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Sur la chine


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Cour et division de la prison du Cheñ-pou

Dans le fond, la salle commune ; à droite, la chapelle et la porte de la cour ; à gauche, sur le premier plan, la cuisine ; sur le second, la petite cour.

offerts. On m’introduisit bientôt dans la salle qui servait de logement aux prisonniers, et l’on m’y coucha p.045 sur un lit de camp que l’on avait couvert d’un feutre. Ma chaîne, pour me gêner moins, fut, par le milieu de sa longueur, suspendue au plafond.

La salle dans laquelle j’avais été conduit était longue d’environ 15 mètres, large de 5, bordée sur ses deux faces les plus longues de lits de camp. En face de la porte, située au centre d’un des grands côtés, couchaient les gardiens ; à gauche du lit des gardiens en regardant la porte, les condamnés sans chaînes. C’est de ce côté que l’on m’avait mis. Le côté droit, moins honorable aux yeux des Chinois, était réservé aux enchaînés. Ceux-ci dormaient sur le bois, les autres sur des matelas qui leur appartenaient ; ceux-ci recevaient du gouvernement une pâture insuffisante consistant en riz avarié ou en bouillie de sorgho ; ceux-là se nourrissaient à leurs frais ou à ceux d’un prisonnier chargé de la cuisine et auquel cette prestation était comptée à un certain taux de jours et de mois dont le temps de sa captivité devait être diminué. Notre porte ouvrait sur une cour de dimensions à peu près égales à la prison, laquelle n’avait qu’un étage et n’était fermée sur





Intérieur de la salle commune

J’ai supposé la destruction partielle du mur donnant sur la cour. Au milieu, le poste des gardiens : leurs chapeaux sont suspendus au plafond ; au-dessus des lits de camp pendent des chaînes ; à droite, la table qui constituait le théâtre ; une petite tablette suspendue à une colonne portait les noms des prisonniers.

la cour que par un mur de quatre pieds de haut et des barreaux de bois ; à un bout de cette cour, sur la gauche en sortant de la prison, se trouvait une petite chapelle bouddhiste ; à droite se trouvait la cuisine ; entre la cuisine et contre l’un des petits côtés du bâtiment principal se trouvait une petite cour servant de latrines à tous les prisonniers, et contre les murs de laquelle s’asseyaient pendant le jour les enchaînés, admis seulement de nuit dans la prison. A peine couché sur le lit de camp, je m’endormis ; je dormis longtemps. Pendant les quatre premiers jours, je ne pus manger que quelques fruits offerts par les prisonniers. C’est au bout d’une dizaine de jours seulement que je pus faire quelques pas sans être soutenu. Dès le second jour, mes mains me causèrent une douleur insupportable ; j’avais quelques autres blessures assez légères, mais je ne me les rappelais que lorsqu’elles étaient atteintes par quelque choc. J’avais bien dormi la première nuit ; mais pendant les vingt jours p.046 et les vingt nuits qui suivirent, mes mains me permirent peu de sommeil. Je passais la nuit, comme le jour, sur mon lit de camp, tantôt accroupi, les mains appuyées sur les genoux, tantôt couché et les mains au-dessus de la tête. Mes vêtements, mon visage, étaient couverts d’un pus infect. Les phlyctènes tombèrent, mais bientôt mes mains ne furent plus qu’une plaie. Assiégé par les mouches, les vers s’y mirent. Un médecin chinois, petit vieillard à l’œil fin et spirituel, qui était venu me voir par curiosité, mit sur mes plaies une poudre qui paraissait contenir de la myrrhe. Cette poudre fit disparaître les vers. Il écrivit une petite ordonnance et laissa quelques sapèques à l’aide desquels on acheta un peu d’une huile épaisse et jaunâtre appelée xwañ–yeɤ-kao, avec laquelle les prisonniers purent me faire deux pansements. Malheureusement je n’avais pas un morceau de toile pour couvrir mes plaies. Un prisonnier m’apporta une petite loque bleue que pendant quinze jours je promenai d’une main à l’autre. Les prisonniers étaient en général pleins d’attentions pour moi ; sans leur assistance, je n’aurais pu ni boire, ni manger, ni faire un pas. De jour et de nuit je les trouvais disposés à me rendre tous les services.

