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IV. FACTEURS SOCIAUX
Nous avons dit que le système de parenté et de famille était le même dans tout le Rwanda : le rugo ou famille nucléaire monogame ou polygyne (généralement la bigamie). Les systèmes de socialisations des enfants, de règlement des conflits, d’alliances les mariages, de croyances et de pratiques religieuses étaient les mêmes dans tout le Rwanda. Le système de dévolution aussi. Les identités se fractionnaient en identité nucléaire, identité de lignage mineur, de lignage majeur et de clan, mais aussi identité rwandaise, nationale à côté des identités régionales. Et toutes ces identités étaient partagées par tous les Rwandais. L’identité clanique était extrêmement prégnante. Quand on demandait au munyarwanda qui il était, c’est-à-dire son ubwoko, il répondait son clan. Et chaque clan avait ses batwa, ses bahutu et ses batutsi. Donc l’identité clanique transcendait l’identification ethnique utilisée par les colonisateurs pour diviser politiquement les Rwandais. Il s’agissait donc ici d’une piste puissante d’unification des Rwandais car il montre à n’en pas douter que la qualité de hutu, tutsi et twa est une catégorisation historique en catégories professionnelles et non en catégories génétiques et donc naturelles. La hiérarchisation de ces catégories date du deuxième millénaire de notre ère, sous la dynastie nyiginya.
Marcel d’HERTEFELT, qui a étudié scientifiquement, avec statistiques à l’appui, ce phénomène clanique, tire fortement cette conclusion de typologisation des Rwandais en classes sociales et de fort apparentement entre eux. Il a en outre constaté qu’en dehors des clans restes longtemps au pouvoir, les tutsi étaient généralement une petite minorité dans tous les clans. Et comme dit d’HERTEFELT, la présence simultanée des Tutsi, des Hutu et des Twa dans les mêmes clans ne peut s’expliquer par «l’assimilation du client au clan de son seigneur, dans le carde de l’ubuhake, à moins de prouver non seulement l’origine tutsi de tous les clans mais encore l’universalité de la clientèle, ou d’établir au contraire que les Tutsi étaient de façon systématique les clients des Hutu. On est loin du compte sur tous ces points» (M. d’HERTEFELT, 1975 : 50). Et Kanyamacumbi de conclure : «effectivement en supposant que les Bahutu et les Batutsi appartiennent à deux races ou peuples différents, l’énigme demeure. Il est plus juste de constater que le Rwanda est une vieille nation. Les populations sont apparentées sans que pour autant cette origine commune et ces échanges séculaires aient réussi à effacer tous les clivages et toutes les particularités dues notamment à l’isolement, à l’endogamie, à la diversité des conditions de vie professionnelle, économique, culturelle et politique» (P. Kanyamacumbi, 1995 : 135).
Nous prenons acte de cette réflexion. Nous pouvons dire aussi que le contrat de clientèle justement dit ubuhake était, contrairement aux croyances modernistes, un facteur d’unification des Rwandais. Kanyamacumbi a raison. Il ne s’agissait pas d’un contrat, mais d’une pratique sociale privée. Moi, j’allais chez quelqu’un de plus riche ou de plus puissant que moi et personne ne m’y contraignait. Je lui demandais d’être mon protecteur et moi son «protégé», son client, au sens romain du terme, je faisais d’abord ma cour auprès de lui. Quand j’avais gagné sa familiarité et son estime, quand il appréciait ma qualité de bon travailleur, de bon soigneur de ses troupeaux, ma capacité de faire des intrigues en sa faveur, alors il me donnait une ou plusieurs vaches. Il devenait alors mon «père dans le service» (data : papa, buja : dans le service) et moi son fils adoptif. Son caractère de protecteur était diffus, s’exerçant dans tous les domaines. Je pouvais hériter de son clan et même de ses biens. Parfois il me donnait sa fille en mariage. Ceci n’était vraiment pas un contact que l’on concluait après avoir mutuellement terminé toutes ses obligations, mais un début de «relations intenses et durables ». Cela se passait surtout entre Tutsi et Tutsi, entre Hutu et Hutu, Hutu et Tutsi, Twa et Tutsi. Le buhake servait de moyen de promotion sociale. Il ne sera dévoyé, transformé en contrat et en moyen de coercition de riches et de puissants Tutsi contre des Hutu et des petits Tutsi que lors de la réforme administrative de 1926-1931 (P. Kanyamcumbi, 1995 : 258-268).
V. FACTEURS POLITIQUES

Nous ramasserons les facteurs politiques dans l’effort d’unifications du Rwanda, l’organisation politico-administrative et la crédibilité de l’arbitrage suprême.




