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Buridan le héros de la Tour de Nesle Beq michel Zévaco Buridan le héros de la Tour de Nesle


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Dans l’horreur


Myrtille avait été entraînée par Mabel, après la scène qui s’était déroulée au logis du jardinier de l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés. La jeune fille, plongée dans une sorte de stupeur, se laissait conduire docilement. Ce qui pouvait lui arriver à elle perdait d’avance toute signification devant ce double événement capital :

D’abord, Buridan était arrêté. Ensuite, elle était la fille d’Enguerrand de Marigny. Claude Lescot, le bon marchand, c’était le premier ministre du roi, c’était l’homme abhorré dont elle n’avait jamais entendu prononcer le nom qu’avec des frémissements de haine sourde, impuissante, mais terrible.

Chose plus affreuse : c’était l’homme à qui Buridan avait déclaré une guerre implacable, ramassant pour ainsi dire toutes ces haines éparses pour les concentrer en une seule et se faisant le champion de la colère populaire. Lutte formidable qui ne pouvait se terminer que par l’écrasement de Buridan, de son fiancé, de celui qu’elle adorait. Et cet écrasement était commencé, puisque Buridan était pris.

Et, en admettant même que Buridan fût vainqueur, en admettant qu’il échappât aux embûches, aux supplices, et qu’il finît par terrasser Marigny, la pauvre fille ne pouvait voir en cette solution qu’une cause d’éternelle séparation. Pourrait-elle avouer encore son amour pour l’homme qui aurait abattu son père ?

Quelle que fût l’horreur inspirée par le premier ministre, quoi qu’elle eût entendu dire de sa dureté, de son âpreté, elle ne se sentait pas la force de maudire ce père qu’elle avait toujours vu bon et tendre pour elle. Elle se révoltait à la pensée que Marigny pût mériter tant de haines.

Résolument, avec son âme vaillante et simple, son cœur franc et généreux, elle prenait parti pour son père, parce que c’était son père, d’abord ; et puis, parce qu’elle n’admettait pas que, si bon pour elle, il eût été réellement si dur aux autres. Elle se trouvait donc acculée à ce dilemme : renoncer à Buridan, ou renoncer à son père. Telles étaient les pensées qui accablaient Myrtille, alors que Mabel, la tenant par le bras et la couvant des yeux comme une proie assurée, l’entraînait d’un pas rapide. Elles n’avaient pas tardé à regagner Paris. Myrtille s’aperçut vaguement que sa conductrice lui faisait traverser deux ponts, puis qu’elle pénétrait dans un dédale de ruelles, puis qu’elle arrivait enfin à une sorte d’enclos entouré de haies vives.

Cet enclos, c’était le cimetière des Innocents.

En face, une construction lourde et solide s’élevait derrière un mur.

« C’est ici ! » murmura Mabel.

Il y avait une porte percée dans le mur. Mabel ouvrit cette porte. L’instant d’après, Myrtille se vit dans une cour où croissait l’herbe à l’aventure. Puis elle fut poussée dans le logis, dont la porte se referma. Puis Mabel lui fit monter un escalier de pierres moisies, et elle arriva en haut de la maison. Alors elle entra dans une pièce dont, grâce à son trouble, elle ne remarqua pas les dispositions étranges. Mais cette pièce, elle ne fit que la traverser et, finalement, elle parvint dans une chambre délabrée, mais assez propre au demeurant, où il y avait un lit, des sièges, et une table sur laquelle étaient placés de gros manuscrits enfermés dans des couvercles de bois à ferrures.

Myrtille remarqua que la fenêtre de cette chambre était grillée.

« C’est ici ma maison, dit Mabel. C’est ici ma chambre, ce sera la vôtre. »

Cette maison portait un nom dans le quartier, on l’appelait « le logis hanté ». C’est dire qu’une superstitieuse terreur et un grand respect entouraient cette construction, qui n’offrait en elle-même rien d’extraordinaire.

Les gens du quartier avaient vu à maintes reprises les fenêtres d’en haut s’éclairer la nuit de lueurs infernales. On avait entendu des bruits suspects qui pouvaient être des plaintes d’âmes en peine ou des hurlements de damnés. Tout cela s’expliquait très bien par la proximité d’un cimetière.