La nourriture qui m’était allouée était aussi misérable qu’insuffisante. C’était une tasse de riz détestable et quelques queues d’oignons salées le matin et le soir. Je souffrais continuellement de la faim. Quelques enfants bien sages dont ma vue était la récompense, des visiteurs musulmans avec lesquels j’avais parlé du Coran, m’apportèrent des fruits et des gâteaux. Les prisonniers n’en donnaient aussi de temps à autre ou partageaient avec moi leur pitance ; tous n’avaient cependant pas pour moi la même bienveillance. Un jour que l’on m’avait, pour quelques instants, fait asseoir dans la cour, un enchaîné que je n’avais point encore vu et qui était arrivé du même jour vint, comme faisaient les autres, regarder mes bottes, palper mes vêtements. Il me fixa du regard.

— Sais-tu, me dit-il, qui je suis ?

— Je n’en sais rien, répondis-je.

— Eh bien, je suis un voleur de grande route, un homme qui tue les autres : si jamais tu as encore de l’argent, j’espère te rencontrer sur quelque chemin.

— Ah ! lui dis-je, si j’étais sur un chemin et libre, il me serait bien indifférent de t’y rencontrer.

Cette réponse fit rire ceux qui nous écoutaient. Le haut bout de la prison était tenu par sept mandarins dégradés et condamnés pour divers crimes. Mon meilleur ami était un jeune homme de vingt-deux ans, enfermé depuis deux ans pour avoir tué un homme qui faisait la cour à sa maîtresse. Sa mère, qui pouvait avoir cinquante ans, venait le voir de temps à autre. L’affection de ces deux malheureux l’un pour l’autre avait quelque chose de touchant.

Il y avait aussi là un homme, âgé d’une cinquantaine d’années, qui était pour moi d’une extrême complaisance. Un jour que nous étions seuls dans la salle commune, il se départit du silence qui lui était habituel.

— Il y a vingt-sept ans, me p.047 dit-il, que je suis ici.

— Qu’avais-tu fait pour y venir ?

— J’avais introduit du plomb dans des lingots d’argent. Y a-t-il en France des gens qui en fassent autant ?

— Il y en a eu, lui dis-je.

Il se mit à rire silencieusement et regarda ses pieds, ce qui était son attitude ordinaire lorsqu’il n’avait pas la distraction de me servir. Je repris la conversation.

— Comment s’appelle le lieu où nous sommes ? lui dis-je.

— Il s’appelle Шeñ-pɤ (Cheng-pou, ministère de la justice), me répondit-il.

C’était aussi le nom de la prison du tribunal criminel. N’en sachant rien, je crus que c’était celui d’une ville ou d’un village, bien que nous fussions à Pékin 1. Il me dit ensuite que la prison où nous étions comptait neuf chambrées pareilles à la nôtre, et que le nombre des condamnés, qui s’y était élevé quelquefois à sept cents, était pour le moment de quatre cents seulement. Il finit en m’engageant à me confier à Bouddha, et à répéter de temps à autre l’invocation consacrée, A-mi-to-fo ! 2



p.048 Deux fois je fus interrogé par un mandarin à bouton bleu clair 3. Après m’avoir regardé un instant, se tournant vers deux mandarins d’un rang moins élevé qui l’accompagnaient, il leur dit en me montrant :

— Voilà encore un de ces rebelles à longs cheveux (tшañ-mao, longue laine) qui viennent de la province de Canton.

— Je ne viens pas de la province de Canton, répondis-je, et je ne suis pas rebelle, n’étant pas sujet de votre empereur.

Le mandarin feignit de ne pas entendre ma réponse.



