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IV.3 L’innocence dans le gâchis national
La dernière explication de l’attitude dynamique et positive de la jeunesse dans les efforts actuels de redressement national est le fait qu’elle est innocente dans la crise actuelle du pays. Elle n’était pas encore aux affaires du pays comme les adultes. Ceux-ci portent le poids de leur lourde responsabilité. Même ceux qui ont participé matériellement en prêtant leur bras aux malfaiteurs, la loi sur le génocide ne leur tient pas rigueur au même niveau que les adultes. Par exemple, aucun mineur au moment du crime, n’est pas sujet de l’application de la peine suprême. De cette situation particulière, la jeunesse des deux ethnies est plus à même de se réconcilier et de laisser toute la culpabilité des crimes aux adultes. De fait, aujourd’hui, les jeunes hutu et tutsi sont ensemble dans l’armée, dans les écoles, dans les cardes politiques, bref en tout. Miser sur cette donne est la clef de l’avenir pour ce pays endolori par les vieux leaders allaités à la mamelle du Hutu-power de tous poils.
LES MYTHES FONDATEURS

DE « LA REVOLUTION » RWANDAISE DE 1959
Paul RUTAYISIRE

O. INTRODUCTION
Le terme «mythe» vise les fausses évidences ou les idéologies tendant à accréditer l’idée qu’en 1959, il y a eu une vraie révolution. Dans la présente réflexion, il va être question à la fois de montrer l’inanité des bases de cette prétendue révolution tout en montrant les conditions de possibilité de ce qui s’est passé. Des changements profonds et tragiques sont arrivés dans notre pays. Ils ont des causes, évidement. Il est important de les rendre manifestes. Tous bouleversements, même profonds et graves, ne sont pas nécessairement une révolution. Un changement qui n’améliore rien, bien plus, qui empire la situation est plutôt une régression. Telles sont les idées et les analyses qui vont être exposées dans les lignes qui viennent.

  1. LE MYTHE DE LA COHERENCE IDEOLOGIQUE ET POLITIQUE


Les propagandistes du Parmehutu d’hier et d’aujourd’hui présentent la Révolution de 59 comme un processus planifié dès le départ, guidé et mené à terme par les leaders hutu dans une totale cohésion idéologique (la conscience hutu) et organisationnelle (le Parmehutu) (1). On ne peut pas nier l’existence d’une conscience ethnique parmi quelques intellectuels hutu, ni leur détermination de se défaire de ce qu’ils nomment le joug du régime monarchique et colonial. Mais il est de plus en plus évident que le processus qui a conduit à la naissance du régime républicain est passé par plusieurs étapes. Nous ne pouvons pas les présenter en détail dans un cadre limité. On signalera simplement à titre d’exemple que la région du Buganza n’a pas connu les violences de novembre 59 en même temps que le nord et le centre. Il est aussi prouvé que l’explosion de la violence dans la première quinzaine du mois de novembre 59 a surpris tous les protagonistes, même les leaders hutu. Personne n’en connaissait d’avance l’issue. Et dans son contenu, cette jacquerie était dirigée contre l’autorité des chefs et des sous-chefs. Des rumeurs donnaient à penser que le roi avait ordonné de les chasser et non contre la légitimité du pouvoir monarchique. C’était une réaction anarchique, sauf peut-être dans les environs de Kabgayi et dans le nord où la contestation avait une connotation et une certaine coordination. Et même dans ces dernières régions, la révolte était aussi dirigée principalement contre des individus et pas contre l’ethnie tutsi. C’est après novembre que les demandes de changements du personnel se sont transformées en objectifs de changements radicaux de la structure socio-politique du pays et que les rapports personnels se sont fortement ethnisés. Car, au moment où la révolte a