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Buridan le héros de la Tour de Nesle Beq michel Zévaco Buridan le héros de la Tour de Nesle


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La mère


Morne, comme un condamné qu’on mène au supplice, Valois se mit à précéder la reine. Il oubliait tout à ce moment, jusqu’à cette passion même qu’il ressentait pour sa prisonnière. La situation, en effet, était hérissée d’écueils : il comprenait ou croyait comprendre qu’il y avait entente entre Marguerite et Enguerrand de Marigny. Cette alliance aboutissait à un complot destiné à assurer la fuite de Myrtille. Or, la fuite de la sorcière – car c’était une véritable évasion qui se préparait – cette fuite, ce n’était pas seulement son propre écrasement et le triomphe de Marigny, c’était aussi le procès de haute trahison, c’était la condamnation assurée... c’était la mort.

Valois avait donc pu s’écrier rigoureusement :

« C’est ma vie que vous me demandez ! »

La reine avait remis son masque et rabattu sa capuche sur sa tête.

Ils arrivèrent dans une cour, et là, sur un signe de Valois, un homme, porteur de clefs et muni d’une torche, les précéda. Bientôt ils s’enfoncèrent dans l’escalier qui descendait sous la grosse tour. Il régnait là une atmosphère méphitique, mais Marguerite n’y prenait pas garde, et si elle frissonnait, c’était de ses propres pensées.

Le porteur des clefs ouvrit une porte.

Marguerite se tourna vers Valois et le regarda fixement.

Le comte comprit ce regard : la torche ayant été plantée sur une tige de fer qui servait à cet usage, il se retira, emmenant le geôlier.

Peu lui importait, d’ailleurs, ce que la reine pouvait avoir à dire à la prisonnière !...

Lorsqu’il remonta dans la cour, il faisait assez nuit pour qu’on ne remarquât pas sa pâleur...

« Je suis perdu, répéta-t-il en lui-même. De quelque côté que je me tourne, je ne vois aucune issue à la situation. Armée de cette lettre, implacable, âme de glace quand il s’agit de pitié, âme de feu quand il s’agit de tuer, la reine me réduira en poussière au premier geste que je ferai pour me défendre. Eh bien ! soit ! Je vais partir. Je me réfugierai chez quelqu’un de ces seigneurs qui, depuis la mort du feu roi, redressent la tête. Et là, je préparerai contre Marigny, contre la reine, contre le roi, contre Paris, contre tout ce qui me hait... oui, j’ourdirai une de ces trames qui enlacent mille victimes. Je veux, patiemment et fortement, m’assurer une de ces vengeances qui étonnent le monde et qui lui font dire : « Celui-là était un fort ! Celui-là a entrepris une lutte effrayante contre tout et tous à la fois, et il l’a menée à bien !... »

Un orgueil sinistre flamboya un instant sur le front de cet homme qui, courbé tout à l’heure, se redressait maintenant.

« Simon ! appela-t-il d’une voix brève.

– Me voici, monseigneur ! »

Et Simon Malingre – celui-là que nous avons vu une seconde à la Courtille-aux-Roses, à l’heure où nous avons ouvert ce récit –, Simon Malingre, qui ne quittait jamais le comte de Valois, se détacha d’un pan d’ombre...

Ce Simon Malingre surgissait toujours des coins noirs et humides, comme les cloportes.

« Simon, fit le comte d’une voix basse et ardente, tout est perdu...

– J’ai tout entendu, tout compris, monseigneur !

– Cours à l’hôtel. Que dans une heure tout soit prêt pour ma fuite !...

– Nous sommes toujours prêts, monseigneur ! Des chevaux toujours sellés attendent ! Des mules sont prêtes à recevoir les outres pleines d’écus qu’il n’y a qu’à placer sur les bâts. Pour le reste, je conseille à Monseigneur de laisser l’hôtel en état. Peut-être la fuite ne sera-t-elle pas indispensable dès cette nuit...

– Que veux-tu dire ? gronda le comte. Parle !... Çà, ce m’est un terrible crève-cœur que de partir en laissant ici cette Myrtille... »

Le comte étouffa un soupir.

« Que Monseigneur lise d’abord cette missive ! » dit Simon Malingre.

