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Buridan le héros de la Tour de Nesle Beq michel Zévaco Buridan le héros de la Tour de Nesle


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Simon Malingre


À ce mot aussi brusquement jeté, Lancelot Bigorne se retourna, palpitant. Noël-Jambes-Tortes jeta un regard louche vers l’homme qui venait de proférer ce verbe qui, de toute éternité, a possédé une rutilance à nulle autre pareille : « Je paie ! »

Et lorsque le nain eut examiné l’homme, il dit simplement :

« C’est bien. Tu peux rester, Bigorne. Madelon, apporte. »

L’homme tendit au nain sa main pleine d’argent.

« Après, dit Noël-Jambes-Tortes en secouant la tête. Ici, on ne paie qu’en sortant et si on est content !

– C’est vrai ! » se hâta d’affirmer Bigorne en s’asseyant vis-à-vis de l’inconnu qui lui faisait signe de prendre place à sa table.

Cet homme portait un manteau qui, complété par une cape aux longs plis, aidait à masquer tout à fait son visage, dont Bigorne n’apercevait que le bout du nez pointu.

Mais lorsque Bigorne se fut assis, l’homme écarta cape et manteau, et montra une figure chafouine aux yeux en trou de vrille, à la physionomie inquiète, aux traits blafards.

« Simon Malingre ! gronda sourdement Bigorne, tout à coup mis en défiance.

– Chut ! fit l’homme. Oui, c’est moi, Lancelot Bigorne. Et maintenant que tu m’as reconnu, mange ! Et quand tu auras mangé, nous causerons... Nous sommes de vieux camarades, que diable ! Nous sommes du même pays ! À Béthune, jadis, nous avons joué ensemble. Plus tard, nous avons ensemble fait la chasse dans les rues de Paris. Et bien que séparés depuis longtemps, nous pouvons bien nous considérer encore comme amis...

– Non ! fit Lancelot. Car tu sers un homme qui veut ma mort.

– Eh ! Mgr le comte de Valois ne veut pas ta mort ! Au contraire. Tu verras ! Mais mange, et puis je te dirai l’affaire pour laquelle je suis venu.

– Tu me cherchais donc ?

– Depuis trois jours... »

Lancelot Bigorne eut une dernière hésitation. Mais il se dit que de cette rencontre imprévue pouvait sortir quelque chose de bon pour Buridan. Il flaira une bonne affaire. Et puis, juste à ce moment, Madelon déposait sur la table l’omelette en question.

Bigorne jeta sur Simon Malingre un regard de défiance et sur l’omelette un regard de tendresse. Et il murmura :

« Arrive qu’arrive, je reste ! »

Il attaqua furieusement l’omelette, à laquelle succéda le pâté, auquel succéda une carcasse de volaille, à laquelle succéda un flan. Simon Malingre se montra d’une générosité telle que Bigorne sentait sa défiance accroître au fur et à mesure que s’apaisait sa faim. Lorsque cette faim fut entièrement satisfaite, lorsque Bigorne ne sentit plus en lui que de la défiance, il se jugea fort comme Samson, mit les coudes sur la table et dit tranquillement :

« Je t’écoute !

– Noël ! commanda Malingre, deux bonnes mesures d’hydromel ! »

« Décidément, il en a lourd à me dire ! » songea Bigorne.

Dans le cabaret, à ce moment-là, il n’y avait personne. Ses mesures d’hydromel, toutes préparées d’avance, une fois posées sur la table, le nain avait disparu. Dans la salle basse et obscure, on n’entrevoyait que les bancs inoccupés, les pots d’étain qui luisaient vaguement, le profil de renard de Simon Malingre, et le profil de loup de Lancelot Bigorne.

« Voilà ! fit Simon Malingre en baissant la voix. Veux-tu t’enrichir ?

– Heu !... C’est que je suis déjà riche, moi !

– Comment cela ? Tu m’étonnes, Bigorne !

– Sans doute. Je n’ai rien. Mais tout ce qui est bon à prendre m’appartient. Le soir, quand mon escarcelle est vide, je n’ai qu’à faire un tour, en certains quartiers fréquentés par des bourgeois riches, et je rentre l’escarcelle pleine. C’est une richesse, cela, une inépuisable richesse, et je n’ai même pas l’ennui d’avoir à me garer des voleurs...

– Sans doute, fit Malingre, mais tu perds ton âme. C’est quelque chose, cela !

– Je ne la perds pas, au contraire. Plus je vole, plus je m’assure d’une plus large part au paradis.

– Comment cela ? répéta Malingre, étourdi.