éclaté, les relations interethniques étaient encore normales, du moins parmi les masses populaires. Il n’y avait ni manifestation de haine, ni animosité, ni plan d’élimination physique. La relation des différents protagonistes a conditionné l’évolution ultérieure. D’abord celle de l’oligarchie tutsi qui, au lieu de considérer sérieusement les demandes légitimes des couches sociales qui avait souffert le plus de la colonisation, a voulu sauvegarder ses intérêts. Ensuite, celle des leaders des partis hutu qui ont focalisé leur programme politique sur les inégalités ethniques. Enfin, celle de la tutelle qui, disposant des moyens et des pouvoirs nécessaires, n’a pas été capable d’orienter le pays vers les réformes souhaitées. Elle préféra prendre parti pour un camp. Pour justifier son choix, la Tutelle interpréta les violences de novembre comme la manifestation d’un mécontentement massif de la population hutu contre le colonialisme tutsi, donnant ainsi à la masse hutu une homogénéité et un degré de conscience politique qu’elle n’avait pas. Le résultat fut que toutes les mesures prises après novembre par elle renforceront cette mythologie nouvelle et la propageront partout. La jacquerie de novembre avait cessé d’être chaotique. Elle était devenue un mouvement véhiculé par une idéologie raciste cachée derrière un discours de promesse d’égalité, de liberté et de justice sociale. La coexistence pacifique entre Hutu et Tutsi était désormais tenue comme impossible. Kayibanda proposa même la création de zones séparées en vue d’une fédération. La chasse au Tutsi, et non plus de quelques individus, se justifiait presque d’elle-même. Nous verrons plus loin les mobiles qui le rendaient nécessaire pour la lutte contre-élite hutu.
II. LE MYTHE DE L’UNITE DE L’ELITE

D’après ce qui vient d’être dit, il serait naïf d’accepter le credo des chantres de la révolution rwandaise au sujet de l’élite hutu. Celle-ci s’est rendue compte de l’exploitation du menu peuple (rubanda rugufi) par le colonialisme tutsi. Elle a pensé l’action à mener et a conduit le mouvement de contestation dans l’unité et la concorde. Les premiers leaders hutu, frustrés par un déséquilibre social qui était créé entre les normes de la société féodo-coloniale et leurs aspirations légitimes de promotion sociale, avaient comme objectif de casser le monopole exercé par l’oligarchie tutsi sur les secteurs de l’administration et de l’économie. Pour le reste, ils étaient aussi divisés que les leaders tutsi sur la vision, l’orientation et la réalisation politiques de leur action. En schématisant, on peut dire que deux types de protestation ont coexisté parmi l’élite hutu pendant ce processus de changement rapide. Le premier type peut être qualifié de protestation à orientation xénophobe et conservatrice des leaders hutu du nord. Ici, la protestation s’est peu à peu focalisée autour des antagonismes entre deux sortes de clientélisme : celui que les chefs tutsi entretenaient et qui avait donné naissance à une nouvelle catégorie de clients, les Bagererwa politiques et les Bagererwa traditionnels dépendant des Abakonde. Les leaders hutu du nord se recrutaient parmi les grands clans d’Abakonde locaux, qui étaient pris de nostalgie pour le passé pré-tutsi. En utilisant leur appartenance clanique ou lignagère pour mobiliser la paysannerie contre les chefs tutsi, l’objectif des leaders du nord était moins la réduction des charges publiques (corvées, fisc…) que l’adoption de la spécificité de leur culture traditionnelle à la nouvelle politique de la réhabilitation d’une tradition clanique, de la hiérarchie lignagère et le retour à l’ordre social qui existait avant le pouvoir tutsi. Ce n’est pas une coïncidence si la réaction contre l’autorité tutsi y fut dure dès le mois de novembre 59.


