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Buridan le héros de la Tour de Nesle Beq michel Zévaco Buridan le héros de la Tour de Nesle


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Le flacon de poison


Du cachot de Lancelot Bigorne, nous passerons maintenant à celui où étaient enfermés Buridan, Philippe et Gautier d’Aulnay. Et si quelque lecteur nous faisait observer que cela fait bien des cachots en un nombre de chapitres bien restreint, nous lui répondrions que ce n’est pas notre faute si les personnages de ce récit furent mis en prison. Nous aimerions certes mieux les montrer en quelque joyeuse taverne. Mais les faits sont là, et nous n’en sommes que le narrateur.

Toutefois, si nous ne pouvons, à notre grand regret, les trouver dans une salle d’auberge, libres et heureux, c’est du moins dans une scène de bombance que nous les présentons au lecteur dont nous parlions et qui, de ce fait, nous passera les cachots.

Buridan, Philippe et Gautier étaient donc à table.

Or, il était onze heures du soir. Ce n’est pas que leur festin – car c’était un véritable festin – se fût prolongé jusque-là. Mais, par un caprice qu’ils ne purent comprendre, le valet qui les servait venait seulement de dresser la table. En vain, dans la soirée, Gautier avait-il frappé du poing sur la porte en criant qu’il enrageait de faim. À travers la porte, le valet lui avait simplement recommandé la patience, – vertu dont Gautier faisait un sobre usage.

Enfin, comme nous l’avons dit, la table avait été dressée et les trois amis y avaient pris place, non sans avoir remarqué que ce repas était encore supérieur aux précédents en fines victuailles et en bons vins, auxquels Buridan et Gautier firent héroïquement honneur, Philippe demeurant mélancolique.

On bavarda, bien entendu. Et, comme de juste, après s’être extasiés sur la façon dont ils étaient traités dans cette étrange prison, les trois amis se mirent à causer de ce dont parlent constamment les prisonniers : de la liberté.

« Ah ! faisait Buridan, si seulement nous savions où nous sommes.

– Si seulement, ajoutait Gautier, je savais comment est construite cette prison.

– À quoi cela t’avancerait-il ? dit Philippe doucement.

– Mais, par Dieu, cela servirait à trouver peut-être un moyen d’évasion, tandis que nous vivons en taupes – en taupes bien nourries, je veux bien –, mais c’est insuffisant.

– Que te manque-t-il donc ? reprit Philippe avec un sourire pâle.

– Tête et ventre ! il me manque que je ne puis aller, venir, batailler contre le guet dans la rue, rendre visite à Agnès Piedeleu, gagner quelques écus au Franc-Cornet, enfin tout ce qui fait la vie, mort du diable ! »

À ce moment, et comme le repas tirait à sa fin, le valet entra.

Nous devons dire ici que Philippe d’Aulnay et son frère gardaient toujours leur masque, même la nuit, crainte qu’on n’entrât pendant leur sommeil.

Le valet – car l’homme qui les servait ne pouvait être appelé geôlier – déposa sur la table un flacon qui semblait contenir de l’eau pure.

« Qu’est-ce cela ? dit Gautier avidement.

– Une liqueur destinée seulement à l’un de vous, dit le valet...

– Et à qui, tête et ventre ?

– À celui des trois qui ne porte pas de masque.

– À moi, alors ! dit Buridan, qui saisit le flacon et l’examina curieusement. Et qui donc m’octroie si généreusement cette liqueur ? » reprit-il.

Mais déjà le valet avait disparu. Buridan flaira le flacon et le trouva sans odeur. Il le fit miroiter à la lumière et le trouva sans couleur.

Il regarda ses deux amis.

« Une liqueur ? Pour moi seul ? Qu’est-ce que cela peut bien être ?

– Eh ! s’écria Gautier. Cela te vient de quelque dame qui te veut du bien et qui aura appris que tu es en prison. »

Buridan versa le contenu du flacon dans son gobelet.

« En ce cas, dit-il, je vais boire, et boire seul, en l’honneur de la dame inconnue... Qui sait d’ailleurs si ce n’est pas un charme ?

– Ou un maléfice ! fit Gautier en éclatant de rire.

– Ne bois pas, Buridan ! dit gravement Philippe.

– Et pourquoi ?... »

Buridan tressaillit. Mais, se remettant aussitôt :

« Bah ! Pourquoi serait-ce du poison ? Et si c’était du poison, pourquoi voudrait-on m’empoisonner moi seul ? Ne chercherait-on pas, au contraire, à nous tuer tous trois en même temps ? Et puis, si on avait voulu me tuer ou nous tuer, n’était-ce vraiment pas facile de le faire pendant notre sommeil ? La manière dont nous sommes traités, les égards qu’on nous témoigne, cette table richement servie, ces excellentes couchettes, tout prouve que, pour le moment, on ne nous veut aucun mal. Et puis, enfin, pour m’empoisonner, il était plus commode de ne pas éveiller mes soupçons en apportant un flacon destiné à moi seul. Je bois ! Je bois à la dame inconnue qui me fait cette gracieuseté, cette dame fût-elle... »

Il allait dire : Marguerite de Bourgogne !

Mais son regard tomba sur Philippe. Et il se tut. Dans le même instant, il porta le gobelet à ses lèvres et le vida d’un trait.

« Quel goût cela a-t-il ? demanda Gautier.

– Ma foi ! fit Buridan en claquant de la langue, c’est excellent.

– Et tu n’en as pas laissé une goutte !

– C’est excellent, reprit Buridan : c’était de l’eau.

– Sans aucun goût ? demanda Philippe.

