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Buridan le héros de la Tour de Nesle Beq michel Zévaco Buridan le héros de la Tour de Nesle


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Dieu obéit


L’abbé de Saint-Germain-des-Prés, messire Clément Mahaut, était un homme de soixante ans, bien conservé : l’œil vif sous d’épaisses touffes de sourcils noirs, il était d’humeur belliqueuse, il soutenait avec âpreté les droits et privilèges de sa communauté, il avait les écoliers en détestation particulière.

En effet, de tout temps, il y eut lutte ouverte entre l’abbaye de Saint-Germain et les écoliers.

Le grand sujet de cette dispute, c’était précisément le Pré-aux-Clercs.

Les écoliers prétendaient y régner en maîtres absolus et essayaient d’empiéter sur le domaine religieux. L’abbaye, de son côté, supportait mal ce voisinage et tâchait d’accaparer peu à peu les bandes de terre situées hors de ses limites.

De là un état de guerre permanente, guerre qui eut ses épisodes sanglants, ses héros, ses victimes, ses embuscades, ses batailles rangées, et qui attend encore son Homère.

Comme dans la plupart des guerres, les deux partis en présence eurent chacun leur part de revers et de victoires. Souvent les écoliers furent refoulés avec pertes par les moines de l’abbaye, souvent maint moine reçut maint horion dont il se fût bien passé.

Mais ce qu’il faut dire, c’est que, sous le règne de Clément Mahaut, l’abbaye triomphante, après quelques succès importants, avait vu couler des jours paisibles jusqu’à cette matinée où basochiens, galiléens et écoliers unirent leurs forces pour attaquer les archers du roi. Et encore, en cette matinée, n’était-ce pas l’abbaye qui était en cause ?

Messire Clément Mahaut reçut donc avec enthousiasme la compagnie d’archers commandée par Hugues de Trencavel et qui, cachée dans l’intérieur de l’enceinte, devait intervenir au bon moment, si toutefois les trois compagnies qui prenaient position sur le Pré-aux-Clercs ne suffisaient pas à mettre l’ennemi en déroute.

L’abbé prieur fit dresser dans le réfectoire une superbe collation pour Trencavel et ses officiers, collation à laquelle il ne dédaigna pas de prendre sa part.

Puis, en présence de Trencavel, il fit venir le cellérier et le sommelier du monastère.

Au premier, il enjoignit de distribuer à chaque soldat une croûte de pain et une tranche de venaison ou de telle autre victuaille ; au second, il commanda de faire rouler dans la cour où étaient rangés les archers deux bonnes futailles de vin clair. Ces différents devoirs d’hospitalité une fois remplis, le digne abbé s’occupa de placer lui-même des gardes sur les créneaux de l’enceinte.

Comme il terminait et qu’il se dirigeait vers la partie des remparts qui touchait au Pré-aux-Clercs, la bataille s’engageait, et les clameurs de la mêlée lui donnèrent un frisson non de peur, mais de guerrière impatience.

« Ah ! dit-il à Trencavel, qui le suivait, que ne suis-je à votre place, capitaine, et vous à la mienne ! Par le grand saint Germain qui nous protège, vous verriez, mort et sang ! ce que peut... »

Un moine qui accourait l’interrompit en lui disant que deux femmes venaient de se présenter devant l’abbaye.

« Deux femmes ! fit le prieur abbé, en fronçant les sourcils. Et depuis quand, père Hilarion, les femmes sont-elles admises dans l’abbaye ? Çà, le bruit de la bataille vous fait-il perdre à ce point la tête ? Par la Vierge, il ne nous produit pas le même effet !

– Pardonnez-moi, mon révérend, bégaya le père Hilarion, plus terrifié par la colère de son supérieur que par les clameurs assourdissantes des basochiens aux prises avec les archers, pardonnez-moi, mais ces deux femmes, ce sont des femmes, si vous voulez, et je doute pourtant qu’on puisse les considérer comme de simples femmes, car...

– Par tous les saints ! Quel est ce galimatias, père Hilarion ! Des femmes qui sont des femmes et qui ne le sont pas ? Avez-vous donc la cervelle à l’envers ? Allez et récitez par forme d’exorcisme les psaumes de la pénitence, item douze fois le Confiteor, item la prière des... »

Hugues de Trencavel interrompit rémunération des peines auxquelles allait être condamné le malheureux moine, en prononçant quelques mots à l’oreille de l’abbé qui, alors, changeant d’attitude et de ton, se précipita vers la porte principale dont il fit aussitôt baisser le pont-levis. De l’autre côté du fossé attendait une litière qui, la porte à peine ouverte, pénétra dans l’enceinte.