Le second type est une autre forme de protestation à tendance égalitaire qui s’élevait contre la structure oligarchique de la société rwandaise et que l’on trouve surtout parmi les leaders hutu du centre et du sud du pays. Comme il a été dit plus haut, les deux tendances se joignaient dans leur volonté d’éliminer les Tutsi de toutes les positions d’influence. La tâche fût facilitée par l’attitude négative des élites tutsi en face des demandes réformistes de certains politiciens hutu ainsi que par les attaques terroristes des Inyenzi qui les rendirent plus solidaires, du moins momentanément. Ces différences de stratification sociale et d’identités culturelles locales ne doivent pas étonner. Car, elles donnent une image plus proche de la configuration sociale du pays avant et pendant la colonisation. Celle-ci n’a pas complètement détruit tout le tissu de la société précoloniale. La solidarité de la structure monarchique n’a jamais été la même partout. Elle tendait à diminuer au fur et à mesure que l’on s’éloignait du centre. Au nord, la coexistence ethnique était une règle et non pas une exception. Tandis que dans d’autres régions, les différences ethniques tendaient à refléter une division fonctionnelle du travail entre groupes. Les relations de dépendance variaient donc énormément d’une région à une autre et l’inhabitation contre le régime traditionnel étaient ressenties différemment.
La propagande officielle a introduit sciemment en erreur les différences qui pourtant s’exprimaient dans le quotidien. Les clivages traditionnels ont incontestablement façonné les modèles de leadership avant et après l’indépendance. Ainsi, dans le nord, la tendance globale au sein du parti Parmehutu était de se grouper selon les familles, les clans ou suivant les rôles économiques et sociaux du système de clientèle traditionnel. Et, on sait que l’affrontement de factions opposées à l’intérieur du Parmehutu – et plus tard du MRND – sous le couvert du régionalisme (nord contre les autres régions) pour le contrôle du pouvoir central, a été une constante de l’histoire politique post-coloniale du pays.
III. LE MYTHE DE L’HOMOGENEITE SOCIO-CULTURELLE DE LA PAYSANNERIE HUTU

Il n’est pas exact non plus de présenter les changements politiques de 1959 comme expression d’un mouvement de protestation de la paysannerie hutu. Le concept de paysannerie n’est pas interchangeable avec celui de Hutu. Le fait que la majorité des membres du groupe ethnique tutsi appartenait également à la paysannerie n’est pas à prouver. Les membres de ce groupe qui ont collaboré avec le colonialisme, et par conséquent bénéficié de quelques avantages matériels, ne dépassaient pas un millier de personnes. Au moment de l’éclatement de la guerre civile, il y avait des paysans tutsi, petits propriétaires fonciers ou clients d’un grand propriétaire de terre ou de bétail, certains exclusivement occupés à l’agriculture, d’autres à l’élevage ou, souvent, combinant les deux activités. Les disparités régionales, évoquées plus haut, basées sur les structurations sociales locales différentes, auraient dû rendre les partisans de l’homogénéité sociale plus prudents dans leurs affirmations. Car, les conditions qui pouvaient influencer le comportement de la paysannerie n’étaient pas les mêmes d’une région à une autre. Les régions les plus vulnérables, celles du Nord, du centre et du sud, étaient celles où les activités économiques et missionnaires avaient produit des changements socio-économiques et culturels rapides. Des transformations sociales, introduites par la colonisation n’ont donc épargné la paysannerie. La masse populaire a été caricaturalement divisée en hutu/tutsi, en oppresseurs/opprimés