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Buridan le héros de la Tour de Nesle Beq michel Zévaco Buridan le héros de la Tour de Nesle


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La messagère


On était à la veille du jour que Buridan, au nom de Philippe et de Gautier d’Aulnay, avait assigné à Enguerrand de Marigny, pour un combat à outrance ou duel judiciaire. Et ce n’était pas sans raison qu’il avait choisi le Pré-aux-Clercs comme terrain. En effet, en bordure de cette belle promenade, s’élevait la très vénérée abbaye de Saint-Germain-des-Prés. Or, les combats à outrance devaient toujours avoir lieu dans l’enceinte ou le voisinage d’un lieu sacré, puisque Dieu assistait au duel afin de favoriser le droit contre l’injustice, le combattant innocent contre l’adversaire méchant. Peut-être aussi, Buridan avait-il eu d’autres motifs d’adopter le Pré-aux-Clercs.

La veille donc de ce grand jour, vers midi, Buridan sortit du logis de dame Clopinel, son hôtesse, accompagné de Lancelot Bigorne, lequel marchait à dix pas derrière son maître, la capuche rabattue sur le front, le manteau relevé jusqu’au menton, la main sur le manche de la dague, soufflant, grognant des lambeaux de pensées qu’on pourrait ainsi traduire :

« Quel toupet ! Se montrer par les rues en plein midi, alors qu’il est cherché par le guet et le contre-guet ! Il nous fera pendre, c’est aussi sûr que saint Barnabé occupe un poste important parmi ses confrères, les saints du paradis !... Bah ! Après tout, être pendu hier ou demain... Et puis, ce sera une consolation que de monter au gibet en compagnie de mon maître qui me revient décidément, sauf qu’il ne m’a pas laissé étrangler quelque peu l’ancien maître... »

Buridan, arrivé au Louvre, se mit à faire lentement le tour de la royale bastille, sans autre idée précise que d’en étudier les abords.

Avait-il donc l’intention de pénétrer dans le Louvre ? De risquer la mort, de braver la garnison pour arriver jusqu’à la reine ? En réalité, rien n’était décidé dans son esprit, excepté la nécessité de voir la reine.

Il longeait donc le fossé, s’arrêtait devant les poternes, levait un œil vers les machicoulis, examinait les tours ventrues au haut desquelles flottait le guidon royal et où apparaissaient, découpées dans le ciel, des silhouettes d’archers, étudiait les portes formidablement défendues derrière les ponts toujours prêts à se relever en un clin d’œil, grâce à un système particulier de chaîne à contrepoids.

Bigorne, plus encapuchonné, plus pestant que jamais, louchait vers les murailles noircies au-delà desquelles apparaissaient les logis royaux, avec leurs pignons flanqués de tourelles, leurs balcons à balustres, leurs toits hérissés de girouettes.

« Le moins qui puisse nous arriver, grommelait-il, c’est d’être reconnus par ces hommes d’armes qui se promènent sur ces murs et de recevoir une volée de traits de flèches... »

Ayant mis près d’une heure à faire le tour de l’enceinte, Buridan finit par s’arrêter, en poussant un soupir de doute, non loin de la grosse tour où, suivant la tradition instituée par Philippe-Auguste, les grands feudataires de la couronne devaient sous peu faire hommage au nouveau roi Louis X, d’où est venue l’expression, longtemps consacrée, que les hauts barons féodaux « relevaient de la grosse tour du Louvre ».

Plus loin, le long des berges de la Seine, verdoyantes de saules et de peupliers, Buridan jeta un long regard sur les trois tours du Fer-à-Cheval, de Windal, des Porteaux, qui, de ce côté, défendaient l’enceinte.

Puis, ce regard, il le ramena sur la grosse tour appelée aussi tour Philippine, sur les huit croisées de chaque étage garnies d’énormes barreaux de fer, sur sa plate-forme crénelée qui s’élevait à quatre-vingt-seize pieds du sol.

Brusquement, il se retourna, comme attiré malgré lui vers un spectacle évoqué par celui qu’il avait sous les yeux, et de l’autre côté de l’eau, en face, il vit la Tour de Nesle...

*

Longtemps, il demeura songeur, les sourcils contractés, l’œil fixé sur ce géant de pierre qui, dans la clarté du jour, prenait des teintes blafardes et gardait une attitude de mystérieuse menace.



Puis, secouant la tête, il fit un mouvement pour se retirer.

À ce moment, il vit une femme près de lui... immobile, le contemplant avec une sombre curiosité...

