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Buridan le héros de la Tour de Nesle Beq michel Zévaco Buridan le héros de la Tour de Nesle


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Le Temple


Quelques heures plus tard, vers la tombée de la nuit, le crieur de la prévôté, à cheval, entouré de sergents, escorté d’un héraut sonnant de la trompette, s’arrêtait sur la place de Grève après une longue tournée dans Paris. Le héraut sonna. La foule se rassembla et le crieur, à haute voix, se mit à lire un parchemin qu’il déroula :

« Ce jourd’hui, douzième du mois de mai de cet an 1314, nous, Jean de Précy, prévôt de cette ville, à tous habitants, artisans, bourgeois et autres, faisons savoir les volontés expresses de Sa Majesté notre sire roi, que Dieu tienne en garde ! lesquelles volontés sont que :

« Premièrement, Mgr le comte de Valois est choisi pour gouverner la forteresse du Temple ;

« Deuxièmement, qu’il soit tenu rigueur par les gens du guet à tout bourgeois ou autre habitant qui enfreindra les ordonnances du couvre-feu ;

« Troisièmement, qu’il est enjoint aux juifs habitant cette ville de se prêter de bonne grâce à l’exacte perquisition qui sera faite dans leurs demeures ;

« Quatrièmement, qu’il est enjoint à tout habitant de dénoncer sur l’heure tel voisin ou telle voisine qui, à sa connaissance, aurait des relations avec le diable et fabriquerait des maléfices ou sortilèges. »

Puis, le crieur ayant terminé sa tournée, se dirigea vers le Châtelet, et la foule qui l’avait écouté se dispersa, très satisfaite, pour deux motifs : d’abord, le roi parlait de molester quelque peu les juifs, ce qui était toujours une cause de réjouissance, vu qu’après chaque perquisition, on en brûlait bien quelques-uns ; ensuite, le roi ne parlait pas de nouveaux impôts, chose que les bourgeois redoutaient toujours quand ils entendaient la trompette du crieur prévôtal. Également satisfaits de ce que disait le roi et de ce qu’il ne disait pas, les badauds se retiraient donc en criant à tue-tête :

« Vive Louis Hutin ! »

À ce moment, une litière, fermée de rideaux de cuir, passait sur la Grève et entrait dans la rue Vieille-Barbette. Ce véhicule était de pauvre apparence et nul n’y prenait garde. Il cheminait paisiblement et ne s’arrêta que tout au bout de la rue, c’est-à-dire aux abords de la bastille du Temple.

Un seul homme à cheval escortait cette litière ; il était modestement vêtu, sans armes, la tête couverte d’un capuchon.

Lorsque la litière se fut arrêtée devant la grande porte du Temple, l’homme mit pied à terre et se dirigea vers le pont-levis.

« Au large ! cria la sentinelle.

– Appelle l’officier de garde ! » dit l’homme d’un accent impérieux.

Le soldat, subjugué par ce ton d’autorité, obéit, et bientôt l’officier qui commandait à la porte s’avança d’un air menaçant vers le bourgeois assez audacieux pour déranger un homme d’armes.

Mais le bourgeois souleva son capuchon, et alors l’officier, interdit, s’inclina en tremblant.

« Avance à l’ordre ! » dit le bourgeois.

L’officier s’approcha, et l’homme lui parla à voix basse.

L’officier finit par faire un geste de respectueuse obéissance et rentra dans la forteresse.

Alors, le bourgeois encapuchonné s’approcha de la litière et dit :

« La route est libre, madame. »

En effet, c’était une femme qui se trouvait dans la litière. Elle était aussi modestement vêtue et aussi encapuchonnée que le bourgeois.

« Attendez-moi ici, dit la dame en sautant légèrement sur la chaussée.

– J’attendrai, madame, j’attendrai la mort dans l’âme !

– Rassurez-vous, Marigny, dit alors la dame, nul n’oserait résister à un ordre de la reine... nul !... pas même le roi !... »

Rapidement, elle traversa le pont-levis, passa sous la voûte et, là, trouva l’officier qui l’attendait et se mit à marcher devant elle en donnant tous les signes d’un profond respect. Ils arrivèrent ainsi devant une porte qui s’ouvrait sur de vastes et somptueux appartements – demeure du grand-maître des Templiers, il y avait quelques années à peine –, et maintenant logis du nouveau gouverneur qui venait d’en prendre possession depuis deux heures.