Étonné, Valois prit le papier que lui tendait son valet, se rapprocha d’une lanterne accrochée au mur et se mit à lire. Voici ce que contenait la lettre :

« Monseigneur,

« Vous ne me connaissez pas, mais je vous connais, et cela suffit pour l’instant. Je sais que vous haïssez Marigny. Ma haine égale la vôtre : voilà ce que je puis vous dire. Voulez-vous que de ces deux haines nous en fassions une seule ? Voulez-vous que je vous aide à triompher de Marigny ? Voulez-vous m’aider, vous, à assurer ma vengeance contre cet homme ?... Si c’est non, brûlez ou déchirez cette lettre que je confie à votre honneur de chevalier... Si c’est oui, je vous attendrai trois nuits de suite à partir de demain, vers minuit, au-dehors de la porte aux Peintres. Et je signe de mon nom : Jean Buridan. »

« Jean Buridan ! murmura Valois. Le salut, peut-être !... Oui, l’homme qui a été capable d’oser ce que celui-ci a osé à Montfaucon, ce rude homme peut, en effet, me sauver !... Avec un millier d’écus, je puis me l’attacher... Simon !

– Je suis là, monseigneur !

– Simon, dit Valois, nous ne partirons pas cette nuit !... »

*

Marguerite avait pénétré dans le cachot que les lueurs rougeâtres de la torche laissée dans le couloir éclairaient de vagues clartés mouvantes.



Dans l’angle le plus renfoncé de ce réduit, elle vit Myrtille...

Une minute, elle la contempla avidement, silencieuse, palpitante d’une émotion qu’elle cherchait à refouler et, tout au fond d’elle-même, elle murmura :

« Ma fille ! »

Myrtille, les yeux agrandis par l’épouvante, regardait de son côté cette inconnue...

Si vous avez jamais vu l’oiseau qu’on vient de prendre au filet au moment où, heureux, ivre d’espace, il racontait au ciel, au bois, au ruisseau, l’infini bonheur d’être libre et d’aimer, si vous l’avez vu tremblant, le cœur battant, ses petits yeux pleins d’étonnement et d’effroi, blotti au plus loin et paraissant demander pourquoi il y a des êtres si méchants sous la lumière du soleil qui luit pour tous, vous aurez une idée de l’attitude et des pensées de Myrtille.

La reine songeait ceci :

« Comme elle est belle !... Aussi belle que je l’étais à son âge, avec plus de suave douceur dans le regard... Pauvre petite ! »

Peut-être y avait-il au fond du cœur de Marguerite une sourde jalousie contre cette beauté qui l’étonnait. Elle secoua la tête et, comme pour s’exciter à la pitié, répéta :

« Pauvre petite ! Comme elle tremble !... Ne craignez rien de moi, mon enfant », fit-elle d’une voix si harmonieuse et si miséricordieuse que les larmes jaillirent des yeux de Myrtille...

Et dans le même instant, la jeune fille, d’un pas hésitant encore, s’avança vers cette femme qui lui apportait un rayon de consolation.

Marguerite tremblait...

Cette enfant que si souvent elle avait demandée à Marigny, oh ! que de fois elle avait pleuré en songeant à elle ! Que de fois elle avait imaginé avec des tressauts d’angoisse la minute où elle la reverrait !... Et cette minute était arrivée ! Sa fille était devant elle !

Marguerite eut comme un vague mouvement des bras vers sa fille.

Elle eut au fond du cœur comme le balbutiement d’un cri qui eût été peut-être sa rédemption :

« Je suis ta mère ! »

Mais ce cri vint expirer sur ses lèvres.

Mais les bras qui se tendaient pour étreindre l’enfant si ardemment désirée retombèrent.

Et Marguerite se répéta :

« Comme elle est belle ! »

Et cette fois, elle tressaillit, car elle comprenait que cela la faisait sourdement souffrir !... Une fois de plus, c’était le mauvais génie qui triomphait dans cette âme.

« Oh ! madame, murmura Myrtille, vous paraissez si bonne et si douce ! M’apportez-vous des nouvelles de mon père ?... Comme il doit pleurer et se désespérer ! Ah ! dans l’affreuse situation où je me trouve, c’est cela, voyez-vous, qui me fait le plus de mal...

– Je ne connais pas votre père », dit sourdement Marguerite.

Myrtille baissa la tête et recula de deux pas.

« J’ai voulu vous voir, continua la reine, comme je viens voir toutes les prisonnières qu’on amène ici... J’ai voulu vous apporter quelques consolations.

– Soyez bénie, madame, dit Myrtille d’une voix morne.

– Mais... pourquoi vous a-t-on mise au Temple, pauvre enfant ? Vous parliez de votre père... Mais votre mère... elle doit bien pleurer aussi ?