Il était, en effet, difficile d’admettre que les morts n’eussent pas un instant l’idée de sortir de leurs tombes, puisque les morts vivaient d’une autre vie postérieure à celle-ci.

Donc, il est certain qu’à des époques indéterminées, les morts, soulevant la terre, se promenaient enveloppés de leurs suaires et comme, sûrement, ils devaient avoir besoin de se rassembler pour se raconter leurs peines ou pour combiner les tourments qu’il leur plaisait d’infliger aux vivants, ils avaient choisi ce logis isolé, construit peut-être pour eux par quelque sorcier ou sorcière ayant des accointances avec le monde des succubes et des incubes.

Ces idées étaient aussi courantes alors que peut l’être aujourd’hui l’idée que l’atmosphère est composée d’hydrogène, d’azote et autres gaz. Elles étaient familières à Myrtille comme à tout le monde. Et si quelqu’un lui avait appris que la maison où elle se trouvait était un logis hanté, elle eût trouvé la chose toute naturelle.

« Voilà, dit Mabel, vous demeurerez ici tout le temps qu’il sera nécessaire. Vous n’y manquerez de rien. Vous aurez ma compagnie, tant que mes occupations ne m’appelleront pas ailleurs. Mais lorsque je devrai sortir, je serai obligée de vous enfermer. Je vous préviens d’ailleurs que toute tentative de fuite serait inutile... »

Bien que Mabel s’exprimât avec une sorte de douceur, ses paroles, ou plutôt sa voix, son accent, causaient à la jeune fille un indéfinissable malaise.

« Je ne vous connais pas, dit-elle, tandis que deux larmes pointaient à ses yeux, vous ne me connaissez pas, et pourtant je devine que vous me haïssez. Pourquoi ? Que vous ai-je fait ?

– Vous n’avez rien à craindre, jeune fille. N’êtes-vous pas sous la protection du meilleur des pères : Enguerrand de Marigny ?

– Oui, murmura Myrtille en frissonnant. Mon père s’appelle Enguerrand de Marigny... et mon fiancé s’appelle Buridan...

– Et puis, continua Mabel, vous aurez aussi une protectrice plus puissante encore que le premier ministre : la reine Marguerite !

– La reine ! balbutia la jeune fille. La reine ! cette femme qui m’est apparue dans le cachot du Temple en feignant de me plaindre, et qui m’a fait conduire à la Tourelle aux Diables !

– Vraiment, la reine vous fait peur !... gronda Mabel, qui se rapprocha de Myrtille.

– Hélas ! je sens qu’elle a contre moi je ne sais quelle profonde aversion, je sens qu’elle médite mon malheur et que je suis dans ses mains puissantes comme un pauvre oiseau qu’elle va étouffer...

– C’est vrai peut-être, fit Mabel avec un étrange sourire. Il se peut que la reine vous déteste. Mais, vraiment, elle ne peut vous faire aucun mal...

– Pourquoi ? »

Mabel saisit la main de la jeune fille et dit :

« Est-ce qu’une mère peut faire du mal à son enfant ?... »

Myrtille se sentit prise d’un vertige. Elle comprit qu’elle était enserrée dans un inextricable réseau de faits étranges et terribles. Une sorte d’effroi mystérieux élargit ses yeux. Les mains jointes, elle murmura :

« Que dites-vous, madame ? Quel abominable sacrilège osez-vous proférer ?

– Je dis, gronda Mabel qui se pencha, pareille à l’ange du mal éployant ses ailes noires sur la victime expiatoire, je dis, jeune fille, que tu es ma proie ! Je dis que je te déteste ! Je dis que, par toi, je vais faire souffrir à la reine ce qu’elle m’a fait souffrir ! Je dis que Marguerite de Bourgogne a tué mon fils, entends-tu ! et qu’en toi, je vais tuer la fille de la reine Marguerite de Bourgogne ! »

*

Il faisait nuit noire lorsque Myrtille se réveilla. Depuis combien de temps était-elle là, sur ce fauteuil, évanouie, sans connaissance ? Elle n’eût su le dire. Les paroles de Mabel avaient produit sur elle un terrible effet.