Après m’avoir demandé mon nom et mon rang, le mandarin me demanda si je n’étais pas Russe. Je répondis que j’étais Français. Il me demanda alors combien les Russes et les Américains avaient amené de troupes. Je répondis que, n’étant point en guerre avec la Chine, ils n’en avaient point amené. Il voulut savoir le nom de l’Empereur, qu’il qualifiait de prince des Français ; par qui il avait été nommé ; s’il tenait ses pouvoirs du chef du Céleste Empire ; s’il portait un bouton de mandarin ; enfin, s’il viendrait en Chine. Je répondis à ces questions que l’Empereur des Français, qui pouvait armer 800.000 hommes, tenait son pouvoir de Dieu et de son peuple, et qu’il ne viendrait point en Chine, devant rester dans son pays pour le défendre par lui-même s’il était jamais attaqué. Cette observation à l’adresse du jeune empereur chinois, qui ne sait monter à cheval que pour prendre la fuite, passa inaperçue, parce que leur empereur est, pour les Chinois, un personnage trop élevé pour qu’ils puissent se le figurer combattant lui-même et exposant sa propre vie. Le mandarin me demanda si j’étais musulman ; pourquoi l’on avait trouvé chez moi des livres musulmans ; pourquoi, sur ma route, j’avais visité les mosquées. Il me parut qu’il était disposé à croire que je m’étais mis en relation avec les musulmans afin de les soulever. Je répondis que j’appartenais à la religion du Tyen-tшɤ (seigneur du ciel), et que l’histoire de l’islamisme en Chine était le seul intérêt qui m’avait amené à p.049 visiter les mosquées. Il me demanda ensuite combien nous avions de troupes marchant sur Pékin et combien de temps nos troupes avaient mis pour venir d’Europe. Je lui dis que nous avions 20.000 hommes en marche 1, qu’ils s’augmentaient de fréquents renforts, et que le trajet d’Europe en Chine s’effectuant en deux mois, nous aurions bientôt ici 60.000 hommes tant chrétiens que musulmans. La mention des musulmans fit faire une grimace à mon interrogateur : aussi, bien qu’il m’eût parfaitement compris, se tourna-t-il vers ses deux acolytes pour leur dire qu’il ne pouvait comprendre un mot de ce que je venais de lui dire. Ceux-ci déclarèrent immédiatement qu’ils ne comprenaient rien non plus. On me questionna sur le nom et le rang des généraux, des ambassadeurs, etc. On me dit que pour un mandarin de rang élevé je n’étais pas très bien vêtu. Je fis observer que mes vêtements d’étoffe blanche étaient déchirés et souillés par le fait de ma capture. Je ne pus m’empêcher d’ajouter que peu de jours auparavant j’avais de nombreux domestiques, des bagages considérables, des voitures, des chevaux, des mulets ; que l’on m’avait tout enlevé, que l’on m’avait estropié les mains, que l’on m’avait chargé de fers, mêlé à des criminels, bien que j’eusse été pris en plein armistice 1 ; que notre général, agissant d’après d’autres principes, avait, au fort du Peï-xo, rendu leur liberté à 3.600 soldats chinois pris les armes à la main. On me demanda quelle était ma mission, et si je ne tenais pas à la diplomatie.

Je répondis que j’y avais un rang, mais que je n’en exerçais pas les fonctions ; que mon souverain m’avait envoyé pour étudier les coutumes de la Chine ; que chaque peuple avait sa spécialité ; que les Chinois faisaient bien la porcelaine, les Européens fabriquaient bien le verre ; que les Chinois ne pouvaient construire nos p.050 montres ni nos machines : que nous leur avions pris le sorgho ; qu’eux-mêmes pourraient gagner à nous mieux connaître : que je me proposais de voyager en Chine non point déguisé comme un conspirateur, mais à visage découvert, avec une suite convenable et accompagné par des officiers désignés par le gouvernement chinois : que mon but n’avait rien de caché ni de criminel, et que ma mission, si elle était bien comprise par ceux qui gouvernaient le Céleste Empire, leur serait peut-être même plus utile qu’elle ne pourrait peut-être l’être à mon propre pays. Le mandarin dit que les explications que je venais de donner montraient un homme intelligent. Il me demanda si je fumais l’opium. — Je lui dis que non. — Ce que je pensais de cette pratique. — Que je la regardais comme mauvaise. — Pourquoi alors je vendais de l’opium. — Que je n’en avais jamais vendu ; que l’on n’en récoltait pas dans mon pays ; que les Français n’en faisaient pas le commerce.