– Je n’ai pas de mère, dit Myrtille. Elle est morte le lendemain de ma naissance. Jusqu’à ce jour, voyez-vous, lorsque je songeais à ma mère, j’étais triste de ne pas l’avoir connue, mais maintenant je vois que c’est heureux qu’elle soit morte... car quel serait son désespoir !... »

Marguerite tressaillit et se mordit violemment les lèvres.

« Vous me demandez, continua la prisonnière, pourquoi on m’a mise ici. Je n’en sais rien, madame ! Des hommes sont venus à la Courtille-aux-Roses... Connaissez-vous la Courtille-aux-Roses ?... C’est tout près du Temple, et même, lorsque je regardais la bastille, je me souviens que l’ombre de son donjon s’allongeait jusqu’à ma fenêtre et me faisait peur... Il me semblait que cela voulait me prendre !... Enfin, c’est pour vous dire. Je n’ai fait aucun mal... Mon père s’appelle maître Claude Lescot ; il achète et il vend les magnifiques tapisseries qui se font au lointain pays des Flandres, comme vous pouvez le savoir. C’est pour vous dire qu’il m’avait mise avec Gillonne à la Courtille-aux-Roses où je vivais bien heureuse depuis des années, n’ayant d’autre souci que de prier pour mon père les soirs où les vents et la pluie fouettaient le logis... Quel mal ai-je pu faire ?

– On dit que vous êtes sorcière, fit Marguerite en essayant d’assurer sa voix.

– Comment serais-je sorcière, dit doucement Myrtille, puisque j’ai encore communié à Pâques, ainsi que le desservant de la chapelle Saint-Nicolas pourrait en témoigner ? »

Et Myrtille se reprit à pleurer. Elle était si pâle, si triste, si jolie que les plus indifférents eussent été bouleversés de pitié à voir tant de grâce et d’innocente beauté en ce lieu de terreur.

Marguerite sentait son cœur trembler.

Il y eut en elle comme un rayonnement d’amour maternel. Les pensées perverses, les passions terribles, les idées sanglantes s’enfuirent de son esprit comme les oiseaux des ténèbres des trous impurs où, par hasard, entre un jet de lumière vivante ; son sein palpita, sa gorge s’oppressa... elle fit deux pas rapides, saisit la jeune fille dans ses bras et l’étreignit convulsivement.

« Ne pleure plus, râla-t-elle, ne pleure plus, enfant ! je puis beaucoup... Je puis t’arracher à la mort... Je puis te faire sortir à l’instant de ce lieu d’épouvante... »

Extasiée, enivrée, Myrtille écoutait ces paroles et croyait rêver...

Et dans ce cœur d’une adorable naïveté, à cette minute radieuse où elle entrevoyait la liberté, la vie, le bonheur, elle joignit les mains et balbutia :

« Ô ! mon bon père, tu ne pleureras donc plus... Ô ! mon cher Buridan, tu ne mourras donc pas de la mort de Myrtille !... »

Marguerite de Bourgogne, lentement, desserra la maternelle étreinte dont elle enlaçait sa fille.

Puis, lentement, elle recula.

Et comme Myrtille levait sur elle ses yeux candides et purs, elle la vit affreusement pâle...

« Madame, fit-elle dans un élan, qu’avez-vous ?... Oh ! vous souffrez !...

– Non, non, bégaya Marguerite. Rassurez-vous. Tenez, parlez-moi du bonheur de ceux que vous allez revoir... votre père... votre bon père... et puis... comment avez-vous dit ?

– Buridan... Jean Buridan », fit Myrtille avec un sourire d’infinie tendresse.

Marguerite étouffa le rugissement qui montait à ses lèvres. Et tandis que, comme après les accalmies, la tempête, l’horrible tempête des passions, se déchaînait, hurlait dans son cœur, elle aussi sourit !... Et elle dit doucement :

« Votre frère, peut-être ?... Non ?... Un ami, sans doute ?

– Mon fiancé, dit Myrtille.

– Votre fiancé... fit Marguerite, avec un soupir atroce, et il vous aime ?... Vous l’aimez ?

– Je crois, madame, que si Buridan mourait, je mourrais, voilà tout... Et je suis sûre que s’il m’arrivait malheur, il viendrait mourir là où je serais morte...

– Oui, oui... gronda précipitamment la reine, je comprends. Eh bien !... Eh bien, rassurez-vous, jeune fille... il est impossible que l’amour de Buridan ne vous sauve pas... attendez quelques heures encore... je vais m’occuper de votre bonheur !... »

En parlant ainsi, elle reculait... elle entrait dans le couloir... elle repoussait la porte... et quand elle eut fermé cette porte, comme le geôlier était parti avec Valois, sa main... sa main blanche, fine, nerveuse, sa main maternelle s’abattit sur l’énorme verrou, muselière de fer pour la gueule du cachot.