De cette litière, qu’entourait une faible escorte, descendirent deux femmes.

La première, c’était la reine ; la deuxième, Mabel.

Marguerite de Bourgogne reçut en souriant le compliment que l’abbé, courbé devant elle, lui fit en mauvais latin. Puis, ayant remercié, elle se tourna vers Trencavel :

« Conduisez-moi à la place que vous avez dite », fit-elle.

Quelques minutes plus tard, le groupe formé par la reine et sa suivante, l’abbé et Trencavel, pénétrait dans la maison du jardinier, d’où, en effet, on découvrait tout le Pré-aux-Clercs, c’est-à-dire tout le champ de bataille.

Cette maison était pour ainsi dire incorporée au mur d’enceinte et avait une double issue : l’une à l’extérieur, sur le Pré-aux-Clercs ; l’autre à l’intérieur, pour le jardinier.

Clément Mahaut en personne conduisit la reine à l’étage supérieur, la fit entrer dans une pièce qui était la chambre à coucher de Martin et releva le châssis de la petite fenêtre.

Derrière elle, Mabel attendait, pâle comme la mort.

Dans cette maison même se trouvait Myrtille !... Où était la jeune fille ?... Dans la pièce voisine, peut-être.

Cependant, Marguerite examinait la bataille. Elle assistait à la déroute des archers du roi. Le Pré-aux-Clercs n’était qu’une vaste mêlée d’hommes où montaient des hurlements de triomphe ou des cris de douleur, et que des bandes vociférantes traversaient en courant.

Mais dans cette mêlée, elle ne cherchait qu’un homme...

Elle le vit enfin. Elle le vit au moment où Marigny reculait lentement en se défendant. Et alors elle tressaillit. Un éclair de joie illumina ses yeux sombres, car c’était vers le logis même où elle se trouvait que Buridan poussait Marigny !

Alors, Marguerite donna quelques ordres rapides à Hugues de Trencavel qui s’élança.

*

Les clameurs éclataient maintenant dans la maison même.



Puis un grand silence s’établit.

Quelques minutes encore, Marguerite demeura à sa place. Bientôt elle vit la compagnie de Trencavel qui entrait au pas de charge sur le Pré-aux-Clercs, refoulant les écoliers dispersés et changeant leur victoire en déroute.

Puis, une quarantaine d’archers se détachèrent de la compagnie et marchèrent sur la maison.

Alors seulement, la reine se retourna.

Mabel songeait :

« Peut-être Dieu aura-t-il entendu ma prière ! Peut-être Marguerite ne saura-t-elle pas que sa fille est près d’elle. Non ! Oh ! non, elle ne le saura pas... C’est fini... »

À ce moment, la reine ouvrait la porte de la petite chambre. Et cette porte donnait sur un double palier auquel aboutissait l’escalier en bois qui partait de la grande salle du rez-de-chaussée. Et sur ce palier, il y avait une forme blanche qui se penchait :

« Myrtille !... Malédiction !... » gronda Mabel.

La reine avait vu Myrtille, elle aussi. Elle marcha sur elle au moment où la jeune fille s’élançait pour se jeter entre son père et son fiancé...

Marguerite de Bourgogne s’arrêta sur le palier et écouta.

*

Lorsque le logis eut été envahi par la troupe que Trencavel avait détachée de sa compagnie, lorsque Buridan eut été pris et que Myrtille eut été entraînée par Marguerite et Marigny, lorsque enfin le silence se fut rétabli, le Pré-aux-Clercs, peu à peu, reprit son aspect habituel, la maison du jardinier son apparence paisible et, de tout cet orage, c’est à peine si, dans la soirée, le souvenir restait aux Parisiens, car, dans ce temps, les séditions étaient trop fréquentes pour laisser des souvenirs durables.



Myrtille avait été enfermée dans la petite chambre qu’elle occupait depuis le matin même.

Marguerite et Marigny étaient redescendus dans la salle du bas pour tenir conseil.

Marguerite, c’était la mère.

Marigny, c’était le père.

Chacun d’eux, avec des intentions différentes, voulait arracher à l’autre son enfant.

Marigny était aussi résolu à ne pas laisser Myrtille au pouvoir de la reine, que celle-ci était résolue à s’emparer de la jeune fille.

Ces deux personnages se trouvaient comme dominés par une même pensée et leur signification dramatique était complétée par la présence de Mabel.