à partir d’autres critères que ceux de l’analyse socio-économique, alors que, c’est toute la paysannerie qui a le plus souffert des éléments répressifs du système féodo-colonial : des impôts, des corvées, des punitions corporelles, etc. On ne peut pas affirmer l’exploitation des «masses hutu» et ignorer l’existence d’une masse d’éleveurs –agriculteurs tutsi qui, contrairement à la campagne parmehutiste n’a pas profité matériellement des avantages des chefs et des sous-chefs (2). Ces derniers ont été la cible des violences d’une partie de la population, mécontente de multiples vexations, au début du mois de novembre, parce qu’ils étaient les intermédiaires entre elles et l’administration européenne et que leurs fonctions dans la société rwandaise avaient été radicalement changées sous la colonisation. Dans son souci de rationaliser les structures précoloniales, mais en réalité pour mieux contrôler le pays, le régime colonial a créé un nouveau cadre administratif : la chefferie. Il a remplacé les pouvoirs et contre-pouvoirs (chefs du bétail, chef de la terre, chef des armées) qui autrefois pouvaient jouer les chefs entre eux ou faire appel au roi – par le concentration du pouvoir dans les mains d’un seul chef exerçant un contrôle illimité sur son peuple. Ce cadre pouvait conduire plus facilement aux abus, d’autant plus que l’administration européenne a fait reposer sur les chefs toute une série de charges qui n’avaient pas d’équivalent dans la société traditionnelle et qui étaient plus nombreuses que par le passé. La centralisation de la chefferie était accompagnée par un judicieux mélange d’incitation financière et de sanctions administratives. Un chef efficace pouvait recevoir une bonification de 15 à 20% de son salaire de base. Les chefs dits élites sont ceux envers qui le ressentiment populaire était le plus grand. L’exercice du pouvoir n’était pas nécessairement dur ou impersonnel. Mais certains chefs, pour des raisons de nécessité économique ou de convenance administrative, ont été obligés de demander à leurs sujets une série d’obligations et de corvées. Les plaintes des sujets ont été, d’une manière générale, traitées par les administrateurs comme imaginaires et non fondés. Le poids de la chefferie a par conséquent augmenté pendant que les conditions de la paysannerie se détérioraient et pesaient sur elle de multiples obligations imposées au nom de l’efficacité administrative et de viabilité économique. Et comme les postes de chef et de sous-chefs étaient confiés, par option politique, aux membres du groupe ethnique tutsi, ce monopole a donné une dimension ethnique à la situation. Les abus des chefs ont été attribués à tous les Tutsi et les chefs se sont comportés comme des représentants d’un groupe ethnique diffèrent. La rationalisation de la chefferie a par conséquent contribué à la création d’un potentiel de révolte parmi la paysannerie et à l’incitation à la lutte entre groupes ethniques.
En conclusion, si la conjoncture nationale s’apprêtait à un soulèvement populaire en ce début de novembre 1959 à cause des tensions non maîtrisées, les relations personnelles, les liens traditionnels unissant les différents groupes ethniques et les sentiments d’attachements individuels étaient encore forts. La soi-disant masse hutu n’avait pas de conscience de groupes en tant que tels. C’est petit à petit que cette conscience est née sous l’action des leaders des partis hutu qu’il faut le préciser, bien que ayant un background paysan, avaient un statut social et des ambitions différentes des paysans ordinaires, ont converti les sentiments de mécontentements réel et de frustration des paysans hutu en sentiment anti-tutsi.