  1. Critères d’unification du Rwanda

Nous avons dit qu’au départ le Rwanda était habité par des clans-nations dont chacun était autonome et que c’est à partir de Gihanga, surtout de Kigeli Mukobanya, que la collaboration de type confédéral a été remplacée par le principe de l’unitarisme autour de la principauté «Urwanda rwa gasabo» dans le Buganza. Utilisant les armes, l’ubuhake, le pacte du sang, les intermariages, les rois et les princes ont réuni tous ces clans-nations autour du clan nyiginya et le territoire ainsi unifié a pris le nom de Rwanda, venu de cette principauté de l’ouest du territoire. Les chefs de ces clans-nations étaient généralement supprimés, surtout s’ils étaient tutsi, comme le dit Kagame. Tous les autres notables, les ritualistes, les chefs de corporations de métiers, les chefs lignage étaient maintenus à leurs postes et généralement tutsisés. Les traditions sociales et culturelles venues de ces territoires annexés étaient concentrées à la cour royale et non supprimées. On les incorporait à l’héritage culturel rwandais. Cela signifie donc une unification culturelle. Voilà, fortement résumé, l’effort d’unification.


Mais il faut ajouter qu’il n’était pas encore achevé quand les colonisateurs sont arrivés. A l’est, au nord et à l’ouest, dans le Gisaka, le Bushiru, le Bugoyi, le Mutara et le Kinyaga, les particularismes et la volonté autonomiste étaient encore vivaces. Cela se comprend du reste car l’attraction des pays limitrophes y était encore vivace. Dans l’ouest, nous y avions des «ethnies» en train de se «rwandiser» : les Shi, les Havu, les Hunde du Kinyaga et du Bushiru-Bugoyi. Au nord nous avions les Bakiga, les Bahima et les Banyambo venus de l’Ankole. Le Gisaka subissait l’attraction du Nord-Ouest de la Tanzanie, les Haya du Karagwe par exemple, bien que le Karagwe fût l’allié traditionnel de la cour du Rwanda. Le Bugesera vivait l’influence du Burundi de même que le royaume du Busozo, alors que celui du Bukunzi subissait l’influence du Bushi.


  1. Crédibilité de l’arbitre suprême et organisation politico-administrative

Un arbitre suprême crédible, c’est celui qui est capable d’assurer l’unité, la sécurité et la prospérité du pays parce qu’il a réussi à mettre sur pied des mécanismes peu coûteux de résolution des conflits, supprimé l’impunité des fautes, résolu les dilemmes de l’action collective en assurant la coopération de tous les corps sociaux, l’équilibre sociétal en équilibrant les réseaux horizontaux de relations sociales (la société civile) et les réseaux verticaux entre les agents de pouvoirs et de statuts inégaux ( la bonne gouvernance). Et pour établir un jeu crédible des groupes dans la société civile, il ne faut pas privilégier les relations de parenté ou les relations d’amitié intime à cause de la puissance de liaison qu’elles imposent aux personnes. Elles ne peuvent donc pas entraîner la solidarité et la cohésion de communautés plus vastes, avec un nombre important de membres.