– Hélas ! consolez-vous donc, mes braves amis, et oublions cet incident ridicule. Je soupçonne fort cet impertinent valet de s’être moqué de moi. Je m’en plaindrai aux juges lorsqu’on instruira notre procès.

– Ah ! oui, fit Gautier, notre procès, c’est vrai, de par tous les diables. J’oublie toujours que cette fastueuse ripaille où on nous entretient... »

À ce moment, le valet entra silencieusement, reprit le flacon que Buridan avait vidé et l’emporta sans prononcer un mot.

Puis, la porte se referma.

Les trois amis tressaillirent, Philippe pâlit.

« Et tu disais ? reprit froidement Buridan.

– Je disais, continua Gautier, dont la langue s’empâtait, que ces festins doivent se terminer par un procès, lequel se terminera lui-même...

– Par une bonne pendaison ! » dit Buridan, qui éclata d’un rire nerveux.

Philippe d’Aulnay songea ceci :

« Buridan sait très bien qu’on lui a envoyé du poison. Buridan échappe ainsi à la corde. Buridan, tu es égoïste !... »

Et, secouant la tête comme pour échapper à de funestes pensées :

« C’est vrai, dit-il, nous serons pendus ou décapités. Buridan, tu te balanceras au bout d’une corde entre Gautier et moi.

– Je m’y vois déjà, cher ami...

– Autrefois, continua Philippe, à ces époques héroïques où il y avait encore une gentilhommerie, le roi n’était qu’un chef parmi d’autres chefs, on n’eût pas osé arrêter et condamner des seigneurs demandant justice. Le défunt roi Philippe a changé tout cela. On a osé nous arrêter. On nous condamnera. Seulement, j’aimerais mieux avoir le cou tranché.

– Oh ! fit Buridan. Le cou tranché ou le cou dans la cravate de chanvre, moi, ça m’est égal. C’est toujours le suprême adieu à la vie.

– En attendant, dit Gautier, allons nous coucher.

– Soit ! fit Buridan. Allons dormir. Le sommeil est une bonne chose. »

Gautier se dirigea en titubant vers sa couchette. Philippe se rapprocha vivement de son frère et lui glissa à l’oreille :

« Ne te dévêts pas, Gautier.

– Pourquoi ? On dort mal tout habillé...

– Parce que Buridan va mourir !

– Mourir ? Sans nous ? Et pourquoi ça ?

– Parce qu’il a pris du poison. »

Gautier, dégrisé, demeura tout hébété devant sa couchette sur laquelle il finit, comme le lui avait recommandé son frère, par se jeter tout habillé.

Philippe songeait :

« Buridan ne nous a pas laissé notre part. Ce n’est pas bien. Après tout, peut-être a-t-il pensé qu’il n’y en avait pas assez pour trois. »

Buridan sifflait une marche guerrière et joyeuse. Et tout en sifflant, il songeait :

« Est-ce bien la peine que je me déshabille ? Dans une heure, deux heures au plus tard, le poison aura produit son effet, c’est-à-dire que je serai ad patres, comme dit le révérend docteur Cheliet. Et si ce n’était pas du poison ?... Eh bien ! alors, tant pis pour moi... Après tout, la mort par la pendaison n’est peut-être pas plus pénible que la mort par le poison... Quoi qu’il arrive, poison cette nuit ou hache ou corde dans deux ou trois jours, adieu, ma pauvre Myrtille si jolie, adieu la vie !

– Buridan, as-tu sommeil ? » demanda Philippe d’une voix calme.

Et il regardait avec la poignante angoisse de le voir chanceler tout à coup.

« Ma foi, oui, fit Buridan. Bonsoir, cher ami.

– Bonsoir, mon brave Buridan. Bonsoir », dit Philippe avec une grande douceur.

À ce moment, minuit était sonné depuis longtemps.

Mais les trois amis n’en savaient rien, vu qu’aucun bruit de l’extérieur ne parvenait jusqu’à leur cachot.

Gautier poussa un rauque soupir qui eût pu passer pour un mugissement.

« Que diable as-tu donc ? fit Buridan.

– J’ai que je tombe de sommeil », répondit Gautier, qui s’abattit sur sa couchette et enfouit sa tête pour étouffer ses sanglots.

*

Dans cet instant, un bruit de pas précipités se fit entendre. D’un même bond, les trois amis se trouvèrent l’un près de l’autre.



Une seconde plus tard, quelque chose comme une déchirante clameur leur parvint.

« Oh ! gronda Gautier, ce n’est pas ici une prison ! c’est l’enfer ! »

Le bruit des pas, entremêlé de bruits de voix, se rapprochait. Ils comprirent qu’on descendait vers eux.

« L’enfer ! dit Philippe d’une voix sombre.

– Mais ce n’est pas une prison, murmura Buridan. Oh !... je devine ! Je comprends ! Je sais !...

– Quoi ? rugit Gautier.

– Que devines-tu ? dit Philippe en frissonnant.

– Et c’est ?...

– Les caveaux de la Tour de Nesle !... »

Philippe retomba sur un escabeau. Gautier assena sur la table un formidable coup de poing. Buridan pâlit à l’idée que ses suppositions pouvaient, devaient être vraies...

Et brusquement, violemment, la porte s’ouvrit.

Une femme échevelée, hagarde, parée d’une sorte de terreur, parut sur le seuil.

Buridan eut un éclat de rire terrible. Philippe vacilla et devint livide sous son masque. Gautier porta la main à la place de sa dague absente.

Et tous trois, avec le même frémissement, murmurèrent :

« Marguerite de Bourgogne !... »

XXXII



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