IV LES MYTHES DU COLONIALISME TUTSI

Dans leurs revendications, les leaders hutu ne se sont jamais attaqués au colonialisme belge. Aucune allusion aux lourdes fautes du colonialisme, aux corvées, au travail forcé, à l’impôt abusif, à l’aliénation culturelle, à l’exploitation économique, etc. Les leaders hutu se sont toujours pris à la féodalité et au colonialisme tutsi, c’est-à-dire à l’agent de la domination coloniale et non au système lui-même. Pour eux, la Belgique a été trompée de tout temps par les colons tutsi. Lorsqu’elle s’est aperçue de son erreur, elle a changé et appuyé la juste cause des exploités. Telle est également la lecture que les tenants de l’ancien régime font des changements politiques de 1959-1962. Cette explication superficielle et fantaisiste donnée au changement d’alliances intervenu en 1959 est de moins en moins soutenable. Car, l’Etat colonial n’a pas été un cas unique au Rwanda. Le colonialisme s’y est implanté et opéré des changements de la même manière qu’ailleurs. Vouloir alléger la responsabilité coloniale est une confirmation de rapports néo-coloniaux qui ont survécu à la colonisation. Le rôle joué par la Belgique dans la cristallisation des consciences ethniques et la naissance du régime républicain à parti unique et raciste fut déterminant. Sa révision d’alliance avec l’oligarchie et la monarchie tutsi est à situer dans un cadre national et international tourmenté : la croissance du mouvement de revendications sociales et politiques provenant des élites locales, la détérioration des relations entre la couronne et l’administration européenne après la mort du roi Mutara III Rudahigwa (25-7-1959) et la crise congolaise. Après le 10 novembre, les initiatives déterminantes revenaient à l’administration européenne pour mettre fin au chaos et éloigner le sceptre de la guerre civile. Au lieu de rester à l’écart des partis politiques pour mieux arbitrer le débat politique, la Tutelle prit parti pour les leaders hutu, faussant ainsi, dès le début, le jeu du débat démocratique. Elle les aida à étendre et à consolider leur influence au niveau local : à travers les nominations des autorités intérimaires hutu pour remplacer les Tutsi chassés, emprisonnés ou tués. Elle les aida à contrôler les organes centraux du régime républicain né dans l’illégalité par le «coup d’Etat de Gitarama» en janvier 1961 et par les succès truqués lors des élections communales et législatives (3). La propagande de la thèse de la révolte spontanée des masses contre la tyrannie tutsi a été par conséquent une politique délibérée, et non pas une erreur de jugement. En effet, après le 10 novembre 1959, une coordination plus grande s’établit entre l’administration européenne, les leaders hutu et le gouvernement métropolitain pour annihiler la base populaire des indépendantistes-monarchistes et pour paralyser l’action des représentants de l’ONU au Rwanda. La protection donnée par l’administration européenne locale permit ainsi aux élites hutu de capitaliser les sentiments de haine contre les Tutsi. L’encouragement des revendications hutu s’avérera impératif après l’indépendance du Congo, lorsque des connexions furent étables entre certains leaders tutsi et quelques partis politiques congolais, surtout le MNC-Lumumba. A partir de ce moment, le soutien de la «cause hutu» n’était plus dicté par des exigences pratiques locales, mais il entre dans une stratégie plus globale qui transcendait le conflit local entre hutu et tutsi. Il se situait dans le cadre de la guerre froide, de la lutte contre le communisme. Le capitalisme belge ne s’intéressait donc pas au petit Rwanda, où l’on ne trouvait que quelques entreprises minières et commerciales de moindre importance, mais à toute la région de l’Afrique centrale. Le Rwanda constituait pour la Belgique et l’Occident capitaliste, un pied-à-terre, une tête de pont entre l’Occident et le Congo. La position rassurante des leaders hutu vis-à-vis des intérêts de la Tutelle et de la hiérarchie catholique a guidé la classe politiques belge dans leur choix d’un partenaire local pour perpétuer la domination. La jacquerie de novembre 1959 était un point culminant de convergence d’attentes et de malaise mal maîtrisés par le régime féodo-colonial. Celui-ci s’est révélé incapable de démocratiser à temps ses institutions et de résoudre les tensions