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Les Hypocrites La folle expérience de Philippe Beq berthelot Brunet (1901-1948) Les Hypocrites


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Berthelot Brunet
Les Hypocrites
La folle expérience de Philippe



BeQ

Berthelot Brunet

(1901-1948)



Les Hypocrites

La folle expérience de Philippe

roman

La Bibliothèque électronique du Québec

Collection Littérature québécoise

Volume 128 : version 1.01

Du même auteur, à la Bibliothèque :

Le mariage blanc d’Armandine

Histoire de la littérature canadienne-française

Berthelot Brunet a touché à presque tous les genres. Il a publié un recueil d’essais (Chacun sa vie, 1942), de contes (Le mariage blanc d’Armandine, 1943), un roman (Les hypocrites, 1945), et même une Histoire de la littérature canadienne-française. Il a fait de la critique littéraire et a collaboré à maints journaux et revues.



Les Hypocrites

La folle expérience de Philippe

Édition de référence :

Éditions de l’Arbre, Montréal, 1945.

La vérité du roman n’est pas celle de la vie de tous les jours ; le romancier n’y prend que ses conventions et ses points de repère, et, plus il s’en éloigne, plus on dit qu’il est véridique. Le roman le plus fantaisiste paraît souvent un roman à clefs.

Un timide et son fils


Philippe avait eu l’enfance la plus solitaire. Sa tante tenait la maison de son père : il l’appelait ma tante, elle n’était que la cousine de son père, un timide à qui elle prouvait son amour en restant sa servante. Elle l’aimait justement parce que, seul de sa famille, il avait fait des études, qu’il était devenu docteur. Elle l’aimait parce que toute la famille se rachetait en lui. Quand elle le tutoyait, elle insistait, elle appuyait sur le tu, comme si les envieux l’entendaient, fut-elle seule avec lui : « C’est mon cousin, mon plus proche cousin, vous savez, nous sommes de la même famille. » Le père, inconsciemment sensible à cette fierté obséquieuse, la traitait toujours avec un peu de condescendance, une condescendance que doublait sa timidité : cet homme solennel se troublait pour un rien, et c’est pourquoi il trônait et posait avec un tel plaisir aux heures d’expansion de la famille.

Le docteur vivait engoncé dans son col dur, ses vêtements qui le faisaient paraître toujours en représentation et dans le rôle que soulignait la solennité de ses discours. La tante Bertha vivait pour le cousin Joseph, et Philippe tentait de vivre de lui-même. Les uns n’étaient que le prétexte des autres. Ils ne se voyaient guère, chacun était le prétexte et le sujet des pensées et des sentiments de l’autre. On aurait dit que la maison familiale, où ils passaient pourtant le plus clair de leur temps, n’était qu’un lieu neutre, un endroit de passage. Dans cette demeure qu’on ne quittait pas, on se frôlait, on se coudoyait, comme dans un couloir d’hôtel. Tous ces meubles, ces objets, auxquels on tenait avec avarice, restaient comme anonymes. Chacun y menait sa vie à part. Un peu de la communauté, une communauté avec clôture, une clôture à laquelle les plus vieux ne se sont pas encore faits.

Philippe n’était pas fils unique, mais le petit frère n’avait pas d’importance, qui mourut tôt, ne laissant que des souvenirs niais. La solennité du docteur, de courte vitalité, avait assez de Philippe pour exercer sa paternité. Ce n’est que par occasion qu’il s’occupait de l’autre, dont la naissance avait provoqué la mort de sa femme : il avait oublié la femme presque aussitôt et l’enfant en même temps. Philippe lui était sujet de discours, et, comme il recommençait et corrigeait, amendant et refaisant ce qu’il disait, il n’avait jamais terminé.

Pour la tante Bertha, Philippe était l’intermédiaire le plus commode entre elle-même et le cousin Joseph. Il lui servait de truchement. Voulait-elle qu’on s’aperçût de sa présence, elle disait :

– Ton père t’a montré à placer tes blocs l’un après l’autre, pas tous à la fois... Ton père t’a dit de marcher droit... Ton père te répète de ne pas regarder par-dessus tes lunettes (Philippe portait des lunettes à cinq ans).

Philippe faisait ce qu’on lui disait, assuré qu’on l’oublierait aussitôt.

De fait, on l’avait oublié, et ce n’est qu’à huit ans qu’il commença ses classes. Le docteur faisait de grands discours sur l’éducation. Il avait acheté une méthode pour apprendre à lire, la tante Bertha s’en était chargée tant bien que mal, et il n’en parla plus jusqu’au moment qu’il arriva avec un psautier de David : il voulait mettre tout de suite son fils au latin. Cela ne dura que l’espace d’une soirée, le temps pour le père de lire à haute voix avec sa vieille prononciation latine la moitié des psaumes :

– Rien de plus beau que les psaumes.