Seuls les «liens plus faibles», plus relâchés comme l’affinité et le «membership» partagé dans les associations secondaires (sans doute basés sur le contrat) peuvent fédérer des collectifs plus vastes. Francis Fukuyama, économiste américain d’origine Japonaise, donne comme exemple les clubs sportifs, les mutuelles, les tontines, les associations culturelles, les unions volontaires, etc. C’est cela la société civile et plus ces réseaux d’engagement civique sont denses dans une communauté, plus ses citoyens seront capables de coopérer pour un mutuel service (F. Fukuyama, 1996 : 173). Cette densité assure aussi la capacité de promotion démocratique dans une société. Voilà pourquoi nous avons uni ces associations généralement sans but lucratif dans les facteurs politiques d’unifications. Voilà aussi pourquoi nous affirmons que l’ethnisme qui est un élargissement mythique, imaginaire, des relations biologiques de parenté à un grand ensemble d’individus échoue toujours à créer des nations importantes avec incapacité de les unir et induction de tragédies dedans. Il vaut mieux le rendre illégal comme critère de construction démocratique, comme source d’idéologie et comme principe de lutte pour le pouvoir.
Le Rwanda connaissait trois structures politico-administratives qui le modélisaient : la structure lignagère, la structure politico-administrative et la structure militaire qui fonctionnaient harmonieusement pour assurer l’unité et la cohésion à la fois nationale, politique, administrative et sociale. Le roi était l’unificateur suprême de ces structures. Nous l’avons dit, on l’appelait Sebantu : patriarche suprême, donc père de tous les lignages. Bien entendu, il était à la tête des chefferies foncières (chef du sol) et des chefferies pastorales (chef des «bikingi» propriétés pastorales). Ces deux chefs s’adressaient au chef du collines (igosonga), qui lui-même s’adressait au chef du lignage mineur (inzu). Cette administration faisait principalement la perception des revenus agricoles, pastoraux, artisanaux et cynégétiques en faveur du roi, propriétaire éminent de tout au Rwanda. Elle les acheminait vers la cour, non sans avoir ponctionné ce qui lui revenait de droit. C’est aussi, ajoutons-le ici, par le lignage mineur (inzu) que se faisait à la base le recrutement militaire. Kanyamacumbi a dit des choses belles sur la crédibilité de cet arbitre. D’abord c’était le clan et le lignage royal qui étaient choisis pour donner le chef. Il devait succéder à son père et non venir au pouvoir par usurpation, coup de force. Les Rwandais disaient : «ubwami bugir’ubwoko» : la royauté sort d’un clan et «ingoma iratangwa ntiyihabwa» : on hérite du pouvoir, on ne le prend pas soi-même. Donc il s’agissait d’un clan qui avait réuni le consensus sur son nom et d’un homme que son père, la coutume et le numineux, du moins tout le monde le croyait-il, avaient désigné. C’était important ça : il n’y avait pas d’arbitraire.
Il fallait à la base du pouvoir un consensus national l’accord des familles notables du pays. Il fallait celui des ancêtres et de la divinité : «umwami avukana imbuto» : le chef suprême (le roi) naît avec dans ses mains les principales semences du pays : les céréales (éleusine : sorgho), les légumes (isongi : une espèce d’épinard et des semences de courges). C’était une fiction, mais encore une fois le peuple y croyait. A vrai dire, à la perte du cordon ombilical ou de la première dent des enfants royaux, on allait les enterrer dans un champ à côté de l’érythrine (umuko), arbre sacré. C’était l’enfant dont les pousses avaient été les plus belles, les plus grasses qui était désigné candidat-roi. Mais en général c’était l’une des épreuves. Le candidat devait subir beaucoup d’autres. Le roi ne le désignait jamais publiquement. Il le chuchotait avant de mourir à l’oreille du chef des ritualistes (abiru) à qui revenait la charge de le proclamer. On comprend ici le grand rôle de ces ritualistes. Ils pouvaient bien délibérer pour infléchir la volonté du roi défunt, mais cela n’est pas attesté dans l’histoire du Rwanda.
D’autre part, les moyens de gestion de la cour et de l’administration publique, y compris les gymnases (amatorero) royaux, ne lui venaient que du fisc et des dons de la population, qu’il ne pouvait pas avoir sans le consensus autour de sa personne. On est loin de ces chefs suprêmes actuels qui confondent la caisse de l’Etat avec leur et qui font de la corruption un moyen de gouvernement. Il est choisi non en fonction de sa richesse personnelle, mais du consensus autour de son clan et de sa famille et de ses qualités personnelles. Le roi était le juge suprême de tous les conflits, il partageait ce pouvoir avec les chefs d’armées, les chefs de lignages et les chefs de foyers. Toute la population avait le pouvoir de police judiciaire. Il n’existait pas de magistrature assise, en dehors de lui-même et des chefs d’armée. Le chef d’armée et le patron de clientèle avaient le devoir de protéger judiciairement ceux qui étaient sous leur dépendance.
Il pouvait y avoir des abus dans tous ces domaines, mais des garde-fou existaient pour les limiter. Le roi partageait le pouvoir avec la reine-mère, avec le clan royal et les clans matri-dynastiques (ibibanda). Les ritualistes, les grands chefs de districts et les chefs d’armée pouvaient à l’occasion limiter l’arbitraire royal. Le roi déléguait son pouvoir administratif et judiciaire à ses représentants dans les provinces, qui d’ailleurs se surveillaient mutuellement. Il avait des femmes et des concubines (inshoreke) dans tous les distincts du Rwanda. Officiellement elles géraient ses domaines, en réalité elles surveillaient discrètement le fonctionnement administratif.
Dans le régime monarchique traditionnel, les critères de hutu, tutsi et twa n’intervenaient pas dans l’attribution des postes politiques et administratifs. Le roi examinait plutôt la renommée de quelqu’un, son influence sociale, sa valeur morale ou militaire pour le nommer à une charge. C’est ainsi que nous avions des Hutu, des Tutsi de petite condition et même des Twa qui occupaient des charges de grand chefs de chef d’armée, de chef du sol, de chef de pâturages. C’est la réforme belge de 1926-1931 qui allait réserver les postes auxiliaires de l’administration coloniale aux seuls Tutsi des clans proches du roi et de la reine-mère : les princes et les nobles pastoraux. Il y avait eu auparavant tout un processus de distinction de ce groupe aristocratique. C’est bien dans la ligne de toute politique de domination. Le roi devait triompher des ennemis du pays au dehors et du mal à l’intérieur, assurer la sécurité la prospérité, sinon il devait sacrifier sa vie. C’était inscrit dans le code ésotérique. Il était identifié à son pays, son affaiblissement ou sa déchéance signifiaient ceux du pays. Choisi et intronisé, il quittait sa condition de tutsi pour être ainsi au-dessus de toutes les catégories sociales et garantir aussi l’impartialité et la justice. Il était déjà censé avoir été choisi par les dieux avec sa naissance «des semences en main», son élection le hissait au rang des dieux, il devenait leur messager, leur intermédiaire avec le monde d’en-bas.
Cela marchait parce que tout le monde y croyait, comme je l’ai dit plus haut. Et cela en vertu du fameux théorème sociologique de W.I. Thomas selon le quel ce que tout le monde croit devient vrai dans ses conséquences, même en cas de fausseté des principes à la base de cette croyance. Le peuple s’identifiait à son pays et son roi. De fait tout Rwandais adulte était membre de quelque corps d’armée, depuis Cyirima Rujugira. L’identité la plus globale, la plus prégnante avec celle du clan était la qualité de munyarwanda. C’est cela l’identité citoyenne, que la colonisation allait gravement subvertir avec l’ethnisation de la réforme belge de 1926-1931 et la fausse comparaison du système social et politique rwandais à la féodalité du Haut-Moyen Age européen.