entre les forces de changement qu’il a initié lui-même. La plupart des réformes avaient échoué. Ainsi en était-il de l’abolition d’ubuhake. L’approche ethnique des problèmes nationaux a permis au Parmehutu de mobiliser des masses illettrées. Mais cette mobilisation ne pouvait pas lui permettre de résoudre automatiquement les problèmes en rapport avec l’exercice du pouvoir et la gestion des conflits qui pouvaient se poser aux personnes de la même ethnie. Enfin, cette option entachée dès les premiers instants des germes de la division, était inapte à libérer les masses de l’exploitation et de la domination à base socio-économique parce qu’elle n’a pas osé s’attaquer à l’exploitation coloniale. Finalement, c’est la petite bourgeoisie naissante qui a beaucoup profité de la «révolution» parce qu’elle a eu un cadre idéal de valorisation et d’épanouissement politique et économique. Car, derrière le conflit ethnique, il y avait un problème social grave enveloppé dans une confusion socio-raciale de l’idéologie coloniale. Le discours ethnique sur les Bantous et les Hamites couvrait un racisme interne et les ambitions d’une nouvelle couche instruite pour le contrôle du futur Etat. La contre-élite hutu a mobilisé les passions ethniques d’un passé récent en ciblant le «féodo-colonialisme» des Tutsi en oubliant le colonialisme de la Tutelle. Les plus perdants dans cette radicalisations ethnique sont les masses paysannes, hutu, tutsi et twa confondus, qui ont servi d’instruments aux candidats au pouvoir. Les paysans tutsi eurent à partager le destin de l’oligarchie tutsi sans avoir partagé avec elle les charmes du pouvoir. Et un fossé n’a cessé de séparer les paysans hutu de la couche au pouvoir depuis 1959. Il serait abusif de dire que tous les Hutu ont pris le pouvoir, comme il l’est également d’affirmer que tous les Tutsi étaient au pouvoir. Deux groupes très minoritaires de candidats au pouvoir se sont opposés par les masses populaires interposées.
V COMMENT EXPLIQUER L’ACTUALITE DE L’IDEOLOGIE ETHNIQUE ?

Périodiquement, le péril féodal tutsi a été dénoncé lors des crises que le pays a connues (1963,1972/73, 1980-1994). Tout se passe comme si la minorité tutsi, officiellement réduite à 9%, alors qu’aucun recensement ne l’a établi, jouait un rôle utile, celui de bouc émissaire. L’argumentation sociale et populiste de libération des «masses hutu» vient en fait justifier un a priori de type raciste, les Tutsi descendants d’« envahisseurs» qu’il faut renvoyer chez eux, et des intérêts de classe pour mobiliser des passions dont les prolongements sociaux ne correspondent pas au discours qui est tenu. Il est simpliste de comprendre les Etats africains postcoloniaux comme le produit des antagonismes ethniques anciens, qui se seraient maintenus parallèlement aux nouvelles institutions. Car, l’explication ethnique a tendance à négliger d’autres facteurs de division, telles que les compétitions individuelles. En outre, cette explication s’appuie, avec une confiance naïve, sur une homogénéité supposée mais inexistante de la «tribu» ou de l’«ethnie», alors que les réalités que l’on désigne comme telles habituellement sont le produit de l’histoire. Autrement dit, elles sont sujettes à des mutations profondes qui dénaturent leur aspect originel (12). Au Rwanda, les ethnies ne se distinguent ni par la langue, ni par la culture, ni par l’histoire, ni par l’espace géographique. Expliquer les violences cycliques que le pays a connues avant et après l’indépendance à travers le schéma ethnique, c’est situer la société rwandaise hors du temps en voulant nier l’action des élites politiques et les effets de l’impérialisme colonial. C’est également faire une lecture sélective de l’histoire nationale qui évacue des dérangements, comme, par exemple, le fait que des clans regroupent, dans certains cas, toutes les composantes ethniques de la population : hutu, tutsi, et twa. Mais il faut éviter de tomber dans une relativisation excessive qui a poussé certains politiciens et observateurs à nier la réalité à laquelle on donne le nom d’ethnie aux Hutu, Tutsi et Twa. Quant à ce qu’ils étaient, à l’origine, actuellement nul ne le sait. Aujourd’hui, la différence semble reposer sur la conscience ethnique, au sens ainsi rectifié, ne sont pas des fictions, des constructions politiques vides de toute réalité