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Buridan le héros de la Tour de Nesle Beq michel Zévaco Buridan le héros de la Tour de Nesle


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Louis le Hutin


Ce matin-là, le roi Louis se fit habiller comme pour la battue au sanglier.

On en avait signalé quelques-uns dans la forêt qui couvrait les pentes de Montmartre et s’étendait vers le nord de Paris, du côté de Montmorency et au-delà, jusque vers Noyon.

Le roi avait donc résolu de chasser le sanglier, ce qui était sa chasse favorite.

La reine prenait grand plaisir à ces battues où l’homme alors attaquait la bête à coups d’épieu, et souvent était décousu par l’animal expirant.

Il y avait péril, émotion. Marguerite aimait ces émotions-là, et lorsque, par hasard, il n’y avait eu aucun blessé au cours de la chasse, elle s’en revenait mécontente.

Le roi, donc, s’étant cuirassé de buffle, botté de fort cuir qui lui montait jusqu’aux cuisses, ganté jusqu’aux coudes de peau de daim, s’en fut vers l’appartement de la reine, riant d’avance de la joie qu’aurait Marguerite à venir à la battue. Il traversa les longues galeries de ce pas rude, impétueux, retentissant, qui lui était particulier, et entra dans la pièce qui précédait la chambre de la reine.

« Jeanne et Blanche ! s’écria-t-il en apercevant les deux sœurs de Marguerite. Vive Dieu ! la fête sera complète. Préparez-vous et soyez prêtes dans une heure à chevaucher vos palefrois. Nous allons chasser le sanglier. Je cours prévenir la reine.

– La reine ne viendra pas ! dit Jeanne.

– La reine est malade ! » dit Blanche.

Louis s’arrêta, atterré.

« Malade ? balbutia-t-il.

– Cette nuit, fit la princesse Jeanne, Sa Majesté prit froid en priant dans son oratoire plus longtemps que d’habitude. Et voici qu’une mauvaise fièvre la tient au lit...

– J’allais envoyer prévenir le roi », ajouta la princesse Blanche.

Le roi fit d’abord la grimace d’un enfant qui va pleurer. Puis des jurons sourds grondèrent sur ses lèvres, puis ces jurons éclatèrent violemment, et enfin, il s’écria :

« À quoi me sert-il d’avoir fait porter douze cierges à Notre-Dame, chacun d’eux de vingt-quatre livres et entouré d’un cercle d’or ?

« Tête Dieu ! Ventre diable ! Les saints sont injustes ! Une mauvaise fièvre, dites-vous ?...

– Sire, la reine vient de s’endormir à peine...

– Vous allez la réveiller et détruire l’effet de la boisson que nous lui avons administrée.

– Oui ! oui ! fit Louis à voix basse, docile comme un enfant. Je vais la voir. »

En même temps, il se dirigea vers la porte qui communiquait avec la chambre de Marguerite.

Les deux princesses se placèrent devant lui.

« Quoi ? fit le roi dans un souffle.

– Sire, nous vous supplions de laisser reposer Sa Majesté...

– Laissez-moi la voir de loin seulement... »

Ce soudard, dont les effrayantes colères éclataient dix fois par jour, tremblait devant les deux sœurs de la reine. Il parlait tout bas. Il marchait sur la pointe de ses grosses bottes, qui, en dépit de ses efforts, faisaient craquer le plancher.

Jeanne entrouvrit la porte et le roi passa la tête, doucement, les yeux écarquillés par la douleur.

Au fond de la chambre, Marguerite reposait sur son lit et semblait dormir.

« Elle est bien pâle, murmura Louis.

– C’est bon signe, Sire, fit Blanche. C’est que la fièvre s’en va. Dans quelques jours, sans doute, Sa Majesté sera sauvée...

– Pourtant, je voudrais bien entrer », reprit avec un soupir Louis, qui essaya de pousser la porte.

Mais cette porte était maintenue par la main délicate de Jeanne, et le roi, qui, d’une simple poussée, eût pu l’écarter, se recula avec un nouveau soupir. En même temps, Blanche le poussait doucement vers l’oratoire.

« Allez, Sire, allez... Laissez-nous faire...

– Mais cependant...

– Vous voulez donc que la fièvre revienne ? Si la reine vous voit ou vous entend, elle va s’agiter... elle vous aime tant !...

– Oui, elle m’aime », dit le roi tout attendri, en se laissant pousser jusque dans l’oratoire, dont la porte soudain se referma.

Louis demeura quelques minutes à écouter, tantôt voulant entrer et tantôt reculant.

Enfin, sur la pointe des pieds, touchant dans sa naïve obéissance, il s’en alla en murmurant :

« Repose, chère Marguerite, repose ! Moi, je vais m’occuper de te guérir. »

Une fois qu’il se vit assez loin pour ne pas être entendu, Louis reprit sa marche impétueuse, qui alla s’accélérant, en même temps qu’une colère se déchaînait en lui. Il entra précipitamment dans une vaste salle encombrée de seigneurs conviés pour la chasse.