  1. EDUCATION A L’UNITE

Voilà les cinq facteurs d’unité que nous a laissés notre histoire séculaire. Ils sont puissants comme sources possibles de recentrage de nos structures sociales, économiques et politiques. On ne peut les appliquer tels quels à notre temps. Car la modernité nous emporte sans nous demander notre avis. Seulement les interpréter y reconnaître de sains principes d’unifications nouvelle de notre conscience collective, de notre action commune, oui, cela est possible. Chacun d’eux est susceptible d’inspirer nos chercheurs, nos poètes, nos dramaturges, nos romanciers, nos essayistes. Car, oui, il faut produire des livres notamment réécrire complètement notre histoire et des articles, des conférences, des colloques, des ingando centres de solidarité, des forums télévisuels et radiophoniques, des discussions de toutes sortes. En effet ce système d’éducation bien utilisé peut être d’une très grande efficacité.



Mais attention ! Rééduquer une peuple c’est difficile et cela demande du temps. Dans une société traditionnelle, le monde de la paysannerie accepte bien des innovations, sous certaines conditions. Ici un des canaux d’adaptations d’une idée, d’un objet, d’un technique, d’un comportement nouveau, c’est bien le notable. Dans la communauté y sont notables par exemple les chefs coutumiers, les curés de paroisse, les moniteurs et les professeurs, les animateurs, les assistantes sociales, les infirmiers, les commerçants, les juges, les greffiers, les intellectuels, etc. Ces gens on peut, quand on a une innovation à diffuser dans la communauté paysanne, les réunir, les former à cette innovation, les persuader. Ensuite les envoyer répandre la «bonne nouvelle». Le notable est le personnage qui met en rapport la collectivité paysanne, plus ou moins close sur elle-même, avec la société plus englobant en laquelle elle a été intégrée : l’autorité, le pouvoir, le marché économique. Car justement une société rurale devient paysanne lorsqu’elle perd son autonomie et est intégrées, de gré ou de force, dans un ensemble plus vaste qui la domine.
Les paysans n’inventent dans leur système que de petit perfectionnement, car ils tiennent fort à leur tradition, souvent sacrée pour eux. Les grosses innovations leurs viennent de l’extérieur, introduites et acclimatées par le notable. Celui-ci riche, influent et à cause de cela plus ou moins marginal, n’est pas tellement tenu au respect de la tradition. Il peut se comporter autrement sans faire injure aux frères, aux amis, aux voisins et à la bonne routine paysanne. Il peut expérimenter l’innovation pour voir si elle est adaptable aux conditions locales. L’échec pour lui signifiera la perte de certaines choses. Il ne va pas nécessairement la ruine. Si son expérience démontre l’utilité et l’adaptation de l’innovation pour le milieu, alors l’attention des paysans les plus ouverts est retenue, pas encore celle de la masse des paysans. C’est ici que le notable joue de son influence, c’est-à- dire de son autorité sociale. Alors il sert de passeport à l’innovation pour cette masse, après avoir démontré qu’elle s’intégrait aisément au système culturel traditionnel. Alors l’innovation se diffuse, pourvu qu’elle réponde à un besoin paysan.
A vrai dire l’intérêt du notable vient du fait qu’il peut jouer sur deux tableaux. Dire au pouvoir ou au marché économique de la société globale qu’étant influent, il se fait écouter pour son peuple, qui lui fait confiance et le suit. Et dire à ses paysans qu’ils ne savent pas parler aux gens de la ville, mais que lui le peut. Parfois d’ailleurs ce notable a une double résidence. Il séjourne en campagne chez des paysans et en ville. Il sert d’écran et de lien de communication entre le local et le global, tant économiquement, techniquement, politiquement qu’idéologiquement. Ce modèle du notable étudié par beaucoup de sociologues empiriquement est d’application générale. Il a été expérimenté en situation féodale, en situation coloniale et dans les villages américains et européens. Chaque fois en situation de fort séparation entre la paysannerie et la société englobant où les différents notables pouvaient jouer de rivalité entre les différentes clientèles de la hiérarchie paysanne (H. Mendras, 1983 : 32-37).