– Parce que je donne au curé de Saint-Eustache la moitié de mes prises et le curé de Saint-Eustache les transforme en messes. Juge du nombre de messes qui ont déjà été dites pour le salut de mon âme. C’est-à-dire que, quoi qu’il arrive à présent, quoi que je fasse, il me serait impossible de ne pas aller au paradis, même si j’aimais mieux l’enfer...

– C’est juste. Voilà pour ton âme. Mais ton corps, Bigorne ! Il mérite bien aussi quelque considération. Songe que tu risques à chaque instant être battu, mis à mal par des bourgeois récalcitrants comme il s’en trouve malheureusement, car tout dégénère en notre époque. Et si j’en juge par l’état où je te vois, par ta barbe arrachée, ton oreille en sang, tes habits en lambeaux, tu as dû justement, hier, te heurter à de ces brebis enragées qui ne veulent pas qu’on les soulage de leur laine.

– C’est vrai, dit Bigorne. Mais dis-moi, tu ne sais donc pas ce qui s’est passé ce matin dans le Pré-aux-Clercs ?

– Non. Je ne sais rien.

– Tu n’as pas entendu parler de la bataille des écoliers ?

– Non, depuis trois jours que je te cherche, je ne m’occupe que de toi...

– Et, dis-moi, depuis quand n’as-tu pas revu ton digne maître, le puissant comte de Valois ?

– Depuis trois jours, te dis-je. Mais qu’importe tout cela !

– Tu as raison. Tout cela importe peu. Continue donc ton raisonnement...

– Je te disais donc, mon digne Bigorne, que non seulement tu risques d’être mis à mal par ceux que tu dépouilles, mais encore tu peux être pris par le guet et mené aux fourches patibulaires où tu seras pendu sans miséricorde, comme tu as failli l’être à Montfaucon...

– Grâce à ton infernal maître et seigneur ! fit Bigorne avec une grimace.

– Au lieu de tout cela, continua Malingre, je t’offre la richesse, paisiblement gagnée, dont tu jouiras tranquille, heureux, n’ayant plus rien à démêler avec le prévôt ou le guet. »

Bigorne, sombre et pensif, réfléchissait :

« Un mot ! fit-il. Un seul. Viens-tu de la part du comte de Valois ?

– Non. Je viens de ma part, voilà tout.

– Bon. Est-ce pour le comte de Valois que tu veux me faire travailler ?

– Non : c’est contre lui !...

– Contre lui ! contre le comte de Valois !...

– Ou contre son coffre ! dit froidement Malingre.

– Tope ! s’écria Bigorne. Je suis ton homme. J’oublierai que je t’ai vu rire lorsque déjà Capeluche voulait me passer la corde au cou. J’oublierai que tu es l’âme damnée de ce diable, de ce satan qui s’appelle comte de Valois... »

Et, en lui-même, Bigorne se promit d’être plus défiant que jamais.

Simon Malingre paraissait se recueillir. Sur cette physionomie de vice, de lâcheté, d’astuce et d’avarice, une sombre expression s’était étendue...

« C’est Gillonne, commença-t-il, qui m’a conseillé de m’adresser à toi. Et Gillonne est de bon conseil...

– Gillonne ? fit Bigorne. Qu’est-ce que Gillonne ?

– Ah ! oui, c’est vrai. Tu ne connais pas Gillonne. Eh bien ! Gillonne est vieille, Gillonne est laide, Gillonne est méchante, mais Gillonne a une qualité précieuse qui éclipse tous ses défauts, si tant est que la méchanceté, la vieillesse et la laideur soient des défauts.

– Et cette qualité ?

– Elle aime l’argent.

– C’est une qualité que nous avons tous, ricana Bigorne.

– Oui, mais Gillonne aime l’argent avec furie, avec frénésie, et cela lui ouvre l’esprit, cela lui donne l’intelligence nécessaire pour s’en procurer. Je l’ai déjà vue à l’œuvre. Elle a rendu au comte de Valois un service qu’elle lui a fait payer très cher. Et, ce service étant payé, elle cherche le moyen de se faire payer autre chose. Elle a étudié la situation morale de son maître. Et, de son étude, est né un plan que je vais t’exposer. Nous sommes des associés. Si le plan réussit, Gillonne sera très riche et je l’épouserai.

– Et quelle sera ma part à moi ? fit Bigorne.

– Ce qui sera gagné en cette affaire sera divisé en trois portions égales : une pour Gillonne, une pour moi, une pour toi. Cela te convient-il ?

– Cela me convient. Mais, dans tout ceci, il me semble qu’il est question pour toi de trahir quelque peu ton maître, Charles de Valois ? Tu es donc un sacripant, un rufian, maître Malingre ?