Le quatorzième jour après mon entrée au шeñ–pɤ, on me conduisit devant un nouveau mandarin à bouton bleu clair, qui s’exprimait avec beaucoup de politesse. Il me dit qu’il regrettait qu’on m’eût traité d’une façon peu convenable, que je le serais mieux à l’avenir : que j’allais être le prisonnier du Wañ–ye, que j’allais être conduit au Kao-myao. Il fit enlever mes fers et me fit monter en voiture. Je traversai de nouveau la ville tartare : j’en franchis l’enceinte, et, suivi d’une foule compacte mais silencieuse, j’atteignis le Kao-myao, où j’avais été précédé la veille par MM. Parkes et Loch : les trois soldats et le Sikh dont j’ai parlé plus haut y furent menés deux ou trois jours plus tard. J’y fus placé seul, dans une petite chapelle de côté, ornée de quelques idoles, renfermant un cercueil enveloppé de papier peint et proprement meublée pour me recevoir : j’étais servi par deux gardiens.

p.051 Dès le lendemain de mon arrivée au Kao-myao, le mandarin qui m’y avait fait conduire vint s’informer de la façon dont je m’y trouvais. Il me dit que je pouvais demander ce que je voulais, comme du tabac... Je ne demandai rien, quoique la privation du tabac me fût désagréable : il m’envoya des vêtements chinois ; l’on m’en revêtit après m’avoir enlevé les miens, que je gardais depuis quinze jours souillés de toute sorte d’ordures et remplis de vermine. On ne songea pas à prendre soin de mes plaies. Sous le rapport de la nourriture, j’étais aussi bien traité que je l’avais été chez Tchang, mandarin de première classe, chez qui le demeurais à Tyen-tsin, ou que j’aurais pu l’être vivant à mes frais à la chinoise. En me levant, on m’apportait une sorte de semoule sucrée ; dans le jour, on me servait des fruits et des gâteaux. Mes deux repas se composaient également de six hors-d’œuvre et de huit plats, deux grands et six petits : canards bouillis, jambon aux choux, viandes de mouton et de bœuf, estomacs de poissons, holothuries, haricots verts, etc.

Dans ma nouvelle prison, je fus visité deux fois par un mandarin de second rang, ancien yue-xaé de Canton, nommé Xeñ-шi. Il fut pour moi d’une politesse extrême, m’apporta quatre corbeilles de magnifiques fruits et de gâteaux excellents. Il m’annonça que je serais bientôt libre. Je le remerciai froidement, pensant bien que ces bons offices n’avaient d’autres motifs que la peur. Il m’invita à écrire au camp pour demander des effets et faire savoir que j’étais bien traité ; je finis par céder à ses instances, et, à l’aide d’un pinceau placé dans ma bouche, je traçai quelques mots pour demander quelque argent que je voulais donner à mes gardiens, et des effets ; j’ajoutai que j’étais bien traité depuis deux jours. Cette lettre fut montrée à M. Parkes et ne fut point envoyée 1. Il y avait sept jours que j’étais au Kao-myao, quand un p.052 matin, au moment où je venais de me lever, un vieux gardien, grand fumeur d’opium, mais fort bon homme, m’ayant frappé sur l’épaule, me dit à l’oreille :

— Je suis votre ami et je suis content de pouvoir vous dire qu’aujourd’hui, après déjeuner, vous serez mis en liberté.