Fille d’Enguerrand de Marigny ! Fille de Marguerite de Bourgogne ! de la reine de France !... Fruit honteux d’inavouables amours ! Oh ! maintenant, elle s’expliquait la sombre physionomie et la répulsion du bon Claude Lescot, lorsque parfois elle lui disait :

« Père, parlez-moi de ma mère ! »

Elle comprenait pourquoi il détournait la tête et pourquoi de mystérieuses paroles grondaient sur ses lèvres pâlies, pareilles à des imprécations.

Myrtille était enveloppée d’épouvante.

De quel côté tourner son esprit ? Où reposer sa pensée ?

Fille de reine, fille de l’homme le plus puissant du royaume, elle était seule, livrée à tous les jeux de la haine, comme un pauvre petit fétu ballotté sur les vagues déchaînées.

Par surcroît de terreur, elle était aux mains d’une femme qui poursuivait l’accomplissement de formidables représailles... Elle devenait l’instrument d’elle ne savait quelle hideuse vengeance. Et pour que Mabel fût vengée – vengée de la reine, sa mère ! – elle allait mourir !...

Ces pensées et mille autres plus affreuses, plus désespérantes, se heurtaient dans la tête de la jeune fille prostrée sur son fauteuil.

Il faisait nuit. Une nuit profonde. Des ténèbres silencieuses qui l’enveloppaient d’horreur. Elle se sentit frissonner, toute glacée.

Péniblement, elle se leva pour gagner le lit et s’y jeter. Là, au moins, elle pourrait cacher sa tête sous les couvertures et essayer de ne plus penser... de s’anéantir dans cet évanouissement dont elle regrettait amèrement d’être sortie.

Au moment où elle se levait, elle crut entendre une voix qui prononçait de sourdes paroles.

Myrtille tressaillit. D’où venait cette voix ? Qu’était devenue la femme qui avait proféré des menaces de mort en lui révélant le nom de sa mère ?...

Et comme la connaissance des choses lui revenait, comme ses sens, l’un après l’autre, se réveillaient de leur léthargie, elle s’aperçut alors que la porte qui faisait communiquer la chambre où elle se trouvait avec la pièce voisine était entrouverte.

C’est de là, c’est de cette pièce voisine que venait la voix. Et en même temps que ce bruit sourd et monotone d’une voix qui psalmodie des prières ou des malédictions, un rai de lumière pâle arrivait jusqu’à elle.

Palpitante, poussée par un irrésistible sentiment qui n’était pas de la curiosité, mais qui était cet attrait spécial qu’exerce le vide lorsqu’on est saisi de vertige, elle se dirigea vers la porte et son regard vacillant embrassa l’étrange pièce.

Cette pièce était grande, carrée, avec un sol fait de larges dalles mal assemblées et un plafond composé d’une quadruple voûte ; chacune de ces voûtes partant de chacun des angles montait vers le centre, et là les quatre arêtes se réunissaient en une rosace au milieu de laquelle un mot était gravé dans la pierre.

Sans aucun doute, un mot cabalistique qui semblait dominer cet ensemble.

Cette disposition divisait pour ainsi dire la pièce en quatre réduits.

L’un d’eux abritait un immense fourneau qui en ce moment était allumé, et sur lequel bouillonnaient sept ou huit récipients de différentes grandeurs d’où s’échappaient des fumées odorantes.

Dans le deuxième se trouvait une immense table en bois d’ébène. Sur la table, quelques lourds manuscrits dont diverses pages étaient marquées de signets en soie rouge terminés par des médailles qui, toutes, reproduisaient le même mot gravé sur la rosace centrale du plafond. En arrière de ces manuscrits, une croix noire supportant un christ d’argent, et enfin, au-dessus de ce christ, un hibou – le mal oiseau – éployant ses ailes fixées à des clous, étrange association de la religion à des pratiques jugées infernales.

Dans le troisième, sur des étagères, se trouvaient rangés des flacons de toutes formes et de toutes grandeurs contenant des liquides.