Il est certain que les cinq facteurs étudiés ne sont pas des nouveautés dans notre société, mas depuis 100 ans le peuple les a désappris. Il faut encore les adapter, les moderniser et les réenseigner au peuple, dans les milieux ruraux par ce modèle du notable, mais lui-même préalablement initié. C’est pourquoi je tiens énormément à notre nouvelle expérience des centres de solidarité (ingando), qui me paraissent pour le moment bien convenu à cette expérience. Bien entendu, il faut aussi former les formateurs de ces «ingando». Le paradigme du notable ne joue pas dans la ville et dans les milieux intellectuels. Ici les mécanismes de changement sont tout autres car c’est un milieu individualiste et en sociétés individualistes, l’individu est la base de la société, sa volonté le fondement de la volonté collective et les institutions et les groupes intermédiaires entravent ses choix, théoriquement libres. Ici le mécanisme d’adoption et de diffusion est très diffèrent du modèle du notable. Les sociologues l’ont appelé modèle épidémiologique. Mais pour les deux modèles, l’individu qui prend sa décision vit un jeu d’influence à trois étapes : l’étape du savoir, celle de la persuasion et celle de la décision qui déclenche l’déclenche l’adoption de l’innovation.
A l’étape du savoir on prend connaissance de l’innovation par les mass media, par les contacts avec les agences spécialisées animateurs, services de vulgarisation, services de relations sociales, services de relations publiques…) ; par les voisins, les amis et les parents : trois réseaux de communication. La personne prend au sérieux ce nouveau savoir à partir du moment où elle constate qu’il n’entre en contradiction ni avec son appareil conceptuel, ses représentations, ni avec son système de valeur. S’il ne le comprend pas ou s’il le trouve immoral, il le rejette. A l’étape de la persuasion, ce sont les relations personnelles qui entrent à l’avant-scène. On distingue dans cette étape la stimulation de l’intérêt des gens, après le savoir et avant la persuasion ; ensuite on distingue l’introduction de l’idée dans le système social par les pionniers ; en troisième lieu la légitimation de la nouveauté par les innovateurs, détenteurs du pouvoir social et symbolique. Si les voisins, les parents, les mass media et les agences spécialisées l’adoptent, alors l’individu se met à délibérer à propos de la nouveauté. Ici le niveau d’instruction «joue un rôle prépondérant pour accélérer le mécanisme de persuasion»
A l’étape de la décision, la participation sociale de l’individu lui fournit «un soutien collectif qui le rassure et facilité l’adaptation» (Mendras, 1983 :82). Je voudrais terminer cet exposé sur l’éducation en rapportant l’expérience de la dynamique de groupe de Kurt LEWIN qui peut nous être grandement utile. LEWIN a expérimenté deux méthodes d’induction du changement dans de petits groupes. La première consiste à réunir tout le groupe, à amener des experts pour leur faire des conférences à l’ensemble du groupe et la deuxième méthode à amener ces techniciens non pour faire des exposés, mais pour seulement se laisser poser des questions par les membres du groupe, après leur avoir montré les raisons de cette rencontre. A différence entre ces méthodes n’est pas dans le contenu du message, mais dans la relation entre les émetteurs du message et les récepteurs. Pour changer les attitudes et les comportements et c’est cela l’éducation, les discussions de groupes valent mieux que les autres. En fait il y a discussions verticales entre les experts et les membres du groupe et discutions horizontales entre les membres eux-mêmes sur le même projet. Ce sont ces deux genres de discussions qui ramènent ces changements dans le groupe d’abord. Ensuite les convictions du groupe déteignent sur les individus qui changent leurs normes, leurs attitudes et leurs comportements par et après le groupe. On voit ici la dialectique entre la liberté humaine et la contrainte sociale. Cette dynamique de groupe explique mieux le mécanisme du changement que le paradigme du notable et même que le paradigme épidémiologique que je n’ai pas exposé.

