée en pleine nuit dans ce logis dont elle ignorait la situation. Là, elle avait vécu sous la surveillance d’une femme, toute fuite étant rendue impossible par les hommes qui montaient la garde au rez-de-chaussée.

Il parut évident à tous que la visiteuse du Temple n’était autre que la reine. Il parut non moins certain que Myrtille avait été arrêtée sur l’instigation de Marguerite ; puis celle-ci avait dû se raviser, et pour tenir la jeune fille sous sa main l’avait fait conduire au logis de la Tourelle aux Diables.

Mais d’où pouvait venir l’inexplicable haine de Marguerite contre cette enfant ?

Là commençait l’inconnu.

Buridan seul pouvait approcher de la vérité en se disant :

« S’il est vrai que la terrible reine ait jeté les yeux sur moi depuis longtemps comme elle me l’a assuré, elle a dû me faire suivre et connaître mes visites à la Courtille-aux-Roses. De là sa volonté de perdre la pauvre petite Myrtille, innocente victime expiatoire, l’accusation de sortilège, l’arrestation et le reste. »

Alors se présenta la grosse question.

Il fallait trouver un logis sûr pour Myrtille.

Elle ignorait complètement où pouvait bien demeurer Claude Lescot, son père ; quant à la pauvre Gillonne, elle avait disparu, peut-être emprisonnée, disait Myrtille, peut-être victime de son dévouement (le lecteur sait à quoi s’en tenir sur ce dévouement).

Il était impossible que la jeune fille fût installée à l’hôtel d’Aulnay.

Guillaume Bourrasque, qui était marié, aurait bien offert son logis, mais il était en possession d’une femme jalouse et mûre par laquelle il se laissait battre.

Quant à Riquet Haudryot, il n’avait pas de domicile fixe et, d’ailleurs, vivait en garçon.

Il fallait pourtant trouver une retraite avant le jour, et les personnages qui composaient ce conseil de guerre se regardaient, décontenancés ; Buridan songeait déjà à confier Myrtille à dame Clopinel, son hôtesse, lorsque Lancelot Bigorne passa la tête par la porte entrebâillée.

« J’ai un logis pour la jeune fille, dit-il.

– Entre ! cria joyeusement Buridan, et explique-nous ton affaire.

– Et vide d’abord ce gobelet de bonne cervoise ! » ajouta Gautier.

Lancelot Bigorne ayant bu et essuyé ses lèvres d’un revers de main, s’expliqua :

« Voilà, dit-il. Dans le temps où j’étais un malandrin vivant sur l’ennemi, c’est-à-dire sur le bon bourgeois, un soir, ou plutôt une nuit, accompagné de deux dignes bons garçons, je rôdais aux alentours de la place de Grève, lorsque nous vîmes venir un falot qui s’avançait en tremblotant. Le falot était suspendu à la main d’une femme, grosse commère qu’escortait son mari. Nous nous consultâmes du regard. Je fis une rapide prière à saint Barnabé pour le remercier de l’aubaine. Je promis, selon mon habitude, la moitié du butin aux âmes du purgatoire, car je suis bon chrétien, Dieu merci, et je n’ai jamais traité un chrétien comme un juif, et il est bon que vous sachiez, messeigneurs, que si j’ai toujours gardé la part entière de mes prises sur un juif, je...

– Bois ! interrompit Gautier. Bois, ou tu vas périr !

– Quel bon basochien il eût fait !

– Abrège, mon digne Lancelot !

– J’abrège ! continua Bigorne. Donc, nous étant consultés du regard, mes deux compagnons tombent sur l’homme et moi j’arrive droit sur la commère. La commère s’évanouit. L’homme tombe à genoux. On le fouille, on ne trouve rien sur lui. Furieux, mes compagnons veulent emmener la commère en otage ! Le pauvre homme se met à pleurer. La femme sort aussitôt de son évanouissement et pousse des cris perçants. Si bien qu’ayant le cœur sensible, ce qui m’a toujours nui, je crie à mes confrères de laisser tranquille cette pauvre femme. Ils m’injurient. Je les charge, je les mets en fuite, je rassure de mon mieux la commère et son mari, et je les escorte jusqu’à la porte de Fert pour les protéger contre toute malencontre.

– Bigorne, dit Gautier, tu es un brave homme.

– C’est ce qui m’a empêché de faire fortune, messire ! Donc arrivé à la porte de Fert, voilà la commère qui m’embrasse sur la joue droite en pleurant comme laie en gésine et disant que j’ai sauvé sa vertu, ce qui était faux, mes gentilshommes, car je puis bien vous jurer que nous n’en voulions pas à sa vertu ; enfin, c’était son idée ; cependant, son mari, tout pleurant comme un veau, m’embrassa sur la joue gauche, disant que je lui avais sauvé la vie ; en sorte qu’entre ces deux embrassades, je demeurais ébahi, étouffé, malade d’attendrissement, et pleurant comme un âne qui brait d’émotion. »

Il y eut un éclat de rire qui éveilla les échos étonnés de la masure. Philippe d’Aulnay seul demeura rêveur...

Son âme était loin.

Bigorne porta la main à son cœur, avala une nouvelle rasade et continua :

« Lorsque nous eûmes suffisamment pleuré, lorsque nous nous fûmes raisonnablement confondus en embrassades, l’homme me dit : « Je m’appelle Martin et voilà ma femme qui s’appelle Martine. Je suis jardinier de l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés, et ma femme Martine lave et repasse les linges de Mgr Clément Mahaut, abbé prieur par la grâce de Dieu. Si vous tournez autour de l’abbaye, vous verrez du côté du Pré-aux-Clercs, contre le mur d’enceinte, une maison d’accorte apparence près de la petite porte des jardins. C’est ma maison. Ce sera la vôtre toutes les fois que vous en aurez besoin... »

– Un bienfait est toujours récompensé, dit Riquet Haudryot.

– Voilà ce que me dit le digne Martin, jardinier de l’abbaye, reprit Bigorne. Or, mes gentilshommes, vous saurez que plus de vingt fois j’eus l’occasion de demander l’hospitalité au bon Martin et à l’excellente Martine, qui me reçurent toujours à bras ouverts. Le logis est propre, gai, clair ; il y a justement une chambrette donnant sur les jardins du prieur, qui ferait l’affaire de cette jolie demoiselle... Dedans la maison et dans les dépendances de l’abbaye, sous la protection immédiate du seigneur abbé, et je ne sais trop si le roi lui-même oserait violer un pareil asile...

– Sais-tu que tu n’es pas bête, Lancelot ? fit Buridan.

– Heu ! dit Bigorne, je suis des environs de Béthune-en-Artois. Or, l’Artois, c’est presque la Flandre pour la sagesse, c’est presque la Normandie pour l’astuce, et c’est presque la Picardie pour la finesse... Supposez, monsieur, qu’il y a en moi un tiers flamand, un tiers picard et un tiers normand, et vous aurez trois serviteurs au lieu d’un.

– Comment ! reprit Buridan, tu es de Béthune ?

– Comme vous, monsieur, et ce m’est un grand honneur, je vous assure. »

Lancelot Bigorne fut convenablement félicité à l’unanimité du conseil de guerre et la résolution fut prise de conduire Myrtille, dès l’ouverture des portes, chez le bon jardinier de l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés.

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