Enfin, dans le quatrième, symétriquement accrochés à des clous, étaient rangés des bouquets d’herbes desséchées.

Ainsi donc, cet étrange cabinet de travail – le travail du grand œuvre – contenait les livres ou plutôt les manuscrits qui donnaient la science mystérieuse et renfermaient les formules d’incantations nécessaires, les herbes destinées à la fabrication des liquides obtenus et destinés à être mélangés et, enfin, le laboratoire, c’est-à-dire le fourneau.

Cet ensemble fantastique, Myrtille le vit dans un seul regard, et, sans comprendre la signification exacte de ce qu’elle voyait, elle qui avait été accusée d’être une sorcière, murmura avec un frisson d’épouvante :

« Je suis chez une sorcière ! »

À cet instant, elle oublia les menaces de Mabel et ses révélations foudroyantes ; elle oublia que son père s’appelait Marigny et sa mère Marguerite de Bourgogne. Elle oublia tout.

Subjuguée par la terreur, fascinée par l’horreur de ce qui s’accomplissait sous ses yeux, elle demeurait immobile, respirant à peine, incapable de fuir, s’attendant à chaque instant à voir apparaître les spectres que sans aucun doute évoquait Mabel.

Mabel, debout devant le fourneau qui jetait des reflets rouges, lui tournait le dos.

Elle était à demi penchée sur les récipients qui bouillonnaient et sa main était étendue vers les manuscrits ouverts sur la table d’ébène. Elle murmurait de sourdes paroles dont quelques-unes parvenaient à Myrtille affolée.

« En cette nuit, disait-elle, en cette nuit mystérieuse où, dans le proche cimetière, les vivants vont entrer en accointance avec les morts, je vous invoque, je vous rappelle, esprits de la science unique, intelligences éthérées qui pouvez communiquer le pouvoir à ces herbes, qui pouvez transformer cette eau impure en une liqueur magique. Si les livres ont dit vrai, si l’élixir d’amour n’est pas un mensonge, si j’ai bien lu et bien prononcé les paroles de mystère, ce travail doit enfin aboutir en cette nuit... cette nuit propice à l’œuvre extra-humaine, puisque les morts vont sortir de leurs tombes... »

Pantelante, la gorge serrée par une inexprimable angoisse, Myrtille écoutait sans comprendre. Une sorte de folie s’emparait d’elle. Elle voulait entrer brusquement dans le laboratoire, braver la sorcière, renverser les vases, briser les flacons ; l’horreur la dominait.

À ce moment, une vive lueur rouge emplit sa chambre à elle.

Un tressaillement nerveux l’agita, elle se retourna et vit que cette lueur aux reflets fantastiques venait de sa fenêtre...

Que se passait-il donc dehors, alors qu’à l’intérieur Mabel se livrait à ce travail démoniaque ? Cette violente curiosité de vertige qui avait poussé Myrtille vers la porte la repoussait maintenant vers la fenêtre.

Elle leva le châssis et ses mains se crispèrent aux barreaux, car elle sentait qu’elle allait tomber. Et alors, passant d’une horreur à une autre horreur, sentant de nouvelles épouvantes s’appesantir sur les premières, voici ce qu’elle vit :

La fenêtre donnait sur le cimetière des Innocents. Dans ce cimetière, une foule était rassemblée aux lueurs des torches de résine fichées dans le sol. Foule étrange, pareille à la réalisation d’une vision de délire, foule hurlante, poussant des cris inarticulés, des lamentations, des plaintes furieuses ou désespérées, foule où il y avait des moines, des artisans, des rois, des évêques, des médecins, des ménétriers, des cardinaux, des femmes, des reines, des bourgeoises, des filles de joie, tous confondus en des étreintes sauvages, tous jetant à la nuit des clameurs insensées, s’enlaçant, se quittant, se reprenant, et enfin tourbillonnant autour d’un tonneau placé près d’une tombe ouverte, béante !...