CONCLUSION
Les cinq facteurs que nous avons exposés ont créé la nation rwandaise multiséculaire et celle-ci, la rupture coloniale et néocoloniale n’a pu la liquider malgré les tragédies qu’elle nous a fabriquées. Chacun de ces facteurs, je l’ai dit, peut faire l’objet de plusieurs livres, dont ceux de redressement de notre histoire complètement biaisée jusqu’à présent. On espérait dans les années 1960 avec la théorie de la modernisation, que la ville, les marchés, l’alphabétisation, les valeurs bureaucratiques allaient accentuer l’identité nationale, citoyenne, que les colonisateurs ont trouvée en train d’être achevée en 1990. Balandier a dit que ce fut l’inverse qui se passa. On exalta le sous-nationalisme. On a trouvé ici une seule ethnie, on feignit de ne pas le comprendre. Pourquoi, pensaient-ils, le Rwanda se différencierait-il des autres régions négro-africaines de vie communautaire éclatée en des centaines de tribus et d’ethnies ? Alors on lui fabriqua trois races, trois ethnies. On pouvait en faire plus encore puisque les Shi, les Havu, les Hunde, les Kiga même, les Nyambo de l’ouest et du nord du Rwanda, eux d’authentiques ethnies ont émigré au Rwanda et se sont fondus dans la population. On aurait pu se mettre à les réidentifier.
On nous fragmenta nos identités, on les diversifia. On en choisit une, l’identité ethnique, on nous assigna à résidence dedans, comme disait une psychanalyse belge. Et cette assignation à résidence identitaire peut être, clamait-il, une entreprise mortelle. Elle fut bel et bien mortelle entre avril et juillet 1994 au Rwanda. Nous voulons rechanger les attitudes et les comportements du peuple pour le recentrer sur l’unité. Il n’est guère facile d’induire le changement à la fois collectif et individuel. Le changement ne survient qu’après des mécanismes compliqués d’influence. Les ignorer, c’est se condamner à n’avoir aucune politique sérieuse de changement des valeurs, des attitudes et des comportements.
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