Vers les deux heures, Xeñ-шi vint m’annoncer officiellement que j’allais être conduit auprès des miens et m’invita à monter en voiture. Je lui demandai si mon lettré et mon domestique seraient mis en liberté, il me répondit par des paroles vagues : il était inutile d’insister auprès de lui. On m’avait rapporté mes effets ; ils n’avaient point été lavés. Je les revêtis néanmoins, ne roulant rien garder qui me vînt des Chinois. Je partis ; plusieurs autres voitures précédaient ou suivaient la mienne. La populace remplissait les rues, pareilles à celles que j’avais traversées déjà. Pékin n’est qu’un immense village. Le général Ignatieff, ambassadeur russe, qui en a fait le plan, pense que sa population est au plus de 600.000 âmes. La foule était évidemment hostile, mais peut-être plus encore aux mandarins qu’à nous-mêmes. Les agents de police l’écartaient à coups de fouet. Nous franchîmes les portes de la ville : nous longeâmes les murs, trouvâmes un petit faubourg à l’extrémité duquel on nous arrêta devant une petite pagode 1. Un Européen, descendu d’une autre voiture, vint me demander mon nom : il me dit qu’il était M. Loch, secrétaire de lord Elgin 2, et m’engagea à entrer dans la pagode, où je verrais M. Parkes et où une collation nous attendait. Je le suivis. M. Parkes était p.053 pâle et fatigué : il avait évidemment beaucoup souffert ; c’est sous le pavillon parlementaire même qu’il avait été traîtreusement pris 3. Nos soldats, s’approchant de moi, me demandèrent avec anxiété ce qu’on allait encore faire d’eux.

— Mes enfants, leur dis-je, vous êtes libres : nous touchons aux avant-postes anglais.

Ce fut alors une scène indescriptible, un embrassement général. Notre Sikh, qui était là aussi, nous embrassa tous sans savoir de quoi il s’agissait 4.

Un mandarin d’un rang inférieur fut chargé de nous remettre au général en chef de l’armée anglaise. Quelques minutes plus tard, quatre habits rouges et quatre baïonnettes anglaises se dressaient devant nous. A cette vue, je sentis mon cœur inondé de joie. Ces quatre baïonnettes que je voyais se refermer derrière nous, c’était la porte de ma maison, et derrière cette porte, ma famille, mon pays, mes amis, et cette armée française si chère à tous ceux qui ont partagé, ne fût-ce qu’un instant, ses rudes labeurs et ses nobles aspirations.

La bienveillance et la sympathie touchante avec lesquelles moi et mes compagnons d’infortune fûmes accueillis par lord Elgin 1, le général Hope Grant et leur entourage, ne s’effaceront jamais de mon souvenir 2.

En arrivant le lendemain au camp français, je me présentai d’abord au général en chef, qui me reçut avec une extrême bienveillance. Je lui fis un premier rapport verbal, et je dictai, le lendemain, un rapport écrit que je lui présentai et qui fut, avec les quelques développements que j’y pus ajouter avant le départ du courrier, publié p.054 dans le Moniteur ; c’est le récit qu’on vient de lire. J’eus le plaisir de revoir aussi mon frère, auquel, avec une admirable délicatesse de sentiments et une singulière habileté, ses camarades avaient caché presque jusqu’au dernier moment ma captivité. Le général Collineau, qui est mort depuis, fut un des premiers que je vis. Peu sensible de sa nature, il se montra joyeux de me revoir.

— C’est Dieu, me dit-il, qui vous a sauvé : nous n’en étions pas capables.

Je reçus les félicitations de bien des amis auxquels je ne pouvais serrer la main. Je fus demander un asile aux médecins, dont les soins m’étaient nécessaires, et par lesquels je fus reçu et traité comme un frère.

Un de mes domestiques avait pu se sauver de Tɤñ–tшeɤ et regagner le camp ; il me raconta comment on avait attaqué et pillé ma maison, tué un soldat et un Chinois chrétien à mon service, arrêté les autres. Il me dit aussi que les voituriers et muletiers avaient été seulement pris pour le service de l’armée chinoise, et n’avaient point subi de mauvais traitements. Mon domestique avait déjà raconté tout cela ; mais les interprètes l’avaient mal compris : la résistance très courageuse de mon soldat m’était attribuée, et l’on avait ajouté que j’avais été transporté à Pékin suspendu à un bambou par les pieds et les mains, ce qui fort heureusement n’était arrivé à personne. Mon lettré et un de mes domestiques étaient encore prisonniers : je n’avais qu’une pensée, les arracher à cette captivité qui ne pouvait se terminer que par la mort. J’y mis tous mes efforts : ce fut difficile et long ; enfin, le général en chef me les fit rendre. Ils avaient bien souffert : la misère et le froid des nuits faisaient déjà des vides dans la prison : quelques détenus avaient exprimé le vague espoir de voir tomber leurs fers si la ville était prise ; on en avait exécuté plusieurs ; on avait, d’un autre côté, mis en liberté beaucoup de Tartares, afin de les incorporer dans la milice de la ville. J’aurais donné beaucoup pour ouvrir ces prisons, pleines de criminels, mais de criminels qui m’avaient montré plus de sympathie et donné plus de soins qu’on n’en peut souvent espérer des hommes dont la vertu même paraît la devise. Ne pouvant les rendre libres, je cherchai à leur faire parvenir quelques secours ; je ne sais s’ils les auront reçus. Je n’osai rentrer moi-même dans la prison : j’y rentrerais facilement aujourd’hui : mais alors il ne me semblait possible de la revoir que pour y mettre le feu.

