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Sur la chine


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Il faut avant tout désarmer la méfiance du gouvernement et du peuple que nous voulons servir. Cela n’est pas difficile ; nous n’avons pas un seul intérêt qui soit en opposition avec les leurs. Dès que des écoles sérieuses s’ouvriront en Chine, nous y pourrons d’ailleurs faire entrer, avec notre langue et nos livres, la connaissance et le respect de notre nom.

La nécessité des réformes, au moins dans ce qu’elles ont de plus essentiel et de plus général, est comprise par la Chine. L’esprit public a fait dans ce pays un grand pas vers un système plus libéral et plus sage. Le gouvernement actuel, succédant à deux règnes détestables, s’est annoncé par des actes réparateurs d’une haute portée. L’empereur Tɤñ шö (Toung che), âgé de dix ans à peine, a pour tuteur le prince Kong, qui a dû apprendre devant Pékin à nous connaître, a depuis donné des gages à l’Europe et manifesté des vues assez sages. Si ce prince avait pu visiter l’Europe, si nos relations avec la Chine nous permettaient d’ici à quelques années de la faire voir au jeune empereur, nous serions mieux compris encore, et la Chine serait régénérée. Quant aux ambassades ordinaires, elles sont sans grande portée : l’Europe a trop de grandeur pour que des ambassadeurs, livrés pendant leur absence aux cabales de leurs ennemis et représentés d’avance comme gagnés par nos présents, osent avouer tout ce qu’ils ont vu à un maître soupçonneux, en face d’une cour malveillante et d’un peuple incrédule. Je ne sais ce que sont devenus les envoyés, non de l’empereur du Japon, mais seulement de son lieutenant militaire ; je sais seulement que leur mission n’a point eu de résultats utiles 1. Quant à l’ambassade annamite, son chef, encore en route, était, d’après de récentes nouvelles, menacé du dernier supplice, et sa famille jetée dans les fers répondait de sa personne. Il a suffi que Pierre le Grand visitât l’Europe pour que la Russie devînt européenne. Les écoliers turcs, p.079 égyptiens et autres, envoyés à Paris ou à Londres, y ont appris peu de chose, et sont réduits à le cacher parmi les leurs, afin de ne pas être suspects.

La Chine a surtout besoin en ce moment d’un revenu plus élevé et d’une force armée plus effective. Je conseillerais d’abord à son gouvernement de reconnaître et d’étendre les institutions communales jadis puissantes, aujourd’hui seulement tolérées, bien que les délégués municipaux possèdent seuls la confiance du peuple, qui les nomme librement par voie d’acclamation : qu’il crée des conseils provinciaux, et que, rendant plus juste d’ailleurs la perception des deniers publics, il demande à la nation des contributions plus en rapport avec l’accroissement fatal de ses charges, j’ai la conviction qu’il ne les demandera pas en vain. Il m’a paru que le peuple était prêt à tous les sacrifices dès qu’il y avait la moindre apparence que ces sacrifices pussent être féconds. Chang–haï, Niñ-po (Ning-po), d’autres villes, doubleraient leurs impôts si nous devions consentir, à ce prix, à les gouverner comme à les défendre.

Les premières dépenses que l’État devrait faire pour assurer mieux sa police pourraient d’ailleurs être couvertes par la vente de certains privilèges, l’engagement temporaire des fermes du sel ou des revenus de la douane. Si, enfin, un emprunt était conclu par la Chine avec les grandes maisons européennes qui y sont établies, il aurait la garantie des revenus de la douane, perçus aujourd’hui par des Européens. Le taux très élevé auquel il devrait être émis est normal dans le pays, et ne saurait créer un grand embarras à l’État.

La création d’une bonne armée est moins difficile qu’on ne le suppose. Les Chinois, comme tous les cultivateurs, peuvent être pliés à la discipline et fournir une bonne infanterie.

Il faut, dans les choses militaires, distinguer ce qui est essentiel de ce qui n’est qu’accident, routine ou fantaisie. Ce qu’il faudrait à la Chine, c’est l’estime rendue aux armes, la discipline fondée, quelques manœuvres très simples, une bonne artillerie légère, une milice nombreuse et bien exercée. toujours prête à défendre ses foyers contre les pillards dont le succès fait des rebelles.