« Le roi ! » cria d’une voix tonnante le héraut placé près de la porte.

Toutes les têtes se courbèrent, le silence régna.

« Messieurs, dit le roi, pas de chasse ! »

Et tout aussitôt, d’une voix altérée, il ajouta :

« La reine est malade. Malade d’une mauvaise fièvre. »

À ces mots, un indéfinissable murmure se produisit dans cette foule de rudes hommes aux massives carrures. Puis ce murmure se transforma, se gonfla, grandit et enfin éclata en sanglots, en imprécations, en prières, en malédictions.

« C’est un sort !

– Ce sont les juifs damnés qui ont fait ce maléfice !

– Je donnerai ma chaîne et mes éperons d’or de chevalier à Saint-Jacques de Compostelle, grand saint espagnol, tout-puissant contre les fièvres.

– Je fais vœu d’aller pieds nus à Saint-Germain-des-Prés et d’y faire trois jours d’abstinence.

– Qu’un juif me tombe sous la main aujourd’hui et je l’étrangle.

– J’offre trois beaux cierges. »

Ces cris s’entremêlaient de jurons, d’objurgations, chacun prenant à partie son saint préféré et le sommant de guérir la reine en lui faisant des offres avantageuses. L’explosion de cette douleur calma le roi qui adressa de gracieux sourires à ceux qui s’étaient distingués par leurs offres et surtout par leurs jurons.

Puis il passa en disant :

« Et si tout cela ne suffit pas, nous ferons une grande messe expiatoire. »

Louis entra dans la salle du conseil où l’attendaient quelques seigneurs d’importance, mais il les renvoya en disant :

« Messieurs, conseil secret ! »

Ce qui signifiait que seul le premier ministre Enguerrand de Marigny et l’oncle du roi, le comte de Valois, devaient rester. Au conseil secret assistaient également les deux frères du roi : Charles, comte de la Marche, époux de Blanche, et Henri, comte de Poitiers, époux de Jeanne. Mais pour le moment, ils étaient dans leurs terres, guerroyant pour lever des impôts, opération qui, à cette époque, était infiniment plus épineuse que de nos jours.

« Mes bons amis, dit Louis, lorsqu’il eut pris place, fidèles soutiens de mon trône, vous connaissez le malheur qui nous frappe. La reine est malade et les princesses disent : d’une mauvaise fièvre. Le Ciel, ainsi, déclare son injustice à notre égard, ajouta-t-il, en assenant un coup de poing sur la table devant laquelle il s’était placé. Mais nous ferons notre devoir jusqu’au bout. En cette calamité plus terrible qu’une guerre avec le Flamand ou le Bourguignon, c’est à vous, mes bons conseillers, que j’adresse mon appel. Que faut-il faire ?

– Sire, dit Valois, je crois qu’une grande messe expiatoire comme l’annonçait tout à l’heure Votre Majesté...

– Oui ! oui ! certes. Et nous ferions les vœux nécessaires. Mais, reprit tout à coup le roi en se frappant le front, qui sait si nous n’avons pas quelque faute à nous reprocher ? Une faute dont le Ciel nous punit en nous frappant dans nos affections. Cette sorcière, par exemple, ne devrait-elle pas déjà être brûlée ? »

Louis s’était levé et se promenait avec agitation.

Valois avait pâli. Marigny, malgré la certitude qu’il avait que Myrtille était à l’abri, sous la protection de la reine, avait frissonné jusqu’au fond de son être.

« Marigny, reprit le roi, je vous ai chargé de poursuivre le procès. Est-ce fini ?

– Oui, Sire, répondit Marigny, la sorcière est condamnée. »

Marigny mentait. Mais c’était le seul moyen d’apaiser le roi et de détourner peut-être son esprit de ce terrible sujet. Et en effet, Louis eut un geste de satisfaction.

« Valois, continua-t-il, je vous ai nommé gouverneur du Temple, pour veiller sur la sorcière. Que fait-elle ? Que dit-elle ? N’a-t-elle pas réussi, au fond de son cachot, à établir quelque maléfice dont la reine serait victime ? »

Valois frémit, mais il répondit d’une voix calme :

« Sire, la prisonnière est surveillée à chaque heure du jour et de la nuit. Moi-même je l’interroge à diverses reprises et je puis assurer à Votre Majesté qu’il lui est impossible de se livrer à une œuvre d’enfer. »

Valois mentait comme avait menti Marigny. Les deux hommes eurent l’un et l’autre un même regard de côté. Chez chacun d’eux, à ce moment, la haine faillit l’emporter sur l’amour. Valois se mordit les lèvres pour ne pas crier :

« Sire, le procès n’est pas commencé ! »

Et Marigny eût donné sa fortune pour pouvoir écraser son adversaire en criant :

« Sire, la sorcière s’est évadée du Temple ! »

Louis, calmé par ces nouvelles positives, avait repris place dans son fauteuil.