J’appris alors ce qui s’était passé depuis ma capture 1. Pendant que moi et mes p.055 compagnons étions faits prisonniers, notre armée se trouvait à Kyañ-kya-wan, en face des Tartares, presque entourée, compromise, et par un irrésistible élan victorieuse. L’ennemi vaincu se reformait, et, quelques jours plus tard, à Pa-li-kyao, nous disputait encore le passage : il était écrasé 2. Nos armées arrivaient devant Pékin, tournaient la ville ; en châtiment de la trahison, livraient aux flammes le palais qui avait vu le martyre de nos camarades et que l’empereur terrifié venait de fuir. On a condamné en Europe le pillage et l’incendie de ce palais ; je n’y étais point, et je regrette ce qui s’est passé ; mais ce sont ces actes violents qui non seulement ont fait tomber les chaînes des prisonniers, mais encore ont ouvert les portes de Pékin. Nous fîmes semblant de vouloir battre en brèche les murailles de cette ville qui nous arrêtait aux approches d’un hiver de Russie, et pouvait faire prévoir une lutte interminable, un siège sans munitions et sans vivres, ou une retraite glacée ; mais ce ne sont pas nos petits canons regardant innocemment ces grosses murailles 1, c’est notre audace, c’est le sanctuaire impérial déshonoré qui ont fait fléchir devant nous l’orgueil de l’empire et mis fin à la guerre.



Les murs de Pékin

D’après la photographie.



p.056 Ce palais que je n’ai point visité, mais dont j’ai vu les plans et les dessins, était moins un palais qu’un assemblage d’habitations de toute espèce répandues sur un vaste espace, semé de jardins, de collines, d’arbres et d’étangs. Les Français, les Anglais venus un peu plus tard, s’emparèrent de ce que contenaient quelques salles 2. Le temps et les voitures manquèrent pour enlever toutes ces collections qui eussent fait nos musées si riches. Le butin fut, en réalité, peu de chose ; les illusions le grossirent, et la malveillance s’empara des naïves vanteries de la première heure pour attribuer des trésors à des soldats qui avaient ramassé de vieilles montres ornées de fausses perles, ou à des officiers chargés de vieux pots ou d’albums dépareillés. Nos armées partirent, et le palais fut envahi par les pillards

chinois qui les suivaient. Les troupes de l’empereur arrivèrent, sabrèrent ces nouveaux pillards et pillèrent elles-mêmes ; les Anglais revinrent, et lord Elgin, âme grande mais indomptable, fit mettre le feu. Bien des objets rares et précieux, bien des livres uniques disparurent. C’est, disait un savant missionnaire anglais, l’histoire de la moitié de l’Asie que ces flammes ont dévorée. Il y a quelque exagération dans ces paroles ; la plupart des objets enlevés qui avaient quelque valeur historique ont p.057 été rachetés à Tyen-tsin : il y avait parmi les livres une immense quantité d’exemplaires d’ouvrages communs, tels que les Kiñ, réservés, sans doute, pour quelque chose comme nos distributions de prix, et le savant M. Wade, interprète de lord Elgin, a pu sauver trois charretées d’ouvrages, choisis, il est vrai, bien à la hâte. Qui ne sait, enfin, que la destruction est inséparable de la guerre ? La guerre, mère de toutes les calamités, école de tous les crimes, inhérente à l’humanité comme la maladie et la souffrance, est cependant la rénovatrice du monde ; elle n’éteint de mourantes lumières que pour en faire briller de plus vives.

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