La tante Bertha resta sous l’impression que le cousin Joseph savait le latin.

Jusqu’à quinze ans, Philippe n’eut pas de camarades. Il écoutait ses maîtres et s’intéressait à leurs leçons : l’école, le collège étaient pour lui le monde, le voyage, l’évasion. Il n’avait plus à souffrir de la timidité des autres, il n’étouffait que dans sa propre timidité. Cependant, il ne se liait pas, et il voyait toujours venir avec angoisse les récréations. Si le maître permettait, un quart d’heure, à toute la classe de causer, ce qui arrivait parfois, aussitôt, Philippe demandait la « permission de s’absenter » et, revenant, il restait près de la porte jusqu’au moment que se refaisait le silence.

Sa volupté était la lecture. Il avait commencé par dévorer les livres de classe, et les exemples de la grammaire l’avaient acheminé vers la littérature. Il faisait coupures des poésies que les journaux publiaient et il avait proposé à sa tante de vider lui-même, « pour l’aider dans son ouvrage » le panier du docteur où se trouvaient des revues non coupées et des prospectus médicaux : il fourrait tout cela sous son matelas, puis lisait sans bien comprendre, dans le tram : il mêlait dans son sac livres de classes et publications de médecine, avec la peur de se faire pincer par le maître.

C’est à cette époque qu’il connut ce Dufort, qui passa toujours pour le meilleur ami de Philippe, qui aima sans doute Philippe à sa façon. Il le connut aux premières années du collège, et des années, Philippe passa tout son temps avec lui. Cette amitié commença par l’orgueil comme elle devait finir par l’orgueil : gauchement, ils n’eurent jamais terminé le jeu de cache-cache des vanités, où le vainqueur était vaincu à date presque fixe. Impartial, le hasard disait : chacun son tour, et le tour ne durait pas longtemps.

Dufort était aussi renfermé, aussi timide, aussi propre que Philippe. Cependant, d’abord, Philippe ne parlait pas à Dufort, parce que Dufort suivait une classe inférieure à la sienne. Dans le tram, il le laissait accaparer par son cousin, avec qui il revenait, et qui était de la même classe. Philippe n’en saisissait pas moins les regards avides de Dufort sur les conversations qu’il menait avec un autre camarade, lorsque le hasard en fournissait un à sa timidité. Dufort rêvait sans doute de l’amitié de Philippe qui ferait de lui un homme.

Par passades et saccades, l’adolescence de Philippe laissait sa timidité pour s’étendre dans des confidences livresques, et il semblait ainsi intime et amical avec les jeunes garçons qui acceptaient sa conversation, ce qui donnait le change à Dufort. Il obtint donc l’amitié de Philippe, un jour que celui-ci n’avait plus de compagnon à qui montrer sa supériorité et que Philippe était gros de conversations. Ce fut Dufort qui l’aborda, très humblement. Tout de suite Philippe le mit à l’aise, par ce goût, premier chez lui, de s’abaisser dans ses propres défaites, et c’était une défaite pour son orgueil qu’il consentît de frayer avec le tiers-état d’une classe inférieure. Le premier mouvement de Philippe était toujours la démission, et son orgueil ensuite reprenait le dessus.

Philippe mit Dufort à l’aise. Il était tout surpris de le voir aussi simple. Ce ne fut pas long, et, le sujet venant des lectures, comme Dufort parlait des romans qui le passionnaient, Henri Conscience et Raoul de Navery, comme si de rien n’était et avec un rengorgement de fatuité, Philippe cita les vers de Racine et la prose somptueuse qu’il venait de découvrir dans « Le Génie du Christianisme. » Dufort écoutait modestement, ayant en lui du paysan qui veut s’instruire. Philippe citait encore Antoine Albalat et Faguet, ses maîtres d’alors. Il était dogmatique et péremptoire en diable. Il en oubliait la condition élémentaire (se disait-il) du gros Dufort. La vanité de Philippe avait désormais établi ses quartiers chez Dufort. Sa timidité, devenue folle et prodigue et qui prenait le large, avait trouvé un écouteur plus docile que les autres. Avec lui, point de contradictions à craindre : ce gros garçon propre et ces gros yeux stupides faisaient leur bien de tout ce que disait Philippe. Dufort engrangeait les paroles de Philippe avec avarice, et Philippe devinait qu’il les ruminerait longtemps, qu’il les repasserait comme une leçon. L’orgueil de Philippe n’avait jamais rêvé pareille victoire.