Et sur ce tonneau, un squelette drapé dans un immense manteau noir, un squelette dont on ne voyait que la tête au rire hideux, à la grimace fantasmagorique, ce squelette, disons-nous, riait aussi au-dessus des clameurs désespérées de la foule, et, sur une viole, jouait un air de danse animée, vive, légère, comme une danse de mariage, musique gracieuse et naïve qui, en un tel moment, dans ce milieu, dans ces circonstances d’horreur, n’en devenait que plus funèbre et hideuse1 !...

Au pied du tonneau, un autre squelette, drapé dans une ample robe rouge, celui-là, tenait à la main une immense faucille.

Et au moyen de cette faux, la Mort fauchait les groupes qui passaient à sa proximité.

La redoutable faucille fonctionnait sans relâche.

À chacun de ses coups, un, deux ou trois des personnages tombaient et se roulaient en convulsions, comme, plusieurs siècles plus tard, les convulsionnaires de Saint-Médard.

Or, ce qui prouvait que cette foule de fous avait du moins une profonde connaissance de la vie, c’est que tous les groupes, par des chemins plus ou moins détournés, étaient obligés de passer à portée de la terrible faux. Ces groupes se battaient pour éviter d’être entraînés vers le tonneau. Et en même temps, ils se hâtaient d’y aller...

Des cris de fureur, des invectives atroces, des imprécations, des sanglots montaient de ce peuple en délire. Et la danse continuait. Ils se mordaient, se lacéraient les uns les autres, s’arrachaient les cheveux, le sang coulait – du vrai sang –, et toujours la viole infernale reprenait son refrain léger, ironique, funèbrement gracieux, et toujours la faux, d’un mouvement rythmique, continuait à faucher comme si elle eût été là depuis le commencement des temps, comme si elle eût dû y rester jusqu’à la consommation des siècles.

Muette d’épouvante, glacée d’horreur, les mains crispées aux barreaux de la fenêtre, Myrtille vit le roi arracher furieusement sa couronne et la jeter dans la tombe béante, puis il y tomba lui-même.

« Grâce, hurlait un cardinal. Encore une prébende, ô mort ! et je te rejoindrai ! »

Un coup de faux. Et le cardinal tomba.

« Laisse-moi vivre ! criait une ribaude. Mon amant m’a promis une robe verte. Laisse-moi au moins porter une fois la robe verte !...

– Je suis trop jeune et trop belle ! rugissait la reine.

– Mort impitoyable, fulminait un moine, laissez-moi le temps de me repentir de mes vices !... »

Et de ce chœur échevelé montait comme un refrain d’effroyable angoisse la même supplication hurlée, rugie, glapie, tonnée :

« Vivre ! Vivre encore ! Encore de la vie ! Vivre ! Laisse-nous vivre !... »

Et le squelette, infernal ménétrier, du haut de son tonneau, conduisait la danse irrésistible. Et la Mort impassible, muette, avec son éternel ricanement d’indifférence, fauchait, fauchait toujours, sans même regarder qui tombait sous ses coups.

Un coq tout à coup chanta1.

Un immense hurlement, une vocifération sinistre s’éleva du cimetière. Aussitôt, le squelette sauta de son tonneau et s’enfuit, la Mort s’enfuit, sa faux sous le bras, les morts fauchés se relevèrent et s’enfuirent avec des éclats de rire stridents, les groupes se disloquèrent et s’enfuirent, se heurtant, se bousculant, puis tout à coup, les torches s’éteignirent, le silence et les ténèbres régnèrent dans leur domaine.

*

Affolée, éperdue d’horreur, parvenue à l’extrême limite des épouvantes qui détraquent l’esprit, Myrtille avait reculé, n’ayant plus qu’une volonté :



Fuir ! Fuir ce spectacle d’indicible hideur. Mais où fuir ? Où aller ?... Là ! oh ! là ! dans la pièce voisine, il y avait un être vivant près duquel elle pouvait se réfugier ! Cette femme l’avait menacée ! Cette femme l’avait torturée ! Cette femme était une sorcière ! Mais c’était un être vivant... Myrtille, chancelante, marcha jusqu’à la porte, prête à entrer, prête à supplier :

« Tuez-moi si vous voulez, mais laissez-moi près de vous, protégez-moi contre la peur !... »

Au moment où elle atteignait la porte, elle s’arrêta, frappée d’une terreur nouvelle, mais non semblable aux terreurs qu’elle venait d’éprouver.