Le gouvernement chinois dispose aujourd’hui de plusieurs officiers européens aussi capables qu’honorablement connus dans leur pays. Des Français, des Anglais, des Américains, ont formé de petites troupes chinoises qui se sont déjà signalées par leur valeur, en même temps que par leur discipline et leur dévouement à leurs chefs. En outre de l’Américain Ward, deux officiers français ont déjà péri en servant la Chine 1 : ce sont le capitaine d’artillerie Tardif de Moidrey et l’enseigne de vaisseau Lebrethon. Un lieutenant de vaisseau français, M. d’Aiguebelle, et un autre de nos officiers, M. Bonnefoy, commandent encore aujourd’hui une partie des contingents chinois.

p.080 Le gouvernement de Pékin a malheureusement conçu des Européens l’idée la plus fausse : il ne comprend pas à quel point il est précieux pour lui d’être, sous la garantie des puissances européennes, servi par des hommes revêtus dans leur pays d’un caractère officiel : il tient mal ses engagements, et quelquefois recourt à des subterfuges honteux. A la suite de démêlés dans lesquels le gouvernement chinois avait eu les premiers torts, l’Américain Burgevine passa aux rebelles. Il paraît même avoir eu l’intention d’engager pour eux deux mille étrangers, payés par mois à raison de 2.000 francs pour les officiers et 400 francs pour les soldats. Burgevine a depuis abandonné les rebelles, et sera probablement banni à jamais de la Chine. Un officier anglais, le capitaine Conney, avait formé dans le nord un corps de trois mille Chinois qui, n’étant pas payé plus régulièrement que celui de Burgevine, s’est débandé tout récemment, et ravage le pays. Le major du génie Gordon, qui opère dans le Kyañ-nan, a sans cesse à se plaindre des autorités provinciales dont il dépend : lorsqu’il réclame la solde de ses troupes et parle de leur mécontentement, on lui répond que, si elles refusent de se battre, les officiers n’ont qu’à monter à l’assaut tout seuls : et quand il demande à engager quelques Européens, on lui offre de les engager pour un mois. Avec ses six régiments et l’aide des Franco–Chinois, non sans une perte de huit officiers, il a fait capituler Sɤ-tшeɤ. Les impériaux ont méconnu la capitulation, et leurs excès ont provoqué une protestation unanime du corps consulaire.

Le capitaine de vaisseau Sherard Osborn, enfin, un des officiers les plus instruits et les plus distingués de la marine anglaise, avait, à la demande du gouvernement chinois, amené en Chine huit navires à vapeur montés par des marins choisis. D’après un contrat passé à Londres avec M. Lay, inspecteur général des douanes, et porteur des pleins pouvoirs du gouvernement impérial, le capitaine de vaisseau Osborn ne devait relever que de l’autorité centrale, dont les ordres lui eussent été transmis par M. Lay, chargé en même temps de lui payer pendant quatre ans et mensuellement, pour la flottille, 600.000 francs environ, prélevés sur le revenu des douanes. Sans discuter, sans examiner même le traité signé par M. Lay, révoqué depuis de ses fonctions, le gouvernement chinois affecta de regarder la flottille comme devant être placée sous les ordres des gouverneurs locaux, qui déjà avaient excité les marins à la désertion en leur offrant une solde supérieure. Il voulait donc résilier le contrat en gardant les navires. Cette combinaison, peu loyale, était encore plus imprudente ; elle eût entrainé l’emploi d’hommes sans aveu, qui eussent trahi l’empereur ou se fussent servis de ses navires pour exercer la piraterie et ruiner le commerce. Aussi, le capitaine de vaisseau Osborn ayant rejeté les propositions chinoises, fut-il décidé que les navires ne seraient point livrés, et seraient vendus en Europe ou dans l’Inde au compte du gouvernement chinois. On comprend que le gouvernement chinois ne voulût pas p.081 laisser une trop grande part à l’initiative de deux étrangers ; mais l’intervention des gouverneurs était loin d’être une garantie, et le commandant de la flottille, non plus que les officiers placés sous ses ordres, ne pouvaient accepter une combinaison qui pouvait en faire les instruments d’une répression sauvage, et même d’actes plus sauvages encore et entièrement étrangers à la répression de la rébellion 1.