« Puisque la sorcière est condamnée, dit-il, il faut que l’exécution soit hâtée. Cette exécution aura lieu en grande solennité. Et afin que le peuple y puisse assister, elle se fera sur la place de Grève.

« Au surplus, et pour me rassurer complètement, ce soir, Valois, je viendrai au Temple : je veux voir la sorcière et lui parler moi-même. »

Valois demeura atterré...

Déjà le roi s’était levé. Avec l’excessive mobilité de son esprit, passant des inquiétudes à la joie, il courait chez la reine pour l’informer des décisions prises en conseil d’État pour assurer sa guérison. Valois et Marigny demeurèrent un instant face à face, comme s’ils eussent eu quelque chose à se dire. Peut-être le danger commun était-il sur le point de les rapprocher. Marigny songeait :

« Ce soir, le roi saura que Myrtille n’est plus au Temple. S’il fait saisir Valois sans lui laisser le temps de parler, la solution est là ! Eh bien, il faut que cela soit ! il faut que, ce soir, Valois soit arrêté pour complicité avec la sorcière ! »

Et Valois se disait :

« Oui, je souffrirai cruellement de voir mourir cette jeune fille... Mais puisque c’est l’unique moyen de me sauver, il faut qu’elle meure. Il faut que, ce soir, le roi la trouve en son cachot. J’ai jusqu’à ce soir pour remettre la main sur elle. Cela suffit. »

Marigny s’était, comme le roi, dirigé vers les appartements de la reine. Le comte de Valois sortit du Louvre, accompagné, selon son habitude, par une imposante escorte de gens d’armes, et regagna son hôtel, situé Grande-Rue-Sainte-Catherine, près de la porte Saint-Antoine. Cet hôtel, comme la plupart des logis seigneuriaux de l’époque, était une façon de forteresse qui, au besoin, eût pu soutenir un siège. Le comte y entretenait de nombreux gentilshommes et des soldats. Comme au Louvre, il y avait un fossé autour de l’hôtel, des murs crénelés entouraient les divers bâtiments, et sur ces murs on entrevoyait la silhouette des archers qui montaient la garde.

À peine rentré, le comte fit venir son homme de confiance. Simon Malingre se présenta dès que son maître eut prononcé son nom. Il était toujours là. De nuit et de jour, quel que fût l’endroit, le comte était sûr de l’avoir toujours sous la main.

Simon Malingre remplissait à l’hôtel l’office d’intendant général. Il était haï et redouté de toute la domesticité, méprisé par les gens d’armes, mais, haine ou mépris, rien ne l’empêchait de poursuivre avec une sournoise obstination l’accomplissement de son plan, qui était de s’enrichir par tous les moyens, et même, comme on l’a vu par son entretien avec Bigorne, aux dépens de son maître.

« Simon, dit Valois, il s’agit d’une affaire d’importance ; ma situation à la cour et ma vie, peut-être, sont en jeu.

– Monseigneur sait que, quand il faudra fuir, nous sommes toujours prêts, nuit et jour.

– Fuir ! gronda Valois, dont les poings se serrèrent et dont les yeux s’injectèrent de fiel, il faudra pourtant en arriver là, peut-être ! Fuir ! Abandonner la place à Marigny ! Le laisser triomphant, subir cette dernière honte !... Mais tout n’est pas perdu encore... Et c’est sur toi que j’ai compté, Simon, pour me sauver, cette fois encore...

– Ma vie vous appartient, monseigneur !

– Il ne s’agit point de ta vie. Je sais bien qu’elle m’appartient, car au moindre soupçon d’une trahison pareille à celle de cet infâme Bigorne...

– Votre seigneurie me ferait pendre, dit humblement Simon Malingre. Cependant, je vous ferai observer que la trahison de mon vieux camarade Bigorne date de bien loin et qu’il n’est pas mort encore ! Au contraire, il se porte fort bien, et même mieux que moi, qui suis toujours quinteux et fiévreux.

– Que veux-tu dire, drôle ?

– Simplement ceci, monseigneur : qu’il ne suffit pas de condamner un homme à mort pour que mort s’ensuive... Croyez-moi, comte de Valois, mieux vaut faire appel au dévouement qu’à la terreur : on est mieux servi.

– Et tu m’es dévoué, toi ?

– Oui, monseigneur, jusqu’à concurrence des cent écus que, bon an mal an, vous me faites gagner.

– En sorte que si je te faisais gagner deux cents écus, tu me serais deux fois plus dévoué ?

– Sans aucun doute, monseigneur. Mais je n’ai pas de si hautes visées. Modeste dans mes goûts et mes dépenses, je suis plus que satisfait, et mon dévouement doit vous paraître aussi satisfaisant. La preuve c’est que, quand vous voudrez, je vous amènerai, ou plutôt je vous apporterai Bigorne pieds et poings liés.

– Si tu fais cela, Malingre, il y a cent écus d’or pour toi ! » gronda le comte de Valois.


XXXVII



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