À ce moment, en effet, Mabel prononçait quelques mots qui parvinrent jusqu’à Myrtille.

Et Mabel disait :

« Voici de quoi tuer Buridan !... Ô ma reine, l’élixir d’amour, tu vas l’avoir, tu vas le verser toi-même !... »

Myrtille vacilla.

Pourtant, telle est la force de l’amour dans un cœur sincère que, dans cet instant, la jeune fille cessa d’avoir peur. Les ténèbres, le silence, la lueur expirante du fourneau magique, les scènes de la danse macabre, tout disparut de son esprit, et il n’y eut plus en elle que cette pensée :

« On veut tuer Buridan !... »

Alors elle se pencha, raidie par la volonté puissante qui était en elle de ne faire aucun bruit, de ne pas se découvrir, car il fallait sauver Buridan !

Elle se pencha, et elle vit... elle vit Mabel qui soulevait un flacon plein d’un liquide limpide comme de l’eau de roche. Un liquide !... Le poison fatal qui devait tuer Buridan.

Une expression d’orgueil et de triomphe s’était étendue sur les traits flétris de cette femme et leur donnait une sombre beauté.

Elle tenait le flacon dans sa main droite, à hauteur des yeux, elle le faisait tourner lentement comme si elle en eût admiré la limpidité parfaite.

« L’élixir d’amour ! » murmura-t-elle.

Alors, avec une sorte de précaution religieuse, elle porta le flacon sur la table aux manuscrits et le déposa contre la croix, aux pieds du Christ.

« Trois heures ! dit-elle, presque à haute voix. Il faut que tu restes trois heures sous l’action directe de celui qui peut tout. Les livres le disent. Et les livres ne mentent pas ; les sages de la Chaldée, de l’Inde et de l’Égypte qui ont écrit sur ces mystères et nous en ont transmis l’énigme ne peuvent nous avoir trompés, ni s’être eux-mêmes trompés. Cet élixir agira... Et, en tout cas, s’il ne produit pas l’effet attendu, il produira toujours un effet de mort ! »

À ces mots, elle alla jusqu’aux étagères, saisit une fiole minuscule et versa quelques gouttes de son contenu dans le flacon qui contenait l’élixir d’amour.

Le liquide se troubla, quelques instants ; un nuage blanchâtre évolua dans le flacon que Mabel examinait attentivement. Puis l’eau reprit sa diaphanéité de cristal.

« Allons voir la fille de Marguerite ! » prononça alors Mabel avec un sourire.

Elle se dirigea vers la chambre de Myrtille et vit que la porte était entrouverte.

« Comment ai-je pu oublier de fermer cette porte ? gronda-t-elle en frémissant. Ah ! si cette fille a surpris mon secret, c’est tout de suite qu’elle mourra ! »

D’un bond, elle fut à l’intérieur de la chambre et, à la lueur qui venait du laboratoire, aperçut Myrtille dans son fauteuil, telle qu’elle l’y avait laissée...

« Heureusement pour elle ! songea Mabel, qui respira et s’approcha de Myrtille. Elle dort ! ajouta-t-elle en se penchant. Ou plutôt, elle est encore privée de sentiment... Elle est jolie, cette enfant... Est-ce de sa faute, après tout ?... Tant pis ! Oh ! tant pis ! Qui donc a eu pitié de moi ! Il faut que tu pleures, Marguerite !... Elle dort... Elle ne se réveillera sans doute pas avant quelques heures. Ces sommeils qui suivent les évanouissements provoqués par la douleur sont longs et profonds... Je les connais, moi !... Pourquoi ne profiterais-je pas de son sommeil ? Je serais de retour dans une heure au plus... Oui, il faut en profiter ! »

Rapidement et sans bruit, Mabel traversa son laboratoire, descendit et sortit du logis hanté...

Une heure après, comme elle l’avait dit, elle était de retour, et elle trouvait Myrtille à la place et dans la position même où elle l’avait laissée.

XXVIII



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