Immobile, les yeux fixés sur la reine, indifférente en apparence, Mabel songeait :

« Si je montais l’escalier... si j’ouvrais la porte de la chambre où est enfermée la fille de Marguerite... si je l’entraînais... serait-ce donc une chose si difficile ?... »

Tout doucement, elle se dirigeait du côté de l’escalier.

Elle sentait, à ce moment, qu’elle haïssait cette Myrtille de toutes les forces de son âme. Si elle avait pu la tuer, quitte à être tuée elle-même, elle l’aurait lait.

Au moment où elle allait mettre le pied sur la première marche de l’escalier, la reine, tranquillement, prononça :

« Demeure ici, Mabel, tu n’es pas de trop, et je vais avoir besoin de toi... »

Mabel eut comme un rugissement, elle hésita une seconde, si elle ne s’élancerait pas en haut, si elle ne poignarderait pas Myrtille pour crier ensuite à la reine :

« Tu as tué mon fils, je tue ta fille, nous sommes quittes ! »

Cependant, une sorte de curiosité la ramena vers Marguerite qui, à ce moment, disait à Marigny :

« Voilà donc votre fille retrouvée par un bienheureux hasard. Je puis tout dire devant Mabel, qui connaît toutes mes pensées. Myrtille n’est pas votre fille à vous seul. Elle est aussi la mienne. Qu’avez-vous à dire à cela, Marigny ? »

Le ministre s’inclina sans répondre.

« Vous l’aimez, continua la reine, mais je l’aime aussi, moi... je l’aime de tout l’amour maternel que je lui ai consacré, alors que je ne la connaissais pas... alors que vous refusiez de me la faire connaître. Ce que j’ai pleuré dans ce temps, Mabel est là pour le dire... Ma fille, voyez-vous, c’est la pensée pure parmi les pensées mauvaises, c’est la fleur qui a poussé solitaire, arrosée de mes larmes, dans le coin le plus obscur de mon âme, c’est ma rédemption dans ce monde et dans l’autre. Les femmes qui me jugeront, si jamais elles apprennent ce que vous n’ignorez pas, vous, ces femmes, après m’avoir maudite, diront : « Si elle avait eu sa fille près d’elle, sans doute, nous n’aurions pas de reproches à lui faire... Qu’avez-vous à dire à cela, Marigny ? »

Mabel buvait ces paroles, qui lui causaient une joie terrible ; plus Marguerite aimait sa fille, plus elle souffrirait d’en être séparée !

Quant à la reine, elle avait parlé avec un accent de sensibilité bien rare chez elle. Et qui sait si, vraiment, elle n’était pas sincère ?

Marigny, sombre et méditatif, le regard chargé d’une malédiction, ne trouvait rien à répondre. Pour la deuxième fois, il s’inclina sans un mot.

Mabel attendait, haletante, la décision qui allait se prendre.

« Madame, dit enfin le ministre d’une voix sourde, vous avez pour vous le droit et la force...

– La force, dit Marguerite, d’un ton hautain, y ai-je fait appel ? Si je voulais employer la force, si je voulais mettre ma puissance de reine au service de mon amour maternel, seriez-vous ici, dites ?...

– Pardonnez-moi, Marguerite !... Oui, vous avez raison... ne parlons pas de votre droit de mère. Il vaut mon droit à moi ! Je n’ai pas besoin, moi, de dire si j’aime ma fille. Vous le savez. Elle est ma vie. Je pense donc que vous aurez pitié de moi et que ce que vous allez décider ne sera pas mon arrêt de mort. »

Marguerite eut un fugitif sourire : elle triomphait !

« Vous allez voir, dit-elle, si je sais être juste. Renvoyons à huit jours, à quinze, si vous voulez, toute décision définitive. Songez à la solution qui vous paraîtra la plus équitable. J’y songerai de mon côté... et, alors, ensemble, en amis que nous sommes, non pas en reine et ministre, mais en père et en mère, nous chercherons un moyen d’assurer le bonheur de cette enfant... Que dites-vous de cela, Marigny ?

– J’accepte. Mais que deviendra-t-elle pendant ce temps ? Il est impossible qu’elle vive au Louvre !

– Certes, aussi impossible qu’à la Courtille-aux-Roses ou à l’hôtel de Marigny. Faisons donc tous deux le même sacrifice, et convenons que, pendant ce laps de temps, Myrtille ne sera ni avec moi, ni avec vous...

– Et avec qui alors ?

– Avec Mabel », dit la reine.

Marigny leva les yeux sur Mabel et l’examina un instant.

« Soit », dit-il.