– Je suis tout ce que tu voudras, fit Simon Malingre, dont le nez pointu sembla s’allonger encore. Quant à trahir, je trahirais Dieu, si cela devait me rapporter quelque chose. Je comprends Judas, vois-tu. Ce que je ne comprends pas, c’est les trente deniers. Judas aurait dû se faire payer en nobles à la rose, tout au moins. Enfin, peu importe ce que je suis. Je veux être riche, voilà tout, parce qu’une fois riche, je pourrai aller vivre heureux dans mon pays de Béthune. Holà ! Noël, de l’hydromel ! »

Noël-Jambes-Tortes surgit du fond d’un antre obscur où il sommeillait, sans songer le moins du monde à écouter ce qui se disait si mystérieusement entre Simon Malingre et Lancelot Bigorne.

Que pouvait lui importer ?

Il les connaissait tous deux. Il savait parfaitement qu’il devait être question de quelque meurtre proposé par le premier au second pour le compte de quelque seigneur.

Peut-être même le meurtre aurait-il lieu chez lui.

Alors il donnerait un coup de main et aurait sa part du butin, voilà tout.

Le reste ne le regardait pas. Lorsque le nain eut donc déposé sur la table deux nouvelles mesures d’hydromel et se fut retiré, Simon Malingre continua :

« Te souvient-il, Bigorne, de ce qu’il t’advint autrefois quand tu remplissais près du comte de Valois les fonctions que je remplis aujourd’hui ?

– C’est qu’il m’est arrivé bien des choses en ce temps-là, fit Lancelot. J’ai bien pu en oublier quelques-unes.

– Oui, mais je suis sûr que celle dont je veux te parler, tu ne l’as pas oubliée, car celle-là s’est passée à Dijon... »

Bigorne frissonna...

« Ah ! ah ! reprit Malingre sur un ton narquois, je vois que tu as compris. Il s’agit de cet enfant que tu allas jeter dans le fleuve.

– Que j’allai jeter dans le fleuve... Oui ! » fit Bigorne.

En effet, jamais Lancelot Bigorne n’avait raconté à personne ce qu’il avait raconté à Buridan, c’est-à-dire qu’il n’avait pas exécuté l’ordre donné par le comte de Valois et Marguerite de Bourgogne de tuer l’enfant de la dame de Dramans.

Cet enfant, à ce moment, il le revoyait dans une sombre rêverie provoquée en partie par ses souvenirs et en partie par les fumées du vin et de l’hydromel. Il le revoyait tout petit, avec sa tête souriante et bouclée de beaux cheveux blonds. Il le revoyait pleurant dans ses bras, il entendait ses cris.

Il revoyait enfin la cabane solitaire où il l’avait déposé et où il ne l’avait plus retrouvé lorsqu’il était venu le chercher pour le rendre à sa mère. Un instant, il fut sur le point d’avouer à Simon Malingre qu’il avait épargné le pauvre petit. Il se contint cependant en se disant que peut-être Malingre lui était dépêché par le comte de Valois. Car, qui lui prouvait que le comte de Valois ne s’était pas douté de la vérité, et n’avait pas dès lors intérêt à savoir ce qu’était devenu cet enfant qui était son fils ?

« Oui, fit Bigorne à voix basse. Tu as raison. Cette chose-là n’est pas de celles qu’on peut oublier. Je m’en souviens comme si c’était hier, et je m’en souviendrai toute la vie, dussé-je vivre un siècle encore, ce qui n’est pas probable ; il faudrait, pour cela, qu’il n’y eût plus de Capeluche en France, et que personne ne fabriquât plus de cravates de chanvre. Et encore, il resterait la hache... Je me souviens donc, Simon ! Je me vois encore emportant ce pauvre petit, pendant que la mère agonise et meurt de son côté. Ce ne fut pas sans une sueur d’angoisse que je parvins jusqu’au fleuve aux eaux vertes et lentes. Je laissai tomber l’enfant. Les flots se refermèrent sur lui... C’était fini ! »

Bigorne avait parlé d’une voix si sombre et si tremblante, que vraiment il semblait frissonner de remords.

Et sans doute, si la scène du meurtre n’était pas réelle, le remords lui-même était bien réel... car n’avait-il pas eu la pensée d’exécuter l’ordre abominable de Valois et de Marguerite ?

Simon avait écouté en hochant la tête ; un sourire diabolique découvrait sa bouche édentée, il semblait s’étonner des frissons et des remords de Bigorne.

« Ainsi, dit-il, l’enfant est bien mort ?

– Il n’y a pas de doute ! » fit Bigorne avec un soupir.

Simon Malingre garda un instant le silence, puis, par-dessus la table, sa main s’abattit sur le bras de Bigorne, qu’elle étreignit. Et alors, il prononça ceci :

« Eh bien ! Bigorne, suppose une chose, maintenant : c’est que l’enfant n’est pas mort !... »

XXVI



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