Un instant, elle hésita...

Elle regarda autour d’elle, comme si elle allait commettre l’irrévocable crime pour lequel il n’est pas de pardon possible...

Brusquement, sa main poussa le verrou...

Le verrou grinça.

Le cachot sanglota...

Et la mère de Myrtille, ayant achevé d’enfermer sa fille, lente, pantelante, courbée, se glissa le long du couloir et remonta vers la lumière des étoiles.

*

Valois était là.



En la voyant reparaître seule, il frémit. Mais il n’eut pas le temps de se demander ce que cela signifiait, heur ou malheur : déjà Marguerite s’approchait de lui.

« Comte, dit-elle d’une voix encore agitée, je n’emmène pas la prisonnière. Au lieu d’être ton ennemie, je deviens ton alliée. Écoute-moi bien, suis bien mes ordres, et peut-être jamais ne fus-tu aussi près de la puissance que tu convoites. »

Valois s’inclina. Mais il songeait :

« La tigresse fait patte de velours... est-ce qu’il serait déjà trop tard pour que je puisse me défendre ?... »

« Ce soir, à minuit, continua la reine, tu remettras la prisonnière aux gens qui viendront en mon nom et qui la conduiront en lieu sûr. Nul au monde, par ma faute, ne saura que la sorcière n’est plus au Temple. Et comme le roi ne connaît pas son visage, il t’est facile... écoute ! il t’est facile de mettre à sa place quelque fille qui sera interrogée puis questionnée, puis pendue ou brûlée comme si elle était Myrtille... sommes-nous d’accord, Valois ?

– Oui, Majesté, répondit le comte.

– À ce prix-là, dès la fin du procès qui va s’instruire, je te rendrai la lettre... tu sais... la belle lettre d’amour qui t’enverrait demain à Montfaucon si je la remettais ce soir au roi ! »

Sur cette dernière menace, la reine s’éloigna.

« Va, rugit le comte, va, vipère ! je n’aurai pas besoin pour t’écraser de t’arracher la dent empoisonnée dont tu cherches à m’épouvanter !... Ce Buridan... oui, cet homme peut, d’un bon coup de dague, me débarrasser d’abord de Marigny... et alors, Marguerite, ce sera à nous deux !... Alors, Marguerite, ce sera à ton tour de trembler ! Car je t’ai guettée, Marguerite, car j’ai sondé le fleuve où tu enfouis tes sanglants secrets ! Car j’ai interrogé les spectres qui escortent ta funeste Majesté et ils m’ont répondu : « Cherche à la Tour de Nesle !... »

La reine avait rejoint la litière près de laquelle Enguerrand de Marigny attendait. Il n’avait pas bougé de place. Il était resté immobile, les yeux fixés sur le pont-levis du Temple.

Lorsqu’il vit que Myrtille n’accompagnait pas la reine, il eut seulement un tremblement de mains. Et quand Marguerite fut près de lui, il l’interrogea d’un regard si sombre qu’elle frissonna :

« Inexorable ! dit-elle rapidement. Rien n’a fait. Nul prières, ni menaces. Marigny, il nous faut chercher un autre moyen de la délivrer.

– Vous l’avez vue ? demanda avidement le premier ministre.

– Oui, je l’ai vue !...

– Que fait-elle ? Que dit-elle ? Oh ! qu’elle doit pleurer ! Vous a-t-elle parlé de moi ?

– Elle ne pleure pas, Marigny. Elle ne m’a pas dit un mot de son père...

– Pas un mot ? Quoi ! pas un mot pour moi !...

– Non, Marigny, pas un mot. Et c’est naturel, puisqu’elle n’est préoccupée que de celui qu’elle aime... car elle aime... elle me l’a dit, elle ne m’a parlé que de son amour pour ce Jean Buridan... »

Marigny se redressa violemment, son visage douloureux jusqu’alors prit une sauvage expression de fureur et de haine.

« Ah ! gronda-t-il, elle l’aime ! même après ce que je lui ai dit ! Même au fond de cette prison ! Pas un mot pour son père !... Buridan ! Toujours Buridan... Eh bien, dussé-je moi-même mourir de douleur à la voir mourir, plutôt d’accepter l’infamie de cet amour.

– Eh bien, Marigny ?

– Eh bien... qu’elle meure donc !... »


XV



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