Mabel n’avait pas bronché ; pas une fibre de son visage n’avait tressailli. Mais elle était si pâle, qu’on eût dit qu’elle allait tomber.

Ses regards se levèrent. Et ce cri du fond d’elle-même monta jusqu’à ses lèvres, où il expira en une sorte de grondement :

« Dieu m’a entendue ! Dieu m’a écoutée ! Dieu m’a obéi ! »

*

Quelques minutes plus tard, Marigny quittait la maison en même temps que la reine, tandis que Mabel y demeurait seule. Mais avant de s’éloigner, le ministre s’était approché de Mabel et lui avait glissé un mot à l’oreille :



« Si tu veux faire ta fortune, viens me trouver ce soir en mon hôtel. »

La reine, de son côté, avait attiré sa suivante dans un coin et avait murmuré :

« Dans une heure, que je sache en quel logis tu auras conduit Myrtille. Si tu tiens à la vie, fais en sorte que Marigny ne le sache pas. »

La reine, donc, était rentrée dans l’enceinte de l’abbaye, puis, reconduite jusqu’à la grande porte par l’abbé, était remontée dans sa litière et avait pris le chemin du Louvre avec la petite escorte qu’elle avait amenée.

Quant à Marigny, ce fut la compagnie de Trencavel qui lui servit d’escorte.

Mabel, une fois seule, était montée à la chambre occupée par Myrtille.

Elle écouta à la porte et n’entendit aucun bruit. Alors elle ouvrit, entra et vit la jeune fille qui, assise dans un coin, pleurait silencieusement. Mabel alla à Myrtille et la toucha à l’épaule. La jeune fille tressaillit et leva les yeux.

« Que voulez-vous, madame ? dit-elle doucement.

– Vous dire le moyen de sauver Buridan, répondit Mabel. Êtes-vous prête à me suivre ? »

Pour toute réponse, Myrtille se leva et jeta sa capuche sur sa tête.

Mabel la prit par le bras en disant :

« Venez... »

Elles descendirent, sortirent de la maison et bientôt disparurent derrière l’abbaye de Saint-Germain dans la direction de Paris.

*

La reine, avons-nous dit, avait quitté l’abbaye escortée jusqu’à la grande porte par le révérendissime abbé, son chapitre et les principaux d’entre ses moines.



Mais, avant de franchir la cour, Marguerite de Bourgogne s’était arrêtée quelques minutes dans une sorte de parloir où l’attendaient deux hommes : l’un était le capitaine des gardes Hugues de Trencavel ; l’autre – que ledit capitaine regardait de toute sa hauteur avec un mépris mêlé de répulsion – était un personnage difficile à reconnaître, tant il prenait soin de cacher son visage.

« Madame, dit Trencavel, lorsque la reine l’eut convenablement félicité de sa manœuvre, que faut-il faire des trois prisonniers ?

– Trois ? interrogea Marguerite.

– Sans doute : Jean Buridan et les deux enragés masqués. Où dois-je les conduire ? Au Temple ?

– Non, pas au Temple, dit Marguerite après une hésitation.

– Au Châtelet, peut-être ?... »

La reine hésita encore et répondit :

« Non, pas au Châtelet, non plus. »

Trencavel s’inclina comme pour dire : « En ce cas, j’attends les ordres de Votre Majesté. »

La reine s’approcha de lui et rapidement, à voix basse :

« Trencavel, dit-elle, vous êtes dévoué. Vous savez obéir aveuglément quel que soit l’ordre, si étrange que vous paraisse la consigne !

– C’est mon devoir de fidèle sujet et de soldat, dit Trencavel. Votre Majesté n’a qu’à ordonner. Moi, je n’ai qu’à exécuter.

– Voici donc mes ordres : pour tous, pour Marigny, pour Valois, pour le roi lui-même, pour tout le monde enfin, vos prisonniers ont profité d’un moment de trouble pour se sauver. Comprenez-vous ?

– Oui, madame, fit le capitaine sans broncher.

– Où sont les prisonniers ?

– Là, dans la pièce voisine de ce parloir.

– Bien. Vous n’avez donc qu’à vous retirer avec vos hommes.

– Et qui gardera les prisonniers ?

– Cet homme, fit Marguerite. C’est lui qui, dès ce moment, m’en répond. Il a mes ordres. »

Hugues de Trencavel s’inclina profondément ainsi que l’homme mystérieux.

Le capitaine des gardes et la reine s’éloignèrent. Quant à l’homme, il se dirigea vers la pièce où étaient enfermés Buridan et ses deux compagnons masqués.

Cet homme, c’était Stragildo.


XXIV



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