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Buridan le héros de la Tour de Nesle Beq michel Zévaco Buridan le héros de la Tour de Nesle


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Malingre et Gillonne


Simon Malingre se redressa et dit :

« Je puis faire bien mieux, monseigneur. Qu’est-ce que Bigorne, après tout ? Un pauvre diable qui ne mérite pas l’honneur de votre haine. Il suffit que je m’occupe de lui ; un humble personnage tel que moi, c’est bien assez pour Bigorne, et je le prends à mon compte. Soyez tranquille, comte de Valois, les jours de Bigorne sont comptés...

– Tu le hais donc, toi aussi ?

– Moi ? pas du tout ! Mais étant au service de monseigneur, je prends naturellement à mon compte les affections et les haines de monseigneur, j’entends les haines subalternes, les affections d’ordre inférieur. Quant à celles qui sont d’un ordre plus élevé, elles passent par-dessus mon échine que le respect tient courbée ; mais, si bas que je courbe l’échine, je n’en risque pas moins un regard par-ci, une œillade par-là ; cela suffit à m’apprendre bien des choses.

– Trop de choses peut-être ! grommela le comte.

– Jamais trop, puisque c’est pour le service de monseigneur. Jugez-en : monseigneur, en ce moment, vous donneriez peut-être toute votre fortune pour savoir où se trouve la sorcière Myrtille. Eh bien, je le sais, moi ! »

Un flot de sang envahit le visage du comte de Valois. Sa rude et violente physionomie fut empreinte d’une ardente curiosité. Une minute, devant Malingre triomphant, il demeura silencieux, luttant en lui-même contre le double sentiment qui s’y déchaînait.

« La colombe nous échappait, reprit Malingre. Je sais son nid. Je n’ai qu’à allonger le bras et je ramène à votre seigneurie la plus jolie des sorcières. »

Un soupir terrible gonfla la poitrine du comte.

« Car vous l’aimez, fit Malingre d’une voix plus basse et en se rapprochant. Vous l’aimez comme jamais vous n’avez aimé, ce qui est une sottise, monseigneur ! Mais enfin, à cette occasion, l’amour est d’accord avec vos intérêts : et quelle vengeance pour vous que de tenir dans vos bras cette fille admirable, puisque cette fille, monseigneur, c’est l’enfant de Marigny ! »

Un sanglot que Valois ne fut pas maître de comprimer râla dans sa gorge.

« Tais-toi ! gronda-t-il. Ne présente pas à mon esprit ces images d’un amour impossible, car jamais torture pareille n’a étreint le cœur d’un homme. Car cette sorcière, Simon, il faut, entends-tu bien ? il faut que, ce soir, elle soit dans son cachot du Temple !

– Je ne comprends plus, dit Simon Malingre.

– Le roi veut la voir lui-même !...

– Ah ! ah ! diable ! En effet... Heu ! situation délicate !...

– Alors, écoute : ou je garde Myrtille pour moi, et ce soir je suis saisi, jugé, condamné. Ou je la rends au roi, et cela me déchire, cela me tue, Simon !... »

Malingre se croisa les bras. Le comte fit quelques pas. Son lourd talon frappait de rudes coups. Sa taille imposante, ses larges épaules couvertes de buffle, sa main crispée sur sa dague, sa figure bouleversée, ses yeux sanglants, cet ensemble formait une silhouette effrayante.

« C’est à vous de choisir ! » dit Simon Malingre.

Valois s’arrêta devant lui.

« Et tu dis que tu sais où elle est ?

– Je le sais.

– Et que tu peux la prendre à l’instant ?

– À l’instant, non. Ce soir, aux premières ombres de la nuit, oui. Pour la prendre en plein jour, il y aurait lutte, bataille, cris, les voisins accourant... tout serait perdu.

– Malédiction ! Que n’est-elle là, Simon ! Nous fuirions, vois-tu ! Et ce serait fini !

– Oui, grommela Malingre, mais c’est ce que je ne veux pas, moi ! Monseigneur, reprit-il à haute voix, laissez-moi faire ! Le roi verra la sorcière, et vous garderez Myrtille !

– Comment cela ?

– Laissez-moi faire, vous dis-je. Rentrez au Temple, où vos fonctions de gouverneur vous appellent. Et attendez patiemment la fin de ce jour. Je réponds de tout. »

Malingre, sans attendre de nouvelles questions, disparut, rapide et silencieux, comme il était entré. Valois secoua la tête, comme s’il eût trouvé trop beau l’espoir que Malingre venait de lui suggérer. Mais, confiant au fond dans le génie d’astuce de son serviteur, il se rendit au Temple en murmurant : « Qui sait ? »

Simon Malingre était monté tout en haut de l’hôtel. C’est là qu’il avait son logis, son chez-soi où il pouvait se retirer dans les rares moments où il ne devait pas se trouver auprès de son maître.

