Un autre condamné avait un oiseau savant qui retirait, avec son bec, d’une liasse de petits papiers pliés avec soin celui sur lequel on avait écrit un caractère. Ce tour, assez joli du reste, se renouvelait tous les jours et toute la journée, depuis plusieurs années peut-être, et toujours avec succès, à la grande satisfaction de tous les détenus.
Nous avions jusqu’à un théâtre. Dès que notre salle commune était fermée le soir et que certaine ronde avait eu lieu, une ou deux chandelles étaient allumées sur une table placée au bout de la prison. Deux ou trois prisonniers ou gardiens s’approchaient de la table, et la représentation commençait. Une voix de fausset servait à rendre les rôles de femme. Il y avait du dialogue et du chant. Ni le dialogue, ni le chant, n’étaient extrêmement chastes : on ne pouvait s’y attendre. Toute la poésie et tout le drame chinois sont remplis de calembours obscènes. Les pièces les plus anciennes et les plus renommées ne sont pas à l’abri de cette tache que les Européens ne peuvent y apercevoir, à moins d’avoir fréquenté bien mauvaise compagnie. Le mot lepus signifie en latin un lièvre, mais il signifie encore autre chose. Une pièce de vers où l’on parlerait du lièvre et de la tortue aurait de même en chinois une portée tout autre qu’en français. C’est pour cela qu’au théâtre on voit si souvent le public rire aux éclats après une phrase des plus naturelles, ou même une maxime des plus morales, et qui paraît n’avoir rien de risible.
Le calembour et le trope obscène, dont la découverte remonte sans doute à la fondation de la monarchie, sont la lèpre de la littérature chinoise. Le langage chinois est, du reste, plus crû que le nôtre. En Chine, comme dans toute l’Asie et comme chez les anciens, tout se montre et tout se dit. La pudeur est cisalpine. L’Italie la connaît moins que nous, et quant à la Turquie, la conversation des petites filles de ce pays ressemble à celle des zouaves du nôtre. J’ai remué assez de poussière en voyageant pour pouvoir entendre bien des choses ; mais je n’aime pas qu’elles soient chantées sur un diapason aussi élevé, avec des intonations aussi criardes qu’elles l’étaient dans la prison, à deux ou trois mètres de mes oreilles : aussi ne regardais-je pas les opéras comiques dont j’étais gratuitement régalé comme une agréable distraction ; j’avais toutefois d’autant moins le droit d’en montrer de l’humeur que le soir de mon arrivée mes compagnons de captivité, afin de ménager mon premier sommeil, s’étaient privés d’eux-mêmes de cette récréation bruyante.
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