Si bien que Philippe entreprit la conversion de Dufort. Quelques mois plus tôt, il avait quitté la foi catholique, pour le plaisir de scandaliser une vieille cousine, à qui il débitait les objections qu’il pêchait dans quelque apologétique niaise. Pris au jeu, se lançant tête basse, Philippe avait fini par croire ce que la malice de la contradiction et le goût du scandale lui dictaient. Il s’y était lancé, comme on plonge dans la luxure, un jour que, étourdi par toutes ses lectures, sa conscience n’avait plus de réponse à faire aux raisonneurs que réfutait bêtement son livre. Philippe avait alors perçu à la fois que sa raison n’avait plus de raisons de croire et que, néanmoins, il péchait : il ne reste plus de preuves et Dieu nous harcèle quand même. Il y a des moments de l’intelligence analogues à ceux de la prière : lorsque l’on prie le mieux, c’est lorsque l’on sent le moins, et au fond, c’est lorsqu’on n’a plus de raisons, étourdi un instant, comme abasourdi que, par le vide que donnera son absence, on voit ce qui s’appelle voir, quel crime on commet en refusant ce Dieu qu’on ne voit plus : « Tu ne me nierais pas, si tu ne m’avais trouvé. » Non que Philippe ait été conscient de ces réflexions, mais à coup sûr, n’ayant plus de preuves, il ne s’en sentait pas moins coupable de refuser Dieu, et, de toute sa vie, ce fut peut-être ce refus, que sa raison faussée commandait pourtant, ce désaveu de Dieu, le seul acte volontaire qu’il ait jamais commis.

Timidement, Philippe commença donc à endoctriner son docile ami. Dufort l’écoutait, ne faisant pas d’objections. Aux brocards voltairiens que lançait l’enfant, le raisonneur enfant qu’était Philippe, et point si sûr de ce qu’il affirmait, et doutant de plus en plus qu’il parlait, Dufort riait : il riait jaune ! D’abord, sans doute, pensait-il à une fantaisie de la part de Philippe, croyant qu’à la fin il dirait :

– Voyons, tu sais bien que c’est une blague.

Il se préparait à rire avec lui de la bonne farce. Mais ce n’était pas une farce et l’incroyance fit son chemin dans cette tête de bon sens, aidée par ces passions adolescentes que l’observation de Philippe voyait poindre dans les regards que son ami jetait aux affiches de cinéma, aux réclames des dancings.

Cela ne se fit point sans combats. À une retraite que l’on prêchait, Philippe ayant lancé quelques bourdes sacrilèges, l’autre, enfant posé et timide dans sa lourdeur, le frappa d’un poing vigoureux jusqu’à le faire chanceler :

– C’est assez, ça !

Trois jours après, tâtant l’eau d’un pied prudent, Philippe avait pu recommencer. Maintenant, Dufort paraissait jeter tout par-dessus bord. Il gardait des réserves pourtant :

– Toutes les religions sont peut-être pareilles : il y a tout de même un Dieu.

Cela fournit à Philippe un tremplin pour proclamer son athéisme, Philippe allant toujours jusqu’aux conclusions.

Toute l’année scolaire, Dufort suivit les leçons et les discours de Philippe, essoufflé souvent par ses paradoxes, et trop lourd pour le suivre dans ses contradictions. L’été, timidement et d’une écriture appliquée son orgueil prit sa revanche.

C’est que Dufort avait des parents riches, dont le seul luxe était une saison à là mer. Pour Philippe, il n’allait qu’à une campagne proche. De là-bas, Dufort lui écrivait de longues lettres, avec des « fions » et des paraphes, sans compter les descriptions qui sentaient à la fois Albalat, que Philippe lui avait fait lire, et les réclames de voyage dont il faisait collection. Il parlait de femmes, de baigneuses, de rencontres, d’excursions en mer, et c’était Philippe maintenant le paria, avec ses livres et les cahiers où il s’efforçait à des descriptions flaubertiennes. Dans ses promenades sous les grands arbres, dans la chaleur trouble des repas, cet adolescent comptait les jours qui lui restaient à passer. Non point qu’il eût hâte de revoir Dufort, mais il lui semblait qu’un jour de moins pour lui au bord de la mer, ce serait un jour de moins pour la supériorité que l’autre avait acquise.

Philippe ne se peignait plus, il mangeait avec son couteau, il s’évertuait à ces manières de rustre, comme pour montrer à l’absent qu’il était au-dessus de ce luxe.

Même, lisant les « Considérations sur la France » de Joseph de Maistre, c’est à ce moment qu’il devint royaliste, par haine inconsciente de la République et des États-Unis où s’était plu et enorgueilli cet être qui lui était inférieur. Ce pédant liait Old Orchard aux Cordeliers et aux Jacobins.

Il va de soi que sa haine était courte. Cela se terminait par des accès de voluptés, de péchés adolescents où Philippe ne retrouvait pas le réconfort, parce que, encore proche du catholicisme, il avait honte de sa faute devant les autres, qui ne pouvaient pourtant le deviner. Cet été était torride et il y avait de la rage dans ces péchés et la honte brûlait de fièvre des joues déjà brûlantes.

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