L’officier murmura :

« Dois-je entrer pour annoncer à Mgr le comte l’auguste visite que Votre Majesté daigne lui faire ?

– Non, monsieur, répondit la dame, vous pouvez vous retirer. »

Et, ouvrant elle-même la porte, elle entra.

Derrière la porte, un hallebardier, immobile, debout, gigantesque, la tête sous le casque, le visage sous la visière, la poitrine sous la cuirasse, les jambes et les bras couverts d’acier, tout pareil à l’une de ces armures qu’on voit de nos jours dans les musées, comme des carapaces d’êtres disparus du globe, cet homme, donc, appuyé sur sa hallebarde, montait sa faction.

La dame prononça :

« Va dire à ton maître que la reine veut lui parler à l’instant... »

L’armure tressaillit, s’ébranla avec des cliquetis, se mit lourdement en route...

Quelques instants plus tard, il y eut un pas rapide, puis le comte de Valois entra, effaré...

La dame laissa tomber son capuchon et ôta son masque.

Valois fléchit le genou, puis, se relevant, attendit que la reine lui parlât la première.

« Comte, dit Marguerite de Bourgogne, je viens vous parler de la sorcière que vous avez arrêtée. »

Valois eut un tressaillement, avant-coureur des épouvantes qui saisissent l’homme quand il se voit placé au bord d’un abîme où il va tomber s’il fait un faux pas, où il tombera mieux encore s’il ne tente aucun mouvement.

En effet, la voix de la reine était rude, rauque, menaçante.

Et il la connaissait, cette voix ! Il la reconnaissait ! Ce souffle mortel ! il le connaissait !

Ce mouvement fébrile de cette belle main qui, en se levant, peut faire tomber une tête, il le connaissait.

« Madame, dit-il, plaise à Votre Majesté me permettre de la précéder en une salle plus digne d’elle...

– Inutile, gronda la reine, dont les lèvres tremblantes de fureur et le regard d’acier firent chanceler le comte. Si autour de ces murs il y a des oreilles qui écoutent, tant pis pour vous. Vous affirmez donc que la jeune fille arrêtée par vous, Myrtille, est une sorcière ?...

– Madame, balbutia le comte, il me semble que les maléfices trouvés chez elle...

– Comte de Valois, fit Marguerite d’une voix blanche, voulez-vous savoir le grand maléfice que vous reprochez à cette infortunée ?

– Je ne comprends pas, Majesté...

– C’est qu’elle est la fille d’Enguerrand de Marigny !... »

« Je suis perdu ! » songea Valois, qui s’aplatit, s’écrasa, se prosterna.

« Comte, reprit la reine, je veux voir à l’instant cette jeune fille.

– Les désirs de Votre Majesté sont des ordres sacrés. Je vais la faire amener ici, et...

– Non pas ! interrompit la reine, qui, d’un geste rude, arrêta Valois au moment où il se dirigeait vers la porte. Faites-moi conduire à son cachot. Je veux l’interroger. Si vraiment c’est une sorcière, comte, tant mieux pour vous. Mais si je découvre l’innocence de l’accusée... »

Elle crispa ses mains et s’avança sur Valois comme pour l’étrangler.

« Que fera Votre Majesté ? demanda Valois en se redressant.

– Eh bien, fit la reine, en se contraignant au calme, je l’emmènerai d’ici, voilà tout ! »

L’imminence du danger rendit toute son énergie à Valois.

« Madame, dit-il d’une voix ferme, le roi m’a nommé gouverneur du Temple, tout exprès pour surveiller la prisonnière. Je suis aux ordres de Votre Majesté, si elle désire interroger cette fille... Mais quant à laisser partir d’ici celle dont je réponds sur ma tête, je ne le ferai que sur un ordre du roi...

– Voici cet ordre !... » dit Marguerite de Bourgogne, qui écrasa Valois d’un sourire de triomphe.

En même temps, elle tira de son sein un papier qu’elle tendit au comte.

Hagard, la tête perdue, Valois prit machinalement le papier et le déplia.