Diverses défections, l’apparition en Chine de caractères douteux, l’occupation de la Cochinchine, ont pu causer au gouvernement chinois une certaine inquiétude, et rendre ses dispositions à notre égard plus défavorables qu’elles ne le semblaient d’abord. Il est permis de croire que le crédit du prince Kong n’est plus aussi grand ; on assure que le conseil suprême subit aujourd’hui l’ascendant du vice-roi du Kyañ-nan. Tseñ-kwo-fan, ennemi des Européens ; il est possible enfin, il me paraît même probable qu’une partie des hommes qui possèdent la confiance du gouvernement, sans être d’accord avec les rebelles, désirent la continuation de ce désordre, qui leur permet de taxer arbitrairement les uns et de piller les autres, sans même leur imposer l’obligation de payer leurs troupes. La misère publique est la source impure où se puise leur fortune ; il faudrait une main vigoureuse pour fermer le gouffre, une enquête sévère et quelques supplices pour faire entendre aux défenseurs de l’ordre qu’il ne leur appartient point de le troubler eux-mêmes.

Pour accomplir les grandes réformes que nous attendons d’elle, la Chine a besoin d’être en paix ; depuis quelques années, cependant, ses plus belles provinces sont la proie de quelques brigands.

En Europe, et même dans quelques ports chinois ouverts à l’Europe, les désordres de la Chine ont un moment passé pour une révolution politique, pour le soulèvement d’un peuple conquis, pour les luttes et le triomphe d’un dogme nouveau.

Nos révolutions politiques, cependant, ont un programme connu : sous quelques chefs qu’ils combattent, leur soldats sont des citoyens qui s’agitent pour ce qu’ils croient être le bien de la cité et pour grandes que soient leurs illusions, la conscience publique les excuse en raison de leur sincérité.

La nation chinoise ne connaît guère que la discussion des intérêts locaux. Pliée depuis des siècles à un joug qui n’est pas très lourd, elle supporte les Mantchous comme des hôtes peu gênants et d’ailleurs peu nombreux ; deux cents ans ont passé sur les souvenirs de la dernière dynastie, qui n’est plus représentée, même par un imposteur.

p.082 Les aspirations militaires manquent à la Chine, et le sentiment religieux n’y a pas non plus l’intensité redoutable qui enfante les martyrs ou même les persécuteurs. La Chine n’eût pas suivi le prophète des Arabes. Ses sectateurs y sont comme dépaysés ; leur fanatisme y reste sans écho.

On ne s’étonnera donc point si j’avance que le peuple chinois, c’est-à-dire tout ce qui en Chine possède ou travaille, est étranger aux mouvements actuels.

Cultivant avec une patiente ardeur un sol fertile extrêmement divisé, les populations de la campagne paraissent heureuses ; leurs mœurs sont patriarcales ; leurs habitudes polies. Leurs demeures sont propres ; on y trouve quelques livres et souvent de petites collections de vases ou de peintures d’une faible valeur, mais qui suffisent à des hommes modestes et font voir que leur simplicité n’exclut pas une certaine culture. Les populations rurales du Tшi–li (Tchi–li), du Шnan–tɤn (Chantoung), du Kyañ–nan (Kyang–nan), m’ont paru, au point de vue de l’aisance, être au moins égales, et au point de vue de l’instruction être assez supérieures à celles de l’Italie ou du Portugal au milieu desquelles j’ai pu vivre.

Dans quelques parties de la Chine méridionale, cependant, la vie n’est pas aussi facile. Sur un sol maigre et rocheux végète un peuple stupide et rude que sa misère rend turbulent et vagabond. Enfin, les villes si grandes, si corrompues de l’empire le plus peuplé de la terre, nourrissent une multitude d’êtres déclassés et vicieux, sans famille, sans asile, presque sans nom, mendiants ou bateleurs, coupeurs de bourses ou pirates ; liés entre eux par la communauté de l’infamie et la solidarité du crime ; groupés en sociétés secrètes, sortes d’assurances mutuelles du vol, du meurtre et du faux témoignage. Ces sociétés, quelle que soit leur devise ou leur bannière, ne sauraient s’élever à un caractère politique. Les magistrats, qui en tiennent toujours sous les verrous quelques représentants, les ont plus d’une fois soulevées contre nous. Tout prétexte leur est bon, même le nom des dynasties éteintes ou celui du christianisme que leur contact doit faire reculer avec horreur.