*

D’où venait-elle ? Par où était-elle arrivée ? De derrière ces saules, peut-être ? Ou bien de la grosse tour du Louvre ?...



Buridan ne l’avait ni vu, ni entendu venir.

Elle était là, voilà tout.

Il essaya d’entrevoir le visage sous la capuche, mais le visage était masqué.

Buridan frissonna.

Cette femme était grande, de proportions harmonieuses, une de ces femmes sur le passage desquelles on se retourne pour admirer la naturelle élégance d’une attitude humaine.

Buridan jugea qu’elle devait être d’âge avancé déjà, malgré la beauté des lignes du corps – car ses cheveux, qu’il entrevit, s’argentaient de fils d’argent.

« Or çà, dit-il, qui es-tu ?

– Comment, Jean Buridan, tu ne me reconnais pas ? » fit l’inconnue avec une sorte d’ironie.

Buridan reconnut la voix et tressaillit longuement.

« Si fait, par le sang de Dieu ! fit-il sourdement, tandis qu’il se sentait pâlir. Tu es la sorcière qui, un soir, m’aborda dans la rue Froidmantel et me donna un rendez-vous...

– C’est vrai. Je suis celle que tu dis. Mon nom est Mabel. Je ne suis pas sorcière. Je suis une pauvre femme que des gens emploient à leurs missives ou commissions, voilà tout. »

Elle garda une minute un silence embarrassé, comme si elle eût cherché un moyen d’exprimer une chose difficile.

« Tu ne vas plus rue Froidmantel ? reprit-elle tout à coup.

– Comment sais-tu que j’allais rue Froidmantel ? Comment sais-tu que je n’y vais plus ?... »

Mabel se mit à rire.

« Je sais que tu y allais, parce que je t’ai suivi plus d’une fois, et que je t’ai vu entrer dans une vieille maison où habitent tes deux amis... j’ai oublié leurs noms.

– Philippe et Gautier d’Aulnay », dit Buridan du ton de voix le plus naturel.

Il se sentait en présence d’un mystère.

Cette femme, c’était l’incarnation du mystère de la Tour de Nesle...

Il comprenait qu’elle cherchait à l’enlacer dans un réseau de questions.

Et il parlait, il interrogeait, il répondait comme il eût attaqué ou paré dans une passe d’armes.

« Philippe d’Aulnay ! Gautier d’Aulnay ! C’est bien cela, je me rappelle ! reprit la femme. Voilà ! je savais donc que tu fréquentais assidûment chez ces dignes gentilshommes. Ceci t’explique pourquoi je t’ai cherché et trouvé rue Froidmantel. Mais... pourquoi ne t’y ai-je plus vu ?

– Ah ! fit Buridan, parce que je n’ai plus affaire dans cette rue. Et même, j’aurais horreur d’y entrer. Écoute, femme... As-tu, dans ta vie, habité une maison où tu as été heureuse, où habitait avec toi le bonheur ?... Si le malheur est entré tout à coup dans ce logis, n’est-il pas vrai que tu l’as pris en haine et que tu t’en es écartée à jamais comme si, en fuyant le lieu de souffrance, tu espérais retrouver le bonheur perdu ?... Est-ce vrai, cela ?...

– C’est vrai ! fit Mabel d’une voix si morne, d’un si terrible accent, que Buridan en fut bouleversé jusqu’à l’âme.

– Eh bien, continua le jeune homme, sache que, dans cette rue Froidmantel, dans ce vieux logis que tu dis, j’ai longtemps connu le bon rire insoucieux, les bonnes franches lippées autour de la table, les longs entretiens les soirs d’hiver... Philippe et Gautier, vois-tu, c’étaient mes frères. Je les aimais. Et comme je n’ai connu ni père ni mère, je les regardais comme ma famille... »

Buridan se tut.

Quelque profonde et violente émotion devait faire palpiter la femme, car elle aussi se taisait. Mais bientôt, secouant la tête comme pour revenir à des pensées plus positives et plus immédiates :

« Doux Jésus ! fit-elle, serais-tu en désaccord avec ceux que tu aimes ?

– Non, femme. Entre nous, pas de désaccord. Nous avions la même pensée. Un seul cœur battait dans nos trois poitrines...

– Hélas ! seraient-ils donc morts ?

– Je ne sais. Ils ont disparu, voilà tout ! Mais si bien disparu que nul n’a pu m’en dire des nouvelles. Ont-ils quitté Paris sans me prévenir ? Sont-ils au fond de quelque prison ? Ou même ont-ils succombé dans quelque duel ?... Qui peut le savoir ?