vécue. La mort constamment infligée au nom de l’ethnie apporte un cruel démenti aux entreprises de démystification du tribalisme et oblige à reconnaître sa réalité opératoire. Il est naïf de vouloir évacuer les contradictions de ce jeu en le décrivant comme un discours qui masque une lutte de classe ou comme une bavure idéologique. Le vrai problème est de savoir, d’une part, où se situe la césure entre l’ethnie souple et complexe de l’ethnologie de ces dernières années et l’ethnie dure et combative de la réalité socio-politique. Il importe, d’autre part, d’analyser convenablement les motivations ou les calculs qui déterminent et influencent les solidarités ou les engagements de ce type dans l’Etat postcolonial. L’exemple rwandais montre la difficulté de définir le fait ethnique dans sa portée réelle : un phénomène à la fois omniprésent et insaisissable. A travers lui, on voit que des problèmes politiques aigus peuvent provenir, pour une part au moins, de divisions qui ne sont pas de nature politique ou sociale. C’est quelque chose qui s’apparente à l’émotivité que l’on peut appeler le facteur ethnique, qui n’est pas propre au Rwanda ni a l’Afrique. Le drame rwandais réside dans le paradoxe entre l’unité culturelle du peuple rwandais et les déchirements fratricides qui l’ont divisé. Il n’y a pas de doute que les critères de référence ou de définitions se sont modifiés par l’idéologie et la pratique coloniales. Ces dernières ont figé des oppositions entre des supra-lignages (hutu,tutsi) qui s’exprimaient sous différentes formes d’occupation. Le colonisateur, en collaboration avec le missionnaire, a interprété le pouvoir traditionnel comme un enjeu entre des races hiérarchisées : la race supérieure (des élèves tutsi) et la race inférieure (des agriculteurs hutu et des pygmées). Avec les réformes des années 1930, l’administration locale a opéré une standardisation de pratiques dites « coutumières », qui n’étaient en fait que des pratiques bien localisées, et les a étendues à tout le pays pour des raisons d’Etat. Tel fut le cas du système du buhake (contrat bovin), présenté à tort comme la pierre angulaire de la société traditionnelle. C’est dans les années 1930 que le buhake est devenu effectivement le contrat dont parle l’anthropologie coloniale et dont toutes les modalités ont été fixées pour atteindre une structuration que l’on présente habituellement. Ce processus s’est effectué à partir d’une vision imaginaire du Rwanda qui a converti des substrats complexes, comme les catégories «hutu» et «tutsi», en acteurs pseudo-historiques dont les projets transcendent et abolissent la diversité des situations concrètes. Au lieu de se représenter un pays où l’exercice du pouvoir s’effectue en un rapport de force constant, le pouvoir colonial influencé par l’anthropologie de la fin du 19ème siècle, va opérer une sublimation d’une hypothétique civilisation pastorale tutsi. La dichotomie rigide, établie au nom de la «coutume» entre «seigneur tutsi» et «serfs hutu» s’est établi grâce, entre autres, aux établissements scolaires où une sélection systématique basée sur la naissance et l’hérédité a été opérée par ceux qui en avaient la charge, à l’occurrence, les missionnaires. Des privilèges furent ainsi accordés à des familles tutsi avec la bénédiction de l’église catholique et de l’administration coloniale. C’est, par conséquent, l’intrusion européenne dans la société rwandaise qui a contribué à durcir le système politique préexistant à la colonisation, à le remodeler selon un schéma néo-féodal, à le racialiser, dans les pratiques et dans les consciences, en figeant les rapports sociaux sur un clivage incontournable, celui de l’ethnie. On peut ainsi affirmer que le racisme ethnique a été engendré par l’Etat colonial. Cependant, il faut constater avec regret que la conscience ethnique est plus vive parmi l’élite politique et les couches sociales aisées, celles-là même qui sont les plus aptes à comprendre le danger de l’exploitation des solidarités identitaires pour vivre ensemble. Les ethnies peuvent de transformer en terribles machines à tuer ; l’histoire de notre pays fournit des exemples tristement éloquents. Aucune personne responsable ne peut faire des ethnies la base analyse et de son action politique

Notes bibliographiques :

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