Il entra dans une salle assez vaste, bien éclairée et proprement meublée. Une femme était là qui travaillait silencieusement à une de ces grossières broderies comme les femmes du peuple en mettaient alors à leurs capuches. Malingre s’assit en face d’elle. Ses yeux chafouins brillaient d’une petite flamme rouge. La femme avait un visage livide et tourmenté. Elle interrogea Malingre du regard.

« Ma chère Gillonne, dit celui-ci, je crois pour le coup que notre fortune est faite. »

Gillonne rougit un peu. L’idée de la fortune était la seule qui amenât quelque émotion sur ses traits fanés.

« Cela dépend de toi seule ! reprit Malingre.

– Est-ce que tu as retrouvé Bigorne ? Est-ce que tu l’as décidé à nous livrer Buridan ?

– Ne parlons pas de cela, Gillonne. Chaque chose viendra en son temps. Voyons, tu m’as dit que tu as eu la bienheureuse idée d’aller sur le Pré-aux-Clercs pour voir la grande bataille des écoliers ?

– J’ai vu ce que je voulais voir, dit Gillonne en cherchant à deviner la pensée de Malingre.

– Oui, ma chère Gillonne. Et tu as eu l’idée non moins bienheureuse de suivre pas à pas...

– La petite Myrtille ? Bon. Je sais maintenant ce que tu veux. Tu veux savoir où se trouve la jolie sorcière.

– Oui, fit Malingre, les dents serrées.

– Bon. Eh bien, tu ne le sauras pas. Je veux bien partager Buridan avec toi. Mais Myrtille, je la garde pour moi... pour moi seule. Malingre, tu ne sauras rien. »

Simon Malingre eut un rire qui grinça sur ses lèvres minces. Il se leva, alla fermer la porte à double tour et mit la clef dans sa poche.

« Que fais-tu ? » dit Gillonne, sans s’émouvoir autrement.

Et, en même temps, elle saisit une dague dont elle montra la pointe acérée à Malingre.

Simon haussa les épaules, vint se rasseoir en face de Gillonne et dit :

« Ce que je fais ? J’obéis tout simplement à l’ordre que m’a donné mon seigneur et maître le comte de Valois, de t’enfermer prisonnière et de te garder à vue jusqu’à ce soir. »

Gillonne commença à être inquiète. Mais, dissimulant soigneusement cette inquiétude sous un sourire, autant que cette grimace pouvait s’appeler un sourire :

« Notre seigneur comte, dit-elle, n’est pas un sot. J’ai donc pleine confiance que non seulement il ne me revient aucune male ou bonne mort, mais encore qu’il tiendra sa promesse de m’enrichir. Je lui ai rendu de grands services, et il sait que je puis lui en rendre encore. Il sait que je puis prévenir le premier ministre de ce qui s’est passé à la Courtille-aux-Roses ! Je puis me présenter devant l’official, ou, si je suis prisonnière ici, lui faire parvenir une relation de la vérité. On saura ainsi que c’est moi qui ai prévenu Charles de Valois que Myrtille était la fille de Marigny, que, subornée à prix d’or par Valois, j’ai consenti à fabriquer une image qui ressemblait aux maléfices des sorciers ; qu’ainsi Myrtille n’est nullement une sorcière. Va, Simon Malingre, va dire à ton maître que si, de nous deux, l’un doit trembler devant l’autre, ce n’est pas moi...

– Gillonne, ricana Malingre, où mets-tu ton magot ? »

Gillonne haussa les épaules et reprit son travail de broderie. Mais sa main tremblait.

« Écoute, reprit Simon Malingre, veux-tu me dire où est en ce moment Myrtille ?

– Non.

– Veux-tu me dire où tu caches l’or et l’argent que tu as arrachés à notre maître ? Puisque nous devons nous marier, n’est-il pas juste que je connaisse l’état de ta fortune ?



– Je ne dirai rien, fit Gillonne avec l’âpre fermeté des avares.

– Bon. Ce soir, tu coucheras donc au Temple. »

Si courageuse que fût réellement Gillonne, elle ne put maîtriser un frémissement de terreur. Le Temple avait dès lors la sinistre réputation que le Châtelet avait depuis longtemps. Le Temple, c’était le cachot souterrain, c’était l’oubliette, c’était la torture. C’était, par-dessus tout cela, la certitude affreuse de se trouver avec les spectres des Templiers qui, au su de tout le monde, venaient chaque nuit dans leur ancienne résidence pour y organiser des fêtes sépulcrales. Autrefois forteresse de moines soldats, maintenant c’était le Louvre des fantômes.

Gillonne esquissa un signe de croix et, tout bas, murmura un exorcisme, comme pour chasser par avance les êtres infernaux. Pourtant, elle ne voulait pas se rendre, ni rendre l’argent surtout !

« Et pourquoi le noble comte de Valois me ferait-il conduire au Temple ? dit-elle.

– C’est bien simple, douce Gillonne et chère fiancée. C’est moi qui lui ai donné cette bonne idée. Tu vas comprendre. La sorcière Myrtille n’est plus au Temple. Où est-elle ? Le diable le sait, et toi. Cela revient au même, bonne Gillonne. Alors notre sire le roi s’est mis dans la tête de voir lui-même la sorcière. Tu ne comprends pas ?