Proclamée il y a une quinzaine d’années par un intrigant du nom de Xɤñ tsö-syuen (Houng tseu-syuen), qui avait exploité quelque temps des missionnaires crédules, la rébellion recruta d’abord dans le Kwañ-si quelques montagnards à demi sauvages ; grossie dans la province de Canton par quelques milliers de pirates et de bandits, cette bande devint presque une armée. Son chef se transforma en empereur céleste ; et quelques brigands subalternes furent proclamés par lui rois des quatre points cardinaux ou de quelques autres royaumes du même genre 1.

p.083 C’était peu d’être empereur, surtout de cette façon. Xɤñ tsö-syuen le comprit, et se fit à peu près dieu. Espérant entraîner des missionnaires aussi ardents que peu éclairés, ou des agents européens sans rapports avec la Chine officielle, il inaugura une sorte de christianisme grossier et sacrilège, que ses complices, avides de débauche et d’opium, eurent la sagesse de ne pas prendre au sérieux.

Partout cependant les nouveaux sectaires renversaient et brisaient les idoles. Une foi ardente ne les entraînait pas, comme les premiers chrétiens, à cette intervention plus brutale que pieuse, dont l’Évangile a le droit de se passer ; ils suivaient seulement le dicton des voleurs chinois, qui disent en leur grossier langage que les dieux ont le ventre gras parce que souvent on y a renfermé de l’or, de l’argent, des objets de prix : parce que les bonzes eux-mêmes y cachent quelquefois leur petit pécule. Les églises chrétiennes eurent leur tour. Un grand nombre de missionnaires catholiques et protestants furent massacrés. Il n’y eut pas trace d’une préférence. Du premier jour, les missionnaires catholiques avaient jugé les rebelles. Les protestants, un instant trompés, avaient reconnu bientôt leur erreur, et, mus par un sentiment élevé de leur honneur et de leur devoir, étaient revenus avec éclat sur un jugement précipité.

Que pouvait, d’ailleurs, gagner la religion du Christ à cette parodie honteuse de ses dogmes ? Que pouvait gagner l’Europe politique ou marchande au triomphe d’une secte nouvelle essentiellement militante, pour peu qu’elle eût été sincère ; au soulèvement religieux d’une race jusqu’ici paisible, tolérante, facile à dominer ?

La rébellion chinoise est aujourd’hui bien connue, pleinement démasquée. Partout elle s’est montrée la même. La marine anglaise, désireuse de faire respecter le nouveau traité, a visité il y a deux ans Nankin, capitale des rebelles. Cette ville, si puissante jadis, si riche, si peuplée, longtemps capitale de l’empire, n’était plus, au dire des officiers qui avaient suivi l’amiral Hope, qu’un amas de ruines abandonnées. Vingt mille brigands y campaient, adonnés à tous les vices, servis par des femmes enlevées, des enfants volés qu’ils exerçaient au métier des armes, et quelques paysans réduits en esclavage. Leur chef, enrichi par le pillage, y trônait dans un palais délabré, entouré d’une centaine de femmes armées, ses concubines et sa garde. Ses ministres savaient à peine lire ; tout, dans cette ville devenue un repaire, était hideux et repoussant. Bien d’autres villes célèbres, bien des districts populeux et fertiles, ont tour à tour été foulés par ces barbares. L’incendie et le massacre marchent à leur côté ; les populations disparaissent à leur approche. Lors du sac et de l’incendie p.084 de Sɤ-tшeɤ, la Venise chinoise, j’ai vu moi–même arriver à Chang–haï plus de soixante mille infortunés, les uns offrant de boutique en boutique quelque lambeau misérable de leur fortune passée ; les autres privés de tout, sans pain comme sans gîte : plusieurs frappés dans leurs affections les plus chères ; quelques–uns acharnés à la recherche de leurs enfants disparus dans le désordre d’une fuite précipitée, perdus dans cette foule, ou noyés dans quelque canal, ou ravis par des malfaiteurs. Tous, mornes et désespérés, avaient en un seul jour franchi la dernière limite des misères humaines ; entassés dans les cours des temples, remplissant toutes les rues, ils appelaient la mort, car aucune charité ne pouvait combler l’abime de leur misère, et les magistrats effrayés de leur affluence se hâtaient de les éloigner de la ville pour les rejeter sur des campagnes ravagées et désertes. Récemment encore Chang-haï, entouré par les rebelles, a va camper dans ses rues, sous ses murs, dans les plaines qui l’environnent, près de deux millions d’hommes dépouillés de tout. La faim en faisait périr plus de mille chaque jour : les jésuites, cependant, en avaient recueilli près de dix mille, et la charité chinoise elle–même luttait d’efforts et de sacrifices avec la charité chrétienne.