– Quoi ! Personne n’a pu t’en donner le moindre indice ? Vraiment, personne ?

– Si j’étais évêque, j’interrogerais Dieu. Si j’étais sorcier, j’interrogerais le diable. Et alors peut-être saurais-je ce qu’ils sont devenus... et encore, qui sait ! »

Une sorte d’imperceptible satisfaction apparut, non dans les gestes, mais dans l’attitude détendue de Mabel.

« Adieu, femme, fit brusquement le jeune homme, les souvenirs que tu viens d’éveiller par tes questions me sont pénibles. En tout cas, si jamais tu as à me parler, ce n’est plus rue Froidmantel, qu’il me faut chercher.

– Un instant », dit Mabel en l’arrêtant par le bras.

Il y avait comme une sourde émotion dans son accent. Et tout à coup, d’une voix étrange, elle murmura :

« Jean Buridan, vous avez dit tout à l’heure une chose qui m’étonne... une chose d’une terrible tristesse... vous avez dit que vous n’avez connu ni père ni mère...

– C’est vrai, fit le jeune homme, dont le front se plissa.

– Ah ! reprit Mabel d’une voix plus basse. De quel pays êtes-vous donc ?...

– De Béthune en Artois », répondit Buridan.

Mabel passa sa main sur son front, et si Buridan avait pu écouter la pensée de cette femme comme on écoute la parole, voici ce qu’il eût entendu murmurer au fond du cœur de Mabel :

« Pauvre jeune homme ! Ni père, ni mère !... Est-ce que je ne devrais pas l’épargner, moi, qui suis la mère sans enfant ?... L’épargner !... Renoncer à ma vengeance !... Ah !... plutôt m’arracher le cœur !... Il s’appelle Jean !... comme mon fils... Et qui sait si ce n’est pas un indice que Dieu est avec moi !...

Elle jeta un rapide coup d’œil sur la grosse tour du Louvre et ce coup d’œil, par ricochet, rebondit sur la Tour de Nesle...

« Jean Buridan, reprit-elle alors, j’ai à te parler. Comme le soir de la rue Froidmantel, je te suis envoyée par une personne puissante... mais cette fois, ce n’est pas un homme qui m’envoie, c’est une femme !... Écoute, Jean Buridan... Ce n’est pas de haine qu’on veut t’entretenir, c’est d’amour !... »

Le cœur de Buridan battait à rompre.

« Marguerite ! Marguerite ! gronda-t-il dans sa pensée, tu y viens donc de toi-même ! C’est donc toi-même qui m’appelles, à la minute où je désespérais de pouvoir t’aborder ! »

Mabel le considérait attentivement. Il éclata de rire.

« Par Danaé, que Jupiter, roi des dieux, honora de son amour, l’aventure est plaisante ! Femme, ne t’occupe pas de mes haines, car la vengeance, vois-tu, est un plat dont je ne veux céder aucune part. De là, si tu as étudié la logique, tu dois comprendre que je ne sois pas venu voir l’homme qui m’appelait... mais aujourd’hui, c’est autre chose ! Une femme ! l’amour ! comment résister à cela ?

– Ainsi, Jean Buridan, tu viendras ?

– Je le crois bien ! Une personne puissante m’appelle... tu dis puissante, n’est-ce pas ? C’est-à-dire de taille à m’étouffer dans ses bras ?... J’aime les femmes puissantes, moi.

– De taille à assurer votre fortune, dit Mabel en hésitant, avec une sorte de regret.

– Ah ! quelque baronne ? Une comtesse, peut-être ? Ma fortune a grand besoin d’être assurée, en effet, et puisque l’occasion s’en présente... Quand suis-je attendu ?

– Ce soir, à dix heures...

– Bon, où cela ?...

– Regardez devant vous, dit Mabel, de l’autre côté de l’eau.

– À la Tour de Nesle ! fit Buridan avec le même éclat de rire. On y sera, dussé-je y voir s’ouvrir l’enfer... »

Mabel jeta un long regard sur Buridan, ses lèvres tremblèrent comme si elle eût eu quelque mystérieuse parole à prononcer tout bas, il y eut dans ses yeux une ombre de pitié, mais brusquement, elle fit un geste pour recommander la prudence et le silence à Buridan, puis elle s’éloigna lentement le long des rives du fleuve.

Buridan demeura à la même place, les yeux fixés sur la Tour de Nesle.

XVII



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