– Non ! » bégaya Gillonne, qui entrevoyait une horrible vérité.

Malingre se mit à rire.

« C’est pourtant bien simple, fit-il. Le roi n’a jamais vu la sorcière Myrtille. La femme qu’on lui montrera bien et dûment enchaînée dans un cachot du Temple sera donc pour lui la sorcière. Encore fallait-il trouver une femme de bonne volonté qui consente à passer pour Myrtille, c’est-à-dire qui veuille bien se laisser questionner...

– Miséricorde ! gémit Gillonne.

– Arracher la langue, brûler la plante des pieds, tenailler les seins...

– Grâce ! râla Gillonne.

– Et enfin attacher à un beau poteau tout neuf au-dessus des fascines dont on fera un feu de joie. J’ai cherché, Gillonne ! et je n’ai trouvé que toi pour figurer dignement dans cette fête... »

Gillonne tomba à genoux, leva les mains vers Simon Malingre dans un geste de supplication.

« Où est Myrtille ? dit froidement Malingre.

– Je le dirai ! râla Gillonne.

– Ta, ta, ta ! Je ferai, je dirai... Tout de suite, ou le Temple, la pendaison, le bûcher !

– Va au cimetière des Innocents ; demande à tout venant quelle est la maison qu’on nomme le Logis hanté : c’est là.

– Bon !... Le magot, à cette heure !

– Le magot ? balbutia Gillonne, prise d’un tremblement convulsif.

– Ton trésor, par les boyaux de ton patron, Satan ! Eh ! par Notre-Dame, je ne le mangerai pas ! Et la moitié t’en reviendra... plus tard, en nous mariant.

– Simon, mon cher Simon, laisse-m’en au moins la moitié tout de suite ! Simon, tu me tues ! Simon, songe à tout ce que j’ai fait pour gagner ce peu d’argent ! Tu ne veux pas ma mort, dis, mon bon Simon ? Et je mourrais, vois-tu ! Je mourrais de voir partir ces pauvres écus !

– Je veux tout ! hurla Malingre dans la joie de son triomphe.

– Est-ce donc vrai ? Tu dis : tout ! Quel horrible mot ! Dis seulement : la moitié !

– Tout », répéta Malingre, impitoyable.

Gillonne se releva en poussant des gémissements à croire qu’on la saignait toute vive. C’est ce que lui fit remarquer son digne fiancé, mais elle ne répondit que par une recrudescence de lamentations, et tantôt se griffant le visage, tantôt se frappant le sein, tantôt s’arrachant des poignées de cheveux, elle se dirigea, suivie pas à pas par Malingre, vers la pièce voisine et ouvrit un placard dont la porte était dissimulée derrière une tapisserie.

Le placard lui-même paraissait vide, mais Gillonne, après avoir une dernière fois tenté de fléchir le superbe Malingre, retira une planche du fond et alors apparut un coffret de bois.

Malingre le défonça plutôt qu’il ne l’ouvrit. Le coffret contenait une centaine d’écus, tant or qu’argent.

« Heu ! grommela Malingre, la guenon s’était vantée. Elle n’est guère riche. Enfin, c’est toujours bon à prendre. Écoute, continua-t-il, je vais m’assurer que Myrtille se trouve bien à l’endroit que tu dis, puis je reviendrai te délivrer. En attendant, je t’enferme et j’emporte ce coffre qui pourrait te gêner, car... »

À ce moment, il s’aperçut que Gillonne s’était évanouie et gisait inanimée sur le plancher. Il interrompit donc son discours au moment où, sans doute, il allait devenir pathétique, et il se retira, emportant le coffret avec une grimace qui traduisait à la fois sa jubilation de s’approprier le bien d’autrui et sa déception de trouver ce bien moins florissant qu’il ne l’avait espéré.

À peine Malingre eut-il fermé la porte à double tour que Gillonne entrouvrit les yeux, puis redressa la tête pour écouter, puis se releva et courut au placard où, ayant retiré une autre planche, apparut un coffre beaucoup plus grand que le premier, et celui-là était bourré de pièces d’or. Gillonne s’était mise à genoux. Ces pièces d’or, elle les touchait, les prenait, les caressait, les remettait en place et leur parlait doucement.

« Dire qu’on voulait nous séparer, mes beaux écus ! Qu’eussiez-vous fait sans moi ? En quelles misérables tavernes eussiez-vous roulé ?... Vos frères sont partis, les pauvres... Mais, vous le savez, ils étaient sacrifiés d’avance. Certes, il m’en coûte de les abandonner, mais ils ne sont que peu, et vous, mes mignons, vous êtes déjà nombreux comme une belle compagnie d’archers vêtus de drap d’or. Patience, je vois d’ici des vides que je comblerai... »

Elle referma soigneusement sa cachette et, laissant le placard ouvert comme si elle n’eût plus rien à y enfermer, elle se tourna vers la porte par où Malingre avait disparu, montra le poing et grinça :

« J’aurai ma revanche, Simon Malingre ! »


XXXVIII



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