Comme les flammes d’un incendie abandonnent les cendres qu’elles ont faites pour se précipiter sur une proie nouvelle, la rébellion chinoise dévore tour à tour les villages et les villes, ne laissant derrière elle que des ruines et du sang ; elle se déplace sans s’étendre, mais tout ce qu’elle touche est pour longtemps frappé de mort. Les champs restent abandonnés ; les villes ne se relèvent pas : quelques heures d’orgie ont vu périr toutes leurs richesses, et ceux de leurs infortunés habitants qui par la fuite se sont dérobés au massacre, au déshonneur, à l’esclavage, errant par les chemins, mendiant leur vie et repoussés à cause de leur nombre, affamés, exaspérés, devenus incrédules à la justice de Dieu comme à celle des hommes, viennent grossir à leur tour les hordes qui les ont dépouillés. Ainsi le désordre engendre le désordre. On se demandera sans doute comment un fait pareil a pu se produire, comment il peut se perpétuer. Une seule chose l’explique : la faiblesse du gouvernement, la désorganisation militaire dans laquelle il a laissé le pays. Des conquérants ont cru dominer mieux un peuple désarmé. Le jour de la lutte est venu, les défenseurs n’étaient plus là. On a dû combattre des bandes désordonnées par d’autres bandes sans discipline. On s’est soutenu péniblement ; on a perdu de riches provinces et recouvré des districts déserts. On a pu ne point périr, on n’a pas pu vaincre.

L’Europe moderne ne nous offre assurément aucun spectacle comparable à celui-là, mais nous en trouverions quelque image en remontant le cours de notre histoire. La Chine en est encore aux jours des Pastoureaux.

Presque tous les États de l’Europe, la Turquie même, ont souffert de pareilles p.085 atteintes. La Chine ne les souffre pas pour la première fois, et l’on ne saurait y voir un signe de décrépitude, puisque les États les plus jeunes en ont souvent offert le spectacle, mais seulement un des traits par lesquels se distingue souvent, bien qu’à des degrés divers, une des périodes de la vie des peuples, une des phases de leur développement, période que tous les peuples, il est vrai, n’arrivent pas à franchir, et dans laquelle les Chinois ont trop longtemps demeuré.

En Europe et ailleurs, ces désordres autorisés par la faiblesse de l’État n’ont cependant jamais triomphé d’une société dont l’instinct et la nature les repoussait. Il en sera de même en Chine.

Ce pays n’est point tombé assez bas pour accepter le joug d’aventuriers pareils. Une nation lettrée repoussera toujours des maîtres ignares et grossiers ; les gens du midi ne vaincront pas ceux du nord ; jamais, enfin, une révolution n’a triomphé que dans la capitale de l’empire : et cette capitale, environnée de vastes plaines, que garderont au besoin les cavaliers de la moitié de l’Asie, paraît inaccessible aux rebelles.

Ceux qui défendaient en Europe les rebelles représentaient leur triomphe comme prochain et voyaient déjà Xɤñ tsö-syuen maître de toute la Chine pacifiée, libre, heureuse. Ce ne pouvait être là qu’un rêve. Les dynasties ne se fondent point ainsi : leur changement n’a lieu qu’après de longues guerres. La dynastie actuelle a dû lutter longtemps contre la résistance acharnée de plusieurs de ses provinces, et lors de la chute des Tañ (Tang), on vit cinq dynasties plus anciennes reparaître tour à tour sur la scène, pendant un demi-siècle, avant que la dynastie des Sɤñ (Soung) parvint à s’établir d’une façon durable sur une portion limitée de l’empire.