À peine en eut-il parcouru les premiers mots, qu’il leva sur Marguerite un regard d’épouvante et se mit à trembler convulsivement.

Ce papier n’était pas un parchemin contenant un ordre royal !

Ce papier était une lettre... signée du comte de Valois !

Et cette lettre, adressée à Marguerite de Bourgogne, dont le nom s’y trouvait à différents passages, était une brûlante déclaration d’amour ! Une demande de rendez-vous nocturne ! Une peinture audacieuse de la passion la plus violente que puisse éprouver un homme. La plus sanglante des insultes faites au roi de France !...

Mais cette lettre était datée du 22 février de l’an 1297, c’est-à-dire à l’époque où Marguerite, âgée d’environ dix-sept ans, habitait encore au palais de son père Hugues IV, duc de Bourgogne.

« Charles de Valois, dit Marguerite, d’une voix basse et sifflante, reconnais-tu cette lettre ? Voici bien longtemps que tu l’écrivis ! Peut-être l’avais-tu oubliée !...

– Cette lettre n’est pas de mon écriture, bégaya Valois.

– En effet, ce n’en est que la copie... la vraie lettre, la tienne, Valois, est au Louvre ! Ce soir, elle sera entre les mains du roi ! »

Le comte poussa le soupir d’agonie de l’homme qu’on tue...

« Elle date de dix-sept ans ! fit Valois en grinçant des dents. Je dirai la vérité au roi ! Je lui dirai que je vous ai aimée à une époque où j’avais le droit de vous demander en mariage ! Je dirai que, repoussé par vous, je vous ai toujours témoigné plus de respect que je n’avais eu d’amour pour vous !

– En disant cela, tu mentiras, Valois, car je ne t’ai pas repoussé.

– Eh bien, je mentirai ! rugit Valois. Mensonge pour mensonge, vie pour vie, mort pour mort ! Vous m’attaquez, je me défends. La date de cette lettre fera foi !... »

Marguerite eut un étrange sourire, et, devant ce sourire, le comte se sentit devenir fou de terreur.

« Tu connais Mabel ? dit la reine. Non, tu ne la connais pas. Tu ne sais pas tout ce qu’il y a de science chez cette femme qui m’est dévouée, qui m’appartient, qui fait ce que je veux, qui ne vit que pour moi !

– Mabel ? bégaya Valois.

– Oui, ma fidèle servante, qui veille sur moi quand je dors, qui pense pour moi, qui est savante pour moi !... Eh bien, écoute, Valois ! Par sa science, Mabel a trouvé le moyen de rendre à l’encre jaunie de cette lettre toute sa fraîcheur, si bien qu’elle semble avoir été écrite hier !...

– Il y a la date ! grinça furieusement Valois.

– Mabel a trouvé le moyen d’effacer la date. Et, à la place de 22 février de 1297, sais-tu ce qu’elle a écrit... écrit de ta propre écriture... eh bien, elle a mis : 11 mai de 1314... C’est-à-dire hier matin !... »

Le comte poussa un sourd gémissement.

« Tu obéiras, Valois ?

– Oui, Majesté ! fit le comte dans un souffle.

– Et si je reconnais que Myrtille est innocente, tu me la laisseras emmener ? Tu ne diras à personne que c’est moi qui l’ai emmenée ?... »

Valois, écrasé, se redressa comme la vipère sur laquelle on marche.

« C’est ma vie que vous me demandez, dit-il. Prenez-la donc ! Car elle est à vous !... Oh ! j’expie bien cher l’amour que, jadis, vos regards ont allumé en moi ! Oh ! je me sens dans la main d’une puissance terrible et maudite, cette puissance vînt-elle même du Ciel !... Mais prenez garde, Marguerite ! Prenez garde, ma reine ! car pour oublier la torture que vous venez de m’infliger, il faudrait que je fusse un ange de Dieu, et je ne suis qu’un homme !

– Dis un démon d’enfer... Mais va ! Je ne te crains pas, et la preuve, c’est que tu vis ! Prie Dieu, si tu peux, de me faire oublier ce que tu viens de dire, et, en attendant, marche devant moi, conduis-moi au cachot de la sorcière ! »


XIV



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