La rébellion vient de perdre Sɤ-tшeɤ (Sou-tcheou) ; bientôt, sans doute, elle perdra Xañ tшeɤ (Hang-tcheou) et Nankin. En même temps qu’elle on verra finir des soulèvements dont l’origine est moins vile et toute différente : je veux parler des insurrections musulmanes, mal comprimées, sans cesse renaissantes, que des mesures maladroites ont provoquées, qui même n’étaient que trop justifiées dans la province de Yun-nan par les criminelles menées d’un gouverneur général qui rêvait le massacre des musulmans, et que les musulmans n’ont fait que devancer.

Sans doute il est impossible qu’il n’y ait pas de temps à autre quelques émeutes dans un empire aussi vaste que la Chine. Mais ces émeutes, toutes locales et dirigées presque toujours contre quelque agent secondaire, ne menacent point le souverain, dont la prudence peut les prévenir, dont la parole suffit à les calmer, et auquel la modération sera d’autant plus naturelle et plus facile qu’étant plus fort il sera moins incertain de la victoire.

Le gouvernement chinois ne m’ayant pas comblé de bienfaits, et les rebelles ne m’ayant fait aucun mal, j’espère que mon appréciation passera pour impartiale. Je p.086 pense que nous devons écarter les rebelles des ports où se fait avec l’Europe un grand commerce. Je pense que nous pouvons offrir au gouvernement, parce que c’est un gouvernement, et que le maintien de l’ordre public nous est avantageux, nos conseils et nos instructions : il serait dangereux d’aller plus loin. Mais ce qui serait plus dangereux encore, plus inexcusable, ce serait de prêter aux rebelles un appui quelconque ou même d’entrer avec eux en quelque relation que ce soit. Le missionnaire américain Roberts, et plus fard Burgevine, en ont fait le portrait le plus séduisant : tous deux se sont soustraits par la fuite aux tendresses de ces singuliers amis. On assure qu’ils sont pleins d’admiration pour Napoléon III, désireux de se faire catholiques, d’ouvrir les ports, d’encourager le commerce : n’ajoutons foi ni à ce qu’ils disent, ni à ce qu’on leur fait dire : leurs intérêts ne sont pas les nôtres, et leur admiration est indigne de nous.

Nous ne saurions désirer, d’ailleurs, quels que fussent leurs succès, un partage de l’empire. L’empire, tel qu’il est, n’est ni trop riche ni trop fort ; il est l’œuvre des siècles et en a traversé plusieurs ; il a trouvé ses vraies limites : toutes les fois qu’il s’est divisé, la guerre est sortie de cette division et n’a cessé que par la reconstitution de l’empire unique qui constitue l’état normal et stable de cette partie du monde. Rien ne paraît plus facile à l’esprit qu’un tel partage : il serait facile de former sur le littoral seul deux ou trois grands États dont chacun aurait de 120 à 200 millions de revenu et qui pourraient prendre les noms, consacrés par l’histoire, de Wey, de Wɤ et de Yué ; mais à quoi cela nous servirait-il ? Craint-on que la Chine, parce qu’elle aura reçu de nous quelques leçons fécondes d’administration et de guerre, ne devienne assez forte pour nous repousser, sans devenir assez sage pour comprendre qu’elle y perdrait elle-même plus que nous ? Qu’on se rassure à cet égard : la Turquie, plus militaire d’habitudes et d’instinct, reçoit depuis cent ans nos leçons, et l’on sait à quel point elle est peu redoutable à ses voisins. Le Japon, en raison de sa constitution féodale, source constante de luttes, est en proie à une émulation militaire qui doit faire prévoir des progrès plus rapides ; mais il y a ce fait remarquable, manifeste dans le passé, obscur pendant longtemps, entrevu de nouveau aujourd’hui, que les princes japonais veulent tous notre commerce ; que quelques-uns en rêvent le monopole, et que c’est parce que le Siogoun en profitait seul, ou à peu près seul, qu’ils se liguent contre lui et nous combattent pour le perdre.

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